L’Initial Coin Offering et l’investisseur : fantasmes, réalités, déconvenues (2/5)

Il y a quelques jours, vous avez eu droit à l’introduction de la saga la plus palpitante de l’été (après Zodiac, les vrais savent). Vos 3 grilles de sudoku brillamment terminées, intéressons nous donc à la suite de notre exploration des ICO.

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PARTIE 2 – L’Initial Coin Offering et l’investisseur. Fantasmes, réalités, déconvenues

En raison de la jeunesse du secteur, de ses mutations perpétuelles et globalement de l’effervescence actuelle, l’ICO « idéale » n’est pas simple à définir, encore moins à reconnaître.

Entendons nous bien, il ne s’agira pas dans cette suite d’articles de se perdre en conjectures concernant le potentiel de « disruption » d’une technologie donnée, ou de la pertinence d’une blockchain appliquée à une application Fintech proposée par la toute nouvelle startup à la mode (même s’il est entendu que ce paramètre constitue un angle essentiel). Non, il s’agira surtout de rappeler que, comme pour toute entreprise humaine, de la construction d’une maison à la conquête spatiale, le succès d’un projet se compose d’ingrédients et de fondamentaux universels. Ce sont ces lignes de forces qu’il faut ainsi savoir discerner dans les nouveau monde des ICO.

1. Le projet idéal, les pros de la blockchain

Autour d’un projet aux contours parfaitement définis, chiffré et balisé, une équipe ultra-compétente, jouissant d’un important background s’active. Au sein de celle-ci, et même si elle réduite (car encore peu financée), on retrouve déjà en devenir les composantes organiques de toute structure d’affaires : direction/stratégie, direction technique, direction commerciale, compétences Fintech, RH, communication et marketing, architectes logiciel et blockchain… Chacun est identifiable et présente un CV complet et vérifiable.

Dans la perspective de l’ICO, et durant celle-ci, les uns et les autres ne ménagent pas leur peine, dorment peu, boivent beaucoup de café et multiplient les Blockchain Summit et autres crypto-événements. Il s’agit de se montrer et de donner confiance aux investisseurs !

Le soft cap est bien calibré, suffisant pour entamer l’opérationnel, le hard-cap n’est pas trop délirant afin d’éviter de décevoir; en outre, les spécifications entourant le token sont assorties de garanties formelles afin de sécuriser les investissements (tokens invendus détruits, plan de rachat, verrouillage des parts de l’équipe et des conseillers durant une certaine période par exemple, le tout garanti par écrit et par smart contract…). L’ensemble de ces paramètres est explicitement rédigé dans un « white paper », idéalement traduit dans plusieurs langues, et surtout la vôtre.

Enfin, une communauté investie, valorisée par des community managers efficaces, soutient le projet, au-delà de la simple « campagne bounty » durant la période d’ICO. Si, par extraordinaire le soft-cap n’est pas atteint, des dispositions sont prévues afin que l’investisseur soit remboursé (ça parait si évident n’est-ce pas ? et pourtant…).Voila à quoi devrait ressembler a minima une ICO respectable. Une fois ces fondamentaux réunis, on peut alors discuter perspectives révolutionnaires, innovation technologique…et potentiels de profit !

Evidemment, cette combinaison idyllique n’est pas si fréquente, et on tombe plus fréquemment sur deux autres catégories :

Blockchain

2. Les dilettantes et les opportunistes, sympas mais qui sont là sur un malentendu :

Je mets volontairement ces deux catégories en relations, car même si leurs profils et leurs motivations sont très distinctes, elles provoqueront les mêmes bouffées d’angoisse à l’investisseur.

2.1 Les p’tits nouveaux, enthousiastes (toujours) mais incompétents (souvent) :

Ce sont des millenials, ils baignent dans la techno depuis le stade embryonnaire. Ils sont sincèrement convaincus que l’idée lumineuse qui leur est venue vendredi soir après la 3ème bière au bar du campus va ringardiser Ethereum ! (et ça se voit « un peu » sur les « feuilles de route » mises en valeur sur leur site internet tout neuf au travers d’émouvants « février 2018 : définition du concept »..).

C’est l’archétype de l’équipe « bande de potes » dont chacun va bien vite être paré d’un titre ronflant plein de « CEO »,« CMO »,« founder/co-founder », etc..

Ils sont très motivés, maîtrisent parfaitement les codes de la communication et l’art de générer du buzz… Et parfois même le projet est solide et intéressant (mais dans la plupart des cas, il s’agit quand même d’un clone d’autre chose, qui fonctionne plutôt bien mais dont ils ont décidé, d’ici 2020, de devenir leader mondial, c’est également dans la « feuille de route »).

La fin de l’ICO représente souvent pour ces startup la vraie barrière à l’entrée : à l’exaltation de la levée de fonds et au succès sur les réseaux, succède la réalité économique rugueuse d’une entreprise à établir.

2.2 Les vieux roublards, à qui on ne la fait plus :

Il s’agit d’entreprises déjà établies (aka, existant depuis plusieurs années, avec locaux, personnel et bilans comptables), œuvrant éventuellement dans les domaines fintech, mais également parfois dans des branches économiques plus « traditionnelles ». Elle ont vu de la lumière et sont rentrées.

Elles ont encore du mal à se remettre du constat : leur avocat, ou le beau-fils du patron, vient de leur expliquer qu’elles pourraient obtenir de quoi se re-financer rapidement, et plutôt que de s’endetter auprès d’une banque, des milliers de particuliers seraient prêts à leur apporter leurs fonds en échange de… tokens ?

1 ou 2 conseillers blockchain pour faire sérieux, un peu de budget marketing et on fait rentrer au forceps de la blockchain et des tokens dans n’importe quoi, de toute façon, ça « disruptera » non ?

Exemple : et bien, 50 à 70 % des ICO actuelles proposent des tokens adossés à des matières premières/précieuses, à un produit industriel, une supply chain, n’importe quelle structure de service…

Pour cette catégorie, la blockchain, c’est un peu le tableur Excel des années 2000 : il y aura toujours moyen de résoudre une absence de problème en s’en servant… Si l’ICO est un succès, les problèmes commencent : on en fait quoi « en vrai » de notre blockchain et de nos tokens tous neufs ?

Arrêtons-nous là un instant. Ces articles ont vocation à parler de SCAM et les deux profils que nous venons d’évoquer (un peu caricaturaux, mais que vous croiserez régulièrement) ne remplissent pas les critères (même si le risque d’un « exit scam » – l’équipe décidant qu’il est finalement plus simple de partir avec la caisse au Bahamas que de travailler comme des forcenés durant les 3 prochaines années – n’est jamais à exclure, particulièrement s’agissant des « p’tits nouveaux »).

Il est ainsi temps d’évoquer les vrais héros de cette série d’articles !

Ico-scam

3. L’ICO scam : « les cryptos nous rendront tous riches ! » (mais eux plus que vous) :

Commençons par une mauvaise nouvelle: contrairement aux pionniers et aux opportunistes, dont l’amateurisme parfois un peu trop flagrant peut pousser à la méfiance, le projet de l’escroc vous donnera envie de lui donner vos précieux ETH, là, tout de suite.
En effet, l’énergie que mettent des entrepreneurs honnêtes dans leur projet (et le temps/les moyens que parfois ils ne peuvent pas dépenser en marketing), le crypto-escroc la consacre exclusivement à un unique objectif : vous convaincre « d’investir », si possible de gros montants, avant de fermer boutique (et l’expression est trompeuse : le plus souvent, il n’y a jamais eu de « boutique »).

Comment pourrait-il en être autrement ? Nous évoquons un phénomène qui brasse des milliards de dollars, sans autorité de régulation, sans moyens de recours judiciaire (vous avez déjà entamé des poursuites aux îles vierges britanniques vous?), et où, pris par une espèce de fièvre de l’or délirante, des milliers d’individus envoient sans retenue ETH, BTC et autres valeurs SANS LA MOINDRE GARANTIE.

Allégoriquement, c’est comme jeter une pièce dans une fontaine et attendre patiemment un retour sur investissement…

Ce constat mériterait à lui seul un papier mais cette espèce de frénésie est intéressante et un peu flippante à analyser, entre peur de manquer « encore » une opportunité en or (« j’ai raté le dot com, j’ai raté le bitcoin, ça suffit! », bref la définition du fameux FOMO — Fear of Missing Out, la peur de rater une opportunité unique), raz-le-bol du système actuel et frisson de la loterie.

Quoi qu’il en soit, cette improbable combinaison n’a pas échappé aux escrocs qui sont à la curée actuellement.

Une bonne nouvelle cependant : hors bandit de haut vol (bisous Madoff), monter un projet authentiquement scam et résistant à l’analyse à l’ère de l’ultra-information est mission quasi-impossible!

Sans rentrer dans des investigations sans fin, il est ainsi possible d’appliquer une grille d’évaluation qui limitera (sans l’éliminer totalement cependant) les risques de fraude. Mais ça, ce sera l’objet des prochains articles !

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