Paris Blockchain Day 2018 – Synthèse
Quand Blockchain rime avec B2B – Le mercredi 10 octobre se tenait à Paris, au Palais Brongniart, la grande messe parisienne du Blockchain Day, cycle de rassemblements blockchain devant prendre place successivement dans différentes capitales mondiales.
Avec Renan, nous y étions afin de couvrir l’événement pour vous, en mots comme en images. Nous avons pu assister à certaines des conférences pendant la journée, et nous avons également échangé directement avec certains entrepreneurs blockchain à propos de leurs projets. Nous discuterons donc dans cet article des projets de Gen.ki (lauréat des ICO Awards du Blockchain Day), d’Unik-Name, ou encore d’Embleema (qui organisait une conférence qui fera l’objet d’un prochain article). Plongée dans les méandres du Palais Brongniart, au milieu duquel le nouvel entrepreunariat crypto-compatible cherche à se faire une place au soleil de la « token economy » naissante.
Des conférences blockchainisées
La journée était émaillée de conférences diverses et variées, mais le fil rouge était peu ou prou d’identifier des cas d’usage supposés à la technologie blockchain. En début de matinée, nous avons suivi la table ronde consacrée à la scène ICO.
« The Cold Truth behind ICO » disait la brochure.
Pascal Gauthier, président de Ledger, a également pris la parole dans une keynote pour présenter rapidement les grandes lignes des projets futurs de Ledger. Pour autant, pas de nouveautés tonitruantes à se mettre sous la dent : M. Gauthier n’a ainsi pas évoqué le partenariat majeur conclu avec Engie annoncé quelques jours plus tard. De la même manière, il a rejeté certaines demandes de valorisations hypothétiques pour une IPO potentielle de Ledger, parlant de simples “rumeurs”, du moins à l’heure actuelle.
D’autres intervenants se sont ensuite succédé pour, a priori, démontrer qu’il était possible “d’appliquer la blockchain à l’industrie”. Parmi ces derniers, nous pourrons citer Alexis Berolatti, COO de BCDiploma, dont l’ambition est d’établir un nouveau standard de certification des titres et diplômes universitaires sur la blockchain, un travail en cours et en partenariat avec certaines universités françaises sur Paris ou encore Nantes.
Dans l’après-midi, une conférence assez anachronique à propos du KYC sur la blockchain n’a pas manqué de retenir notre attention, notamment lorsque que Nadia Filali, directrice des programmes blockchain de la Caisse des Dépôts, a développé sa vision de la nécessité d’un législateur fort dans le contexte cryptomonétaire, la situation se rapprochant selon elle de celle d’une “famille où il y a besoin de parents”. Tout un programme, à l’heure où ladite Caisse des Dépôts semble se braquer face à sa potentielle obligation de devoir servir de guichet bancaire aux entrepreneurs de la cryptoéconomie qui ne pourraient ouvrir de compte auprès d’une banque commerciale.
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Entrepreneurs blockchain, le token fest permissionné
Si certains s’interrogent sur la conséquence de l’effondrement des cours cryptomonétaires sur la création de nouveaux projets, il semblerait que le contexte difficile actuel n’importe que peu pour les nouveaux entrants : pour tous les projets que nous allons vous présenter ci-après, l’ICO n’est qu’une partie du mode de financement initial, et n’est pas la finalité en soi.
De plus, même si leurs infrastructures sont dans un premier temps plus ou moins centralisées selon les projets, cette centralisation est assumée et justifiée comme étant nécessaire dans un premier temps pour délivrer un produit fini et fonctionnel, avant de se perfectionner en incorporant les mécanismes d’une blockchain. La priorité au produit, et la brique blockchain potentielle dans un second temps, donc.
Ne perdons cependant pas de vue qu’il reste un retour financier conséquent envisageable du fait de l’émission de nouveaux tokens valorisés plus tard, quand bien même le financement initial se fait de façon mixte, avec une part principale en rondes de levée de fonds classique et une part en ICO. Curieux de cette fièvre que d’aucuns qualifieraient de « blockchain bullshit », nous avons plongé dans ce milieu où commerce et blockchain cherchent d’abord à faire affaires, et plus seulement à lever des tokens numériques.
Nous avons donc pu discuter avec Réda Berrehili de Gen.ki, Mathieu Dufour et Laurent Lourenço d’Unik-Name, et une partie de l’équipe du consortium santé Embleema.
Gen.ki
Nous avons pu discuter longuement avec Réda Berrehili, fondateur de Gen.ki, un projet mixte de système de stockage des données personnelles et d’assistant vocal fonctionnant à l’heure actuelle en local, dont le but est d’abord d’offrir un produit purement B2B à destination des pure players du milieu hôtelier. L’objectif ? Déployer l’Octogone sur le sol français à l’aide de partenariats stratégiques dans le milieu. Mais qu’est-ce que cet Octogone ?
En somme, il s’agit d’un utilitaire hardware embarquant la solution d’assistant vocal développée par Snips, autre nom du secteur crypto, qui cherche à implanter une partie de son produit sur blockchain. La vision commerciale est à longue échéance, cependant : il faut tout d’abord déployer un base-layer hardware (couche matérielle de base) au sein de grands groupes hôteliers internationaux, permettant de faire fonctionner son produit, courant 2019. C’est seulement ensuite, courant 2020, qu’une solution serait proposée aux particuliers qui fonctionnerait exclusivement sur une blockchain maison (la Ki Blockchain) : une blockchain soumise à permission initialement, avec pour but le passage à terme sur un modèle permissionless, reposant sur un modèle de consensus spécifique : la Proof-of-Reputation, un modèle mixte de dPOS et de BFT, développé par le LIRIS, le CNRS ainsi que l’INSA Lyon (quelques références sur des travaux préliminaires à ce propos sont disponibles ici).
Ce mode de consensus permettrait, selon M. Berrehili, de contrer le risque de formations de cartels ploutocratiques de validateurs comme cela peut s’observer dans un DPoS classique (à tout hasard, EOS dernièrement). Chaque bloc serait généré toutes les 900 ms (une sacrée blockchain, à n’en pas douter), avec tout participant au réseau qui pourrait devenir validateur, les règles de consensus intégrant un mécanisme de quota maximum de validateurs du tour précédent, qui pourrait être éligible à participer au tour suivant. Ainsi, ce serait une façon de réduire la concentration des validateurs en forçant leur renouvellement.
En l’état cependant, les possibilités restent relativement théoriques, puisque la blockchain en question est déployée sur un testnet. Le modèle de sélection initiale des validateurs au lancement de la Ki Blockchain impliquerait cependant que la blockchain sous-jacente soit permissionnée au départ. Le token sous-jacent à cette Ki Blockchain n’aurait principalement qu’un intérêt à titre d’hedge (de couverture), puisqu’il permettrait de faire le pont entre la Ki Blockchain et la monnaie fiat, avec un mécanisme de conversion automatique à la volée par processeur de paiement. De façon plus classique comme dans les projets ICO habituels, des discussions seraient en cours avec certains exchanges, selon l’entreprise.
Unik-Name
La suite de nos pérégrinations blockchainistiques nous ont amené à croiser la route de Mathieu Dufour et de Laurent Lourenço, deux des co-fondateurs de Unik-Name. Là encore, le raisonnement est d’abord d’amener un produit fini sur le marché, au prix d’une centralisation initiale assumée néanmoins. Le déploiement sur blockchain maison est prévu pour plus tard, seulement dans un second temps. Là encore, le financement est mixte, et non pas en mode full-ICO-madness.
Mais quel est le produit d’Unik-Name ?
Un standard en second-layer des adresses cryptographiques, pour le résumer sommairement. En seconde couche, le but est de déployer un standard de correspondance entre adresses cryptographiques et un identifiant en @username.
Ainsi, au lieu de m’envoyer vos généreux dons en BTC à 1LXavMgPAcweQHqjs8fBBnYQczyJvmPVmK, vous enverriez directement des fractions de BTC à @gregoryguittard depuis votre application de wallets préférée. Si l’idée en soi n’est pas tellement nouvelle (on peut penser aux rudimentaires tipping bots de Twitter), l’innovation réside dans le fait que pour soutenir ce système de résolution de correspondance et d’inscription d’identité numérique, Unik-Name entend faire tourner à terme un système de partage global de crypto-paiements multicoins (mais aussi de tout type de documents) entre identités numériques, sur une blockchain développée pour l’occasion.
Pour pouvoir rajouter cette surcouche d’identité numérique, Unik-Name souhaite mettre à disposition un système d’API, permettant une possible intégration directe de leur solution par les fournisseurs de wallets, les exchanges ou tout autre application de la cryptoéconomie naissante. Les documents spécifiques ainsi partagés seraient « hashés » et « shardés » (hachés par une fonction de chiffrement et fragmentés), dans l’optique d’un stockage off-chain (hors de la blockchain), distribué entre “partenaires” sélectionnés.
Cette blockchain reposerait sur deux tokens : le token UNIK non-fongible servant à supporter les identités numériques (token NFT, semblable à un ERC-721 sans en être un, la blockchain cible n’étant pas Ethereum), et le token UNS (token semblable à un ERC-20 classique, là encore sans en être un) censés permettre de financer le fonctionnement de la structure. La blockchain en question reposerait sur un système de classique DPoS, avec délégués élus et sélectionnés parmi des partenaires : il s’agirait donc là encore d’une blockchain soumise à permission, c’est-à-dire une forme mixte entre un registre public et une gouvernance plus distribuée que décentralisée. Le terme utilisé dans le white paper par l’entreprise renvoie d’ailleurs à ce modèle mixte, désigné comme “public/permissioned”.
Embleema
Pour finir, nous avons pu nous entretenir avec l’équipe complète gérant le déploiement d’une solution blockchain visant le marché des données patient dans le monde de la santé, le consortium Embleema.
Vincent Galand et Pascal Becache, de l’équipe Embleema, nous ont détaillé les grandes lignes de leur produit PatientTruth, visant à mettre en place un marché secondaire des données de santé, aussi bien dans les domaines de la recherche que des dossiers médicaux numériques. Ayant assisté à une conférence plus spécifique à ce propos, dans laquelle on pouvait compter certains interlocuteurs majeurs du milieu médical, le détail de cette rencontre sera traitée dans un article spécifique. Sans surprise, pour de telles applications sensibles propres au domaine de la santé, le modèle est purement permissioned.
Ainsi s’achève ce résumé du Blockchain Day 2018 parisien. Qu’on y soit allergique ou pas, la fameuse technologie censée « disrupter » le monde n’a clairement pas fini de faire parler d’elle, au nom d’applications possibles dans de nombreux domaines. La dynamique de fond, lentement mais sûrement, semble cependant s’éloigner de la seule création cryptomonétaire ex nihilo sans aucun produit d’usage. Néanmoins, les pures applications pratiques restent encore en développement pour le moment, et elles semblent favoriser des implémentations sous forme de blockchains permissionnées.
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