“Bitcoin Métamorphoses” : L’or des fous toujours debout
La folie n’est qu’une question de points de vue – Sorti à la fin octobre 2018 aux éditions Dunod, l’ouvrage “Bitcoin Métamorphoses” est co-écrit par un crypto-trio que l’on ne présente plus : d’un côté Jacques Favier et Adli Takkal Bataille, à qui l’on doit déjà “Bitcoin : la monnaie acéphale”, et de l’autre Benoît Huguet, président co-fondateur de BitConseil.
Ce n’est que récemment, et légèrement à la traîne, que je me suis plongé dans la lecture de cet opus, qui fait aussi bien figure de documentaire que de roman d’anticipation.
Le vaste champ des possibles est ainsi balayé dans ce texte.
Pourquoi Bitcoin ? Quelles critiques lui adresser, et comment est-il une illustration de la notion d’antifragilité ? D’où nous vient le Blockchain Bullshit ? Pourquoi les smart contracts portent-ils assez mal leur nom ? La France a-t-elle la moindre chance d’être un jour une “crypto-nation”, même contre son gré ?
Vade Retro Numeris !
Par égard pour les retardataires qui auraient pris en marche le train fou de la crypto seulement récemment, “Bitcoin Métamorphoses” s’ouvre sur un état des lieux historique et circonstancié de l’expérience Bitcoin. L’on y apprendra notamment les principaux événements qui ont fait le folklore des mers crypto, aux eaux bien troubles, fait certes d’arnaques et d’exit scams de plateformes, mais aussi et surtout d’un mystérieux créateur aux idées enracinées dans la mouvance cypherpunk. Le lecteur se verra rappelé que Bitcoin est surtout un ingénieux alliage d’avancées techniques passées, plutôt qu’une révolution liée à sa fameuse “Blockchain”, qu’il aurait tout aussi bien fallu simplement appeler “horodateur”, même si ce fut moins clinquant.
Attirant l’attention sur le traitement médiatique de Bitcoin, au mieux peu élaboré, au pire franchement biaisé, les auteurs reconnaissent que l’on peut tout à fait remettre en question de nombreux aspects de Bitcoin, mais qu’il est encore préférable de le faire avec honnêteté : si Bitcoin est discutable, qu’il le soit sur des bases défendables, et non pas sur des approximations plus ou moins volontaires. Que Bitcoin soit complexe de prime abord, bien sûr ; mais qu’on l’accuse de tous les maux, par “paresse”, comme pour faire croire que le trafic de stupéfiants, le blanchiment d’argent et le terrorisme ont bien sagement attendu l’émergence du bitcoin pour essaimer, non merci.
La triade de penseurs métamorphiques ayant commis “Bitcoin Métamorphoses” entend donc remettre les pendules à l’heure, en luttant pied à pied contre ces diverses critiques souvent déformées, tout en tâchant de donner au lecteur une vue complète de cette cryptosphère qui, de loin, peut parfois sembler ne pas tourner rond.
Bitcoin, un modèle de bactérie multi-résistante
S’il y a une idée qui imprègne foncièrement “Bitcoin Métamorphoses”, c’est bien celle que à chaque faiblesse de Bitcoin, il existe une évolution. Si elle n’est pas assurée, elle est en tant cas souvent explorée.
Les auteurs ciblent trois points souvent décrits comme des faiblesses à améliorer concernant le Bitcoin, à savoir sa scalabilité (tant technique que sociale), son empreinte écologique indissociable de la Preuve de Travail qui le sécurise, ou encore sa confidentialité discutable.
Concernant la question de la mise à l’échelle, il est rappelé que ce n’est pas nécessairement un problème pour Bitcoin en soi : tout dépend de ce à quoi doit servir le bitcoin. S’il s’agit d’or numérique, le délai de confirmation est-il vraiment une inquiétude, même en cas de congestion du réseau ? Pour ceux qui s’en trouveraient chagrinés, les auteurs font la remarque que Bitcoin n’a que dix ans, qu’il déjà considérablement évolué sur ce laps de temps, et qu’espérer d’autres Métamorphoses n’est pas faire preuve de déraison. Les critiques fermes et surtout définitives à propos de la scalabilité de Bitcoin, qui le comparent constamment à Visa, sont donc balayées, puisqu’en plus elles sont étriquées.
Quoi qu’il en soit, il est proposé au lecteur une revue des différents autres modes de consensus existants dans la cryptosphère. Il pourra ainsi explorer à sa guise le monde merveilleux des acronymes comme le PoS et son cousin farceur le dPoS, les DAG des lendemains qui chantent ou encore les sidechains.
Ce sera l’occasion pour Messieurs Favier, Takkal Bataille et Huguet de sensibiliser le lecteur à la délicate question de la décentralisation : et si cette dernière n’était qu’un curseur ajusté selon les besoins structurels de chaque projet, et pas un absolu atteignable ?
Concernant l’environnement, la caricature habituelle qui veut que le minage de bitcoins fera rôtir la planète est méthodiquement contrecarrée : les chiffres qui servent de base à ces prophéties apocalyptiques sont disqualifiés car largement imprécis (“un flou total avec une fourchette de 1 à 100”). Les auteurs font également mine de s’étonner de cette habitude fallacieuse qui voudrait limiter la réflexion sur Bitcoin à sa seule consommation électrique : isole-t-on ainsi à une seule de ses composantes le système financier mondial, ou plus prosaïquement les autres innovations technologiques de rupture ? Comme le précise l’ouvrage, dit-on de l’Internet des Objets qu’il “fonctionnera avec un petit moulin sur la rivière” ?
Enfin, concernant la confidentialité permise ou non par Bitcoin, un chapitre entier traite de cette problématique, de plus en plus actuelle. Est-il surprenant de voir Bitcoin diabolisé pour son supposé anonymat, alors que nos sociétés avancent à grands pas vers un monde sans cash ? La lutte contre les moyens de paiement anonymes est désignée comme un cache-nez à une société de surveillance accrue, s’installant dans un contexte de possible guerre froide des monnaies entre États nations et géants de la tech, eux qui cherchent aussi à s’immiscer dans les réseaux de paiement. Les exemples d’Apple s’associant à Goldman Sachs pour l’Apple Card, ou plus directement de Facebook et son son FBCoin, sont là comme pour nous rappeler ces challenges de souveraineté qui dépasseront peut être un jour la simple cryptosphère.
“Bitcoin Métamorphoses” questionnera à propos du rôle à jouer pour les cryptomonnaies dans ce tableau peu reluisant, en détaillant par le menu les développements en cours concernant aussi bien Bitcoin que les cryptomonnaies anonymisantes.
Le Blockchain Bullshit comme vaccination ?
A moins de sortir d’hibernation, il ne vous a pas échappé que de bons samaritains n’ont pas tardés à profiter de la méfiance médiatique envers le Bitcoin, pour trouver une parade plus acceptable pour les institutions que ce rejeton libertarien.
Mettre le principe de “La Blockchain” à toutes les sauces, afin de régler tous les problèmes du monde comme par magie (coucou Ronaldinho), grâce à ce “livre de compte” décentralisé et auto-exécutant par la force des smart contracts du Saint Esprit, en voilà une bonne idée !
[arve model= »gif » url= »https://journalducoin.com/app/uploads/2019/04/VIDEO-bullshit-call.mp4″ align= »center » promote_link= »no » autoplay= »yes » maxwidth= »480″ controlslist= »nodownload » controls= »no » loop= »yes » muted= »yes » /]
Bien évidemment, ce n’est pas exactement du goût des comparses du Cercle du Coin. Ils reconnaissent bien le droit à tout un chacun de chercher à améliorer Bitcoin s’il lui trouve des limites, mais ils glissent un tacle deux pieds décollés à ces multiples “blockchains” privées qui n’en ont que le nom, déployées en fanfare pour simplement nourrir une communication publicitaire.
Car en réalité, ce qui devrait irriter dans cette attitude risible de blockchain washing, c’est le flou permanent sur les modalités techniques sous jacentes, comme si dire “La Blockchain” voulait dire quelque chose.
Mais au delà de cette problématique, il y a bien une limite à propos de laquelle “Bitcoin Métamorphoses” alerte : celle de la tangibilisation du Réel.
L’histoire bien réelle du smart contract un peu con
Si l’on répète souvent “smart contract” à l’envi, comme synonyme d’automatisation des tâches et presque d’intelligence artificielle, c’est que certains commentateurs ont tendance à oublier que les smart contrats sont en réalité plus stupides qu’on ne l’espère.
Proposant une introduction aux op-codes de Bitcoin, puis une ouverture détaillée sur les évolutions visées par le protocole Ethereum et son langage Solidity, le livre explicitera aussi les autres essais cherchant à utiliser des langages de programmation plus souples et des smart contracts moins limités ou plus autogérés, comme Tezos.
Le lecteur ainsi informé pourrait se laisser aller à rêver à l’impossible, mais les auteurs n’oublient pas de lui imposer une petite piqûre de réel : le protocole sous-jacent aura beau être le plus décentralisé et autonome dans le meilleur des mondes, il faudra toujours réussir à y incorporer le Réel avec un grand R, notamment par le biais d’oracles… mais justement, si le smart contract est bon pour “exécuter”, ce n’est pas son rôle “d’interpréter”, comme le précisent les auteurs.
Comment alors gérer ce nouveau tiers de confiance dans un univers sensé être “sans confiance” ? Des idées sont proposées au fil de l’ouvrage à ce propos, et l’avenir nous dira lesquelles seront les plus porteuses.
La mutation de la finance et les ICO : la France avait-elle vraiment une chance ?
La dernière thématique abordée dans le livre est celle des ICO, et de l’encadrement à proposer à cette flopée de tokens de natures bien différentes selon les projets. Le lecteur se verra introduit aux classifications variées de ces tokens, bien qu’il faille noter que – date de publication oblige – le législateur français a depuis avancé pour sa part sur cette question épineuse, bien plus prudemment que ne l’auraient souhaité les auteurs sans doute.
La question centrale que pose le livre à ce propos est la suivante : quelle part de nouvelle valeur cette cryptofinance porte-t-elle en son sein ? Permettrait-elle dans un futur dystopique de “renverser la vapeur face au poids des GAFAM centralisateurs” ? Cette multitude de cryptos est-elle la préfiguration du lit de “l’Internet de la Valeur”, le pendant décentralisé où prendrait naissance l’économie de l’Internet des Objets et leur automatisation de la vie quotidienne, en pleine structuration ?
Pour les auteurs, le caractère disruptif mais surtout la réalisation effective de ce futur prometteur dépendra de la capacité du législateur à faire cohabiter l’investissement crypto historique, la finance mondiale modernisée à la sauce Blockchain et une sphère de convaincus de plus en plus professionnalisée.
L’avenir nous dira si la France réalisera une partie des vues discutées dans ces pages, après les débats, rapports parlementaires et les lois votées sur l’année écoulée.
“Bitcoin Métamorphoses” est en définitive relativement intemporel : s’il est intéressant, c’est bien qu’il permet d’aborder la plupart des notions propres aux cryptomonnaies, mais également parce qu’il pose – en filigrane – plus de questions qu’il ne donne de réponses préconçues.
S’il s’agira probablement d’une entrée en matière dense pour le nocoiner qui se serait perdu dans les rayons de la Fnac, elle a pour autant le mérite de s’adresser tant à ce novice qu’à un public déjà au fait des principales tendances qui agitent la cryptofinance.
Posant un regard très documenté et sans œillères sur ce qui a fait de Bitcoin ce qu’il est aujourd’hui, à savoir l’étalon-or numérique d’un nouvel univers, il permet aussi de voir plus loin, jusqu’à tous ces nouveaux projets bourgeonnants. Feront-ils ou non partie du futur, et à quoi ce dernier ressemblera-t-il ? Plutôt qu’un avis tranché, “Bitcoin Metamorphoses” invite à l’imagination. Si Bitcoin évolue constamment, c’est aussi notre cas, après tout.