Analyse : 342 137 bitcoins disparaissent des exchanges

Keep calm & cool down : ceci n’est pas un piratageUn adage explique que se plonger dans le monde financier, c’est entrer dans le « terrier du lapin blanc ». Cette référence au livre « Alice au pays des Merveilles » signifie que les données analysables sont si nombreuses, qu’il est possible d’y perdre, outre beaucoup de temps, une partie de son esprit – en confondant nos espérances avec la réalité. Aujourd’hui, nous nous attacherons à l’analyse d’une donnée dont la variation nous semble significative : la quantité de bitcoins détenus par les plateformes de change.

Sur la trace des bitcoins disparus

Les médias traditionnels commettent régulièrement une de ces erreurs dont ils ont le secret. Ils classent les portefeuilles détenant des bitcoins par quantité, et crient aux manipulations de marché en constatant la quantité impressionnante de bitcoins stockés sur certaines adresses.

Spoiler : elles n’appartiennent pas à des baleines, mais ce sont simplement les adresses des plateformes de change, bien garnies par leurs utilisateurs.

Autrement dit, ces adresses n’indiquent pas qu’une personne physique détient une quantité monstrueuse de bitcoins, mais qu’une entité (l’exchange) la détient, au nom de ses utilisateurs.

Ce qui est à la fois un défaut et une qualité – la quasi-transparence du réseau Bitcoin – nous permet donc de lire gratuitement ces données, qui sont publiques :

Bitcoin rich list
Le portefeuille qui détient aujourd’hui le plus de bitcoins appartient à la place de marché Huobi.

342 237 bitcoins s’éloignent du marché des cryptomonnaies

Les données ci-dessous nous sont fournies par l’intermédiaire de Glassnode. Elles représentent la variation de la quantité totale de bitcoins détenus sur les adresses (référencées) des exchanges. On y retrouve donc tous les exchanges principaux : Binance, Bitfinex, Coinbase, etc.

Bitcoin cours vs solde exchanges
En jaune la quantité de bitcoins détenus par les exchanges ; en noir, le prix de BTCUSD.

La partie qui nous intéresse pour cet article est la variation de cette quantité lors du dernier mouvement baissier, à droite de l’image. Au plus haut, le 9 février, les exchanges stockaient 2,7 millions de bitcoins. Ils détiennent aujourd’hui 2,3 millions de bitcoins, soit une variation d’à peu près 15%.

Cette baisse est-elle significative ? Elle l’est selon nous, mais nous vous laissons juger.

Que faut-il en déduire ?

Nous en revenons à l’introduction : explorer les données et tenter de les exploiter (les interpréter), c’est entrer dans le terrier du lapin blanc. Nous nous attacherons donc à réaliser quelques déductions synthétiques, les moins coûteuses possibles du point de vue du raisonnement.

De fait, la moins coûteuse des déductions est la conséquence immédiate et pragmatique de cette variation. Si ces bitcoins disparaissent des exchanges, ils sont plus difficilement vendables. Cela réduit donc l’offre disponible, en créant un déséquilibre du ratio offre/demande, permettant au marché de monter. Ce raisonnement doit cependant être pondéré, en raison de l’existence du marché des produits dérivés (comme BitMEX), qui permet d’exercer une forte pression baissière, sans pour autant posséder des bitcoins.

Une fois cette conséquence énoncée, nous pouvons nous poser une question plus coûteuse, qui tenterait de répondre au « pourquoi ? ». Nous voyons ici 2 éléments de réflexion, qui consistent tous deux en une modalité de gestion du risque, de type « défaillance d’un exchange » (ex : piratage) :

  • Le crash du marché des cryptos relatif au covid-19 fut un événement que l’on peut qualifier d’historique : le mouvement baissier fut très important. Il fut probablement accentué par la défaillance de l’algorithme d’une place de marché, BitMEX, en l’espèce. Nous avions d’ailleurs publié un article au nom évocateur : BitMEX perd 71 000 bitcoins. Ainsi, une partie de la demande achète des bitcoins sur les places de marché et préfère ensuite les retirer, pour les stocker sur un portefeuille électronique. Il est à noter que si c’est le cas, cette population est particulièrement éduquée au monde des cryptomonnaies, particulièrement « smart », ce qui nous amène au point suivant.
  • Une population particulièrement aisée et intelligente achète massivement des bitcoins et les met de côté, en sécurité, sur des portefeuilles électroniques. Si cette hypothèse est vraie, il s’agit très probablement d’acteurs institutionnels. Rappelons tout de même que nous parlons probablement de plus de 2 milliards de dollars de bitcoins mis de côté. Attention cependant à la mauvaise interprétation. Quand bien même ce dernier élément est vrai, il est très coûteux et trompeur d’en déduire que « le marché va donc monter ». Tout est une question de timing, et si à long terme notre conviction est bien évidemment que le cours du bitcoin est haussier, cela n’implique pas qu’il n’y aura pas un nouveau passage par les 5 000 $ (ce qui ne remettrait pas en question la tendance haussière). Attention donc à ce type de déduction.

Pour lever toute ambiguïté, nous estimons sans aucun doute que ce comportement est plutôt haussier, en raison de la réduction de l’offre disponible sur les places de marchés.

Une analyse du comportement passé de la variation de cette mesure, mise en relation avec le prix, pourrait être intéressante… mais les données fournies par Glassnode ne semblent à première vue pas suffisamment qualitatives pour que les conclusions soient pertinentes. Welcome to the rabbit hole !

NB : si cette analyse vous a intéressé, signalez le en commentaires, ici, ou ailleurs. Une seconde partie intéressante pourrait être de s’intéresser à la variation de la quantité d’ehters détenues sur les plateformes. Pump or dump ? 😉

Illustration : Lukasz Stefanski/Shutterstock.com

Lucas E.

Cofondateur & ex-Directeur de publication du média que vous lisez en ce moment même, je refais surface de temps en temps, pour écrire des billets d'analyse financière sur le marché des cryptomonnaies.