10 ans de Bitcointalk : Grands événements et petites histoires du principal forum de la crypto

Satoshi Nakamoto. Ce patronyme, équivalent japonais du « John Doe » américain (ou d’un « Paul Dupont », chez nous autres mangeurs de croissants) réveille chez la plupart d’entre nous un panel d’émotions, de nature somme toute un rien Pavloviennes : le créateur de Bitcoin réveille les passions. En effet, tout ce qu’on connait de sa vie fugace et exclusivement numérique réunit des ingrédients qui font habituellement le sel des bons romans d’anticipation !

Cependant, une fois n’est pas coutume, cette série d’articles ne sera pas une énième itération du grand jeu de la décennie « Enquête : à la recherche de Satoshi », ou une thèse de plus rappelant sous un nouvel angle à quel point Bitcoin représente une création majeure, digne d’être rapprochée de celle de l’imprimerie, de la machine à vapeur ou du protocole TCP/IP (la manière crâneuse de désigner Internet).

Non, aujourd’hui il va être question d’un autre outil mis au monde, simultanément avec le minage des premiers Bitcoin : le forum Bitcointalk. Cet espace de discussion, qui aujourd’hui encore demeure une référence absolue dans la communauté, régie par ses règles et ses valeurs propres. Cette autre création de Nakamoto poursuit d’ailleurs un arc narratif étonnamment similaire au Bitcoin : dans les deux cas, le fondateur s’est rapidement éclipsé après s’être assuré que l’ensemble fonctionnerait sans lui, dans les deux cas, la « chaîne » principale a connu des « forks », des tentatives de piratages…. Dans les deux cas enfin, les événements majeurs et les petites histoires de 10 ans de croissance de la blockchain de Bitcoin sont gravés dans un large registre partagé, disponible pour chacun !

Du journal intime de Satoshi à la multinationale de la blockchain, une décennie de Bitcointalk.

Bitcointalk en chair et en cryptos

BitcoinTalk logo

Quelques chiffres

Dire que bitcointalk.org est LE site crypto et blockchain de référence ne souffre pas grande contestation. Avec plus de 2.5 millions d’inscrits, rares sont les membres de la petite communauté crypto mondiale à ne pas connaitre le forum, voire à ne pas disposer sur celui-ci d’un compte actif. À l’heure actuelle, 20 000 personnes rejoignent le forum chaque mois (bien loin cependant de près de 200 000 membres qui s’inscrivaient en décembre 2017, durant le fameux bull run). En juillet 2019, c’est près de 53 millions de post qui ont été rédigés, sur 1,2 million de sujets (même si, on en conviendra, ces 53 millions de messages présentent des valeurs variables…). Pour les amoureux des statistiques insensées, en y consacrant 12 heures par jour, il vous faudrait plus de 24 ans pour lire l’ensemble de ces posts.

Les échanges se font dans 22 langues nationales (y compris le français), même si personne ne tombera à la renverse en apprenant que 80% de l’activité de Bitcointalk se décline dans la langue de Shakespeare.

Ah, fun fact : le  « vrai » nom de Bitcointalk est en réalité « Bitcoin Forum », ce qui claque moins, on en conviendra.

Et puisqu’on parle d’identité, honneur à l’unique parent formellement identifié : Satoshi Nakamoto lui-même !

Le testament de Satoshi

Ce qui rend Bitcointalk fascinant, outre le fait qu’il est donc mis en place par Satoshi Nakamoto en personne (au même titre que Bitcoin.org), c’est que le forum contient encore aujourd’hui l’intégralité des messages que le fondateur échangeait alors avec la minuscule communauté qui posait tout juste le pied sur ce tout nouveau continent.

Le 22 novembre 2009, Satoshi Nakamoto souhaite la bienvenue aux premiers inscrits sur le Bitcoin Forum:

Quasiment 1 an auparavant jour pour jour, il avait mis en ligne le célèbre Livre Blanc de Bitcoin. Le premier bloc Genesis quant à lui avait été miné le 3 janvier 2009.

Au moment de ce premier post sur Bitcointalk, près d’1,4 million de BTC ont déjà été extraits (ah, la noble époque où chaque bloc miné avec un ordinateur milieu de gamme offrait une récompense de 50 Bitcoins !). La plupart de ces BTC sont stockés sur les wallets de Satoshi – dont ils n’ont d’ailleurs toujours pas bougé -, ainsi qu’entre les mains des premiers développeurs et des quelques geeks qui ont eu  la clairvoyance et le courage nécessaire à mettre les mains dans le cambouis.

À compter de cet instant et jusqu’au 12 décembre 2010 date de sa dernière connexion, Satoshi Nakamoto va rédiger en 12 mois 575 messages sur le forum, tous consultables sur son profil. À quelques rares exceptions, ces messages sont techniques, rédigés dans un anglais académique parfait, plutôt très directifs et permettent d’orienter les premiers travaux des développeurs dans le cadre de l’amélioration de Bitcoin Core.

Ainsi, si Satoshi communique sur d’autres supports, c’est bien sur Bitcointalk que l’essentiel de son oeuvre est consultable. La teneur de ses messages dresse le profil d’un individu consciencieux, avare de quoi que ce soit n’ayant pas un rapport très direct avec le fonctionnement de sa création et semblant mener une forme de course contre la montre qu’il savait ne pouvoir gagner.

À ce propos, si l’hypothèse selon laquelle « Satoshi Nakamoto » a pu être un intitulé générique derrière lequel se seraient dissimulés plusieurs individus se fonde sur quelques arguments sérieux, il est malgré tout manifeste que tous les messages sur le forum ont été rédigés par la même personne.   

Bitcointalk, le Livre d’Histoire de la crypto

Si aujourd’hui, les sources d’informations sur Bitcoin et la blockchain foisonnent, songeons que Bitcointalk a constitué pendant des années l’unique porte d’entrée sur un secteur encore largement underground. À ce titre, le forum générera un fort sentiment d’appartenance communautaire et sera régulièrement le théâtre de nombre d’événements fondateurs, des plus essentiels aux plus folkloriques !

Premier exchange et premier pool de minage

Dés le 15 janvier 2010, un membre propose la mise en place du premier exchange Bitcoin – fiat. Quelques mois plus tard, la difficulté de minage croissant, Slushpool émet la première proposition de pool de minage qui est postée sur Bitcointalk (et existe toujours, près d’une décennie plus tard !).

Le premier « Alt-coin »

Si l’intitulé même de l’URL annonce la couleur, un simple coup d’œil aux différents salons du forum montre à quel point Bitcoin ne représente plus aujourd’hui l’unique sujet de Bitcointalk. C’est ainsi des milliers d’autres cryptos, coins et autres tokens qui ces dernières années sont régulièrement venus alimenter des discussions souvent animées.

Des pires shitcoins aussi vite apparus qu’évacués dans les limbes, en passant pas les scams les plus tristement célèbres et jusqu’aux premiers pas de monnaies aujourd’hui devenues incontournables, le forum est à la fois un catalogue et un livre d’histoire ouvert qui racontent toutes les innovations – plus ou moins disruptives – d’une décennie de blockchain.

C’est ainsi en avril 2011 que le premier « Alt-Coin » (soit littéralement, toute crypto ayant le déshonneur de ne pas être Bitcoin) est présenté en fanfare sur Bitcointalk : le NameCoin (NMC).

Le premier « Vous avez raté le Bitcoin…»

Avec son total supply de 21 milliards d’unités (versus 21 millions pour BTC), c’est à l’époque une innovation de rupture. En effet, si le NameCoin est formellement un fork de la blockchain Bitcoin, la monnaie propose par ailleurs, et pour la première fois, une fonctionnalité concrète : décentraliser la gestion des noms de domaines Internet. À ce titre, cette première « Alt » préfigure les innovations qui verront un peu plus tard les cryptos passer du statut de « simples » monnaies, à celui d’outils à tout faire, créant les conditions permettant l’avènement de la future « tokenisation de l’économie ».

Le premier faucet

Un « faucet » (« robinet ») est dans le contexte crypto, un site ou un logiciel qui permet à ses utilisateurs de percevoir gratuitement quelques fractions de cryptomonnaies sur une base régulière.

Bien évidemment, cette alléchante proposition est assortie de conditions. La plupart du temps, il s’agira de mettre à disposition une partie de votre temps de cerveau disponible pour cliquer sur des bannières ou visionner des spots de publicité (matérialisant parfaitement le concept de 4ème révolution industrielle : les entreprises du web ne vous vendent plus rien et par une inversion de paradigme, se proposent même de rémunérer votre attention).

Si le système permet de se familiariser avec le sujet et d’obtenir ses premiers satoshis sans bourse délier, peu de chance de devenir un cryptomillionnaire par ce biais !

Sauf si vous étiez devant Bitcointalk le 11 juin 2010 ! Ce jour là Gavin Andresen annonçait la mise en place du premier faucet Bitcoin. Ce dernier était dépourvu de la moindre arrière-pensée mercantile :  Andresen souhaitait juste faire connaitre le sujet au plus grand nombre et quoi de mieux qu’une distribution d’échantillons gratuits pour ce faire, non ?

« Pour mon premier projet de codage Bitcoin, j’ai décidé de faire quelque chose qui sonne vraiment stupide : j’ai créé un site web qui donne des Bitcoins. Il est disponible à l’adresse suivante : https://freebitcoins.appspot.com/. Cinq ฿ par client, premier arrivé, premier servi, je l’ai approvisionné avec ฿1,100 pour commencer. J’en ajouterai plus une fois que je serai sûr qu’il fonctionne correctement.

Pourquoi ? Parce que je veux que le projet Bitcoin réussisse, et je pense qu’il a plus de chances d’être un succès si les gens peuvent obtenir une poignée de pièces pour l’essayer. Il peut être frustrant d’attendre jusqu’à ce que votre nœud génère des pièces (et cela deviendra encore plus frustrant à l’avenir), et l’achat de Bitcoins est encore un peu trop compliqué. » Post de Gavin Andresen sur Bitcointalk

La seule vraie corne d’abondance

Un captcha, une adresse bitcoin un clic et c’était tout. Le montant de cet « échantillon » ? 5 bitcoins, soit dans les 50 000 euros au cours actuel !

Plusieurs milliers de BTC seront distribués par le faucet avant qu’il ne se tarisse définitivement…

À noter que l’ami Gavin, en plus de jouer au père noël s’est vu remettre par Satoshi Nakamoto la fameuse clé d’alerte permettant de diffuser en cas de besoin un message urgent à tous les nodes Bitcoin.

La première ICO et les prémices des grands projets

Si les ICO (Initial Coin Offering) ont connu leur heure de gloire en 2017, c’est encore et toujours sur Bitcointalk que l’on retrouve la trace des premières opérations de ce type.

En juillet 2013, J.R Willett a une idée lumineuse : procéder à une levée de fonds en Bitcoin, de manière à lancer sa start-up crypto. La contrepartie à cet investissement est simple : une certaine quantité de la cryptomonnaie nouvellement créée, baptisée MasterCoin.

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L’histoire retiendra que pour cette première itération Willett lèvera en 30 jours 4 740 bitcoins (environ 500 000 dollars de l’époque), mais surtout qu’il lancera le coup d’envoi d’une lame de fond qui brassera des dizaines de milliards de dollars dans les années qui suivront.

C’est aussi sur Bitcointalk qu’on retrouve les annonces initiales de projets qui structurent l’écosystème actuel, de la présentation du projet Ethereum par le jeune Vitalik à l’annonce de l’ICO de WAVES ou de Stellar

Un garçon plein d’avenir

Consulter ces threads sur le forum permet de se remémorer l’incroyable jeunesse du secteur et de relativiser l’empressement que nous pouvons parfois ressentir à l’idée que l’économie crypto ne s’impose pas plus rapidement encore.

Le Pizza day

Le 18 mai 2010, le développeur Laszlo Hanyecz, pilier de la communauté naissante, décide de faire d’une pierre deux coups : combler une envie soudaine de gastronomie italienne et procéder en passant au premier achat dans le monde réel à l’aide de Bitcoin. C’est évidemment sur Bitcointalk que l’intéressé fait état de sa fringale qui demandera mine de rien prés de 4 jours avant d’être satisfaite.

C’est un membre résidant en Grande Bretagne qui acceptera finalement de lui commander et faire livrer 2 belles regina toutes chaudes sorties du Papa John local. Montant du deal ? 10 000 unités de cette bizarrerie numérique qu’était alors le Bitcoin (soit 79 millions de dollars au moment de la rédaction de l’article commémoratif de cette année) !

« Non, mais moi je voulais une 4 fromages »

Au-delà de ce montant, on appréciera en connaisseur l’apparition de la première commémoration autour du Bitcoin, la communauté considérant dorénavant comme un devoir sacré de s’empiffrer de pizza tous les 18 mai.

« HODL ! »

Éructation que nous croisons souvent au détour des discussions crypto, souvent adressée à celui qui semble prêt à faillir et vendre ses bitcoins sur un coup de panique.

La quasi-interjection « HODL !» (qui se doit d’être hurlée, comme à la proue d’un navire en pleine tempête), a vocation à rappeler aux égarés qu’en dépit de la tourmente, il convient de rester fort et de conserver coûte que coûte ses cryptos, en l’attente de jours meilleurs.

Déformation de « hold » (détenir, conserver dans la langue de Donald), le concept est donc simple à comprendre: les cryptos, on les garde. Les « hodlers » sont souvent considérés comme les pendants des « traders », partisans eux, de l’achat et de la vente tactique et sans remords sur une base régulière.

Une des maximes favorites des hodlers : « Pas vendu, pas perdu », véritable mantra en 2018.

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Et d’où vient ce sympathique folklore ? De Bitcointalk bien entendu ! Le 18 décembre 2013, le membre GameKyuubi, ayant visiblement attaqué le Réveillon en avance et ne jouissant plus de toutes ses facultés cognitives et de rédaction, va commettre un post avec beaucoup trop de majuscules, et faire à plusieurs reprises la fameuse faute (« hodl » au lieu de « hold »), provoquant l’hilarité générale. Personne alors ne se doute alors que ce moment d’égarement deviendrait un des MEME crypto les plus célèbres, et limite carrément une philosophie d’investissement pour beaucoup.

Une soirée compliquée

Si l’histoire de la crypto et de la blockchain s’écrivent aujourd’hui bien au-delà des limites du forum, Bitcointalk demeure un lien grouillant de vie et le point de ralliement d’une grande partie de la communauté.

Pour autant, on ne passe pas d’un espace de discussion confidentiel réunissant quelques dizaines de passionnés monomaniaques à une énorme machine de plus de 2.5 millions de membres, sans profondes mutations, et quelques concessions.

Ce sera le sujet du prochain chapitre, que nous vous invitons à consulter dès maintenant.

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Ex-rédacteur en chef du Journal du Coin j'apporte ma petite pierre à l'édifice financier global qui émerge sous nos yeux. Les insultes, scoops, propositions de sujets, demandes en mariage et autres corbeilles de fruits sont à livrer sur mes différents comptes sociaux. Vous pouvez également venir discuter sur le groupe FB associé à l'initiative Tahiti Cryptomonnaies