Bitcoin face aux monnaies traditionnelles

Chapitre I Article k

Comme nous l'avons précédemment évoqué, Bitcoin et ses 21 millions d'unités a de nombreux points communs avec l'or. Cela n'a rien d'un hasard, le métal précieux étant directement cité dans le livre blanc de Satoshi Nakamoto qui décrit le fonctionnement de Bitcoin. Qu'en est-il en revanche des monnaies traditionnelles ? Quels sont leurs points communs avec Bitcoin ? Quels sont les avantages et inconvénients de ces deux moyens d'échange ? Reprenons ici les bases afin de bien identifier le rôle de la monnaie, pour ensuite étudier la façon par laquelle les monnaies traditionnelles et Bitcoin se proposent d'y répondre.

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Qu’est-ce que la monnaie ?

L'objectif de cette partie n'est pas de vous donner une vision exhaustive de ce qu'est la monnaie (ce qui demanderait d'y consacrer un Chapitre entier), mais bien de vous offrir une vue globale de son fonctionnement et ses enjeux.

Bitcoin or et dollars

La définition d'une monnaie

Commençons par définir ce qu’est une monnaie et quelles doivent être ses caractéristiques pour qu'elle puisse jouer son rôle. Car bien que cet outil soit utilisé par tout un chacun de manière quotidienne, peu de personnes se penchent réellement sur le sens à lui donner.

Selon la définition aristotélicienne, une monnaie doit remplir divers rôles.

Un intermédiaire des échanges

La monnaie doit principalement être un bien particulier permettant d'échanger des autres biens et des services. Elle doit ainsi résoudre la fameuse problématique du troc.

Par exemple, imaginons que vous avez fabriqué une paire de chaussures que vous souhaiteriez échanger contre des carottes. Dans un monde régit par le troc, il vous faudrait trouver un producteur de carottes qui a besoin de chaussures.

À moins de parcourir à pied tous les champs et potagers alentours à la recherche de la perle rare, la tâche est ardue. Avec une monnaie, vous pouvez échanger vos chaussures contre cette dernière avec le premier venu qui en a besoin. Vous pourrez ensuite échanger votre monnaie contre des carottes, car elle sera forcément acceptée par ceux qui en vendent, contrairement à vos chaussures.

Une unité de compte

Elle doit servir d'étalon commun, permettant de mesurer et de comparer la valeur des biens et des services. La valeur de tout produit doit pouvoir s’exprimer dans cette monnaie.

Par exemple, imaginons que vous voulez toujours acheter des carottes et que vous avez des chaussures à vendre. La monnaie doit vous permettre de savoir combien de carottes vous pouvez obtenir en vendant vos chaussures.

Une réserve de valeur

Elle doit permettre aux individus de différer leurs achats dans le temps et de se constituer une épargne.

Par exemple, imaginons cette fois que vous avez des carottes, mais que vous n'avez pas encore besoin de chaussures. Vous savez cependant que vous devrez un jour en acheter une paire, quand les vôtres seront usées. La monnaie doit vous permettre de vendre vos carottes avant qu'elles ne pourrissent, pour que vous puissiez conserver leur valeur et vous acheter des chaussures quand vous en aurez besoin.

Si elle est très souvent reprise pour définir ce qu'est une monnaie, la vision aristotélicienne n'est évidemment pas la seule à s'être attelée à cette tâche. Cette dernière est même fréquemment jugée comme étant dépassée. Il existe donc autant de définitions que d'interprétations de ce sujet éminemment complexe.

Les caractéristiques d'une monnaie

Maintenant que les contours de ce qu'est une monnaie sont définis, voyons certaines caractéristiques fondamentales qui permettent à une monnaie de remplir son rôle avec plus ou moins d’efficience.

  • La portabilité : une monnaie doit être aisément transportable. En ce sens, l’or n’est pas idéal, voyager avec un lingot d’or dans sa valise n'étant pas ce que l'on qualifier de pratique. Il est plus commode de détenir des pièces, des billets ou une carte bancaire ;
  • La divisibilité et la fongibilité : pour faciliter les échanges de tout ordre de grandeur, une monnaie doit être très divisible. Car l'objectif est de pouvoir l’échanger aussi facilement contre une baguette de pain que contre une maison. Par ailleurs, une unité de cette monnaie doit être identique à toutes les autres, de sorte qu’il soit impossible de les dissocier. Rien ne ressemble plus à une pièce de 1 euro qu’une autre pièce de 1 euro. Cette caractéristique s’appelle la fongibilité ;
  • La durabilité et la rareté : ces deux facteurs sont essentiels pour que la monnaie puisse tenir son rôle de réserve de valeur à long terme. En ce sens, un métal comme l’or est idéal, car sa quantité est limitée ;
  • La difficulté de production : toujours dans l'optique de jouer son rôle de réserve de valeur à long terme, la difficulté de production d'une monnaie est indispensable. Sa production doit être ardue techniquement et/ou financièrement, afin de rendre impossible sa fabrication facile. Ce paramètre définit ce que l'on appelle les monnaies « faciles » et les monnaies « dures », comme nous le verrons dans le paragraphe suivant.

Les monnaies « faciles » et monnaies « dures »

Une monnaie « dure » est une monnaie qui est non seulement rare (argent, or), mais qui s'avère également difficile à produire.

La difficulté de production des monnaies « dures » est mathématiquement représentée par le modèle « stock to flow » qui vise à estimer la rareté d'un bien rare en divisant le stock existant par la quantité de la production annuelle de ce même bien.

À l'inverse, une monnaie « facile » est une monnaie qui peut être produite simplement, sans grands efforts et sans coûts. Les monnaies « faciles » et « dures » présentent toutes deux des avantages et des inconvénients, suivant l'échelle de temps considérée :

  • Les monnaies faciles permettent de régler simplement des problèmes à court terme. Grâce à elles, il est facile de distribuer et de produire de l'argent en cas de besoin. Elles peuvent servir à maintenir des éléments moins productifs sous assistance. Mais à long terme, leur prolifération génère une dévaluation de leur valeur et une inflation des prix, ce qui les empêche de jouer leur rôle de réserve de valeur ;
  • Les monnaies dures peuvent à l'inverse contraindre à voir « mourir » certains éléments du système, si ceux qui les possèdent ne choisissent pas (ou ne sont pas contraints) de la partager avec ceux qui sont dans le besoin. Elles permettent cependant à la monnaie de garder son rôle de réserve de valeur.

Le caractère « dur » d'une monnaie n'est pas quelque chose d'intemporel. L'histoire regorge de monnaies dures qui sont lentement devenues faciles du fait de l'augmentation de leur production, facilitée par les évolutions industrielles et technologiques. Qu'elle soit physique ou numérique, l'utilisation d'une monnaie dure à grande échelle est un modèle anti-inflationniste éprouvé.

La monnaie selon l'école autrichienne

Comme évoqué à plusieurs reprises, l'école autrichienne est un courant de pensée économique dont l'un des membres les plus éminents (Friedrich August von Hayek) a clairement défini les bases théoriques de Bitcoin.

D'après cette école, la monnaie fait partie intégrante de l'économie et est donc placée au cœur de son analyse, assez complexe. Elle recense entre autres les différents acteurs du système et leurs rôles respectifs, leur impact sur la monnaie et leurs répercussions sur l'économie en général.

Bien qu'il soit impossible d'expliquer l'ensemble de la vision de l'école autrichienne en quelques lignes, voici certains points importants qu'elle soulève concernant la monnaie.

D'après elle, la monnaie est un bien économique qui découle de la décision individuelle de l'épargne et de la consommation, et non pas une création artificielle et arbitraire de l'Etat. Elle affirme ainsi que les interventions de l'État en économie n'ont que des effets destructeurs, que l’inflation monétaire entretenue par ces institutions cause de graves crises économiques récurrentes et cycliques, nuit au calcul économique (par le malinvestissement), encourage le surendettement et la surconsommation, et profite aux personnes les mieux placées.

Elle estime que les crises économiques sont des événements essentiels, qui assainissement l'économie et ramènent le système économique vers l'équilibre. Tenter de les contrer, par exemple en imprimant de l'argent à foison, revient à déséquilibrer davantage le système et à empirer le problème.

Enfin, elle se rapproche aussi des théories monétaristes en soutenant que la création monétaire doit être limitée. Elle envisage plusieurs moyens pour ce faire : utiliser l'étalon or, mettre en place un système de banque libre, et limiter les crédits consentis par les banques au montant de leurs actifs.

Friedrich Hayek, membre éminent de l'école autrichienne
Friedrich Hayek, membre éminent de l'école autrichienne

L'évolution de la monnaie à travers le temps

Découvrons ensemble une partie de l'histoire de la monnaie. Bien sûr, ce récit mériterait là encore à lui seul un Chapitre à part entière au sein de notre Encyclopédie du Coin.

De la préhistoire à nos jours

Très tôt dans l’histoire de l’humanité, la monnaie a fait son apparition, sous différentes formes. En effet, les échanges entre individus font partie intégrante de toute société. Au gré de ces expériences, l’être humain a essayé diverses solutions, avec plus ou moins de réussite : coquillages, sel, graines… Jusqu’à arrêter son choix sur les métaux précieux, et plus particulièrement l’or, leur rareté et la difficulté de les trouver en faisait des matériaux adéquats pour servir de moyen d’échange difficile à falsifier.

De nos jours, ces métaux précieux ont été remplacés par les monnaies « fiat », comme l’euro et le dollar.

Les monnaies fiat (signifiant en latin « autorisation » ou « décret ») sont les monnaies étatiques. Pour le dire simplement, ces monnaies sont celles avec lesquelles les États demandent à leurs citoyens de payer leurs impôts. Une monnaie fiat est donc une monnaie qui a cours légal dans un état qui, souvent, émet lui-même cette même monnaie.

Elles sont aussi fiduciaires (qui vient de « fiducie », issu du latin « fiducia », « confiance »), ce qui signifie que la valeur des pièces et des billets est basée sur la confiance de ses utilisateurs. À titre d'exemple, la valeur intrinsèque d'un billet de 500 euros est de seulement quelques centimes (du papier) et est la même que celle d'un billet de 20 euros. C'est la confiance que nous avons dans cette monnaie qui fait que nous pouvons échanger un billet contre quelque chose qui a la valeur inscrite sur ce billet.

Depuis l’avènement de l’informatique, elles sont aussi dématérialisées. La monnaie sonnante et trébuchante ne compose qu’une faible partie de la masse monétaire globale.

De l'étalon-or à l'argent magique

Longtemps, les monnaies fiat ont été adossées à l’or.

Cela signifiait qu'un citoyen pouvait se rendre à la banque pour demander à convertir ses espèces en or et que les banques centrales ne pouvaient pas, en principe, émettre beaucoup plus de monnaie que la valeur de leurs réserves en or. C'était ce que l'on appelait « l'étalon-or ».

Ce mécanisme permettait d'instaurer une grande confiance dans la monnaie, dont la valeur était tangible car adossée à un actif rare et précieux. Même s'il est vite devenu partiel, l'étalon-or agissait comme un garde-fou vis-à-vis de la création monétaire.

L'application de cet étalon-or offrait aux citoyens de ces États l'assurance qu'ils pouvaient bénéficier de la praticité qu'offre une monnaie papier dans la vie de tous les jours (il est plus simple de sortir avec quelques billets en poche qu'avec ses lingots d'or) tout en assurant la valeur de cette monnaie par les réserves de métaux précieux que les États s'étaient constitués.

En 1971, Richard Nixon, alors président des États-Unis, a annulé la convertibilité du dollar en or en mettant fin aux accords de Bretton Woods. Il a alors sonné le glas d’une ère de stabilité de la masse monétaire, faisant basculer la planète dans un système financier où la quantité d’argent en circulation n’aurait plus de limites. Depuis cette date, nos monnaies contemporaines ont glissé du stade de monnaies dures à monnaies faciles.

Elles reposent ainsi en grande partie sur la confiance que nous accordons au système. Or, la confiance, c’est fragile...

Pluie de dollars

Bitcoin et les monnaies fiat répondent-ils aux rôles de la monnaie ?

Au vu de ce que nous venons d'évoquer, voyons maintenant si Bitcoin et les monnaies fiat peuvent prétendre jouer les 3 rôles d'une monnaie selon la définition aristotélicienne (intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur), et les remplir avec efficience.

Les monnaies fiat : dérives d'un système

L'impression galopante

Concernant les rôles d'intermédiaires des échanges et d'unité de compte, les monnaies fiat remplissent parfaitement leurs fonctions. Les choses se compliquent lorsque l'on se penche sur leur rôle de réserve de valeur.

Depuis la fin des accords de Bretton Woods et l'arrêt de la convertibilité de du dollar en or, les banques centrales usent de mécanismes divers et variés pour agir sur la quantité de monnaie en circulation : action liées à la liquidité bancaire, gestion des taux directeurs, surveillance des taux de change, etc. Par ce biais, les banques centrales cherchent à agir sur l'activité économique afin de favoriser la croissance tout en préservant la stabilité et la valeur de la monnaie.

En effet, un excès de création monétaire risque de provoquer l'inflation des prix en mettant à disposition des agents économiques un pouvoir d'achat trop important, alors qu'une quantité trop faible de monnaie en circulation risque de limiter leurs activités économiques et donc la croissance. Les banques centrales jouent donc constamment à un jeu d'équilibriste, en essayant de maintenir une inflation inférieure à 2 % par an tout en alimentant l'économie.

À ce niveau, deux visions s'opposent fondamentalement :

  • La théorie monétariste, qui considère que l'inflation a des causes uniquement monétaires et qui cherche à adopter une politique restrictive afin de réduire les tensions inflationnistes ;
  • La théorie keynésienne, qui considère que la politique monétaire ne doit pas avoir pour seul objectif la lutte contre l'inflation mais aussi la poursuite d'objectifs de croissance économique.

Cette dernière théorie est celle qui est communément retenue par nos États contemporains. La création monétaire est aujourd'hui au cœur des politiques des banques centrales et ne sert plus seulement à stimuler la croissance économique, mais à la maintenir artificiellement en vie.

Résultat : la masse monétaire en circulation explose. Suite à la crise des subprimes en 2007, la tendance s'est même accélérée avec le déploiement de nouveaux mécanismes de rachat d'actifs par les banques centrales (« Quantitative easing »). La courbe ci-dessous, qui prend de plus en plus une allure exponentielle, l'illustre parfaitement.

Évolution de la quantité de dollars en circulation depuis 1920
Évolution de la quantité de dollars en circulation depuis 1920

Bien sûr, cette création monétaire a permis de financer la croissance et le développement de nos sociétés contemporaines, parfois pour le meilleur. Mais elle n'est pas sans conséquence : les monnaies fiat connaissent depuis des années une dépréciation de leur valeur. Les citoyens sacrifient quant à eux la valeur de leur travail en laissant leur épargne porter le poids de cette croissance achetée à crédit.

Les monnaies fiat sont ainsi, par conception, devenues des monnaies « faciles », contrôlée par les institutions étatiques et les banques. Leur comportement imprévisible, voire irresponsable, dessert l’intérêt général.

« Par des procédés constants d'inflation, les gouvernements peuvent confisquer d'une façon secrète et inaperçue une part notable de la richesse de leurs nationaux. »

John Maynard Keynes

Les dégâts de l'effet Cantillon

L'effet Cantillon est une théorie économique, formulée au 18ème siècle par l'économiste irlandais dont elle porte le nom : Richard Cantillon. Elle décrit la façon par laquelle se propagent les effets de la création monétaire dans l'économie en fonction de plusieurs facteurs, son incidence sur l'inflation et les différents secteurs de l’économie.

Selon Cantillon, l'injection de monnaie dans une économie a un effet progressif et différencié sur les prix. Cela vient du fait que la distribution initiale n'est pas équitable, que sa diffusion n'est pas égale entre tous les secteurs de l'économie et est plus ou moins rapide. Ainsi, selon cette théorie, l'impact de l'injection d'une nouvelle monnaie dépend de l'ordre dans lequel les différents acteurs en bénéficient.

En 1938, Ludwig von Mises, membre de l'école autrichienne, l'explique en ces termes lors d'une conférence à Paris :

« La quantité de monnaie supplémentaire ne vient pas se mettre initialement dans les poches de tous les individus : ceux qui en bénéficient en premier ne reçoivent pas tous le même montant et tous les individus ne réagissent pas de la même façon face à la même quantité supplémentaire de monnaie. Les premiers à en bénéficier — les propriétaires de mines dans le cas de l'or, le Trésor dans le cas du papier-monnaie gouvernemental — disposent dès lors d'encaisses plus élevées et sont en position d'offrir davantage de monnaie sur le marché pour se procurer les biens et les services qu'ils désirent acheter. Le montant additionnel de monnaie qu'ils offrent sur le marché fait monter les prix et les salaires. Mais tous les prix et salaires n'augmentent pas, et ceux qui augmentent ne le font pas tous dans la même proportion. Ainsi, les changements de prix qui résultent de l'inflation ne concernent initialement que certains biens et services, puis se diffusent plus ou moins lentement d'un groupe vers les autres. Il faut du temps avant que la quantité additionnelle de monnaie n'épuise toutes ses potentialités de changements de prix. Mais même à la fin, les différents agents économiques ne sont pas touchés dans la même mesure. Ceux qui vendent les biens ou les services dont les prix sont les premiers à monter sont en mesure de vendre à de nouveaux prix plus élevés tout en achetant ce qu'ils veulent aux anciens prix encore inchangés. Inversement, ceux qui vendent des biens ou des services dont les prix demeurent inchangés pendant un certain temps vendent aux anciens prix tout en devant déjà acheter aux nouveaux prix plus élevés. Les premiers réalisent un bénéfice particulier, ce sont les profiteurs, les seconds perdent de l'argent, ce sont les perdants dont les poches fournissent les gains supplémentaires que perçoivent les profiteurs. »

Ludwig von Mises, Monnaie, méthode et marché, La non-neutralité de la monnaie

Si cette intervention date du début du 20ème siècle, elle illustre parfaitement ce qui se passe actuellement suite à l'augmentation massive de la masse monétaire ces dernières décennies et son accélération depuis le début des années 2000.

Aujourd'hui, ceux qui reçoivent la nouvelle monnaie en premiers bénéficient très clairement d'un pouvoir d'achat accru avant que les prix n'aient augmenté en réponse à la nouvelle offre monétaire. Ces premiers bénéficiaires sont souvent les grandes banques, les institutions financières mais aussi les personnes et entreprises qui ont accès aux crédits bon marché (et donc aux liquidités). Ils ont la capacité de multiplier ces crédits, de participer aux marchés financiers voire d'influencer les politiques monétaires.

En revanche, ceux qui reçoivent la nouvelle monnaie en dernier (ou pas du tout) subissent une dépréciation de leur pouvoir d'achat à mesure que l'inflation augmente les prix. Concrètement, ces derniers bénéficiaires dépendent le plus souvent de revenus fixes et n'ont pas ou peu de possibilités d'accéder à de nouveaux fonds (ou à retardement). C'est par exemple le cas de la plus part des travailleurs et consommateurs.

Ainsi, les premiers bénéficiaires se trouvent en capacité d'investir dans l'immobilier, les actions, les métaux précieux, les objets de collection, voire même les cryptomonnaies. Logiquement, l'évolution du prix de ces actifs est aujourd'hui on ne peut plus décorrélée de l'économie réelle, faisant des marchés financiers le repère des politiques monétaires.

Après avoir déferlé sur ces actifs, la monnaie nouvellement créée déverse son excédent sur les biens de première nécessité sous la forme de l'inflation. Pour imager ce mécanisme, on pourrait par exemple représenter la nouvelle monnaie sous la forme d'un fluide qui évolue progressivement des plus hautes strates de la société aux plus basses. Ceux qui se trouvent au plus prêt du robinet monétaire profitent de ce fluide (hausse des actifs), tandis que ceux qui se trouvent à son bas sont inondés (inflation et perte du pouvoir d'achat).

Ainsi, le problème identifié par la théorie de Richard Cantillon est majeur, puisqu'il entraîne une redistribution de la richesse de manière inéquitable en rendant les plus riches encore plus riches, et les plus pauvres encore plus pauvres. Concrètement, la création monétaire est ainsi pour Cantillon une sorte de taxe cachée sur le pouvoir d’achat des classes les moins favorisées. 

Aux États-Unis, le top 1 % des plus fortunés détiennent plus de richesses que les 90 % les moins fortunés
Aux États-Unis, les 1 % les plus fortunés détiennent plus de richesses que les 90 % les moins fortunés - La faute à l'effet Cantillon ?

Au-delà d'un accroissement des inégalités, l'effet Cantillon peut aussi être à l'origine d'instabilité financière ou de récession. Bien entendu, ses incidences varient en fonction de nombreux facteurs : politiques gouvernementales, conditions économiques spécifiques à chaque pays, répartition des richesses avant la création monétaire, etc.

La théorie de Richard Cantillon étant connue depuis plusieurs siècles, il est surprenant qu'elle ne soit que très rarement évoquée comme l'illustration de certains dérèglements économiques modernes à l'ère de l'impression galopante. Quelles sont les réelles motivations de ceux qui tiennent les rênes des politiques monétaires ? La question mérite d'être posée.

Quoi qu'il en soit, l'émission programmée, progressive et déflationniste de bitcoin est une alternative intéressante aux dérives des monnaies fiat. Cependant, en prenant place dans un système globalisé, le prix du bitcoin matérialisé dans ces monnaies faciles est lui-même tributaire de l'effet Cantillon.

C'est d'ailleurs l'un des paradoxes auquel Bitcoin est confronté : au même titre que de nombreux autres actifs, la hausse de son cours relève en partie de l'abondance de monnaie nouvellement créée, particulièrement suite aux politiques anti-COVID.

Une propriété toute relative

En plus d'être facilement émises et d'être à l'origine d'inégalités, les monnaies fiat contemporaines soulèvent aussi de plus en plus de questions concernant leur contrôle. Car à l'heure de la numérisation et de la bancarisation, il est parfois difficile de savoir qui détient réellement quoi.

En effet, l’avènement des banques fut synonyme de contrôle. Un contrôle de plus en plus intrusif dans la vie privée des individus. De nos jours, presque tous les européens sont bancarisés. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, loin s’en faut.

Cette bancarisation est très récente à l'échelle de l'humanité et a eu pour conséquence, en parallèle d'avantages certains, de déposséder les individus de leur monnaie. Les banques mettent en place de nombreuses contraintes bancaires, censées protéger les citoyens, mais qui sont aussi vectrices d'un contrôle croissant. Au travers de cette surveillance financière accrue, les paiements peuvent à tout moment être censurés. L’envoi de sommes dépassant certains seuils nécessite de nombreuses justifications auprès des banques.

Ces requêtes sont progressivement rentrées dans les mœurs (souvent grâce à des arguments sécuritaires), si bien que plus personne ne s’en étonne. Et pourtant, à quel titre une banque devrait-elle demander une justification pour vous laisser dépenser comme bon vous semble l’argent que vous lui avez confié ?

« Contrôlez le pétrole et vous contrôlerez les nations, contrôler la nourriture et vous contrôlerez le peuple, contrôlez la monnaie et vous contrôlerez le monde. »

Henry Kissinger

D'autre part, rien n’empêche votre épargne d’être ponctionnée. Les nombreux cas de banques en faillite ayant emporté avec elles les économies de leurs clients en sont l'illustration, tout comme l'est l'histoire de la crise chypriote des années 2010, que nous évoquons dans la suite de cet article.

Si les pays occidentaux restent aujourd'hui relativement épargnés par certaines de ces dérives, il en est parfois tout autre dans de nombreuses zones du monde.

Enfin, le développement des Monnaies Numériques de Banque Centrale (MNBC) est à l'origine de nouvelles préoccupations relatives au respect de la vie privée et au contrôle des flux. Si ce sujet vous intéresse, n'hésitez pas à consulter l'article dédié au sein de notre Encyclopédie du Coin.

Pour faire simple, l'ensemble de cette analyse mène à trois conclusions évidentes :

  • L’argent placé en banque n’est pas votre argent. Il s’agit ni plus ni moins d’une reconnaissance de dette de la banque en votre faveur. Si elle est censée la reconnaître, il en est parfois autrement, particulièrement dans les pays les moins développés ;
  • L'émission des monnaies fiat se fait au bon vouloir des États et des banques, sans aucune consultation démocratique ;
  • La centralisation des pouvoirs en matière monétaire mène historiquement à des dérives.

Le bitcoin : monnaie en devenir

La monnaie libre

La question de savoir si Bitcoin est une monnaie est au centre de nombreux débats. Certaines de ses caractéristiques en font en tout cas un actif au profil particulièrement intéressant pour exercer ce rôle.

Bitcoin est par exemple programmé pour avoir le caractère persistant de la monnaie, non plus grâce à la matière, mais grâce aux mathématiques et au code informatique.

Comme nous l'avons vu précédemment, la preuve de travail et l'émission planifiée, immuable et limitée des bitcoins permettent d'assurer la rareté et difficulté de création de la monnaie. Grâce à ce modèle de création monétaire déflationniste, Satoshi Nakamoto a pris le contre-pied des politiques monétaires actuelles, qui tendent à privilégier la création infinie de monnaie.

Ceci rend théoriquement Bitcoin aussi crédible que l'or pour jouer un rôle de réserve de valeur.

Courbe d’inflation des bitcoins et provision totale au cours du temps
Courbe d’inflation des bitcoins et provision totale au cours du temps

Un bitcoin peut aussi être envoyé en quelques minutes, voire secondes, à l’autre bout de la planète et à frais réduits, ce qui en fait un bon médium d'échange sans frontières.

Pour conserver des bitcoins, il suffit d’un portefeuille numérique sur téléphone, d'un hardware wallet ou même d'un simple bout de papier contenant une suite de mots. Bitcoin est donc aisément transportable mais aussi très divisible (par 100 000 000 très exactement).

Par ailleurs, Bitcoin permet de remédier à deux problèmes du système monétaire actuel : l'inclusion financière et la censure.

Aujourd'hui, pas moins de 1,7 milliard d’êtres humains n'auraient pas accès à un compte bancaire et aux avantages qu'ils procurent en termes de facilité de stockage et de transaction. D'autres se voient en parallèle interdire l'accès à ces outils pour des raisons parfois politiques et contraires aux droits fondamentaux.

Bitcoin peut permettre à ces individus d'accéder aux avantages de cette numérisation monétaire sans avoir à soumettre leurs actions aux contrôles d'un tiers (pas de gel de comptes, de contrôle des capitaux, de sanctions économiques, d'interdictions arbitraires, etc.).

L'architecture décentralisée du réseau garantie ainsi à ses utilisateurs la pleine propriété privée de leurs fonds. Si vous possédez et sécurisez les clés privées associées à vos adresses Bitcoin, vous êtes certain que vous serez toujours maître de vos avoirs.

Bitcoin sur le terrain

Au-delà des théories, Bitcoin exerce, a exercé ou aurait pu exercer le rôle de monnaie dans des situations majeures où ses équivalents fiat ont échoué, se comportant comme alternative ou refuge. En voici quelques exemples marquants, dont la liste n'est évidemment pas exhaustive.

L'affaire Wikileaks

Dans cette affaire, Bitcoin a pour la première fois servi à contourner les mesures de censures abusives mise en place par les institutions financières. Wikileaks est une ONG qui, en 2010, a publié de nombreux documents exposant des secrets d’État américain et des pratiques controversées, souvent associées à des violations des droits et libertés publiques.

Pour mettre fin à ces révélations, l'État américain a demandé à des institutions financières de geler les comptes de l'ONG, et tenté par tous les moyens de lui couper toutes possibilités d'avoir accès à des financements.

La communauté Bitcoin, à l'époque encore embryonnaire, a proposé son aide à Wikileaks pour faire face à ces mesures et lui permettre de poursuivre ses activités. Cette proposition allait d'ailleurs contre l'avis de Satoshi Nakamoto qui estimait à l'époque que Bitcoin n'était pas encore assez résistant pour contrarier ouvertement le gouvernement américain.

Dès juin 2011, Wikileaks a malgré tout accepté les dons en BTC, jusqu'à en accumuler des milliers. Ces dons, qui échappaient au contrôle des institutions financières grâce aux caractère décentralisé du Bitcoin, ont concrètement permis à l'ONG de subvenir à ses besoins et lancer l'alerte sur de nouvelles malversations.

C'est la première fois que Bitcoin a démontré son intérêt pour défendre la liberté et la résistance à la censure.

La crise chypriote

En 2013, Chypre à été touché par une importante crise économique, créée par de nombreux facteurs : exposition des banques chypriotes à des entreprises immobilières locales surendettées, crise de la dette grecque, dégradation de la note de crédit des obligations gouvernementales chypriotes par les agences de notation internationales, incapacité consécutive à refinancer les dépenses de l’État sur les marchés internationaux, réticence du gouvernement à restructurer le secteur financier chypriote en difficulté, etc.

Nous n'entrerons pas trop dans les détails ici pour ne pas dévier du sujet de cet article, mais pour faire à cette crise, un plan de sauvetage a été mis en place. Celui-ci a consisté au déploiement d'une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires. Les déposants qui détenaient plus de 100 000 euros sur leur compte en banque se sont vus « saisir » une partie de leurs actifs afin de sauver les banques et par cheminement, l'économie.

Pour faire face à la fuite des capitaux, les banques ont été fermées avant de réouvrir avec des restrictions drastiques comprenant une limite quotidienne des retraits, des virements vers l'étranger ou encore une obligation d'autorisation pour certaines utilisations des capitaux.

La confiance dans le système bancaire a alors largement été ébranlée, les épargnants prenant conscience que l'argent placé en banque ne leur appartient pas et qu'une institution publique voire privée (les banques) a le pouvoir de le subtiliser pour des raisons diverses et variées.

Bitcoin a alors été mis en avant comme solution pour protéger son argent et le mettre à l'abri des restrictions imposées par les gouvernements. À l'époque, son cours a d'ailleurs connu une hausse fulgurante de plusieurs centaines de pourcents en grande partie causée par cette campagne marketing involontaire.

Des chypriotes font la queue devant un distributeur de billet en 2013
Des chypriotes font la queue devant un distributeur de billet en 2013
La crise libanaise

Depuis 2019, le Liban connaît une crise économique et sociale majeure. Elle est une fois de plus la résultante d’une combinaison d’éléments interdépendants : corruption, mauvaise gestion financière, instabilité politique, politiques fiscales et monétaires insoutenables, conflits régionaux, etc.

Ici aussi, les banques ont imposé des restrictions sur les retraits et transferts d’argent vers l’étranger. La monnaie locale, la livre libanaise, a perdu 98 % de sa valeur en quelques années. Certains épargnants désespérés sont même allés jusqu'à braquer des banques pour récupérer leur propre argent, gelé sur leurs comptes et progressivement dépouillé de sa valeur.

Dans ce contexte, Bitcoin a offert une alternative aux Libanais cherchant à protéger leur épargne et à naviguer dans un système bancaire en difficulté. Cet article du journal Le Monde raconte ce contexte et le rôle joué par Bitcoin dans ce pays en crise.

Le pesos argentin

Entre juin 2000 et janvier 2024, le peso argentin a perdu 99,89 % de sa valeur face à l’euro. Causée par de multiples facteurs, cette dévaluation a impacté tous les épargnants qui utilisaient cette monnaie.

De plus, les contrôles de capitaux, les distributeurs souvent vides, la fluctuation du cours importante, ou encore les taxes abusives sur les paiements électroniques font partie des nombreuses raisons qui ont poussés les Argentins à se détourner du système bancaire.

Une fois de plus, Bitcoin s'est imposé comme une alternative face à l’instabilité du pesos argentin, certains Argentins faisant désormais davantage confiance aux mathématiques qu’aux politiciens.

Le bolivar vénézuélien

Durant les dernières décennies, le gouvernement vénézuélien a imprimé de la monnaie pour financer ses dépenses, sans tenir compte de l’équilibre entre l’offre de monnaie et la production réelle. Il est loin d'être le seul à avoir joué à ce jeu-là, mais il est sans doute l'un de ceux qui en a le plus abusé...

Ceci a entraîné une hyperinflation et la dévaluation rapide de la valeur du bolivar. Depuis 2008, le Venezuela a supprimé quatorze zéros de sa monnaie en raison de l’érosion rapide de sa valeur (100 000 000 000 000 de bolivar en 2008 valent 1 bolivar en 2024 - inutile d'épargner !).

Tout comme les argentins ou les turcs, de nombreux vénézuéliens ont vu en Bitcoin une solution providentielle. Cet article intitulé « Bitcoin saved my family » (« Bitcoin a sauvé ma famille ») publié en 2019 sur le New York Times raconte la détresse associée à la dévaluation d'une monnaie dans un régime dictatorial qui contrôle les flux d'échange de valeur.

Car ce contrôle est quasi systématiquement le revers d'une monnaie en plein effondrement : pour limiter la casse, les gouvernements mettent en place des restrictions qui ne font qu'empirer le quotidien des agents économiques concernés. Ce témoignage passionnant reflète malheureusement ce que vivent des millions (peut-être milliards) d'humains sur terre.

Un paquet de riz coûtait déjà 2,5 millions de bolivars en 2018
Un paquet de riz coûtait déjà 2,5 millions de bolivars en 2018
Le convoi de la liberté

En 2022, un mouvement de protestation a eu lieu au Canada contre les mesures anti-COVID prises par le gouvernement parfois jugées comme liberticides.

Afin de mettre un terme à ces contestations, le gouvernement de Justin Trudeau a choisi de bloquer les dons envoyés pour soutenir le mouvement et décidé de geler leurs comptes bancaires. Les banques étaient même autorisés à geler ces comptes en cas de suspicion sans même passer par l’avis préalable d’un juge.

Rapidement, les donataires ont décidé de faire face à ces interdictions en envoyant plus de 21 BTC (800 000 dollars américains à l'époque) au mouvement. Le gouvernement a riposté en tentant d'intercepter des fonds au niveau des plateformes d'échange de cryptomonnaies centralisées.

Si cet épisode a montré que Bitcoin peut jouer un rôle central lorsqu'il s'agit de faire face à des mesures liberticides, il a aussi rappelé l'importance d'échanger cet actif de façon décentralisé : conserver ses bitcoins sur une plateforme d'échange revient, comme pour une banque, à leur en laisser la propriété.

Le mouvement « End Sars Now »

En 2020, le Nigeria a été frappé par des manifestations majeures dans le cadre du mouvement « End Sars Now » (« Arrêtez le Sars maintenant »).

Ce mouvement s'était à l'époque développé pour dénoncer les violences policières perpétrées par le Special Anti-Robbery Squad (SARS), une unité de la police locale impliquée dans diverses affaires de meurtres et kidnapping. Au cours des manifestations, 10 personnes avaient été tuées en l'espace de quelques jours, selon Amnesty International.

Le groupe féministe nigérian nommé « Feminist Coalition » a alors vu ses comptes bancaires gelés par le gouvernement en raison de son aide active aux manifestants qui prenaient part au mouvement. En réponse, une adresse Bitcoin a été créée en quelques minutes afin de permettre de collecter des fonds pour payer les frais de santé, les aides juridiques et autres mesures de soutien aux manifestants.

À l'époque, le Nigeria était déjà l'un des pays les plus avancés en matière d'adoption des cryptomonnaies et particulièrement du Bitcoin. La valeur du naira, la monnaie locale, avait été divisée par deux en l'espace d'un an. Confrontées à des difficultés pour obtenir des dollars, les PME locales avait recours au Bitcoin pour commercer avec l'étranger.

32 % des nigérians avaient détenu ou utilisé des cryptomonnaies en 2020
32 % des nigérians avaient déjà détenu ou utilisé des cryptomonnaies en 2020

Au-delà du Nigeria, Bitcoin a montré à de nombreuses reprises qu'il était un allié pour les droits de l'Homme, particulièrement en Afrique. À ce sujet, voici ce que déclarait en 2021 Alex Gladstein, Directeur de la stratégie de l'ONG Human Rights Foundation :

« Bitcoin est un formidable levier pour les droits humains à travers le monde. Pour des millions de personnes, Bitcoin est une trappe de secours contre la tyrannie, les gouvernements autoritaires et l'effondrement des monnaies. »

Alex Gladstein
La diaspora salvadorienne

Le 7 septembre 2021, Bitcoin est devenu la deuxième monnaie officielle du Salvador après le dollar américain.

L'un des principaux avantages du Bitcoin pour les citoyens salvadoriens repose sur le fait qu'il offre la possibilité de diminuer les frais de transferts internationaux de manière drastique. Près de 25 % du PIB salvadorien est en effet actuellement consacré à l'envoi d'argent par la diaspora, notamment installée aux États-Unis.

Habituellement, les salvadoriens sont contraints d'utiliser les services d'acteurs comme Western Union dont les frais atteignent un pourcentage mirobolant du montant transféré. Bitcoin se présente ainsi comme une nouvelle alternative, au même titre que d'autres actifs numériques comme les stablecoins, en permettant de transférer à moindre frais de la valeur partout dans le monde.

Ce constat est valable pour la diaspora salvadorienne mais aussi celle de bien d'autres pays.

Les grains de sable dans l'engrenage

Après avoir évoqué tous ces éléments, que manque-t-il au Bitcoin pour être LA monnaie mondiale ? À vrai dire, encore beaucoup de choses.

Dans les faits, les rôles d'unité de compte et de réserve de valeur ne sont pas toujours remplis par Bitcoin. À titre d'exemple, les variations de son cours entre 2022 et 2023 permettaient à ses possesseurs d'acheter entre 1 et 4 voitures d'une valeur 15 000 euros suivant la date de l'échange ! Difficile d'imaginer utiliser une monnaie soumise à de telles variations, même si de nombreuses monnaies fiat font bien pire.

La volatilité du cours du jeton est en effet inhérente à son jeune âge, à sa faible capitalisation ainsi qu'au fait que son prix est l'unique résultat de l'offre et la demande. Il n'y a en revanche aucune raison pour que le bitcoin soit plus volatil que l’or à capitalisations égales. Patience, donc.

Par ailleurs, comme toute innovation, la mise en exergue de ses qualités fondamentales n'est pas synonyme de démocratisation immédiate. C’est un travail laborieux que de dissiper les préjugés inhérents à l’apparition d’un nouveau système, venant remettre en question l’ordre établi, tout comme l'est celui de démocratiser l'utilisation d'un nouvel actif disruptif.

Cela est d'autant plus difficile lorsque l'on sait que Bitcoin n'est pour le moment porté et défendu par quasiment aucune institution publique. Bitcoin se confronte ainsi aux intérêts divergents qui animent ces autorités étatiques et financières, l'acceptation d'une telle monnaie impliquant pour elles une perte de souveraineté importante.

En France, les commerçants sont par exemple dans l'obligation d'accepter l'euro. Grâce à cette obligation, toute une économie du paiement s'est mise en place autour de l'euro. La chose est plus complexe concernant Bitcoin, notamment du point de vue de son statut fiscal qui rend sa gestion quotidienne complexe pour un commerçant. Il faudra à la fois du temps et une volonté politique pour que cela change.

De plus, Bitcoin est au cœur de mécanismes liés à la loi de Gresham. Dès le 15ème siècle, un commerçant et financier anglais du nom de Thomas Gresham a théorisé une loi économique selon laquelle « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Concrètement, cela signifie qu'une devise de moindre qualité va prendre plus de place qu'une bonne monnaie, puisqu'elle est souvent davantage utilisée pour échanger.

Les monnaies fiat actuelles sont des monnaies faciles. L'inflation qu'elles provoquent entraîne une incitation à s'en séparer aujourd'hui, puisqu'elles vaudront moins demain. À l'inverse, la valeur d'un bitcoin s'apprécie au long-terme ce qui en fait un actif dur et incite les agents économiques à le conserver, le thésauriser. Après tout, pourquoi dépenser 1 bitcoin pour acheter une voiture si je peux en acheter deux dans cinq ans ?

Enfin, Bitcoin présente encore des limites en termes de scalabilité. Si toute la planète venait à l'utiliser demain, le réseau serait saturé et les frais exploseraient. Heureusement, ce problème est identifié et des solutions voient le jour, bien qu'encore imparfaites, telles que le Lightning Network. De nouvelles solutions et innovations émergeront à coup sûr ces prochaines années.

Bitcoin et les monnaies fiat peuvent-ils coexister ?

La cohabitation actuelle

Bitcoin et les monnaies fiat peuvent bien sûr coexister ! C'est par exemple la voie qu'a choisi de suivre le Salvador le 7 septembre 2021 en déclarant le Bitcoin monnaie légale, faisant donc de facto de Bitcoin une monnaie au même titre que le dollar américain. Ceci implique que le Bitcoin doit être accepté par l'ensemble des acteurs financiers et des commerçants du pays, et qu'il peut être librement utilisé par les salvadoriens. De quoi donner des idées à d'autres pays.

Par ailleurs, de nombreuses populations n’ont pas attendu l’aval de leur gouvernement pour utiliser Bitcoin, que cela soit causé par l'effondrement de leur monnaie locale ou la volonté d'avoir recours à une alternative décentralisée. Pour beaucoup, la volatilité intrinsèque du Bitcoin est toute relative, surtout en comparaison d'une monnaie soumise à une hyper-inflation.

Comme évoqué précédemment, les cas d’adoption du Bitcoin comme solution de dernier recours sont nombreux, notamment en Amérique Latine et en Afrique. Ces populations sont déjà habituées à une forte volatilité de leur monnaie et connaissent les risques de saisie, de censure et de spoliation.

Aujourd'hui, si Bitcoin est davantage utilisé comme outil incensurable de conservation de valeur que comme moyen de paiement, de plus en plus de commerces franchissent le pas. Depuis 2013, des ATM Bitcoin ont aussi été déployés dans de nombreux pays.

Plusieurs sites comme BTCmap, mapbitcoin ou coinmap répertorient des milliers de commerces qui acceptent Bitcoin partout dans le monde. Et leur nombre ne cesse d'augmenter !

Devanture d'un Subway qui accepte le Bitcoin
Devanture d'un Subway qui accepte le Bitcoin

L'adoption de demain

Bitcoin ayant été spécifiquement développé dans le but de répondre de la meilleure des manières aux principes fondamentaux sur lesquels repose la monnaie, il a de nombreuses qualités pour jouer ce rôle. Par ses caractéristiques, il offre une alternative décentralisée à certaines populations désireuses de reprendre le contrôle de leur monnaie.

Réserve de valeur, monnaie d'Internet, OVNI numérique, nouvel étalon numérique... Après tout, peu importe sa qualification. Bitcoin a quoi qu'il arrive le mérite de séduire de plus en plus d'utilisateurs à travers le monde, qu'ils s'y intéressent pour sa proposition de valeur originelle, sa montée en puissance face à système chancelant ou son caractère spéculatif.

Les monnaies fiat, quant à elles, perdent de plus en plus leur faculté à jouer leur rôle de réserve de valeur. Elles sont en revanche soutenues par des institutions qui ne semblent pas prêtes à abandonner leur pouvoir de battre monnaie.

L’adoption de cette nouvelle monnaie dépendra probablement des directives économiques menées par nos institutions, et de leur faculté à conserver la confiance de leur population dans les monnaies fiat. Le jour où ces institutions parviendront à mettre fin aux dérives qui leur sont associées, Bitcoin n'aura plus raison d'être.

En attendant, difficile de savoir ce qu'il adviendra du futur de Bitcoin. Peut-être prendra-t-il une autre dimension lorsque l'on arrêtera de qualifier sa valeur en fonction du dollar, car comme aiment tant dire certains bitcoiners : 1 BTC sera toujours égal à 1 BTC.

D'autant plus que les choses évoluent et que de nouveaux cas d'usage de Bitcoin font leur apparition au fil du temps, s'éloignant parfois totalement de ce que l'on peut attendre d'une monnaie, comme vous pourrez le lire dans l'article suivant.