GlobalCoin, TON, VOICE : Les « cryptomonnaies sociales » vont-elles tout changer ?
Dans une tribune publiée il y a quelques jours sur Les Echos (« Pourquoi il faut dire non à l’Etat Facebook »), le philosophe libéral Gaspard Koenig tente d’interpeller l’opinion publique. Véritable cri d’alerte sur l’inédite puissance que le prochain lancement du GlobalCoin pourrait offrir au géant des réseaux sociaux, le billet de l’essayiste reprend quelques-unes des analyses que le JDC proposait il y a déjà plusieurs mois, notamment sous l’angle de la souveraineté monétaire dont les Etats s’apprêtent à se laisser dépouiller, sans grande réaction pour le moment.
Alors même que certaines des hypothèses que nous avancions tendent à se confirmer, le momentum est ainsi parfait pour procéder à un point d’étape. En effet la multiplication actuelle d’informations, de « leaks » et de déclarations en tout genre en atteste : il sera difficile de ne pas être emporté par le tourbillon d’agitation que provoqueront les lancements imminents de plusieurs projets aux ambitions rien moins que « globales », comme l’on a pu le comprendre.
Le GlobalCoin pourrait être présenté dans les prochaines semaines, avant un déploiement début 2020. Le réseau social décentralisé VOICE de Block.One déployé à terme sur EOS se met en ordre de bataille. Enfin, la blockchain TON de Telegram monterait en puissance, accueillant ses premières dApps, pour un lancement prévu en octobre prochain.
Découvrez aujourd’hui 3 domaines dans lesquels les projets des futurs géants du secteurs changeront la donne.
Tous influenceurs ?
L’apparition d’un réel Secteur Quaternaire
Le concept de Secteur Quaternaire existe déjà, même si ces définitions varient. Notons qu’elles incluent l’écosystème dit « 2.0 » centré sur le numérique depuis les années 2000. Cependant, c’est bien la convergence entre le contexte historique, les ambitions nouvelles des jeunes générations et celles des géants du numérique qui est historiquement sans précédent.
Par ailleurs, alors même que la révolution industrielle a accompli l’essentiel de sa mission, garantissant au plus grand nombre le confort matériel, que le secteur tertiaire pourra difficilement aller beaucoup plus loin dans sa proposition de services de toutes natures, à toutes heures, que la robotisation grandissante semble rendre sur le long terme de moins en moins cohérente la perpétuation de l’essentiel du travail manuel, la population des pays développés est dorénavant avide de distraction !
Enfin, peut-être plus que jamais auparavant, les individus ressentent aujourd’hui le besoin de « s’accomplir », en tant que personne, entrepreneur, leader… Or si tout le monde n’a pas la trempe d’un Che Guevara, les réseaux sociaux ont malgré tout une solution pour vous donner l’impression que vous pouvez changer le monde à votre échelle, en vous laissant devenir influenceur !
La bataille de la monétisation
S’il y a bien quelque chose qu’ont maintenant compris les géants numériques de l’interaction sociale comme Facebook et Youtube, c’est bien que l’émergence au milieu des années 2000 de leurs plateformes et de leurs outils associés a permis in fine l’apparition ex nihilo d’un nouveau secteur économique, allant des producteurs de contenus aux désormais emblématiques « influenceurs ».
Ce secteur est d’ailleurs tellement récent qu’il est difficile d’en discerner le réel contour économique, faute de suffisamment d’études dédiées et publiées. Pour autant, il est aisé de constater le poids grandissant de ce domaine d’activité, dont rares sont les marques à pouvoir se passer aujourd’hui.
Même s’il reste laborieux de disposer de chiffres fiables, quelques grandes tendances se font jour, et notamment les profils et les vecteurs favoris des influenceurs : 50% des influenceurs sont issus de la génération Y (née entre 1990 et 2000). Par ailleurs, cette jeune population utilise préférentiellement :
- Instagram 43%
- blogs personnels : 26%
- Facebook : 11,3 %
- Youtube : 11.7%
(source : agence Reech.com, sur la populations d’influenceurs français).
Si bien souvent, les activités des influenceurs constituent un simple complément de revenu à une activité principale, ils sont de plus en plus nombreux à tenter l’aventure et à franchir le pas en devenant auto-entrepreneurs, consacrant l’intégralité de leur force de travail à cette activité.
Or, avec l’émergence de modèles permettant la rémunération et la gratification de n’importe quelle interaction sociale, y compris les plus anodines, tout un chacun pourrait être en mesure de monétiser son « audience », aussi modeste soit-elle (et incité, en conséquence, à la faire croître, pour le plus grand bonheur des plateformes qui, à l’image des Casinos, sont les seules gagnantes à la fin).
VOICE, l’outsider crypto de Facebook construit sur la plateforme EOS a déjà annoncé la couleur : son token ne sera pas mis en vente directement mais s’obtiendra principalement par un jeu d’interactions au sein de sa communauté, sur un modèle un peu semblable à Steemit.
Si Facebook n’a pas encore communiqué sur son approche, on peut supposer qu’un modèle approchant sera proposé (et on en apprendra probablement plus à l’occasion de la publication du livre blanc dédié dans quelques jours).
A noter que les influenceurs « historiques » pourraient avoir à recalibrer leur business model, dans l’hypothèse où ils se trouveraient confrontés à une concurrence inédite et massive dans une course à cette fameuse monétisation.
Le danger de la désocialisation
S’il y a bien un aspect qui peut sembler paradoxal dans le contexte du développement de réseaux dits sociaux, c’est bien celui-ci. Pour en comprendre la mécanique, il convient de faire une incartade dans le domaine de la biologie, et plus précisément de la neurologie. Qu’on en ait conscience ou pas, interagir avec Facebook génère un type de réaction qui fait beaucoup trop penser à la relation existante entre un junkie et son dealer pour être honnête. C’est après tout que le réseau social californien repose sur l’économie de l’attention, et pas n’importe laquelle : la vôtre.
[arve model= »gif » url= »https://giphy.com/gifs/1ykB7DcFMfHCEPIkXr/html5″ align= »center » promote_link= »no » autoplay= »yes » maxwidth= »480″ controlslist= »nodownload » controls= »no » loop= »yes » muted= »yes » /]
Tout n’est que chimie
D’un point de vue strictement biochimique, recevoir un like ou un commentaire, voir une de ses publications partagée et autres micro-interactions sur le réseau provoque de petites décharges de dopamine. Cet ingrédient a même une telle importance dans la formule magique de Facebook, que l’entreprise l’a très officiellement baptisé « boucle de rétroaction de validation sociale ».
« C’est exactement le genre de trouvaille d’un hacker dans mon genre : vous exploitez une faille dans la psychologie humaine. » Sean Parker, ancien président « repenti » de Facebook.
Gardez cette déclaration en tête et imaginez maintenant, dans notre riant contexte capitaliste, où tout à vocation à devenir source de profits, la démultiplication du phénomène : dans un avenir tout proche, si les likes viennent à être remplacés par des poussières de GlobalCoin, quelles seraient les implications possibles ? Une publication amusante ? 3 amis vous envoient 0.5 GBC ! 100 likes sur votre dernière photo de vacances à Concarneau ? 1 GBC ! Et pourquoi pas : le report d’une fake news ? le réseau vous reverse une prime !
Éruption de dopamine en vue ! Questionnements éthiques (et politiques) également.
Cibler la génération du cocooning
L’objectif essentiel de tout réseaux social, quelle que soit sa nature, pourrait se résumer à un simple axiome : capturer votre attention le plus souvent, et le plus longtemps possible.
En moins de 10 ans, ces plateformes sont parvenues à des résultats tout bonnement impressionnants, simplement à l’aide des petites icônes de pouces bleus et de quelques jeux gratuits. Une camisole numérique, mais qui sourit continuellement à la manière d’un smiley.
[arve model= »gif » url= »https://giphy.com/gifs/dhsBE8zk1xd9wUE8yS/html5″ align= »center » promote_link= »no » autoplay= »yes » maxwidth= »480″ controlslist= »nodownload » controls= »no » loop= »yes » muted= »yes » /]
Imaginez l’impact potentiel que pourrait avoir un système de gratification associé à une devise monétaire réelle, identifiée comme telle, qu’il s’agisse du GRAM, du VOICE Token ou du GlobalCoin ?
Or, la population qui intéresse le plus nos entreprises sociales est bien celle du « Netflix and Chill » : une génération qui, bien qu’ultra connectée, apparaît moins sensible que ses ainées aux interactions sociales dans le réel.
Cette population représente une cible idéale. La conquérir pourrait nous préparer un monde où les relations et interactions concrètes seraient négligées, au profit d’une activité artificielle génératrice de supposés profits monétaires et de gains d’ego.
De la même manière que Tinder n’a pas le moindre intérêt à ce que vous trouviez le grand amour, les réseaux sociaux redoutent que vous privilégiez les relations sociales ailleurs que sur leur plateformes. Il ne s’agit en soi que d’une monopolisation bien classique et d’une application littérale du principe de marché captif. Certes, à vos dépends, mais comment pourrait-on leur en vouloir ? Ainsi, pour compensez ce deal, somme toute assez déprimant, ces opérateurs seront prêts à vous rétribuer avec leurs futures cryptomonnaies. Certains esprits chagrins pourraient alors persifler que l’expression « va t’acheter une vie ! » prendra enfin tout son sens.
Bonjour KYC, adieu anonymat !
Les évolutions du secteur vont vraisemblablement avoir un effet de bord encore peu visible, conséquence directe de l’intégration de pratiques auxquelles le secteur crypto nous a dorénavant habitué : l’obligation formelle et légale de valider une étape de type KYC afin d’ouvrir un compte sur Facebook, voire de continuer à utiliser ses services.
On rappellera à toutes fins utiles qu’une procédure KYC (« Know Your Customer ») consiste en la transmission d’un (ou plusieurs) documents d’identité officiels (passeport par exemple) à un acteur privé soumis à la tenue d’un registre, le plus souvent dans le cadre de services financiers.
Numérama se posait déjà la question de cette généralisation de l’identification précise des utilisateurs début 2018. En effet Facebook venait alors de se porter acquéreur de Confirm.io, une start-up spécialisée dans la vérification de papiers d’identité.
La fin d’une époque
La nature ce cette évolution pourrait bouleverser profondément le rapport que nous entretenons actuellement encore avec les réseaux sociaux. Autrement dit, il se pourrait que nous soyons la dernière « génération » qui aura été en mesure d’utiliser Facebook et les autres plateformes principales de réseautage social, sans avoir à prouver notre identité.
Pour bien comprendre les implications et l’inéluctabilité de cette prédiction, il n’est pas inutile de rappeler que l’entreprise californienne a déjà tenté à plusieurs reprises de tester sa communauté sur le sujet. En outre, et pour mémoire, les Conditions Générales d’Utilisation du réseau social disposent que :
« Les personnes qui utilisent Facebook donnent leur vrai nom et de vraies informations les concernant ». Article 3.1 des Conditions d’Utilisation de Facebook
Par ailleurs, des signaux d’alertes ont déjà résonnés ça et là ces dernières années : par exemple, en 2015, une journaliste a été bannie de Facebook pour ne pas avoir accepté de communiquer son identité réelle au réseau social.
Afin de replacer un minimum l’importance du débat, et éviter le fameux argument boiteux du « bah moi, j’ai rien à cacher alors ça me dérange pas lol », il est important de souligner en très gras le fait que l’anonymat (et l’accès à une connexion cryptée) est considéré comme un droit humain fondamental par l’ONU. (et demeure un marqueur idéologique majeur dans les secteurs crypto et blockchain).
Ce que les plateformes sociales nous réservent s’agissant d’anonymat
VOICE, le projet de plateforme sociale de l’entreprise EOS vient d’annoncer la couleur : l’accès à ses services sera conditionné à la validation de documents d’identité.
Quand à Facebook, si on rappellera que l’entreprise n’a pas fait encore fait la moindre annonce officielle sur quelques aspects que ce soit du « Projet Libra », il est de notoriété publique que les échanges organisés avec la CFTC américaine et la Banque Centrale Britannique ont notamment tournés autour de la nécessaire conformité KYC/AML (dans le cadre réglementaire international anti-blanchiment).
L’équation sera ainsi d’un simplicité absolue : l’utilisation du GlobalCoin ou du VOICE Token sera nécessairement assortie de la validation d’un KYC. Considérant que les deux entreprises ambitionnent nécessairement d’élargir un maximum leur base d’utilisateurs, il semble vraisemblable que cet usage se propage à l’utilisation de l’ensemble des services, y compris non monétaires.
Brosser les Etats dans le sens du poil
Cette évolution est d’autant plus certaine qu’elle constitue la parfaite équation gagnant/gagnant (sauf pour vous, déso pas déso).
[arve model= »gif » url= »https://giphy.com/gifs/xUA7aYhneUX5oHqssE/html5″ align= »center » promote_link= »no » autoplay= »yes » maxwidth= »480″ controlslist= »nodownload » controls= »no » loop= »yes » muted= »yes » /]
Ainsi, si Mark Zuckerberg ne ménage pas sa peine dans la véritable campagne de séduction internationale qu’il mène depuis plusieurs mois, c’est qu’il a compris à quel point il est important de rassurer les Etats sur la possible concurrence que Facebook pourrait leur faire. La relative passivité de ces derniers pourrait bien conditionner en grande partie le succès (ou l’échec) de ses ambitions pour son entreprise.
Or, mettre en place une procédure de vérification des identités est une demande récurrente des états, rarement amateurs de la notion d’anonymat. Ainsi, sous couvert de lutte anti-fake news, contre les trolls ou encore le harcèlement en ligne, ce KYC systématique et la disparition du moindre pseudonymat pourrait bien à terme être considéré comme naturel et acceptable, en contrepartie de l’accès à des services interprétés comme étant de qualité.
La position de la France sur la question ? Eh bien, si vous voulez vous détendre 2 minutes au milieu de ces considérations globalement un peu déprimantes, vous prendrez connaissance avec amusement (ou dépit, c’est selon), des travaux et déclarations de nos députés sur le sujet, avec ce projet d’amendement (retoqué par l’Assemblée) :
« Alors même que le recours aux pseudonymes permet de diffuser des contenus haineux sans avoir à en assumer la paternité à la vue de tous ; il semble qu’exiger une pièce d’identité à l’entrée de Facebook ou Twitter, par exemple, générera de la pression sociale et aura un effet dissuasif empêchant la diffusion de tels contenus ». Valérie Bazin-Malgras députée LR, juin 2019
Quand à Facebook, pensez-vous que croiser l’intégralité des data déjà détenues sur vous avec votre identité réelle pourrait avoir un quelconque intérêt ? Mieux encore, avec la disponibilité discutée du GlobalCoin sur les exchanges crypto, gageons que Facebook saura interagir avec diligence avec d’autres pointures du milieu crypto pour travailler en bonne intelligence (#NeutrinoInside). Je vous laisse méditer sur cette question.
En guise de conclusion, j’aimerais reprendre cette remarque de Jacques Favier qui résume avec pertinence la période actuelle, sorte de calme avant la tempête que constituera le lancement des cryptomonnaies des géants du numérique :
« Les Etats qui persistent à voir en Bitcoin une monnaie privée auront bien plus de soucis quand les vraies monnaies privées débarqueront » Jacques Favier, Secrétaire Général de l’association Cercle du Coin, cité par Capital.fr
Lire aussi : Micro-trottoir : voulez-vous un dollar ou un bitcoin ?