Le projet Bitcoin Ekasi : Surf, éducation et économie solidaire dans les townships
Surf et Bitcoin en Afrique du sud – Pendant que la régulation bat son plein aux quatre coins du monde, que les monnaies numériques de banques centrales fleurissent sous toutes les latitudes, que les grandes banques expérimentent de nouveaux stablecoins et alors que l’hiver crypto s’éternise au beau milieu de marchés financiers en crise larvée, une petite partie du monde se moque de tout ça et utilise Bitcoin chaque jour. Pas parce que la technologie est formidable, ni parce que le trading rapporte gros, non, juste, car c’est un outil financier unique. Et, pour beaucoup de gens le seul qui leur permette d’envoyer, de recevoir et d’échanger de la valeur.
Ces gens pour qui Bitcoin est la seule option disponible pour participer à l’économie de leur pays, on les trouve en Amérique latine, en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient et dans de nombreux pays exposés à une crise monétaire importante, à une inflation à deux chiffres ou à une dévaluation violente de la monnaie locale. Mais, aujourd’hui, une fois de plus, c’est en Afrique que nous allons.
Sommaire
Bitcoin et l’Afrique, épisode 5
Dans le cadre de notre série d’articles sur ce continent, nous avons vu ensemble comment Bitcoin pouvait combler le vide monétaire laissé béant par des années de politiques inadaptées. Ensuite, nous avons abordé différentes problématiques propres aux pays africains avant de voir ensemble que la crypto était également un allié des droits humains. Enfin, nous avons aussi côtoyé l’horreur vécue par les réfugiés érythréens sur la route de l’exode qui ne sont soutenus que par de rares personnes.
Aujourd’hui, nous allons prendre un grand bol d’air frais et prendre la direction de l’Afrique du Sud pour partir à la rencontre d’une association qui allie dans un projet original le surf, l’éducation populaire, l’inclusion financière et bien sûr, Bitcoin. Construire une économie locale autour de Bitcoin dans un township, voici ce que propose Bitcoin Ekasi.
Les origines du projet Bitcoin Ekasi
Une agence de voyage pas comme les autres
Au départ du projet, il y a Jenya Zhivaleva et son mari, Hermann Vivier. Elle est russe et lui, sud-africain. Tous les deux fondent ensemble, en 2010, une agence de voyages qui propose des excursions autour du surf, de l’aventure et de la culture locale : Unravel Surf Travel.
L’idée était de profiter de la faune extraordinaire du pays, des plages magnifiques, des vagues, mais aussi d’amener les touristes à la rencontre de la population des townships. Mais, pour ne pas tomber dans le piège d’une visite rapide et déshumanisée dans un bidonville pris au hasard, ils ont décidé de faire surfer les visiteurs d’un jour avec les enfants du coin.
De cette idée originale est née l’envie de créer une association pour aider ces enfants : The surfer Kids. Mossel Bay, au sud du pays, au bord de l’océan, à mi-chemin entre Port Elisabeth et Cape Town sera le lieu du projet. À cet endroit, des townships importants ceinturent la ville industrielle qui a attiré des milliers de travailleurs pauvres venus des régions environnantes à la recherche d’un hypothétique emploi précaire. Manque d’eau potable, d’électricité, niveau de vie et d’éducation extrêmement faibles, ces bidonvilles que l’on appelle townships dans le pays, sont des endroits où la vie est forcément difficile.
The Surf kids : une école de la vie dans le township
La notion de township renvoie également à la période pas si lointaine de l’apartheid où des zones urbaines, pauvres, étaient réservées aux noirs et aux colored comme on dit ici. C’est dans cet environnement que The Surf kids débute avec un programme de cinq jours par semaine où des enfants viennent surfer avec des encadrants professionnels. En collaboration avec des écoles primaires, des jeunes à partir de 8 ans décident donc de s’engager et d’apprendre le surf. Cette idée d’engagement et de persévérance est au centre du programme. Elle l’est également dans l’apprentissage du surf où il faudra lutter contre l’adversité, tomber, échouer puis recommencer jusqu’à y arriver. Un peu à l’image de leur vie future qui sera forcément difficile en venant de ce genre de quartiers.
Mais au-delà de ces enfants qui fréquentent assidûment l’école de surf, l’agence de voyages continue d’amener des visiteurs qui se passionnent pour le projet. Les rencontres initiées par l’association laissent des traces et les clients repartent ravis avec l’envie d’aider. Ça tombe bien, l’organisation ne fonctionne qu’avec des dons. Cependant, après quelques années de fonctionnement satisfaisant, deux événements à l’autre bout du monde vont faire vaciller les certitudes de notre couple et les plonger, presque malgré eux, dans la cryptomonnaie et plus particulièrement dans Bitcoin.
Chypre et la crise bancaire comme passerelle vers Bitcoin
Jenya Zhivaleva étant russe, elle a naturellement développé son activité auprès de la population russophone tout en faisant connaître son agence de voyage dans le monde entier. Notamment auprès des communautés russes éparpillées en Europe de l’Est, en Europe centrale et dans une petite île de Méditerranée : Chypre. L’obtention d’un passeport contre des investissements ainsi que des avantages fiscaux ont fait de l’île une destination privilégiée des Russes fortunés dans les années 90. Nombre de leurs clients viennent donc de l’île et font prospérer la petite agence qui essaye de mettre en place des voyages plus éthiques que la moyenne.
Or, en 2013, va se produire une crise bancaire majeure dans le petit pays insulaire qui fait suite à la crise de la dette grecque l’année précédente. Le 25 mars 2013 exactement, en échange d’un renflouement par la Banque Centrale Européenne, du FMI et de la Russie, des mesures économiques drastiques sont prises. En gros, les dépôts de plus de 100 000 euros sont taxés, voire complètement confisqués pour équilibrer les comptes. Des dizaines de milliers de personnes se retrouvent plus ou moins ruinées, avec des fonds bloqués et pour certains les économies d’une vie envolées. À la suite de cela, une partie des Russes et des Chypriotes comprend alors l’intérêt de Bitcoin bien avant tout le monde et de nombreuses personnes se mettent à l’utiliser pour tenter de sauver ce qui reste de leur épargne.
Bitcoin Ekasi : une économie solidaire au service de la communauté
Bitcoin Beach au Salvador comme modèle pour Bitcoin Ekasi
Peu de temps après, des touristes russes vont donc demander à payer leurs prestations en crypto et notre couple va décider d’accepter les paiements de cette nature pour leur agence de voyage. Et, quelques mois plus tard, au tout début de 2015, le premier règlement en bitcoin viendra d’un couple d’Ukrainiens dont l’argent est bloqué, suite au déclenchement des hostilités en Crimée et aux sanctions américaines contre les banques locales. D’un incident à l’autre, Bitcoin devient aussi la solution. À partir de là, les choses vont s’accélérer et l’agence va encaisser de plus en plus de bitcoins jusqu’à faire parler d’eux dans le petit milieu de la crypto.
On avance maintenant jusqu’en 2019 et le moment où Hermann Vivier entend parler d’un concept au Salvador, à El Zonte qui s’appelle Bitcoin Beach. L’idée est simple : mettre en place une économie circulaire et locale avec Bitcoin au centre du projet.
C’est le déclic pour notre sud-africain qui se dit qu’il pourrait faire la même chose autour de l’école de surf fréquentée alors par une quarantaine d’enfants. Par la suite Hermann Vivier écrit un article dans Bitcoin Magazine pour raconter ce qu’il envisage de faire et les dons en satoshis ne vont pas tarder à affluer. Le projet Bitcoin Ekasi vient de naître.
L’éducation à Bitcoin par la pratique
La première étape va être de convaincre les entraineurs de surf de rentrer dans le projet. Pas du tout convaincus au départ par cette arnaque manifeste, il faudra deux mois à Luthando, l’entraineur en chef, pour finalement accepter d’essayer. Idem pour les autres qui rentrent petit à petit dans le projet. À partir de là, leurs salaires ne seront versés qu’en bitcoins. Maintenant, pour pouvoir aller plus loin, et parce qu’ils vivent tous dans le township – ekasi en zulu – il va falloir convaincre des commerçants du coin d’accepter aussi cette monnaie numérique.
Trois mois après, deux puis trois magasins vont jouer le jeu et permettre aux entraineurs de dépenser leur satoshis. Quand on dit magasin, ce sont des petits boutiquiers qui font office de supermarchés en vendant le nécessaire pour vivre aux habitants du coin. Le circuit se met en place avec des dons en bitcoins qui arrivent, puis qui servent à payer les coaches, puis qui sont utilisés pour faire les courses et enfin, les commerçants décident, ou pas, de les changer en rand (la monnaie locale).
Jouir d’une autonomie financière grâce à Bitcoin Ekasi
Pour arriver à convaincre les habitants du secteur et surtout ces commerçants, les équipes de Bitcoin Ekasi ont d’abord recouru à ce que l’on appelle des bons d’achat. Des plateformes comme Bitrefill permettent d’acheter des cartes-cadeaux que l’on peut dépenser dans différents magasins. Mais petit à petit, chacun se renseigne et découvre tout l’intérêt de Bitcoin. Et l’un des avantages les plus incroyables, auquel Herman Vivier repense maintenant avec émotion, est la possibilité de faire des économies. Mettre de l’argent de côté quand seul l’argent liquide est roi n’est pas facile. C’est dangereux, ça se perd, la famille en a besoin et dans une petite maison de bric et de broc, où cacher quelques billets ?
Désormais, certains commerçants utilisent Bitcoin comme une épargne et même les entraîneurs se sont mis à se faire un bas de laine pour le futur. Grâce à leur wallet sur smartphone, il devient simple comme bonjour de gérer son argent. Surtout pour une population éloignée depuis toujours des banques et des services financiers. Les mois passent, et grâce à leur réussite, aux réseaux sociaux et à leur connexion avec le projet Bitcoin Beach, le petit projet de Mossel Bay prend un peu d’ampleur. Les dons en bitcoins affluent et cela permettra d’étoffer leur projet.
Le projet Bitcoin Ekasi se développe jusqu’à aujourd’hui
Tout d’abord, les enfants vont commencer à recevoir quelques satoshis en récompense. Il ne s’agit pas vraiment de les rémunérer, mais plutôt de leur montrer comment télécharger et utiliser un portefeuille. Ils vont ensuite dépenser leurs poussières de bitcoins pour s’acheter des glaces, des bonbons, des gâteaux, des trucs d’enfants quoi ! Il s’agit simplement d’un peu d’argent de poche, mais en bitcoin. Les dons permettront aussi de rémunérer à temps plein un éducateur qui explique aux habitants du township ce qu’est Bitcoin et comment ça marche. Grâce aux dons, tous les magasins qui acceptent désormais cette nouvelle monnaie reçoivent une nouvelle signalétique spéciale.
Ensuite, des maitres nageurs sont également employés pour surveiller la plage et prévenir les noyades ce qui est une grande première dans le secteur. Finalement, un entraineur principal est également embauché pour épauler ceux présents depuis le départ. Et tout ce petit monde reçoit son salaire en bitcoin. Bien sûr ! Le projet continue de grandir et le rêve d’Hermann et de Jenya serait que d’autres centres comme le leur voient le jour. Que Bitcoin Beach fasse d’autres petits partout dans le monde, où créer une économie circulaire et solidaire basée sur Bitcoin pourrait aider les populations locales à améliorer leur niveau de vie. Lorsqu’on lui demande pourquoi il fait ça, Hermann a cette réponse très simple :
« Si vous êtes un bitcoiner, vous savez pourquoi. Pour les autres, au delà des bienfaits évidents pour la communauté locale, il s’agit surtout d’une preuve de concept. Il y a très peu d’endroits au monde où les gens vivent dans des conditions aussi désespérées que celui-là. Le chômage est astronomiquement élevé et l’analphabétisme très répandu. La plupart des maisons sont en fait des structures informelles construites à partir de matériaux de récupération et la majorité n’ont ni eau courante à l’intérieur de leur maison, ni toilettes, ni eau chaude. Si Bitcoin peut fonctionner ici et être adopté de manière organique dans un cadre comme celui-ci, il n’y a aucune raison pour qu’il ne puisse pas être adopté ailleurs. »
Le mot de la fin
Cette expérience ne représente évidemment qu’une goutte d’eau dans les océans de problèmes qui inondent les townships d’Afrique du sud. Les dons, même en bitcoins, ne sont pas une finalité pour sortir les populations de l’extrême dénuement. Par contre, l’éducation, l’apprentissage de l’argent, de la finance, faire des économies, créer un cercle local vertueux autour d’une monnaie universelle prend tout son sens. Bitcoin ne fait pas de distinction de couleur dans ce pays marqué par une histoire récente effroyable. Bitcoin peut être utilisé par les enfants, les adolescents, les vieux, par les femmes, par les commerçants, par les chefs de petites entreprises dont les banques ne veulent pas. Quand le système laisse au bord de la route des millions de gens, Bitcoin leur tend la main et leur permet d’avoir leur part.
Bitcoin Ekasi est un jeune projet qui fait parler de lui par son caractère à la fois simple et ambitieux. Jenya Zhivaleva et Hermann Vivier ne prétendent pas changer le monde avec leur petite économie locale mais simplement montrer à tous qu’il est possible de sortir de l’isolement financier des populations pauvres et exclues du système. Développer l’inclusion financière grâce à l’utilisation de Bitcoin et des cryptomonnaies, on a déjà vu dans nos chroniques sur l’Afrique que ça marche et Bitcoin Ekasi le prouve une fois de plus. Rendez-vous très vite au Journal du Coin pour partir à la rencontre d’autres projets qui mettent l’humain et Bitcoin au centre de leurs considérations.
Source de l’image de couverture @fedimint (https://twitter.com/fedibtc/status/1638896134470135809)
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