Si les stablecoins ont, comme leur nom l'indique, été conçus pour avoir un cours stable, il n'en est rien de leur histoire qui fut assez mouvementée. Bien que le passé ne permette pas de prédire l'avenir, l'état actuel des choses laisse présager un futur plein de changements et différents scénarios sont envisageables. À notre avis, une chose est sûre : ils ne sont pas près de disparaître !
Mais quel sera le modèle le plus utilisé demain ? Les Monnaies Numériques de Banques Centrales (MNBC) prendront-elles la place des stablecoins actuels ? Connaîtra-t-on d'autres événements catastrophiques tels que l'effondrement de l'UST de LUNA ? Voyons ensemble les quelques destins que nous envisageons pour l'avenir des stablecoins.
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Table des matières
Les stablecoins, un enjeu de souveraineté monétaire
Un enjeu pour la souveraineté des États
Avant d'aller plus loin, rappelons ici qu'être un État souverain, c'est être un État indépendant vis-à-vis de l'extérieur, et exercer à l'intérieur une puissance absolue quant à l'édiction et le contrôle du respect des règles de la nation.
Un État monétairement souverain est un État qui peut décider seul du medium monétaire qui sera utilisé par l'ensemble de ses citoyens et entreprises nationales. L'État décide également, via sa banque centrale, de la création de la monnaie et gère la politique monétaire.
C'est précisément cette faculté que les stablecoins (au même titre que Bitcoin, bien que différemment) viennent mettre en défaut, et qui nous laisse penser que l'état actuel des choses va évoluer.
Une lueur d'espoir pour certains
Si ces stablecoins représentent une épine plantée dans le pied de la politique monétaire de certains États, ils sont en revanche une solution toute trouvée pour d'autres, notamment pour les habitants de certains pays en voie de développement.
Comme nous l'avons développé dans notre article consacré à l'origine et les fondements des stablecoins, leurs cas d'usages représentent des avantages indéniables pour toute une partie de la population.
Ainsi, les États qui font l'objet de sanctions financières internationales peuvent, via les stablecoins décentralisés, s'exposer à des monnaies étrangères et commercer à l'international pour atténuer la portée de ces sanctions.
De plus, les citoyens de pays d'Afrique, d'Asie du Sud-Est, d'Amérique Centrale ou d'Amérique Latine, peuvent utiliser les stablecoins pour se couvrir contre le risque d'hyperinflation de leur monnaie locale.
Le recours à la blockchain est également une réponse à la sous-bancarisation qui constitue un obstacle majeur à la liberté d'entreprendre et au développement économique personnel au sein de ces États.
Pour ces mêmes citoyens, les stablecoins peuvent permettre d'envoyer ou de recevoir de l'argent en quelques minutes, sans avoir pour autant à subir les frais inhérents à l'utilisation du système financier classique.
Évidemment, l'État risque de voir d'un mauvais œil le fait que ses citoyens commencent à utiliser une autre forme de monnaie que celle qu'il émet.
Les facteurs qui auront un impact sur les stablecoins
Les réglementations
Si nous sommes convaincus que les lois seront de plus en plus strictes et précises concernant ce type d'actifs, il nous est difficile de nous prononcer sur la tournure qu'elles prendront et l'impact qu'elles auront sur les stablecoins et leur utilisation.
Nous pensons cependant que les stablecoins les plus encadrés seront certainement ceux qui auront le plus de succès. Si certains modèles comme le LUSD sont aptes à résister à de nombreuses pressions et tentatives de censure, le grand public et les plateformes d'échanges se tourneront vers les stablecoins qui offrent le plus de garanties légales.
La démarche récente de Binance avec le Monero illustre parfaitement ces propos, même s'il ne s'agit pas d'un stablecoin. La protection de la vie privée, assurée par l’anonymat des transactions, a bien été sacrifiée sur l’autel de la conformité.
Fin 2023, PricewaterhouseCoopers (PwC), un réseau international d’entreprises spécialisées dans des missions d’audit, d’expertise comptable et de conseil, a publié un rapport sur la réglementation des cryptomonnaies dans le monde. Leur étude révèle que des avancements significatifs ont été réalisés dans la réglementation des actifs numériques à l’échelle mondiale tout au long de l'année 2023, mais que le travail n'est pas terminé :
- 25 pays seulement (sur 197) ont adopté des lois concernant les stablecoins. La France et d'autres pays d'Europe en font partie (Autriche, Danemark, Estonie, Finlande, Allemagne, Grèce, Luxembourg, Portugal, Espagne et Suède) ;
- Sur les 43 pays apparaissant dans ce rapport, seulement 8 n'ont encore mis en place aucune réglementation relative aux stablecoins, tandis que les 10 autres sont en train d'étudier le sujet.
D'après PwC, 2024 serait l'année de « la construction d’une base pour un écosystème florissant, où des directives réglementaires claires agissent comme la pierre angulaire d’une stabilité renouvelée ».
Si l'avenir ne s'annonce pas si florissant que ça pour tous, il est cependant clair que les autorités ont d'ores et déjà pris les choses en main en Europe. L'entrée en application du règlement MiCA en juin 2024 concernant les dispositions relatives au stablecoins a déjà permis de redistribuer les cartes d'un jeu qui ne fait que commencer.
L'adoption des institutionnels
À l'instar des États avec les MNBC, de plus en plus de très grosses sociétés/banques étudient la possibilité d'émettre leur propre stablecoin. Le lancement du PYUSD par le géant PayPal en août 2023 en est l'illustration.
Certains, comme le groupe Bernstein, pensent que l'on assistera bientôt à une croissance exceptionnelle du secteur et prévoient un marché des stablecoins à 3 000 milliards de dollars d'ici à 2028 (+ 2000 %).
L'arrivée dans ce secteur de groupes très puissants financièrement parlant, pourrait avoir un impact significatif sur les réglementations. En effet, même s'ils ne font pas eux-mêmes les lois, ils sont souvent habitués aux « batailles » avec les régulateurs, disposant des moyens humains et financiers pour défendre leurs intérêts.
La progression des MNBC
L'inertie des États est bien plus importante que celle des particuliers et des entreprises privées. Mais une fois que la machine est lancée, il devient souvent difficile de l'arrêter.
Comme nous l'avons vu dans l'article précédent, les chantiers sur les MNBC se multiplient partout sur la planète, obtenant de plus en plus de financement de la part des États et des banques centrales. De plus en plus abouties et offrant des avantages non négligeables à ses émetteurs, il nous paraît peu probable que les MNBC ne prennent pas de l'ampleur dans les années à venir.
Dans une étude menée par la Bank for International Settlements (BIS), 86 banques centrales ont été interrogées et 93 % d'entre elles ont déclaré mener des travaux sur les MNBC. D'après ce rapport, quinze banques centrales pourraient mettre en circulation leur MNBC d'ici à 2030, dont celles de l’Inde, de l’Angleterre ou encore de l’Union européenne.
Les avancées technologiques
Bien que différents, tous les types de stablecoins présentent actuellement des inconvénients non négligeables pour les utilisateurs (stabilité, transparence, confiance, etc.).
L'apparition d'un nouveau mode de fonctionnement pourrait changer la donne. Un stablecoin qui garantirait la parité avec l'actif sur lequel il est indexé, de manière à la fois transparente et sécurisée, avec une liberté et une facilité d'utilisation, aurait toutes les chances de détrôner rapidement l'USDT. Mais ceci ne reste qu'une utopie à l'heure actuelle…
Différents scénarios envisageables pour l'avenir des stablecoins et des MNBC
N'ayant pas de dons de voyance, nous avons été obligés de faire appel à notre imagination pour élaborer les scénarios que nous vous présentons ci-dessous. Nous vous laissons bien sûr le soin de juger par vous-même de leur probabilité, en espérant que l'un d'eux se réalisera un jour.
Scénario 1 : coexistence pacifique
Dans ce scénario, les stablecoins et les MNBC coexistent sans entrer en concurrence directe, car ils répondent à des besoins différents.
Les stablecoins servent principalement à faciliter les transactions avec les autres cryptomonnaies, notamment dans le domaine de la finance décentralisée. Les MNBC quant à elles, offrent une alternative numérique à la monnaie fiduciaire, avec les garanties et la sécurité offertes par les banques centrales.
Les deux types de monnaies sont réglementés et supervisés par les autorités compétentes, qui assurent la protection des consommateurs et la stabilité financière.
C'est le scénario qui nous semble le plus probable dans un futur proche.
Scénario 2 : concurrence accrue
Dans ce scénario, les stablecoins et les MNBC entrent en concurrence directe, étant tous les deux numériques et ayant la même valeur.
Les stablecoins bénéficient d’une meilleure intégration à la finance décentralisée, et offrent plus de liberté à leurs utilisateurs (anonymat ou pseudonymat). Les MNBC jouissent d’une plus grande confiance et d’une meilleure résilience.
Les deux types de monnaies sont soumis à des réglementations strictes, et ont chacun de fervents défenseurs. D'une part les banques centrales et les États, qui veulent accroître leur contrôle sur la population et leur pouvoir sur la monnaie, soutiennent les MNBC. D'autre part les banques commerciales, qui luttent pour conserver leur place, et les citoyens qui se battent pour la défense de leur liberté, préfèrent les stablecoins.
Scénario 3 : suprématie des MNBC
Dans ce scénario, les MNBC deviennent le principal moyen de paiement numérique, étouffant les stablecoins. Ces derniers sont marginalisés ou interdits, présentés comme un risque pour la souveraineté monétaire, la stabilité financière et la sécurité des utilisateurs.
Pour y parvenir, l'argument sécuritaire est bien entendu mis en avant, insistant sur la prévention des activités illicites, le renfort de la politique monétaire et l'amélioration de l’inclusion financière.
Un événement tel que l'effondrement de l'USDT, stablecoin de loin le plus utilisé pour le moment, pourrait être un accélérateur pour voir ce scénario devenir réel. Une révélation choc sur le manque de réserve d'un émetteur ou une attaque informatique pourraient être la cause d'une panique générale sur les marchés, entraînant la perte de la parité de certains stablecoins avec le dollar.
Si les 100 milliards d'USDT venaient à ne plus rien valoir, l'impact sur le marché crypto en général serait considérable et il mettrait certainement du temps à s'en relever.
Scénario 4 : suprématie des stablecoins
Dans ce scénario, les stablecoins restent les principaux actifs numériques répliquant la valeur des actifs sur lesquels ils sont indexés.
Les MNBC sont boudées des utilisateurs, perçus comme trop intrusifs et manipulables, et étouffées par les banques commerciales qui ne souhaitent pas perdre leur pouvoir.
Les stablecoins profitent de l’essor des cryptomonnaies pour prendre de l'ampleur et deviennent « too big to fail ». Les États se résignent à reléguer les MNBC à un rôle secondaire, et utilisent eux-mêmes des stablecoins dans leurs échanges.
Les États dont les citoyens utilisent en masse des stablecoins indexés sur d'autres monnaies que celle qu'ils émettent perdent le contrôle de la monnaie, ce qui entraîne de facto l'obsolescence programmée de la politique monétaire menée par ce pays, et par voie de conséquence, de sa banque centrale.
Comme nous l'avons évoqué précédemment dans cet article, le nombre de chantiers de MNBC engagés, les sommes employées et les avantages pour les États et les banques centrales à déployer les MNBC rendent tous de même ce scénario peu probable.
Scénario 5 : disruption technologique
Dans ce scénario, les stablecoins et les MNBC sont dépassés par l’émergence de nouvelles technologies ou de nouveaux acteurs, qui remettent en cause le rôle des monnaies traditionnelles et des banques centrales.
Bitcoin (ou un autre projet) est adopté mondialement et les monnaies fiduciaires sont délaissées. Ces innovations créent de nouveaux défis et opportunités pour les autorités monétaires et financières, ainsi que pour les utilisateurs.
Le mot de la fin
Vous l'avez compris, nous ne sommes pas en mesure de vous dire avec précision ce qu'il adviendra des stablecoins et des MNBC dans les années à venir, mais nous pensons qu'ils prendront de plus en plus d'ampleur dans le paysage économique mondial.
Associés aux paiements sans contacts, par carte bancaire ou avec un smartphone, il est tentant de penser qu'ils viendront sûrement faire de l'ombre aux pièces et aux billets de banque. Surtout en vivant dans l'hexagone, où, d'après la Banque de France, seulement 9 % des français choisissent de régler leurs achats en espèces.
Mais contrairement aux idées reçues, il n’y a jamais eu autant d’argent liquide en circulation dans toute notre histoire. Il est donc plus probable que les stablecoins viennent déjà grignoter des parts de marché dans celui des paiements électroniques, avant de s'attaquer au cash.
En effet, malgré tous les progrès technologiques et les efforts des banques françaises pour limiter le cash (essayez de demander un billet de 500 euros à votre banque...), une grande partie de la population mondiale continue d’utiliser l’argent liquide pour diverses raisons, notamment l'habitude, la confidentialité et la facilité d’utilisation. Les stablecoins comme les cryptomonnaies en général ont encore du chemin à parcourir...
C'est déjà la fin de ce Chapitre dédié aux stablecoins. Ne vous inquiétez pas, la suite de l'Encyclopédie du Coin arrive très prochainement... !