Résistance au fascisme numérique : nous avons tous une dette envers Edward Snowden

Aujourd’hui, cet article va exceptionnellement déborder quelque peu de nos sujets bien-aimés habituels, pour se concentrer sur le parcours d’un homme que chacun connait, mais sans toujours peser peut-être à quel point nous lui sommes redevables : l’incarnation du concept de lanceur d’alerte, Edward Snowden.

L’occasion est parfaite. Edward fait la une ces jours-ci, à l’occasion de la sortie de ses mémoires « Permanent Record » (Titre français : « Mémoire Vive »), ouvrage qui a de fortes chances d’être un grand succès d’édition. L’événement est important dans l’histoire des progrès et recul des libertés ! Presque aussi important que la France refusant l’asile à l’intéressé pour la seconde fois en 6 ans.

Cependant, la population dans son ensemble, pas nécessairement au fait des enjeux sous-jacents, si elle connait le visage d’éternel adolescent d’Edward Snowden, passera, on le sait, bien vite à autre chose.

La communauté crypto, plus que toute autre, doit savoir occuper les avant-postes s’agissant du respect que doit inspirer le destin d’Edward Snowden, autant qu’être indigné concernant le traitement qu’il subit aujourd’hui.

Ainsi, si on va parler des rapports de Snowden à la crypto (un peu), profitons-en également pour nous rappeler à quel point ses choix et ses décisions ont eu un impact positif sur les politiques publiques de la protection de la vie privée des individus. 

Ou comment la décision improbable de courage d’un humble ingénieur informatique à Hawaï en 2013 aura pour effet de contraindre le plus gros système de renseignement que l’Humanité n’ait jamais connu à brusquement quitter l’obscurité pour s’exposer en pleine lumière l’espace d’un instant.

Un individu contre un système : qu’a changé Snowden ?

« On est jamais à plus d’une décision de changer le monde » Auteur inconnu

Little Ghost in the big Shell

Chacun connait les grandes lignes de l’histoire. Oliver Stone en a sorti un excellent film et cette semaine, c’est le héros de la saga en personne, qui nous raconte les coulisses de ses révélations, de sa fuite à la traque dont il continue à faire l’objet.

On notera au passage que la publication de l’ouvrage, dans le plus pur style inquisitoire 2.0, a immédiatement été attaquée par la Justice américaine.

Pour en interdire la diffusion ? Non, pensez-vous ! Oncle Sam veut simplement s’assurer de récupérer les recettes des ventes du livre… La Sécurité Nationale est une chose suffisamment précieuse pour parvenir à en tirer un bon prix, semble-t-il.

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En 2013, un jeune ingénieur informatique s’autoqualifiant lui-même « d’insignifiant » va ainsi être à l’origine de la plus large révélation de programmes de surveillance globaux, reléguant nombre de dystopies de science-fiction au rang d’inoffensives comptines. Près de 2 millions de documents nous permirent alors de faire connaissance avec des entités désormais entrées dans l’Histoire : PRISM, XKEYScore, GENIE, Tempora

Nous ne les connaissions pas, et pourtant ces programmes informatiques eux, nous accompagnaient jusque dans nos intimités depuis bien longtemps déjà.

Tout à coup, la notion de solitude venait d’être disruptée sans crier gare : nous n’étions en réalité plus jamais seuls. 

L’argument classique fut alors dégainé : tout cet arsenal avait vocation à protéger les citoyens contre le terrorisme, enfin ! Et peu importe que 90% des outils révélés par Snowden n’aient été braqués qu’en direction de centaines de millions d’individus sans histoires, ou déployés pour espionner les leaders politiques de nations vassales ou les organisations internationales.

Snowden a révélé le totalitarisme stagnant derrière le vernis démocratique

J’utilise le terme de « fascisme numérique » en titre du présent article, et cette utilisation vous a peut-être choqué. En effet, nous vivons une époque particulière où les mots perdent de leur densité. Les réseaux sociaux notamment, sont le terrain fertile de cette désinhibition : tout le monde devient le « fasciste » de tout le monde et la Loi de Godwin nous enseigne que plus rien de bon ne sortira d’un débat au milieu duquel cette grenade aura été dégoupillée.

Et pourtant… Snowden a authentiquement révélé aux yeux du monde, une véritable dérive fasciste de nature numérique, orchestrées par de grandes puissances supposées être des modèles de démocraties modernes.

Car oui, s’il y a quelque chose qui caractérise le cauchemar fasciste dans son extraction originelle, c’est bien l’obsession d’une puissance étatique centrale et hypertrophiée d’opérer un contrôle total et perpétuel sur les individus.

Ce contrôle passe nécessairement par une volonté, d’hypersurveillance de la population, de manière autant verticale (l’autorité espionne l’individu) que transversale (les individus s’espionnent entre eux pour le compte de l’autorité).

Si dans le roman 1984 d’Orwell, Big Brother exerce sa surveillance implacable des masses au travers d’une technologie baptisée « télécrans », on sait de manière certaine grâce aux révélations d’Edward Snowden que les télécrans de l’ère numérique arborent de jolies couleurs pastels et se nomment Google, Facebook, Instagram, Twitter ou Linkedin

Des portes dérobées installées en amont par la NSA sur des applications utilisées par des milliards d’individus, à la conservation – virtuellement éternelle – des données personnelles qui constituent l’ADN de l’identité numérique, le voile était levé : derrière les likes et le RT, à l’affût de la moindre recherche sur votre navigateur web préféré, est tapie une armée d’espion.

Il a permis une prise de conscience globale et incité les individus à se protéger

Les révélations de Snowden vont rapidement inciter une population plus large que la simple communauté de la cybersécurité, à prendre des précautions plus solides dans le cadre de leurs échanges électroniques.

Edward Snowden lui-même, dont on rappellera qu’il vit en exil en Russie, assurera rapidement le « SAV » de ses révélations, via des vidéoconférences ou en utilisant son compte Twitter notamment, distillant conseils et orientations, promouvant certains outils, en déconseillant d’autres..

On sait notamment grâce à lui que rien n’égale les messageries Signal et Wire en matière de chiffrement et que, certes rustique, l’efficacité des clefs PGP continue malgré tout à faire rager la NSA (et ça, ça n’a pas de prix). Il désigne également Qubes en tant que « meilleur système d’exploitation » et encourage l’utilisation de l’OS « amnésique » Tail, bootable de n’importe quel support, et permettant de naviguer sur Internet via TOR, sans laisser la moindre trace.

Au rang des mauvais élèves, il faudra cacher votre surprise à la révélation suivante : évitez WhatApps comme la peste !

Invité il y a quelques jours à intervenir sur France Inter Snowden enfonçait le clou :

« Si quelqu’un au gouvernement s’occupe de questions sensibles et utilise WhatsApp, c’est une erreur ».

« Oui, mais c’est hyperpratique ! »

Il a participé à l’émergence de contre-pouvoirs

Snowden est le produit d’une époque et d’un contexte, et il serait probablement faux de considérer qu’en dépit de l’importance de ses révélations, il est parvenu à lui seul à conscientiser la population sur les problématiques autour de la protection de la data.

Pour autant, le RGPD (Règlement Général de la Protection des Données) aurait-il été mis en application si le scandale de la surveillance globale n’avait éclaté ? Aurions-nous aujourd’hui autant conscience de l’assistance servile apportée alors par les GAFAM, les fiers géants de l’économie numérique ? Et les Google, Amazon et consorts auraient-il consentis quelques avancées sur le sujet, s’ils n’avaient pas été confrontés à la pression d’une partie de leurs utilisateurs scandalisés ?

Tous ces petits messages quelque peu agaçants qui vous informent que pour naviguer sur un site, il vous faut marquer votre consentement éclairé (les fameux cookies), les efforts un peu gênants de Facebook pour vous garantir (juré, craché) que le projet Libra traitera vos data avec respect, les démarches d’Apple pour blinder ses téléphones, l’internet chiffré (le https)… Tous ces phénomènes, Snowden y est un peu pour quelque chose. 

Et la crypto dans tout ça ?

Assez étonnamment, Edward Snowden, excellent informaticien, spécialiste en cryptographie et fringuant trentenaire au moment de l’apparition du Bitcoin et de l’explosion des cryptos, n’a jamais fait preuve d’un intérêt immodéré pour le sujet.

Bien entendu, Snowden, en tant que cryptographe est parfaitement à l’aise avec l’écosystème.

Cependant, naturellement comparé à un Julien Assange, fondateur de Wikileaks, autre « lanceur d’alerte » de son état, qui a pour sa part toujours intimement lié l’existence et les activités de son organisation aux cryptomonnaies, Snowden jette un regard volontiers un peu désenchanté sur le destin de Bitcoin, qu’il juge inégalitaire par nature.

De ses diverses prises de positions sur le sujet, on retiendra les points suivants :

  • Snowden pense que Bitcoin ne durera pas. Trop énergivore, pas assez égalitaire, le roi des devises numériques finira par chuter de son trône au profit de solutions plus vertueuses,
  • que ce soit les protocoles Proof of Work (preuve de travail) ou Proof of Stake (preuve d’enjeu), aucune de ces deux approches majoritaires dans le secteur ne trouve grâce à ses yeux.

« La preuve de travail récompense ceux qui peuvent se payer le plus d’infrastructures et consomme le plus d’énergie, ce qui est destructeur et fait pencher la balance en faveur des riches. La preuve d’enjeu élimine la problématique environnementale en donnant directement la récompense aux riches et en espérant que leur cupidité illimitée suffise à assurer leur pérennité. Il va sans dire que de nouveaux modèles sont nécessaires. » Edward Snowden

  • la blockchain en tant que technologie est ennuyeuse, inefficace et énergivore, mais pratiquement impossible à falsifier, cette qualité compensant tout le reste. Cette caractéristique unique, associée à la possibilité de se passer de la notion de confiance entre acteurs, lui semble de nature à notamment révolutionner le monde de l’information. La blockchain pourrait ainsi devenir le véritable « Fake News Killer ».
  • « Bitcoin est génial, mais il n’est pas privé, donc pas sûr, surtout pour des gens comme moi ». C’est en substance les propos de Snowden sur le thème de l’anonymat réel ou supposé des cryptomonnaies. Au Bitcoin, l’intéressé indique préférer ZCash et Monero, même s’il souligne l’amateurisme de l’équipe derrière Monero…

On le voit, le lanceur d’alerte est loin d’être un Bitcoin Maximalist, voire semble très circonspect s’agissant de la pérennité même de la devise. On ne s’en étonnera pas, tant il a été démontré à de multiples reprises à quel point – et contrairement à l’image qui continue à lui coller à la peaule Bitcoin n’assurait que très mal sa fonction de monnaie anonyme.

Il suffit d’ailleurs d’aller jeter un œil sur le compte « Fond Officiel de Défense de Snowden » sur la blockchain pour s’en convaincre : Soyez certain que l’intégralité des transactions entrantes et sortantes (plus de 200 BTC, 2 millions de dollars au cours actuel), depuis l’ouverture de ce wallet le 13 août 2013, ont été soigneusement scannées par des services avides de tracer, capturer et traduire en cour martiale, le renégat Snowden.

À ce stade, sachez que faire un virement de quelques Satoshis sur ce compte pourrait d’ailleurs vous valoir quelques déconvenues au moment de franchir les barrages de sécurité des aéroports yankees… À vous de voir si vous voulez vous offrir le frisson de cet acte politique subversif !

Mais au-delà des polémiques et des conjectures, Edward résume parfaitement la situation : à la fin, Bitcoin gagne (pour le moment du moins).

En conclusion, Snowden héros 2.0 ou traître à sa nation ?

Qu’on le perçoive comme un traître ou un héros, un constat s’impose : en faisant ce qu’il considérait comme juste, Edward Snowden a sacrifié au passage sa vie de cadre supérieur du 21e siècle, dans la nation la plus riche du monde.

Il a abandonné son confort, sa carrière et a mis en danger sa famille. Il est désigné comme un traître et un paria par sa patrie (celle-là même pour laquelle il s’était engagé sous les drapeaux au lendemain du 11 septembre).

Savoir qu’Edward Snowden s’est vu accorder l’asile par la Russie dès 2013 est y réside depuis plusieurs années, à le même genre d’arrière goût aigre que de se souvenir que le Comité des Droits des Femmes est présidé à l’ONU par l’Arabie Saoudite.

Se rappeler que depuis lors, il s’est vu 2 fois refuser l’asile par la France, Patrie des Droits de l’Homme et des Libertés, rend carrément nauséeux. 

Et si vous avez 5 minutes, entre la lecture d’une vidéo YouTube consignée par la NSA, et le dépôt d’un pouce bleu qui demeurera gravé quelque part pour l’éternité, n’hésitez pas à consacrer 30 secondes à la signature de la pétition mise en place par la Ligue des Droits de l’Homme pour exiger que la France accorde asile à Edward Snowden

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Ex-rédacteur en chef du Journal du Coin j'apporte ma petite pierre à l'édifice financier global qui émerge sous nos yeux. Les insultes, scoops, propositions de sujets, demandes en mariage et autres corbeilles de fruits sont à livrer sur mes différents comptes sociaux. Vous pouvez également venir discuter sur le groupe FB associé à l'initiative Tahiti Cryptomonnaies