Au Congo, Kivéclair fait battre le cœur de Bitcoin
Pendant que certains ergotent sur “l’absence de gain social apporté par Bitcoin” dans une forme de débat qui n’est pas sans faire penser à ceux des années 90 désignant Internet comme un effet de mode un peu inquiétant, à travers le monde, des hommes et des femmes s’affairent à faire vivre la vision initiale de Satoshi Nakamoto, créateur de Bitcoin. Une vision où Bitcoin ne serait pas – seulement – un actif spéculatif ou un simple nouvel artefact boursier de plus, mais surtout un vecteur de progrès économique, social et monétaire, au service d’un véritable humanisme concret. Et si les yeux du monde sont ces derniers mois volontiers braqués vers le Salvador, c’est peut-être à Goma, une petite ville du Congo, aussi meurtrie que peu connue, que Bitcoin atteint pleinement son objectif initial, bien loin des projecteurs et des débats stériles.
Battements de blocs
Le cœur battant de Bitcoin ne se trouve pas à Wall street, entre les mains de financiers gardiens zélés d’un ordre ancien, essentiellement animés par la volonté de le domestiquer sous forme d’ETF, parfaitement sous contrôle et à haute valeur spéculative ajoutée.
Bitcoin ne pulse pas non plus dans les terminaux de paiements des grands magasins, boutiques de luxe ou chaînes de cinéma, toujours plus nombreux à ne voir en lui qu’une façon plus rapide et moins chères d’exécuter des millions de transactions.
Et on ne distinguera pas plus de battements perceptibles dans le brouhaha de fermes de minage géantes à travers le monde, monstres industriels bringuebalées – si besoin en catastrophe – de la Chine aux Etats Unis, de l’Iran à l’Irlande, remodelant au passage la future géopolitique économique d’un 21ème siécle qui sera crypto, ou ne sera pas.
Non, si on devait reconnaître à Bitcoin une âme et un cœur, battant au rythme d’un nouveau bloc toutes les 10 minutes imperturbablement depuis 13 ans, c’est plutôt vers les plages d’El salvador qu’il faudrait tendre l’oreille.
Un bruit de fonds subtil et continu, émanant d’initiatives individuelles et foncièrement humaines animant, plus d’une décennie après sa création, la vision initiale portée par Satoshi Nakamoto : rapprocher les individus, les “désintermédier” jusqu’aux échelles les plus petites qui soient, grâce à une technologie globale à l’échelle de la planète et nécessitant la contribution bienveillante by design… de millions d’inconnus.
Et si la “Bitcoin Beach” d’El zonte au Salvador est désormais identifiée comme l’épicentre de l’avénement de Bitcoin en tant que monnaie officielle du pays – une première historique absolue qui fait trembler jusqu’aux vénérables fondations du FMI – il convient de se souvenir qu’au-delà du côté exubérant du president-influenceur Bukele, ou des questionnements techniques sur le wallet Chivo, tout à commencé quelques mois plus tôt autour d’un feu de camp de surfeurs, dans les odeurs de grillades et la quiétude d’un modeste village salvadorien bercé par les vagues du Pacifique.
Une étincelle tout d’abord modeste, entretenue par la bonne volonté d’une poignée de “bitcoiners”. Une donation en BTC par un généreux anonyme, des centaines d’heures de pédagogie, en coopération avec les habitants locaux – aussi peu bancarisés que possible, tout en n’étant pas le public le plus simple à convaincre des avantages de cette crypto-bizarrerie qu’est Bitcoin – et le résultat était là, en quelques mois à peine : un pays entier, souverain, de 7 millions d’habitants profite désormais des avantages de Bitcoin, s’y habitue, cependant qu’en parallèle Bitcoin, à la fois en tant que monnaie et que réseau, se renforce, s’adapte, et progresse en résilience comme il l’a toujours fait jusqu’içi.
Et si tout le monde a expérimenté la difficulté à faire prendre un feu en environnement hostile, chacun sait également à quel point les flammes peuvent se répandre vite à la faveur d’un vent favorable.
Ainsi, l’étincelle Bitcoin d’El Zonte a vocation à allumer d’autres foyers. Et l’un d’entre-eux pourrait fort bien prendre des forces au Congo en ce moment même, dans la petite ville de Goma.
Bitcoin, d’un volcan à l’autre, du Salvador au Congo
L’image du volcan est intéressante pour qualifier Bitcoin.
Comme Bitcoin, la force du volcan est foncièrement, viscéralement, géologiquement inarrêtable. On peut maudire l’irruption, se plaindre de la lave, vouloir en canaliser les effets… les effort seront aussi dérisoires que vains.
Et au même titre qu’un Volcan, Bitcoin peut également rendre des terres arides de nouveaux fertiles (l’inclusion des populations débancarisées, la lutte contre le retard en matière financière…), ou encore semer le chaos (les classiques accusations de l’utilisation de Bitcoin pour des actions illégales, du blanchiment, ou en tant que vecteur de paiement dans le cadre des ransomware par exemple).
Une manière de rappeler que Bitcoin n’est au bout de tout, qu’un outils nouveau et très puissant, mis à disposition du plus grand nombre, mais qu’il est aussi vain, qu’intellectuellement boiteux, d’aller à l’encontre de son évidence.
Quoi qu’il en soit, si les volcans paisibles du Salvador vont être mis à profit par le pays pour alimenter une industrie du minage de bitcoins 100% écologique et durable, via géothermie, ceux présent au Congo sont malheureusement autrement plus agressifs. E effet, leurs activités et irruptions ont abouti à plusieurs reprises à des catastrophes majeures et des crises humanitaires d’autant plus graves qu’elles ont touché une population pauvre, et foncièrement ignorée des caméras de télévision occidentales.
Et au Congo, c’est la petite ville de Goma qui a payé un lourd tribut et a été tout particulièrement touchée.
« Goma est une ville de plus de 2 millions d’habitants dans la région du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. Proche de la frontière, la région est déstabilisée par la venue de réfugiés du Rwanda à la suite du génocide et guerre de 1994. Depuis, la région connaît une instabilité constante provoquée par les groupes armés de la région. En plus de malheurs d’origine humaine, la ville subit une destruction partielle suite à une éruption du volcan Nyiragongo en 2002. Une nouvelle coulée de lave en mai 2021 détruit les maisons de nombreux habitants qui doivent se réfugier dans des camps. »
Site de Kiveclair
Face au drame humanitaire, un petit groupe de bitcoiner a décidé ces derniers mois de prendre les choses en main, en tentant d’apporter une aide financière et logistique concrète à la population, tout en accompagnant cette assistance d’actions de pédagogie autour de l’utilisation du réseau Bitcoin, dans un environnement dénué de toute infrastructure financière.
Cette aide très concrete, et les opérations déjà menées ces derniers mois, sont notamment exposées sur le compte Twitter de Gloire qui documente les opérations. L’occasion de se féliciter des succès, sans nier les échecs et difficultés, nombreuses sur le terrain. Par exemple, comment convaincre de l’intérêt du réseau de paiement Bitcoin face à une population sinistrée, ne disposant même plus des moyens d’acquérir un smartphone premier prix ?
Rapidement, à des années-lumière des salles de trading éclairées par les signaux blafards clignotants des marchés, bien loin de nos angoisses toutes occidentales dès lors que “ça chute”, un snack local se transforme en QG pour présenter Lightning Network, le Layer 2 de Bitcoin, permettant des paiements quasi-instantanés.
Regardez bien cette photo. Elle concentre à elle seule tout ce que le véritable “maximalisme Bitcoin” est supposé incarner, bien loin des guerres de clochers s’étalant sur les réseaux sociaux, ou des diatribes poussiéreuses sur “l’absence d’avancée sociale apportée par Bitcoin”. Les intéressés se reconnaîtront.
Dans ce contexte, la maman de Gloire qui a mis à disposition son magasin, joignant ses forces à la puissance du réseau Lightning Network fait ainsi plus pour la “cause” de Bitcoin qu’un Michael Saylor, “apôtre du Bitcoin”, ou l’ensemble de l’oeuvre d’un Elon Musk.
Comment aider ?
L’initiative Kiveclair, car telle est son nom, fonctionne sur un système de dons et d’entraide depuis le premier jour.
Une “torche Lightning” (une forme de passage de relais sur les réseaux sociaux où chaque dépositaire ajoute à son tour des satoshis pour grossir le pot commun) a permis de collecter de premiers fonds. Un site officiel est désormais en place et permet de recevoir directement des dons en BTC de toute part. Au moment de la rédaction, un peu plus de 12 000$ ont déjà été récoltés.
Le premier objectif de 25 000$ permettra de venir en aide à 50 familles, avec notamment l’attribution d’un téléphone portable, l’installation d’un portefeuille bitcoin, et environ 50$ en bitcoins par mois pendant 6 mois.
Si ce premier pallier est franchi – et il est indispensable qu’il le soit dans un monde où chacun est prêt à dépenser des fortunes dans des NFT de singes moches – Kiveclair pourra commencer à réfléchir à l’utilisation de locaux en dur en ville.
Bien évidemment, à mesure que la cagnotte grossira, les ambitions suivront avec pour objectif l’organisation d’événements de nature à offrir un focus sur la situation nationale, attirer des ressources et des compétences, convaincre le tissu économique local de la pertinence du modèle…
Gloire nous explique :
« Les fonds collectés seront distribués (en bitcoins) à quelques victimes de l’éruption du volcan nyiragongo. Ces derniers manquent de tout (maisons, nourriture, etc). Nous allons également étendre l’aide à plusieurs autres catégories sociales victimes d’injustices (personnes vivant avec handicap, pygmée, etc) le tout sur une période minimum de 6 mois. Pendant ce temps (6 mois), ils suivront une formation sur le bitcoin et la monnaie. Après, nous prévoyons de les engager à faire des travaux communautaires payés en bitcoin. »
A mesure que le temps passe, l’initiative Kivéclair s’attire sympathie et soutien. Le Journal du Coin est ainsi fier de valoriser cette équipe, derrière laquelle se profile le média Chainglob, site d’informations cryptos tourné vers l’Afrique. On citera également l’association française Le Cercle du Coin et le Podcast Parlons Bitcoin, également très actifs.
Pour contribuer à cette belle oeuvre commune, c’est par ici.