Ethereum : les temps forts de l’EthCC, le sommet qui veut révolutionner la finance
Asseth, Eth, Bagueth – De mardi à jeudi dernier se déroulait dans la capitale parisienne l’un des plus grands événements Ethereum européens : l’Ethereum Community Conference, troisième du nom. J’ai résisté à la tentation de mettre ma plus belle casquette maximaliste, et j’y suis allé pour vous. Petit retour sur quelques uns des temps forts de l’EthCC !
Des conférences en veux-tu en voilà
Quelques mots d’introduction sont nécessaires avant d’attaquer en votre compagnie une petite revue de quelques unes des conférences et interventions que j’ai pu suivre à l’EthCC.
Conférence communautaire se présentant comme technique, elle l’est indubitablement, et pour cause : une fois passé son seuil, la grande question qui se pose est tout simplement de savoir où donner de la tête.
Il m’aura donc fallu prioriser, d’autant plus que je n’ai pu être présent les trois jours complets que durait cette grande fête consacrée à Ethereum, la finance décentralisée et la cryptographie en général.
Prêts pour une plongée en eaux blockchainisées ?
Après une présentation introductive de l’EthCC menée par Jérôme de Tychey, président de Ethereum France, la fête aux jetons pouvait commencer !
La French Track : la crypto-scène française s’affirme
L’ADAN pour mener la danse
Pour ouvrir ce sommet étheriste international, l’organisation avait décidé de proposer une matinée intégralement consacrée à l’écosystème français. C’est donc Simon Polrot, président de l’association professionnelle ADAN, qui a déclenché les hostilités. Son intervention aura été l’occasion de présenter une taxonomie des « actifs numériques », notamment selon le degré de contrôle conservé par les émetteurs sur lesdits actifs. L’auditeur curieux se sera d’ailleurs rendu compte qu’il aura été bien peu question de « blockchain » à proprement parler dans cette présentation… comme une résonance notable de l’air du temps, qui semble vouloir que le caractère purement monétaire de la révolution portée par Bitcoin (et les autres cryptomonnaies) commence enfin à se retrouver parmi les lobbies de l’industrie.
Les différents domaines ensuite abordés à l’EthCC auront été rappelés : ce fut notamment le cas de la tokénisation, des stablecoins, de la fameuse DeFi, des collectibles comme les NFT, ou encore des DAO.
Quelques questions supplémentaires seront posées par un public en train de prendre peu à peu vie, particulièrement à propos de la nature monétaire supposée de l’ether (ETH). Le débat ne sera naturellement pas tranché, M. Polrot renvoyant les curieux vers les différentes théories essaimant dans la sphère étheriste à ce propos : alors, l’ether (ETH), simple carburant ou réelle monnaie ? Comme nous le verrons, certains ont déjà leur petite idée à ce propos.
La finance décentralisée et ses prêts
Et qui de mieux placer pour présenter l’état de l’écosystème de la finance décentralisée (DeFi) que ceux qui considèrent que l’Ether peut représenter la base d’un nouvel ordre monétaire émergent ? Brice Berdah, Mounir Benchemled et Arthur Micoulet ont donc pris tour à tour la parole pour présenter la DeFi, ses utilisations possibles existantes, mais aussi et surtout ses futurs possibles – sous un angle que l’on pourra qualifier de prudemment optimiste.
Pour les animateurs de DeFi France, la finance décentralisée, c’est avant tout « la transparence », « l’ouverture et l’open source », « la résistance à la censure », mais aussi « l’accessibilité et la préférence – autant que faire se peut – des solutions non costudiales » (où les clients restent maîtres de leurs fonds). Dans la pratique, il sera permis de préciser qu’il s’agit bien d’un idéal : comme à l’habitude dans les projets blockchainisés, tout est question de curseur(s).
La conférence aura été l’occasion de découvrir (ou redécouvrir) certains des principaux projets de la DeFi, notamment du côté du lending (avec Compound ou le projet Aave) mais aussi des exchanges décentralisés (aussi appelés DEX, comme Uniswap).
Les spectateurs avisés auront pu s’interroger avec les animateurs sur les événements des dernières semaines, ayant vu tour à tour certains petits malins profiter des largesses de protocoles de prêts ou des errances d’oracles automatisés censées guider ces plateformes émergentes.
Blockchain, jeux vidéos et objets de collection
Avant de m’échapper pour tenter d’intercepter certaines figures de la cryptosphère, j’ai également pu entendre discuter des récents développements liés aux tokens non fongibles (aussi appelés NFT, pour non fungible tokens). Au menu de cette conférence, les différentes utilisations imaginables pour les jetons non fongibles, les fameux tokens ERC uniques pouvant servir à modéliser tous types d’objets de collection.
Divers projets étaient représentés, mais principalement les expérimentations liées au monde du jeu vidéo : Nicolas Julia est d’abord venu présenter Sorare et son principe de jeu de fantasy-football avec des cartes représentant les plus célèbres des footballeurs – émises sur la blockchain Ethereum.
Nathan Sexer a également expliqué les principes techniques derrière Sandbox, un projet de jeu empruntant tant au bien connu Decentraland et ses territoires numériques rares qu’à Minecraft et ses créations voxelisées. Selon les caractéristiques des créations intégrées aux mécanismes de jeu, différents standards de jetons ERC seraient utilisés (ERC-721 et ERC-1155, notamment).
Nicolas Pouard d’Ubisoft a quant à lui pu raconter certains des essais passés de ses équipes blockchain : notons cependant que ces multiples prototypes n’ont pour l’instant jamais dépassé ce stade, sans réelles applications commerciales dans l’immédiat, notamment du fait des incertitudes réglementaires existant pour l’heure en France. Les questions toujours ouvertes quand à l’intégration de NFT dans les projets d’Ubisoft ont trait à la fois à ces limitations légales mais aussi au gain qu’il serait possible d’espérer (pour le joueur comme pour l’éditeur).
Enfin, Pierre-Nicolas Hurstel d’Arianee a pu exposer certaines des applications attendues des NFT dans le domaine du luxe, par exemple pour de la certification d’objets de collection de luxe (à la manière de ce qui s’est récemment fait du côté de chez Kering récemment). La lutte sur ce terrain semble acharnée, puisqu’Arianee a profité de l’occasion pour communiquer sur l’utilisation de sa solution par Breitling à compter du mois d’avril.
Les co-fondateurs d’Ethereum dans la place
Comment financer la gouvernance des blockchains ?
Vitalik Buterin était bien un des invités d’honneur de l’EthCC cette année, et il était venu pour discuter des problématiques de financement qui agitent régulièrement les équipes de développement blockchain.
La question est difficile et bien épineuse : au delà des différents modes de financement (qu’il s’agisse d’une taxe sur le modèle du Zcash ; ou de contributions plus ou moins volontaires comme envisagé du côté du Bitcoin Cash), il s’agit aussi de savoir comment gérer l’allocation des moyens récoltés. En somme, comment peut-on faire contribuer aux biens communs blockchainisés ?
Vitalik a tracé quelques pistes de réflexion, donnant son avis tant sur les incentives orientées directement vers les développeurs (par exemple, en suivant les contributions publiques de développeurs) que sur certains événements plus récents ayant agité la cryptosphère. Le coin voting comme mode de décision en aura pris pour son grade, et pour cause : la vieille, la gouvernance de la blockchain Steem avait été le théâtre d’un « coup d’Etat » décidé par son nouveau propriétaire TRON et certains des principaux exchanges (comme Binance).
L’ombre de ConsenSys
J’ai également pu discuter un moment avec Joseph Lubin, fondateur de ConsenSys et autre co-fondateur d’Ethereum. Ensemble, nous avons pu aborder les activités de ConsenSys et la migration progressive de son modèle de crypto-VC investisseur dans des projets blockchain vers une structuration donnant une plus grande part aux groupes financiers plus classiques.
Doit-on s’attendre à voir ConsenSys amener « la blockchain » au monde financier historique, ou bien observera-t-on un mouvement inverse ? Quel est le contexte financier de l’entreprise, alors même qu’elle cherche à lever quelques 200 à 250 millions de dollars auprès de gros investisseurs… tout en ayant licencié 14% de son personnel au début du mois de février ? Quelle sera la forme exacte de la prochaine collaboration entre ConsenSys et JP Morgan, dont des rumeurs récentes faisaient état ?
Autant de questions dont vous découvrirez les réponses prochainement, à la fois dans un article dédié et dans un prochain épisode de podcast (en anglais, et avec l’accent franchouillard qui va bien !).
Les cryptomonnaies et la loi
Mais au delà de cette sphère d’entrepreneurs, développeurs et autres afficionados de l’Ether, l’EthCC fut aussi l’occasion de se questionner sur un aspect fondamental avec lequel doivent bien composer les projets cryptomonétaires, à savoir la loi. Comment opérer lorsqu’on s’adresse à tous, au sein de projets financiers qui se retrouvent de facto être sans frontières ?
Cryptosphère et législateurs
Et qui de mieux placé que le crypto-avocat William O’Rorke – que j’avais croisé à l’occasion d’un épisode du Podcast du Coin – pour évoquer les problématiques liées à cet état de faits ? Qu’il s’agisse des fameuses obligations liées à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (KYC/AMC), la considération du respect du secret des affaires et de la réglementation RGPD, ou encore les caractéristiques amenant à considérer certains acteurs de la cryptosphère comme de véritables prestataires de paiement soumis à des législations strictes… Les sujets abordés furent nombreux.
S’il fallait retenir une idée directrice de l’intervention de M. O’Rorke, ce serait bien que la plus mauvaise idée qu’un entrepreneur puisse avoir serait celle de se croire à l’abri des réglementations financières classiques « simplement parce qu’un projet repose sur une blockchain ou de la DeFi« .
Ne rêvons donc pas trop : tout comme les régulateurs s’attaquent de front aux questions posées par les cryptomonnaies, ils trouveront nécessairement quantité de leviers pour encadrer la DeFi lorsque le moment sera venu… car pour distribuée qu’elle soit, cette dernière a encore une belle marge de progression avant de pouvoir se dire réellement décentralisée.
La crypto-law : quel cadre légal pour le territoire du cyberespace ?
Vlad Zamfir, chercheur rattaché à la Fondation Ethereum, est un personnage intéressant, par exemple connu pour ses travaux concernant les dynamiques de la crypto-économie et de la gouvernance des protocoles du milieu. Il est aussi en charge de mener le développement du client Casper.
A l’occasion de l’EthCC, il aura donc invité l’audience à s’interroger : si les cryptomonnaies sont censées être décentralisées, comment peut-on – par exemple – s’opposer vraiment en pratique aux avis des fondateurs de cryptomonnaies historiques ? Le fait que les projets principaux de la cryptosphère se présentent comme acéphales doit-il faire oublier que chacun peut avoir ses objectifs personnels et tenter de les suivre, au point d’amener à une gouvernance ressemblant plus à de la politique informelle qu’à des débats protocolaires ?
M. Zamfir a également abordé la question épineuse du cyberespace, qu’il considère comme un territoire séparé du monde réel à part entière, qui devrait reposer sur ses propres règles et lois. Une très vaste question, que l’on n’abordera pas dans le présent article : M. Zamfir a en effet affiché des opinions assez tranchées, mais aussi et surtout invité au débat.
Quand Julian Assange s’invite à l’EthCC
Au delà des invités fin connaisseurs des thématiques cryptos au sens large, l’EthCC aura aussi été l’occasion d’accueillir certaines personnalités extérieures à la sphère, mais dont les sujets d’intérêt trouvent de nombreux points de convergence avec elle : c’est par exemple de John Shipton, le père de Julian Assange, venu alerter sur les conditions imposées à son fils – actuellement poursuivi au Royaume-Uni et menacé d’extradition vers les Etats-Unis.
M. Shipton, lors de son allocution et d’échanges avec l’assistance, sera revenu sur les années de vie de M. Assange dans l’ambassade équatorienne au Royaume-Uni, où il aurait été la cible d’un espionnage constant – comme l’ont révélé certains médias ces derniers mois. Au delà de M. Assange et de son incarcération actuelle, son père a également profité de son intervention pour dénoncer une « intimidation vis à vis de la presse libre » mais aussi « de toutes les équipes qui peuvent – un jour ou l’autre – encadrer et aider à de tels travaux journalistiques ».
Tout en comparant la nature décentralisée de l’organisation de WikiLeaks avec celle d’Ethereum – c’est de bonne guerre, M. Shipton a également appelé aux dons pour soutenir M. Assange : comme vous vous en doutez, WikiLeaks accepte bien les dons en cryptomonnaies, juste ici.
En résumé, l’Ethereum Community Conference, on y reviendra : sans avoir besoin d’être convaincu par tous les projets présents, il faut bien admettre qu’ils sont pour le moins bien vivaces… et nombreux ! Permettant de faire cohabiter sujets purement cryptomonétaires, son pendant purement cryptographique, mais aussi les habituelles thématiques du pair-à-pair, l’EthCC était bien un rendez-vous à ne pas manquer ! De là à retourner sa veste et devenir maximaliste de l’Ether, n’exagérons rien ! 😉