La SEC publie ses recommandations sur les crypto-actifs

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Howey Test, es-tu là ? – La SEC (pour Securities and Exchange Commission), le gendarme financier américain, a enfin publié le 3 avril une première prise de position formalisée en ce qui concerne les crypto-actifs. Jusqu’ici, ce n’était pas l’institution en tant que telle qui parlait, mais ses représentants qui pouvaient à l’occasion donner leur ressenti à propos de cette nouvelle cryptofinance émergente.

Le brouillard se lève un tantinet : oui, la SEC considère que le Howey Test doit s’appliquer aux cryptomonnaies, car sinon comment désigner les fameuses securities, qui sont rattachées à l’établissement d’un contrat d’investissement ? Pour autant, l’institution prévient que chaque cas est unique, dépendant aussi bien du contexte de la vente et de ses conditions que de celles du fonctionnement de la blockchain sous-jacente et de son degré réel de décentralisation.

Mais en fouillant un peu dans ces conditions, la véritable question qui se pose pour les ICO est la suivante : ne sont-elles pas désormais virtuellement toutes à risques d’être de facto des securities ?

L’analyse la plus détaillée à date disponible dans les suites de la publication de la SEC est à mettre au crédit de Katerine Wu, ancienne directrice du développement du crypto-média Messari. Cet article s’appuiera donc sur ses conclusions détaillées.

La lettre de non intervention : les points de fidélité ne sont pas des securities

Nous vous l’annoncions hier : la SEC a produit hier sa première lettre de non-intervention, à destination de la petite compagnie aérienne TurnKey Jet. Si cette lettre a d’abord fait l’effet d’une petite bombe, il est intéressant de la décortiquer à nouveau pour voir comment elle ne fait que préfigurer les grands axes détaillés par la SEC dans son framework plus détaillé.

Car que dit cette lettre en définitive ? Vérifions, point par point.

Par abus de langage, nous désignerons les tokens émis par la compagnie des tokens TKJ.

Les tokens émis par la compagnie doivent servir théoriquement à faciliter l’organisation et la gestion des vols de la compagnie, ainsi que mieux régir les services mis à disposition des adhérents de la compagnie. La question de l’utilité d’une blockchain dans ce contexte pourrait raisonnablement se poser.

Point positif relevé par l’institution : le token en question n’est utilisable que pour son utility annoncée, immédiatement dès la levée de fonds, et n’a pas vocation à financer le développement de la compagnie ou de ses autres projets. Mais alors, pourquoi lever des fonds s’ils ne doivent servir à rien, et surtout pas à développer un futur produit ou une future entreprise en devenir ?

La SEC a notamment imposé une convertibilité stricte du token TKJ à 1 TKJ = 1$, avec obligation en cas de rachat des tokens par la compagnie de les racheter à un prix inférieur à celui ayant eu cours lors de leur vente initiale, mais pas seulement. La SEC a aussi imposé l’impossibilité d’utiliser les tokens en dehors de la stricte plateforme et application de fidélité de la compagnie, ou encore l’interdiction de leur distribution en dehors du cercle des adhérents contractuels au programme de fidélité de la compagnie. Si l’on ne peut pas sortir les tokens des wallets propriétaires de la plateforme, quelle différence avec un vague contrat sur la différence comme il en existe sur certaines cryptomonnaies, mais qui plus est strictement backé à une équivalence avec le dollar ? Si l’on ne peut pas légalement revendre ces tokens sur le principe, la SEC fait-elle mine de ne pas voir qu’un marché noir pourrait fort probablement tout de même perdurer ? Après tout, que sont les plateformes de change non régulées existantes déjà aujourd’hui, ou encore les supposés DEX ?

Pour résumer, nous sommes donc face à un token TKJ produit par une compagnie aérienne de petite envergure, à usage exclusif comme point de fidélité intra-app, ne pouvant pas être valorisé au delà du dollar et dont la revente ultérieure ne peut se faire qu’à prix cassé directement auprès de la compagnie émettrice mais aucunement sur un marché secondaire ou une plateforme de change.

Qu’a donc fait la SEC en réalité ? Tout simplement convenir publiquement et à l’écrit que si Basic Fit vous proposait des points de fidélité sur “la blockchain”, leurs dirigeants ne seraient pas poursuivis pour une vente illicite d’actions non enregistrées.

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Mais les conditions très strictes qui apparaissent en filigrane concernant les projets de la cryptosphère semblent avoir la capacité de tirer une bonne partie des entrepreneurs crypto de leurs doux rêves, pour les plonger dans des maux de tête conséquents.

Plongeons-nous maintenant plus en détails dans le nouveau framework généraliste de la SEC.

Appliquer le Howey Test : deux premiers points évidents…

Dans son document complet, la SEC explique pourquoi à ses yeux, il n’y a pas vraiment de doute à avoir en ce qui concerne les deux premiers points du Howey Test.

En effet, en ce qui concerne l’investissement d’argent, la question est simplement de savoir si les tokens sous-jacents au réseau blockchain évalué ont été vendu contre des dollars. Pour la SEC, ce point est comme satisfait d’office pour la quasi totalité des projets.

Vient ensuite le second point, dans lequel il s’agit de qualifier si le réseau pour lequel des tokens sont levés correspond ou non à “une entreprise normale”. En résumé, pour statuer sur le caractère normal de l’entreprise, il faut savoir si une équipe centrale est en charge de la gestion du produit, du déploiement et du maintien du réseau blockchain en question, et de la vente.

Là encore, bien qu’il faille regarder projet par projet, la SEC considère ce point valide pour la très grande majorité de la cryptosphère.

La question de “l’espérance de profits” bien plus ennuyeuse

Là où est les choses se compliquent par contre assez franchement, c’est lorsqu’on s’intéresse au dernier point du Howey Test, à savoir : peut-il y avoir de la part des investisseurs souscrivant à la vente de jetons une attente de profits liés aux actions d’un participant au marché lié à la gestion de l’entreprise.

Attendu que c’est un peu le dawa en ce qui concerne la catégorisation des différents projets et des équipes gestionnaires de ces projets, vous vous doutez bien qu’il va falloir que la SEC mette tout le monde d’accord sur plusieurs définitions.

De quel type “d’actions” parle-t-elle ? Que désigne l’appellation “participant au marché” ? Quelle attitude fait de vous un facteur significatif dans “la gestion de l’entreprise” ?

Autant de flous artistiques qu’il va bien falloir réussir à conjuguer au décentralisé.

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En effet, le champ des possibilités pouvant conduire la SEC à considérer qu’une vente de jetons répond aussi positivement à ce dernier critère est très vaste.

Un token pourrait potentiellement, et selon le cumul ou non de certaines conditions, être classé comme une security dans les cas où :

  • Des acheteurs pourraient s’attendre à ce que des participants au marché et à la gestion du réseau impactent le token en lui faisant prendre de la valeur,
  • Des acheteurs pourraient être en droit d’attendre des effets sur le prix du token du fait des actions d’un promoteur, d’un sponsor ou d’un affilié quelconque,
  • Le fait qu’une équipe unique (“core team”) assure la majorité des opérations relatives à ce réseau, même dans le cas d’un réseau dit décentralisé, et même s’il existe plusieurs équipes de développeurs indépendantes,
  • Les émetteurs du jeton conserveraient une partie des tokens émis,
  • L’équipe qui émet les tokens en fait la publicité dans le but de les vendre,
  • Des droits sont rattachés au jeton, notamment – mais pas exclusivement – celui d’en tirer des dividendes ou de les revendre sur un marché secondaire,
  • Les fonds levés peuvent sembler en totale démesure d’avec les buts visés par le token vendu, par rapport à ce qui serait rationnellement utile vis-à-vis du réseau, de son entretien et de la valeur supposée du projet (coucou l’année ICO 2017 !).

La situation est donc complexe, car en l’état, la définition effective d’un “participant actif” a l’air d’être potentiellement très large, englobant quasiment toutes les catégories de participants à un réseau : émetteurs, développeurs, fondateurs (même ayant quitté un projet), mineurs, voire même délégués.

De façon générale, et si l’on tente de résumer, c’est bien l’analyse projet par projet qui comptera, car quels sont les projets crypto qui ont émis des tokens sans les rendre disponibles sur des plateformes de change, sans permettre leur utilisation en dehors d’une seule application propriétaire, sans se servir des fonds levés pour développer leur projet ou leur entreprise, sans avoir jamais accordé de budget communication à du contenu sponsorisé faisant l’apologie de leur projet, ou même payé des listing fees ?

Mais la fête n’est pas encore terminée : que faire justement de tous les projets passés qui pourraient maintenant se trouver testés positifs au dépistage Howey ?

Un token fautif pourra-t-il être réhabilité ?

La SEC annonce ainsi qu’elle devra aussi considérer une dernière variable : le temps qui passe. En effet, d’après son framework, elle pourrait devoir d’abord apporter un avis à propos des conditions de mise en circulation d’un token pour juger du caractère ou non de security lors de cette émission. Pour autant, elle reconnaît implicitement qu’il puisse être possible qu’un token considéré initialement comme security ne le soit plus par la suite, selon l’évolution du projet vers une plateforme plus proche de l’idéal décentralisé.

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Les jetons en question pourraient finalement paraître un peu moins être des securities, dans les cas où :

  • Il y aurait des raisons pour les acheteurs d’un token de penser qu’il n’y a plus de participant au marché en capacité d’influer sur le prix par lui-même,
  • La valeur du jeton s’est stabilisée autour d’une “valeur fondamentale” qui semble plus corrélée à la valeur raisonnable du service ou du bien contre lequel il peut être échangé,
  • Aucun participant au marché n’est en capacité d’avoir accès à des informations de première main sur le réseau, dont il pourrait tirer parti pour s’enrichir.

Autant dire qu’il serait très ardu de tenter de déduire in extenso de ces guidelines des classifications adéquates pour la multitude de tokens qui ont envahi l’espace crypto ces dernières années.

La SEC ne précise d’ailleurs pas dans quelles conditions, à la demande de qui ou sous quels délais elle pourrait se saisir de cas de réévaluations. Pour l’heure, il s’agit donc d’une simple possibilité évoquée.

 

Au vu de la rigidité apparente du framework dévoilé, l’on peut se questionner sur l’impact à venir sur la cryptosphère et ses exchanges, d’abord sur la scène américaine. De plus, au delà des seuls Etats-Unis d’Amérique, quelles seront également les conséquences pour les équipes étrangères aux USA, à l’origine d’émissions de tokens par ICO, dans le passé mais aussi à l’avenir ?

Si cette première prise de position publique a le mérite d’exister, la SEC elle-même rappelle en conclusion de son framework qu’il ne s’agit pas d’un texte ayant force de loi de manière définitive et irrévocable : l’analyse devant se faire au cas par cas, et la classification en security d’un token pouvant évoluer, l’organisme invite les entrepreneurs qui envisagent toujours ce mode de financement à prendre contact avec leurs services.

Un soulagement cependant : les services juridiques spécialisés ont donc encore de beaux jours devant eux.

Grégory Mohet-Guittard

Je fais des trucs au JDC depuis 2018. En ce moment, souvent en podcast et la tête dans le nuage.

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