Bitcoin, l’invention révolutionnaire de Satoshi Nakamoto

Bitcoin est notamment connu pour la hausse impressionnante de son cours. Depuis sa première cotation à 0,001 $ en 2009, le prix du bitcoin a en effet connu une évolution exponentielle : un bitcoin valait 10 centimes de dollar en 2010, 10 dollars en 2011, 1000 dollars en 2013, 10 000 dollars en 2017 et son prix s’approche aujourd’hui inexorablement des 100 000 dollars.

Mais derrière cette hausse spectaculaire se cache en réalité une révolution conceptuelle : Bitcoin a redéfini ce qu’il était possible de faire ou de ne pas faire au niveau monétaire. Au même titre que l’invention de l’imprimerie au XVème siècle, l’invention de Bitcoin risque de remodeler le monde tel qu’on le connaît.

Dans cet article, l’occasion m’est donnée de revenir sur ce que j’ai pu écrire sur le Journal du Coin à propos de ce sujet unique.

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Bitcoin n’est pas sorti de nulle part

L’une des premières choses qu’il convient de savoir sur Bitcoin, c’est qu’il n’est pas sorti de nulle part et qu‘il est le résultat de décennies de recherches, de réflexions et d’expérimentations.

Tout d’abord, Bitcoin est basé sur d’autres évolutions techniques que sont l’ordinateur personnel, internet et la cryptographie moderne. Bitcoin fonctionne en effet sur un réseau pair-à-pair d’ordinateurs se trouvant aux quatre coins du monde, à l’instar de BitTorrent, ce qui empêche les autorités de l’arrêter arbitrairement en s’en prenant à un point de défaillance unique. De plus, il se fonde sur la cryptographie en requérant l’usage d’un algorithme de signature numérique pour authentifier les transactions, et d’une fonction de hachage pour réguler la dépense énergétique du minage.

Ensuite, Bitcoin est l’incarnation d’idées politiques. Il s’inscrit dans la lignée de l’école autrichienne d’économie dont l’une des thèses centrales est que la monnaie a émergé naturellement du marché et n’est pas une création de l’État. L’idée de Bitcoin, un « argent liquide électronique », est également issue du mouvement cypherpunk (ou crypto-anarchiste) qui promeut la réalisation d’une forme d’anarchie dans le cyberespace par le biais de la cryptographie et d’autres technologies. Bitcoin est donc indissociable de l’idée générale de liberté.

Enfin, Bitcoin résulte d’expérimentations diverses qui ont guidé Satoshi Nakamoto dans sa conception. Ces expériences remontent aux années 1990 au moment où internet commençait enfin à gagner en popularité, notamment grâce à l’émergence du web.

L’un des premiers systèmes de monnaie numérique, eCash, a été mis en œuvre par le cryptographe américain David Chaum, qui étudiait le sujet depuis le début des années 80. Il s’agissait d’un argent liquide numérique qui permettait aux utilisateur d’échanger de manière anonyme. Malheureusement, le système se basait sur un tiers de confiance, l’entreprise Digicash, ce qui a fait que l’expérience s’est arrêtée lorsque l’entreprise a fait faillite en 1998.

https://journalducoin.com/bitcoin/actualites-bitcoin/digicash-ecash-cyberbucks-david-chaum-1982-90/

Une autre expérience a été celle de l’e-gold, débutée en 1996 par Douglas Jackson. L’e-gold était une « devise en or numérique », c’est-à-dire une unité numérique échangeable sur internet qui était adossée à l’or grâce à des réserves d’or physique détenues par l’entreprise qui gérait le système. Cette expérience s’est également conclue par un échec en 2008, cette fois-ci à cause de l’intervention des États-Unis. Le service a en effet été fermé de force par les agences étatiques sous prétexte qu’il facilitait le blanchiment d’argent, et ses fondateurs ont été condamné à des années de liberté surveillée et à de lourdes amendes.

Liberty Reserve, un système similaire qui proposait d’échanger des unités indexées sur le dollar, a subi le même sort qu’e-gold en 2013. Arthur Budovsky, son fondateur, a été condamné à 20 ans de prison ferme pour avoir géré le système.

Ces expérimentations ont montré le défaut crucial des systèmes basés sur des tiers de confiance : ceux-ci ne pouvaient pas gérer une monnaie numérique, car la faillite ou l’arrêt forcé du tiers impliquait un arrêt de la monnaie. C’est pour cela que les cypherpunks, conscients que les États ne laisseraient jamais de telles devises se développer librement, ont réfléchi à une autre manière de procéder en construisant des modèles décentralisés qui pourraient résister à la contrainte légale.

C’est le cas de Wei Dai qui, en 1998, a présenté le système b-money qui devait permettre à un réseau distribué d’ordinateurs de gérer une monnaie numérique. Le système était cependant moins robuste que Bitcoin : sa conception tendait à centraliser le réseau, la validation se basait sur la preuve d’enjeu et l’unité était une sorte de stablecoin indexé sur un panier de marchandises. b-money n’a jamais été implémenté.

La même année, un autre cypherpunk du nom de Nick Szabo a proposé un modèle quelque peu différent nommé bit gold. Il s’agissait d’une forme d’or entièrement numérique : contrairement à l’e-gold qui était adossé à l’or physique, le bit gold évoluait uniquement sur le cyberespace. Tout comme pour Bitcoin, sa valeur ne devait être basée que sur sa propension à servir de monnaie. Le système était censé être garanti grâce à une minimisation de la confiance (registre distribué sur un réseau d’ordinateurs) et une cherté infalsifiable de l’unité (preuve de travail). Là aussi, le concept n’a jamais été mis en œuvre.

Une dernière expérimentation est celle des preuves de travail réutilisables (RPOW) de Hal Finney, qui a eu lieu entre 2004 et 2005. La particularité de ce système était que les jetons de RPOW étaient générés par preuve de travail, au moyen de l’algorithme Hashcash, tout comme cela est fait au sein de Bitcoin. Le modèle de sécurité du système (permettant d’éviter la double dépense) se basait sur un serveur dont le comportement était vérifiable grâce à l’utilisation d’un cryptoprocesseur, ce qui n’était pas parfait. Toutefois, le système RPOW possède une valeur histroique forte, car il constituait la dernière expérience de monnaie numérique avant Bitcoin.

La préhistoire de Bitcoin btcmrkts Ansel Lindner

L’histoire unique de Bitcoin

L’histoire de Bitcoin est un mythe des temps modernes. Cela est notamment dû à l’originalité de son créateur, qui a livré Bitcoin au monde sous un pseudonyme, Satoshi Nakamoto, pour disparaître quelques années après. On ignore en effet toujours son identité aujourd’hui.

Satoshi Nakamoto a publié le livre blanc de Bitcoin, court document technique de 9 pages, le 31 octobre 2008 sur une liste de diffusion de cryptographie. Intitulé Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System, ce document présentait les caractéristiques de la monnaie numérique : un réseau pair-à-pair de nœuds, une chaîne de blocs horodatant les transactions, une preuve de travail permettant de lier les blocs entre eux et d’arriver à un consensus, et une quantité de bitcoins fixée à l’avance.

Satoshi Nakamoto lançait Bitcoin quelques mois plus tard, le 3 janvier 2009. Dans le bloc de genèse, il inscrivait la une du Times de ce jour-là, qui annonçait que le ministre des finances britannique était sur le point de renflouer les banques pour la deuxième fois :

“The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks”

Par là, il faisait allusion au comportement des États et des banques centrales à la suite de la crise financière de 2007-2008 qui faussait les règles du marché en créant de la monnaie pour soutenir les grands acteurs financiers.

Les débuts de Bitcoin ont été difficiles : le projet était encore très peu sécurisé et il peinait à attirer de nouveaux utilisateurs. Néanmoins, ça n’a pas empêché de beaucoup d’y participer, comme Hal Finney (qu’on honorait encore il y a quelques jours) et Martti Malmi, qui ont su aider Satoshi à lancer le réseau.

L’année 2010 a marqué les premiers pas réels de Bitcoin en tant que système de monnaie numérique. Le minage et le développement du logiciel se sont améliorés, les premiers achats en bitcoin ont eu lieu et la première plateforme d’échange digne de ce nom, Mt. Gox, est apparue.

Voyant que le protocole était lancé et craignant d’attirer l’attention des agences étatiques, Satoshi Nakamoto a alors disparu en 2011. Bitcoin a toutefois survécu grâce à la petite communauté qui le soutenait alors. Par là, Bitcoin a prouvé au monde que sa nature était bien décentralisée et organique.

L’année 2011 a aussi été marquée par la création de Silk Road, la première place de marché du dark web permettant de se procurer des produits illicites contre du bitcoin, et les premiers incidents autour des plateformes d’échange, notamment avec le piratage de Mt. Gox en juin.

Ce problème des plateformes d’échange allait de pair avec le développement de Bitcoin : en effet, bien qu’elles remettaient un tiers de confiance en jeu, elles étaient essentielles pour se procurer du bitcoin avec des euros ou des dollars. C’est pourquoi on a vu nombre d’entre elles fermer après un vol interne ou un piratage externe. Ç’a a notamment été le cas de Bitcoinica, une plateforme de trading ayant mis la clé sous la porte en 2012.

Mt. Gox a connu le même sort en février 2014. Après des années de mauvaise gestion, la plateforme ne disposait pas des bitcoins qu’elle prétendait avoir. Sa chute a alors été l’élément déclencheur d’un éclatement de la bulle spéculative de l’époque et de la plus longue stagnation du prix de l’histoire de Bitcoin.

Néanmoins, tous ces problèmes ne concernaient pas Bitcoin lui-même, et celui-ci s’est lentement renforcé au cours du temps, que ce soit au niveau de sa sécurité, de son effet de réseau ou de son image générale.

En particulier, le développement du protocole a permis des innovations progressives comme P2SH, l’ajout des verrous temporels (OP_CLTV, OP_CSV), SegWit, ou plus récemment Schnorr / Taproot. Ce développement a amené également des tensions et des scissions, chose très naturelle pour un projet ouvert et libre comme Bitcoin. C’est ce qui a provoqué la création de Bitcoin Cash en 2017.

Bitcoin, ses cas d’usage et ses applications

La proposition de valeur de Bitcoin est d’être une monnaie résistante à la censure et résistante à l’inflation :

  • Le système est résistant à la censure dans le sens où il est difficile pour un acteur (y compris un État) d’empêcher une transaction d’avoir lieu. Cela s’oppose au système bancaire actuel dans lequel les banques commerciales ont un pouvoir discrétionnaire sur les transactions de leurs clients. Avec Bitcoin, les utilisateurs sont pleinement propriétaires de leurs fonds et peuvent les envoyer à n’importe qui, n’importe où dans le monde, à n’importe quel moment. Le bitcoin est donc un intermédiaire d’échange très utile dans des cas précis comme les envois de fonds à l’étranger.
  • Le système est résistant à l’inflation dans le sens où il est difficile pour un acteur de créer de nouvelles unités au-delà de ce qui a été prévu. La masse monétaire du bitcoin ne doit ainsi jamais dépasser les 21 millions d’unités. Cela contraste avec le système des monnaies étatiques, où les banques centrales décident de la quantité de monnaie à créer et abusent de ce pouvoir. Avec Bitcoin, les détenteurs ne voient pas leur richesse être diluée par l’inflation des prix. Le bitcoin est donc une réserve de valeur exemplaire et constitue une couverture contre l’inflation des monnaies fiat.

Bitcoin est un protocole, c’est-à-dire un ensemble de règles permettant aux individus de communiquer. En l’occurence il permet d’échanger de la valeur.

Puisque Bitcoin n’est qu’un ensemble de règles, il faut que des applications logicielles soient construites par-dessus, afin que les utilisateurs puissent interagir avec le protocole. L’exemple typique est l’implémentation de nœud complet, qui permet à son opérateur de valider et de conserver l’intégralité des transactions et des blocs de la chaîne.

Cependant, il existe d’autres applications qui ont leur utilité. C’est notamment le cas des portefeuilles légers (dits « SPV ») qui permettent aux utilisateurs de ne pas avoir à télécharger l’ensemble de la chaîne, tout en gardant un contrôle sur leurs fonds. La plupart des portefeuilles sur ordinateur et sur mobile fonctionnent de cette manière.

Une deuxième application (décentralisée) importante est Bisq, dont l’activité centrale est l’achat / vente de bitcoin entre particuliers. Cette plateforme d’échange sert de portail entre les monnaies fiat (dollar, euro, etc.) et le bitcoin, sans soumettre ses utilisateurs aux normes de connaissance du client (KYC) des plateformes réglementées.

https://journalducoin.com/guide/bisq-acheter-bitcoin-maniere-anonyme-decentralisee/

Bisq fonctionne grâce à des contrats autonomes, ou smart contracts, basés sur Bitcoin. Cet usage programmable de la monnaie est en effet spécifique à Bitcoin et permet de nombreux autres cas d’usage que le transfert de valeur classique. Le réseau Lightning, réseau de canaux de paiements, en est un exemple.

Nous en citerons deux de plus ici. Le premier est la création et l’échange de jetons sur Bitcoin, qui existe depuis 2012 et qui semble revenir à la mode avec RGB.

Le second est l’échange atomique (atomic swap) permettant d’échanger du bitcoin avec d’autres cryptomonnaies similaires, comme Litecoin ou Monero, de manière totalement automatique et sans risque de vol. L’adoption généralisée de cette technique permettrait de se passer des plateformes d’échange centralisées utilisées à cet effet.

Conclusion

Ainsi, Bitcoin est une révolution conceptuelle qui est le résultat d’années d’innovations techniques, d’affinements idéologiques et d’expérimentations. Son histoire est indissociable de son identité et a joué un rôle majeur dans ce qu’il représente aujourd’hui : un système monétaire résistant à la censure et à l’inflation. Il est également utilisé à d’autres fins, permises par le caractère immuable de son registre.

Ludovic Lars

Je suis fasciné par les cryptomonnaies et par l'impact qu'elles pourraient avoir sur nos vies. De formation scientifique, je m'attache à décrire leur fonctionnement technique de la façon la plus fidèle possible.