Web3Connect, quand les banques suisses ne veulent pas rater le train des cryptomonnaies

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Le 5 octobre dernier se tenait à Genève un évènement pas tout à fait comme les autres : on y parlait cryptomonnaies, Web3 et finance décentralisée… mais quasi exclusivement à une audience de banquiers et autres gestionnaires privés de fortunes suisses. Cette dernière se montrait très curieuse d’informations sur les multiples opportunités offertes par notre écosystème en pleine ébullition, malgré l’état des marchés ces derniers mois. J’étais sur place afin de couvrir l’événement pour le Journal du Coin, et aujourd’hui je vous propose un petit débrief de ce qui s’y est dit : suivez-moi pour un petit tour en Suisse, au Web3Connect !

Web3Connect : les banques de Genève discutent cryptomonnaies

Co-organisé par la banque privée Cité Gestion, la firme Wecan Group et l’organisme de formation Crea, la première édition du Web3Connect a eu lieu le 5 octobre 2022 , à Genève, au sein de la Fédération des Entreprises Romandes. L’occasion de rassembler un public majoritairement issu du monde de la finance traditionnelle, afin de lui présenter une vue complète et exhaustive du monde des cryptomonnaies. Alors qu’à peu près 200 personnes étaient physiquement présentes, 150 ont pu suivre l’événement en ligne.

Mais qu’a-t-on raconté à ces banquiers d’affaires, gestionnaires de fonds d’investissement et autres patrons de family offices ? Pas mal de choses, car le lineup d’invités conviés était conséquent et globalement de premier ordre : les principaux acteurs de la crypto mondiale étaient présents.

« Une révolution semblable à Internet », « une modalité de paiement plus efficace », « une opportunité unique pour les hedge funds » : le ton général adopté dès l’ouverture du Web3Summit ne laissait que peu de place au doute quant au potentiel des cryptomonnaies aux yeux de plus en plus d’institutionnels.

Le sommet aura été l’occasion de faire intervenir côte à côte le monde de la finance classique et celui de la crypto-finance : les participants auront ainsi pu entendre aussi bien certaines figures bancaires suisses : si Christophe Utelli, patron de Cité Gestion, lançait la conférence, on aura aussi pu suivre les interventions d’Alex Zarrabi de WeCan ou encore des banquiers Charles-Henry Monchau de la banque Syz SA et Massimo Butti de la division crypto du gestionnaire de la bourse suisse SIX.

Charles-Henry Monchau
Charles-Henry Monchau, Syz SA

En écoutant ces fameux banquiers, souvent dépeints en adversaires de l’adoption des cryptomonnaies, on pourra constater que la vision du monde bancaire suisse parait à des années lumières du discours public tenu par nos institutions et nos régulateurs du côté français. En Suisse donc, les responsables du monde d’avant n’ont aucune crainte concernant ce nouvel eldorado des cryptomonnaies, « une nouvelle classe d’actifs », portée et « demandée par des clients plus prompts à prendre des risques, et donc qui ont une valeur supplémentaire par rapport à un client non crypto », selon Charles-Henry Monchau. Pour autant, gardons-nous d’un angélisme mal placé, l’enjeu derrière cet accueil chaleureux des cryptoactifs est bien « la capture de la tokénisation (…) et le contrôle de l’intégralité de la chaîne de valeur des cryptomonnaies et de leur custody. »

La tokénisation, le staking et les nouvelles opportunités de revenus crypto pour les banques

Florian Ducommun et Ariel Ben Hattar, respectivement associés des cabinets Bonnard Lawson International et Lenz & Staehelin, se sont partagés l’épineux sujet de la tokénisation et de la taxonomie des tokens aux yeux de la loi suisse. A les écouter, les autorités locales auraient rapidement compris que les cryptomonnaies représentaient « the next big thing », et auraient tenté d’attirer les fondations crypto ainsi que les porteurs de projets grâce à un environnement fiscal et législatif accommodant.

Ariel Ben Hattar
Ariel Ben Hattar, Lenz & Staehelin

Bien évidemment, l’installation et le développement de la fondation Ethereum auront servi de déclencheur (puis de catalyseur) à ce mouvement. Pour autant, selon Florian Ducommun, un certain nombre de crypto-convaincus et de développeurs devraient penser un peu plus souvent aux conséquences potentielles de leurs actes : en effet, selon lui, en réalité, « code is not law », puisqu’il arrive que certains développeurs puissent être tenus pour responsables en cas d’une utilisation illégale d’un protocole auquel ils auraient contribué. L’actualité récente et le cas de Alexey Pertsev, développeur du mixeur Tornado Cash, arrêté par les autorités néerlandaises et toujours sous les verrous, servira d’exemple notable à l’audience de la justesse de cette remarque.

Concernant la tokénisation, le régime local fut présenté comme relativement simple, tandis que l’écosystème chercherait à ancrer des standards en terme de tokens et de sous-jacents afin de faciliter à terme son expansion. Pour le staking – gros sujet pour les gestionnaires de fortune présents, ou pour certaines dynamiques plus éphémères comme le PlayToEarn, notons que la loi suisse est moins arrangeante : en effet, selon le type de tokens, les mécanismes de rendement et la possibilité que la spéculation sous-jacente d’un jeu amène à le considérer comme un jeu d’argent, les réglementations propres aux jeux de hasard peuvent s’appliquer – comme Sorare en a fait l’amère expérience en se faisant interdire en Suisse, l’amenant à essayer activement d’éviter le même débouché en France grâce au soutien médiatique affiché de certains décisionnaires bien placés.

Ces opportunités semblent avoir décidé rapidement le monde bancaire suisse : qu’il s’agisse des banques classiques, de néo-banques crypto-friendly ou des crypto-banques natives, le lancement et l’entretien d’infrastructures de validateurs participants aux principaux réseaux blockchain de la nouvelle économie est perçu à la fois comme un enjeu majeur de développement et comme une offre très valorisée par les riches clients suisses. Carlos Martin Doncel (Swissquote), Alexander Metzger (SEBA) et Romano Marco Brotschi (Signum Bank SA) ont ainsi échangé lors d’une table ronde consacrée au sujet, et l’on en retiendra qu’EDF et sa filiale Exaion n’ont rien inventé en se lançant dans l’infrastructure crypto avec 150 nœuds Ethereum : la tendance a l’air bien enclenchée, depuis un moment, et même la bourse suisse SIX a expliqué avoir déjà rejoint un consortium bancaire afin de développer ce genre de produits pour certains de ses partenaires institutionnels.

Bitcoin, alpha et omega de la révolution crypto

Jusqu’ici, le présent résumé du Web3Connect fera probablement ricaner un certain microcosme maximaliste intimement convaincu qu’il n’existe de richesse qu’en Bitcoin et que lesdites banques suisses foncent vers leur ruine en shitcoinant allègrement. Mais que ces bitcoiners de l’extrême se rassurent : le Web3Connect n’a pas simplement discuté d’applications blockchainisées : Pascal Gauthier, patron de la licorne française Ledger, n’a pas manqué d’expliquer posément et avec humour pourquoi la révolution venait bel et bien du Bitcoin, et pas d’autre chose. A ses yeux, Bitcoin est bien le protocole qui compte, celui qui a permis la véritable révolution monétaire, et non pas une simple évolution.

Pascal Gauthier
Pascal Gauthier, Ledger

Selon M. Gauthier, l’on aura beau inventer toute la terminologie banco-compatible que l’on voudra, et préférer dénigrer Bitcoin en mettant en avant « la blockchain », « le Web3 » ou un autre avatar dans le futur, c’est bien Bitcoin qui continuera de compter au final. En effet, jusqu’à l’invention du BTC, toute possession numérique était nécessairement sous la gestion de quelqu’un d’autre et non pas directement gérée par des individus souverains et libres. Cette tendance à l’abandon de cette souveraineté, de ce pouvoir personnel et de cette liberté s’explique par « notre recherche de la facilité, et par commodité », selon M. Gauthier.

Mais si Bitcoin permet sur le principe de renverser la table et de bousculer l’ordre établi, en rendant à l’individu la possibilité de posséder et de gérer seul une monnaie purement numérique non censurable, la responsabilité liée à ce pouvoir soudain peut en effrayer certains. La question difficile de la gestion de la détention des cryptomonnaies fut le sujet d’une table ronde où ont pu intervenir, outre M. Gauthier, Sébastien Dessimoz (Taurus) et Adrien Treccani (Metaco).

Table ronde Ledger, Metaco, taurus
Table ronde entre Ledger, Metaco et Taurus

Cette table ronde aura vu s’opposer plusieurs visions différentes, parfois contradictoires : si un consensus s’est dégagé sur le fait qu’une tendance à la centralisation du contrôle des clés était clairement visible, les réponses à apporter divergent selon les intervenants. Des gestionnaires comme Metaco ou Taurus se sont en effet peu émus de cette situation, constatant que le moteur principal de l’adoption des cryptomonnaies avaient été jusqu’ici la recherche de rendement : dans ce contexte, pourquoi s’opposer à la connexion à terme des institutionnels du monde entier, et à la volonté et à l’appétit des énormes fonds d’investissement venus de la finance traditionnelle ?

Quand la finance cherche des partenaires crypto fiables

La conférence aura aussi été l’occasion d’entendre différents partenaires crypto des institutions suisses.

Ambre Soubiran, PDG de Kaiko, aura pu présenter les applications Web3 offertes par sa société : les institutionnels ne se lançant pas à l’aveuglette dans les cryptomonnaies, il leur faut des données précises, de confiance et aussi retraitées.

Ambre Soubiran
Ambre Soubiran, Kaiko

Kaiko effectue donc ce travail et offre un accès aux différentes datas pools utiles de l’univers crypto : l’objectif final est bien de dépasser la « simple » numérisation classique, mais bien de permettre d’établir un cadre stable pour développer les représentations tokénisées d’actifs réels (Real Worlds Assets, ou RWA), ainsi que la contractualisation sur ces cryptoactifs.

Aurélien Vuilleumier (Heptagone) aura également présenté son approche de la due dilligence crypto au cœur des institutions et des banques, cherchant à lier datas on-chain et off-chain. En effet, l’une des difficultés résiduelles auxquelles se heurtent encore les institutions est l’identification des acteurs sérieux de l’écosystème : comment s’assurer que l’on ne va pas monter un service crypto avec un futur Do Kwon ?

Aurélien Vuilleumier
Aurélien Vuilleumier, Heptagone

C’est là qu’une véritable investigation numérique, liant enquête sur des données ouvertes et de l’analyse de chaîne peut prendre place.

Enfin, l’on retiendra l’intervention de Christophe Fonteneau. Ce dernier n’a pas manqué de présenter à l’auditoire les réalisations de son entreprise Request Network : lancé en 2017, ce produit permet depuis aux particuliers comme aux professionnels de gérer leurs factures et leurs paiements crypto, directement sur la blockchain. Les transactions sont traitées entre les parties concernées, sans intermédiaires. Elles sont ensuite enregistrées on-chain de façon à en « faciliter la vérification ». Par conséquent, les échanges et les interactions s’en trouveraient « grandement fluidifiées ».

Les cryptomonnaies face aux régulateurs

La journée s’est terminée par deux tables rondes distinctes, ayant permis d’entendre le point de vue des principaux exchanges de la planète sur la réglementation suisse, ainsi que de débattre avec des gestionnaires de fonds ou d’index crypto sur l’avenir de l’écosystème.

Salma Belghali, Peter Hofmann et Martin Liebi
Salma Belghali (BitMEX), Martin Liebi (FTX) et Peter Hofmann (Coinbase)

Les participants auront donc entendu Salma Belghali (BitMEX), Martin Liebi (FTX) et Peter Hofmann (Coinbase) se lancer quelques piques dans une ambiance bon enfant, évoquer de futurs projets (sans pouvoir entrer dans le détail), et disserter sur les possibilités offertes par la Suisse comparativement à d’autres environnements moins accueillants ou plus restrictifs.

Enfin, Sina Meier (21Shares) et Christoph Kampitsch (Scytale Ventures) auront pu présenter leur expérience de l’investissement crypto, notamment en ce qui concerne les échanges avec les régulateurs du monde entier lorsqu’il s’agit de lister des produits structurés sur les places de marché mondiales ou bien de devoir faire le tri entre une foultitude de projets désireux de lever des fonds pour se lancer.

Notons pour finir qu’Alexis Roussel, COO du projet Nym, a pu clôturer la conférence en rappelant que si un environnement accueillant était toujours appréciable lorsqu’on monte un projet crypto, cela ne voulait pas nécessairement dire que les régulateurs devaient être considérés comme de véritables alliés : l’affaire Tornado Cash l’aura démontré, le respect de la vie privée des citoyens dans un contexte de surveillance de masse de l’Internet mondial est un véritable défi, qui s’annonce redoutable et difficile à relever.

En conclusion, nul doute que l’on peut considérer la première édition du Web3Connect comme un succès : loin des clichés parfois encore véhiculés au sein de l’écosystème, en Suisse, les banques ne veulent pas se faire distancer et suivent avec attention les innovations et les opportunités offertes par le développement du Web3. Pour continuer à se tenir à jour de leurs réflexions, il est fort probable qu’il faille se préparer à une seconde édition l’année prochaine.

Grégory Mohet-Guittard

Je fais des trucs au JDC depuis 2018. En ce moment, souvent en podcast et la tête dans le nuage.

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