L’Histoire s’écrit au présent – Les événements qui se sont déroulés entre le dimanche 6 et le samedi 12 novembre resteront probablement marqués à tout jamais dans la mémoire collective de la communauté crypto. Au delà des pertes financières potentielles subies par les utilisateurs de FTX, c’est tout un écosystème qui se retrouve traumatisé à différents degrés par ces nuits blanches passées à lire des informations plus incroyables les unes que les autres. L’impensable est arrivé et nous allons retracer ensemble ces quelques jours qui seront, croisons les doigts, le dernier rebondissement d’une année 2022 déjà trop riche en péripéties.
Dimanche 6 et lundi 7 novembre : CZ veut vendre ses FTT et SBF tente de rassurer le marché
Coup de semonce de Changpeng Zhao
Jusqu’au dimanche 6 novembre, il était difficile d’imaginer que l’exchange FTX puisse être à ce point friable. Dans le top 3 des classements mondiaux du secteur, il inspirait la confiance à une large partie des acteurs du système et Sam Bankman-Fried (SBF) était alors loué pour ses qualités d’homme d’affaire.
La première fêlure est finalement apparue ce jour-là, en fin d’après-midi, quand Changpeng Zhao (CZ) annonce sur Twitter que Binance envisage de vendre l’intégralité de ses FTT. On saura plus tard qu’il avait déjà commencé à transférer de grandes quantités de FTT dans la nuit du 4 au 5.
SBM et Alameda se défendent toujours
Cette décision est a priori justifiée par des rumeurs persistantes sur l’éventuelle fragilité de FTX et de son fond d’investissement maison : Alameda Research. La répartition et la liquidité des jetons FTT sont mises en doute à demi-mots par CZ . Dès le lendemain, le lundi 7, on apprend que la CEO d’Alameda, Caroline Ellison, a réagi vivement à ces déclarations et a contre-attaqué. Non, les informations qui circulent dans les médias américains sont fausses et oui, sa société possède au moins 10 milliards d’actifs en plus. Elle propose même de racheter tous les FTT de Binance s’il faut ! Dans le même temps, Sam Bankman-Fried continue de rassurer sa communauté sur Twitter avec le tristement célèbre : “les fonds sont en sécurité“.
Mardi 8 novembre : de la chute du FTT à l’annonce du rachat de FTX par Binance
Le FTT plonge et FTX vacille
Mais les explications ont du mal à convaincre le marché et dans les heures qui suivent, le cours du jeton de FTX commence à dévisser. Ce matin du 8 novembre, les français se réveillent avec un FTT qui a déjà perdu 30% de sa valeur et un marché des cryptos qui vacille dans son sillage. Au cours de la matinée, CZ fait montre de compassion et multiplie les déclarations pour tenter d’éteindre ce début d’incendie.
Il faut dire qu’une partie véhémente de la twittosphère l’accuse d’avoir voulu anéantir à dessein un concurrent direct. Dans l’après-midi, les retraits sont suspendus sur FTX, à cause d’un trafic trop important selon les équipes techniques de la plateforme.
Binance propose de racheter son principal concurrent
Entre théorie du complot et manœuvre maligne, la CEO cherche à éclaircir sa position au milieu d’une agitation grandissante autour de ce qui devient, à ce moment-là, l’affaire FTX. Mais l’annonce la plus incroyable interviendra en fin d’après-midi vers 17h : Binance est prêt à acheter FTX. Coup de tonnerre sur la planète crypto, le numéro 1 du marché rachète le numéro 2.
Après une conversation téléphonique avec la CEO de FTX, CZ aurait ainsi décidé de signer une “lettre d’intention non contraignante, avec l’intention d’acquérir entièrement FTX et de l’aider à couvrir la pénurie de liquidités“.
Mercredi 9 novembre : CZ examine les comptes de FTX et abandonne finalement ses projets
SBF et Solana à la dérive
Ce matin du 9 novembre, les médias titrent sur la toute puissance de Binance et sur les déboires financiers de Sam Bankman-Fried dont la fortune serait passée de 16 milliards de dollars à 991 millions en une nuit. Dans la matinée, les analystes s’inquiètent du cours du Solana qui suit dangereusement celui du FTT. Ceci à cause des liens qui unissent ce projet et les entités que sont FTX et Alameda Reseach.
En milieu de journée, CZ, rend publique une note interne destinée à son personnel pour faire un point d’étape sur la situation. Il assure immédiatement que les événements se sont précipités et qu’il ne s’agit pas d’une manœuvre de sa part. Il met en garde ses équipes contre des prises de positions financières risquées et leur demande de faire profil bas. Mais surtout, il insiste sur l’état embryonnaire de son projet de rachat.
CZ fait les comptes et se retire du deal
A ce stade, Binance examine les comptes de FTX et toutes les options sont toujours sur la table. D’ailleurs, toute l’après-midi, les rumeurs d’abandon du deal agitent les milieux avisés.
Il sera finalement près de 22h30 quand la nouvelle se confirme : Binance retire sa proposition d’achat. Sans réelle surprise, les dettes et les implications judicaires à venir agissent comme un repoussoir pour CZ et ses équipes qui abandonnent le projet. Quelques heures plus tard, le site de FTX est mis hors ligne un certain temps. Puis il sera à nouveau actif avec un simple message indiquant l’impossibilité d’effectuer des retraits et décourageant les utilisateurs d’y déposer des fonds.
Jeudi 10 novembre : SBF cherche 8 milliards et s’excuse dans la plus grande confusion
Espoirs et faux espoirs pour la communauté
Le chaos. C’est le seul mot qui pourrait illustrer une journée qui va être marquée par des rumeurs plus folles les unes que les autres et par des prises de positions erratiques des acteurs du secteur complètement déboussolés. Et tout commence par un chiffre au petit-déjeuner : 8 milliards. Sam Bankman-Fried chercherait cette somme pour tenter de renflouer sa société et toute la journée, il va se démener pour la trouver.
Une petite lueur d’espoir va arriver en fin de matinée et durer une partie de la journée autour de la proposition de Justin Sun, patron de l’exchange Huobi. Les utilisateurs sont invités à retirer leurs actifs via le réseau TRON, mais la solution est loin de satisfaire tout le monde.
Régulation et révélations au programme de la journée
Puis, vers midi, à l’heure où les Etats-Unis se réveillent, on apprend que les régulateurs fédéraux ont commencé à se pencher sur l’affaire FTX. La Securities and Exchange Commission (SEC) et le Département de la Justice rentrent dans la danse et tout le monde n’a plus que le mot régulation à la bouche. Même CZ y va de son couplet et il remet au goût du jour la Preuve de Réserve qui serait un moyen de garantir la solvabilité des plateformes cryptos.
Mais le plus compliqué à suivre seront ces multiples rumeurs qui affoleront la toile à intervalles réguliers et achèveront de mettre dans l’embarras des célébrités associées aux cryptos. Et déjà, quelques heures seulement après la faillite, les premières révélations sont faites sur la galaxie FTX. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que SBF et Alameda ont une relation plutôt complexe. Le premier mea culpa du jeune CEO arrivera dans l’après-midi sur Twitter mais il aura du mal à convaincre.
Vendredi 11 novembre : les dominos continuent de tomber jusqu’à la faillite finale de FTX
Les exchanges et les autorités main dans la main
Alors que des rumeurs de possibilités de retraits ont circulé dans la nuit de jeudi à vendredi, il apparaît ce matin-là que tous les utilisateurs ne sont pas logés à la même enseigne et que tout n’est pas si simple. D’autant plus que les mauvaises nouvelles ne vont pas tarder à repartir de plus belle, avec l’annonce du gel des retraits de BlockFi. Et on apprendra même dans les heures suivantes que les autorités des Bahamas, où est enregistré l’entité FTX Digital Markets, viennent de geler les fonds de la société après des mouvements de fonds suspects vers cette destination la nuit précédente.
A partir de là, les autorités internationales passent à l’action ostensiblement et montent au créneau pour protéger les consommateurs floués. Ces “plus jamais ça” servent de cheval de Troie à la régulation qui n’en demandait pas tant pour mettre le grand public en garde. Les concurrents de FTX s’engouffrent également dans la brèche pour apparaître plus vertueux les uns que les autres et faire valoir leurs arguments dans une ambiance de suspicion générale.
FTX en faillite : les employés et les utilisateurs dégoutés
Et pendant que la France célèbre l’Armistice, les langues commencent à se délier chez FTX dans la matinée. Les révélations sont dramatiques en tous points et on apprend, consternés, que des employés sont en train de perdre bien plus que leur travail puisque certains ont investi énormément d’argent personnel dans la société. Mais finalement, la nouvelle que tout le monde pressentait est tombée dans l’après-midi : FTX se déclare en faillite et Sam Bankman-Fried démissionne de son poste.
C’est au titre du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, que la procédure est déclenchée. Un nouveau CEO, John J Ray III, devrait arriver prochainement et il va devoir gérer en arrivant un trou dans la caisse de près de 10 milliards de dollars. Il ne sera d’ailleurs pas le seul à devoir faire avec un bilan désastreux puisque d’autres sociétés cryptos commencent aussi à faire le deuil de leurs fonds. Cette nouvelle journée éprouvante s’achèvera sur un nouveau message du désormais ex-CEO de FTX qui officialise la faillite et avoue être désolé de la tournure des événements.
Samedi 12 novembre : hack de FTX et dernières nouvelles
Le calice jusqu’à la lie
Heureusement que le weekend arrive et qu’il va permettre à tout le monde de souffler un peu. C’était sans compter sur une nouvelle réplique du séisme de la veille. La plateforme FTX a été victime d’un hack pendant la nuit et près de 400 millions de dollars ont disparu des comptes. En interne, on nie une quelconque implication mais on confirme le piratage. Par qui ? Pourquoi ? Trop tôt pour répondre. Mais comble de l’ironie, les utilisateurs sont incités à ne plus se connecter à FTX et de ne plus faire les mises à jour de l’application.
On apprendra également que les bitcoins enveloppés – wrapped – sur le réseau Solana sont en train de perdre leur valeur de 1:1 avec Bitcoin. Le prix des SOBTC baisse inéluctablement pendant que les SOETH commencent à montrer des signes de faiblesses, à cause, toujours, de la proximité supposée de Solana avec FTX.
Réaction en chaine et punchline d’Elon Musk
Le samedi après-midi sera rythmé par les annonces du gel de 46 millions de dollars en Tether ordonné par la justice et par la proposition de Chainlink de fournir des solutions de Preuve de Réserve. Dans un autre registre, les mineurs de bitcoins sont désormais dans le rouge à cause de la baisse du marché et un fond d’investissement canadien déplore son exposition au FTT.
Enfin la palme de la déclaration de la journée est décernée à Elon Musk qui semblait très discret depuis quelques jours. Habitué aux sorties fracassantes sur les réseaux sociaux, on attendait sa réaction. Elle n’a pas tardé a arriver sous la forme d’une anecdote qui date de la période du rachat de Twitter. Il aurait parlé au téléphone avec SBF et son “bullshitomètre” aurait explosé à ce moment-là. Du Musk comme on l’aime.
Et maintenant ? Alors que la poussière retombe sur un écosystème traumatisé et en crise de confiance, les répercussions d’un tel bouleversement sont évidemment impossibles à envisager mais l’intégrité du nouvel ennemi public numéro 1 de la crypto sera probablement remise en question.
La seule certitude reste le sentiment de malaise de la communauté qui oscille entre tristesse et colère et qui comprend, abasourdie, qu’elle n’a peut-être pas encore tout vu. Cette semaine sera définitivement à marquer d’une pierre noire et rejoindra la liste des faits marquants de l’histoire de la crypto.
