La Blockchain a (aussi) disrupté la Com et le Marketing…
Mais c’était (un peu) involontaire !
Un constat pour commencer. J’aime bien les slogans façon Ecole de Commerce ou de Com’ des années 90 du style: “le Savoir-Faire oui, mais surtout le Faire-Savoir!”. Cependant, si c’est facile de se moquer, il faut quand même convenir que le plus beau projet du monde n’ira pas bien loin sans une communication efficace et un marketing calibré pour atteindre sa cible.
Ce sujet est même tellement essentiel que, le plus souvent et ce depuis la seconde moitié du XXème siècle, les entreprises ont externalisée cette fonction stratégique, la confiant à des agences spécialisées et force et de reconnaître que les années 2000, âge d’or des Internet, ont offert à ces entités des canaux inédits et d’une puissance insoupçonnée : sites web, marketing-mail, référencement, réseaux sociaux…
Voila pour cet instantané, que j’aimerais maintenant mettre en relation avec un phénomène qui n’a échappé à personne ces derniers mois: le bannissement de la communication crypto (typiquement les ICOs) des plateformes de certains géants du web :
- Facebook a interdit début janvier les publicités pour les cryptos, “fréquemment associées à des arnaques”.
- Mêmes causes et mêmes conséquences pour Google à partir de juin prochain.
- Fin des crypto-gazouillis également sur Twitter depuis le 2 avril.
- Décision un peu moins médiatisée, le géant de la newsletter MailChimps a également fait connaitre sa position sur le sujet : c’est un grand non.
Il est probable que la justification officielle soit sincère (la protection de la communauté contre les nombreuses arnaques et scam dont grouille le petit mais déjà lucratif monde de la crypto), mais il est également certain que ces leader du déjà ringard “web 2.0” (qui dit encore ça ?) aient trouvé là un moyen d’asphyxier momentanément un secteur dont ils sentent toute la dangerosité vis-à-vis de leur propre “business model” !
“Quand c’est gratuit… C’est toi le chargé de com” !
L’équation est complexe : d’un côté, un secteur en pleine ébullition, de nouveaux projets chaque jour, un écosystème inédit aux multiples potentiels, le tout assorti de besoins en financement colossaux (et le plus souvent hors des circuits bancaires habituels). De l’autre, de plus en plus de portes fermées empêchant de promouvoir et faire connaître ces projets à l’échelle internationale.
Comme souvent, rien de mieux qu’une bonne grosse crise pour pousser à la créativité et, alors même que le processus existe depuis quelques temps déjà, une approche se systématise : l’agrégation rapide et ex nihilo d’une énorme communauté autour des projets et la mise en ordre de bataille de cette communauté selon une stratégie d’occupation du terrain d’une redoutable efficacité.
Bref, un management précis et rapide de la notion de viralité.
(En réalité, un autre outils puissant s’impose également en parallèle de cette approche quantitative, il s’agit de la sollicitation – et pas pour la gloire – de certain des quelques centaines “d’influenceurs”de la planète blockchain, dont une vidéo YouTube ou un tweet bien orienté sont de nature à envoyer une ICO “to the Moon”… Pardon pour ce suspense insoutenable, mais le sujet méritera un article à lui tout seul !).
On rappellera également un paramètre important: la com et le marketing représentent des budgets importants, particulièrement pour une start-up balbutiante (on parle d’une moyenne de 5% des fonds, souvent beaucoup plus au regard du sujet qui nécessite un marketing ultra-affûté, à destination d’un public exigeant).
Ces raisons combinées ont créé les conditions d’une véritable ubërisation du marketing : plus d’agence de com’ professionnelle (ou très peu, au tout début du projet), pas de sollicitation d’acteurs traditionnels et la start-up ne se retrouve plus en première ligne dans de vaines sollicitations des grands réseau sociaux. Non, elle envoie les milliers de membres de sa communauté le faire à sa place !
Les naufragés de la campagne Bounty
Les techniques permettant de créer une communauté pléthorique ne manquent pas, particulièrement sur le sujet des cryptos qui peut donner à un œil peu averti, l’illusion d’un enrichissement rapide.
Ainsi, un “Airdrop” (distribution gratuite de quelques tokens) bien valorisé via les plateformes spécialisées, est-il aujourd’hui de nature à gonfler en quelques jours les groupes Telegram et comptes Twitter et Facebook liés à une ICO de plusieurs dizaines de milliers de membres.
Alors bien sur, pour reparler novlangue commerciale, cette audience n’est pas très qualifiée et le plus souvent simplement opportuniste, se moquant comme de son premier ripple du fond du projet et de son devenir, tant que la prime d’Airdrop est versée à l’issue de l’ICO. Un formulaire rempli en 45 secs, et le prochain est déjà ouvert dans l’onglet voisin du navigateur.
Cependant, quelques % de cette communauté vont aller un peu plus loin et participer à ce qu’on appelle une “campagne Bounty”, au profit des organisateurs de l’ICO.
En échange de leur force de travail, sur une période allant de plusieurs semaines à quelques mois, ces “mercenaires de la com” vont se faire ambassadeur / représentant / Community manager de la marque, l’ensemble orchestré par une nouvelle fonction : le Bounty Manager, gardien du Temple qui distribuera directives et primes (ce dernier étant également bien souvent lui-même un ancien “bounty hunter”).
Pour l’heure, c’est l’emblématique forum communautaire bitcointalk qui sert de support principal à ces opérations.
Traditionnellement, 2 à 3% de l’émission de tokens est réservée à ces campagnes d’un nouveau genre.
Sur le papier, tout le monde est gagnant : les start-up proposent une rémunération virtuellement gratuite pour elle et les participants se voient offrir l’opportunité de récupérer des tokens, non pas en échange d’un investissement financier mais de leur temps et leur force de travail. Si le projet fonctionne, c’est jackpot, et si (comme dans 80% des cas selon certaines sources) l’ICO se révèle stérile, au moins, les participants aux bounties n’auront perdues que quelques heures de leur temps…
Dans les faits, peu de garanties existent concernant la valeur potentielle des tokens (mais il s’agit là du lot commun en matière de crypto), non plus que sur la réalité du versement des primes (imaginez la fiabilité des voies de recours…). Parallèlement, les entreprises ne peuvent exiger la même qualité d’investissement et de production de la part d’individus qui ne sont pas des professionnels du secteur, qu’à une agence tenue à un devoir d’exécution contractuel.
Si les campagnes “réseaux sociaux” (s’engager à twitter/re-twitter, poster ou relayer sur Facebook ou Twitter un certain nombre de fois par semaine) ne requièrent pas de compétences particulières et réunissent en conséquence le “gros des troupes”, les missions “contenu” et traductions” matérialisent malgré tout certaines limites du système.
Difficile en effet de disposer “d’articles” d’une qualité similaire, ou simplement approchante, de la production de journalistes spécialisés, sans même parler des supports de publication aux audiences variables (Steemit, blogs persos…).
De même, la traduction du contenu marketing en une dizaine de langues (strict minimum pour un projet moyen actuellement), opération qui coûterait une fortune autrement, fait malheureusement trop souvent chauffer les serveurs de Google Translate…
Les résultats se révèlent parfois atroces, au détriment de la crédibilité du projet, particulièrement concernant le White Paper, véritable pierre angulaire de la mise en valeur de la société. Sa traduction maladroite peut aboutir à des contre-sens techniques, des problèmes d’échelles financières, voire pire, générer un risque légal en raison d’imprécision concernant les mentions obligatoires encadrant la vente de tokens.
En dépit de ces inconvénients, l’époque demeure à cette sollicitation de la communauté afin de garantir une large diffusion par “capillarité” des projets.
Cette période est intrinsèquement liée à l’adolescence du secteur et connaîtra probablement de profondes mutations et une certaine professionnalisation.
Les agences traditionnelles ne resteront d’ailleurs pas sans réaction. A ce titre, la récente apparition d’une branche dédiée aux ICOs au sein de l’agence française HAVAS, en partenariat avec Blockchain Partner démontre à quel point le sujet est pris au sérieux.
Sources : Latribune ; Lesechos lien 1 & lien 2 ; INC ; Neoptimal ; Bitcointalk ; News.Bitcoin ; Capital || images from Shutterstock.com