John Law, l’inventeur des millionnaires ? La folie de la spéculation financière n’a pas attendu Bitcoin

Collectionnez les articles du JDC en NFT

Collecter cet article

John Law est un économiste écossais qui a convaincu la couronne française de passer d’une monnaie métallique à une monnaie papier, dans le cadre d’un projet de relance économique. Mais l’économiste avait de nombreuses idées, particulièrement innovantes pour son temps. Il a réussi à convaincre l’élite dirigeante de le laisser les mettre en place, ce qui a conduit à un évènement spéculatif inédit… et l’invention du mot « millionnaire ».

John Law, un duelliste écossais évadé de prison

John Law est né en Écosse en 1671. Fils d’orfèvre, il apprend très tôt les rudiments du métier et fait preuve de facilités en mathématiques. À cette époque, l’orfèvre fabrique des objets en métaux précieux, mais officie aussi comme prêteur pour les autres artisans.

En 1694, alors que Law est âgé de 23 ans, il tue un noble en duel, alors que la pratique du duel est formellement interdite. Law est accusé d’homicide et est condamné à mort par les jurés. Cependant, il entretient déjà des liens étroits avec les puissants du royaume qui interviennent en sa faveur afin qu’il écope seulement d’une peine d’emprisonnement.

John Law
Portrait de John Law par Casimir Balthazar

Après un an d’emprisonnement, Law parvient à s’échapper et fuit l’Angleterre pour les Pays-Bas. Pendant les 10 années suivantes, il va voyager dans toutes les grandes villes d’Europe de l’Ouest. Au cours de ses voyages, il se forme au métier de banquier et se crée une réputation d’excellent parieur et de Don Juan. Grâce au capital accumulé via les jeux de cartes de l’époque et divers paris, Law se lance dans la spéculation. Et il accroît considérablement sa fortune sur le marché des obligations d’État. À l’aube du XVII ème siècle, Law est connu comme duelliste, séducteur, spéculateur et penseur dans la plupart des cours d’Europe de l’Ouest.

Le système Law

Law a de grandes idées sur la création monétaire et la gestion efficace de l’économie. Il cherche pendant plusieurs années l’attention des principales cours européennes sans réussir à les convaincre de mettre en place ses projets grandioses. Comme vous allez le voir, John Law emploie (ou invente) un bon nombre de pratiques financières douteuses.

En 1714, les coffres sont vides et la France se retrouve extrêmement endettée après plusieurs guerres, dont la guerre de succession d’Espagne (1701-1714). À la mort de Louis XIV en 1715, une régence s’organise, l’hériter désigné n’étant pas en âge de régner. Le conseil qui assure la régence n’a pas la moindre idée de la manière dont il pourrait relancer l’économie et épurer les dettes de la couronne. Ce contexte d’économie en berne dans un État fortement endetté a permis à Law de faire triompher ses idées économiques.

L’avènement de la monnaie papier en France

La première des idée de Law est la création d’une banque qui émettrait une monnaie papier. La quantité de monnaie papier émise sera largement supérieure à la valeur des métaux précieux dans les coffres de cette nouvelle banque.

En 1716, le Régent donne l’autorisation à Law d’établir une banque privée, la Banque Générale. Après avoir été naturalisé français, Law entreprend de récolter des fonds pour sa banque. Pour cela, il propose un deal alléchant : l’investisseur ne doit payer qu’un quart du prix de l’action en espèce, le reste pouvant être payé en billets d’État. Ces billets sont des instruments de dette publique à court terme qui se négociaient environ 40 % de leur valeur nominale. Le royaume étant particulièrement endetté, il était devenu un mauvais payeur, ce qui avait fortement déprécié la valeur des billets d’État. Malgré tout, Law n’arrive pas à vendre les actions et est obligé d’en souscrire une importante partie lui-même.

Afin d’attirer ses premiers clients, la banque propose de nombreux services gratuits et des prix défiant toute concurrence. Cette pratique est maintenant comme sous le nom de dumping ou vente à perte, une pratique qui consiste à casser les prix pour évincer la concurrence et qui est formellement interdite.

Billet de cent livres émis par la Banque Royale en 1720
Billet de cent livres émis en 1720

Après des débuts difficiles, la Banque Générale connait un succès fulgurant sous la direction de Law. En dépit du champ d’action réduit initialement accordé à la Banque Générale, Law réalise d’importants profits. En 2 ans, les investisseurs originels ont connu un retour sur investissement de 535 %. Notre duelliste écossais est maintenant un banquier reconnu sur la place parisienne, ce qui lui permet de passer à la prochaine étape de son projet, qui marque le véritable point de départ du système Law.

La création de la Compagnie du Mississippi

En 1718, la Banque Générale est transformée en établissement public, ce qui offre une plus grande marge de manœuvre à John Law. L’État se porte caution de tous les billets émis par la banque, mais la banque octroie aussi des prêts à l’État. Afin de démocratiser l’utilisation de la monnaie papier, il devient obligatoire de régler les transactions importantes en billets ou en or. En parallèle, il devient possible de s’acquitter de l’impôt en monnaie papier. L’idée qu’une monnaie papier pourrait remplacer les pièces métalliques gagne donc du terrain.

La seconde partie du plan de génie de Law vise à créer une entreprise, dont l’objectif est de racheter l’intégralité de la dette française. Rien que ça ! Grâce aux profits réalisés et dans le cadre du lancement de cette nouvelle entreprise, la Banque Royale entreprend de rembourser les investisseurs initiaux. Toutefois, les titres de dettes qui ont été apportés ne sont pas remboursés, mais convertis en actions de la nouvelle entreprise. La Compagnie du Mississippi, bien évidemment dirigée par John Law, se voit octroyer le monopole des activités commerciales avec les territoires de Louisiane. La Compagnie débute avec un capital de 100 millions de livres, répartis en 200 000 actions de 500 livres. De la même manière qu’avec la Banque Générale, les investisseurs peuvent payer leurs actions avec des billets d’État, toujours fortement dépréciés.

Coq français qui fait le malin.

En échange du monopole commercial, Law accepte de racheter une partie publique et de recevoir moins d’intérêts que prévu. À partir de septembre 1718, la Compagnie du Mississippi se lance dans une véritable campagne de fusion-acquisition. La Compagnie fait lacquisition du monopole du commerce du tabac, puis absorbe la Compagnie du Sénégal, obtenant ainsi le monopole sur le commerce triangulaire français. En 1719, Law absorbe la Compagnie des Indes et achète le privilège régalien de battre monnaie.

Law est maintenant à la tête d’une banque publique, visant à démocratiser l’utilisation de la monnaie papier et pouvant battre monnaie, mais administre aussi la majeure partie de l’empire commercial et une partie de la dette publique. C’est à partir de ce moment que tout s’accélère et que notre économiste de génie commence à perdre pied.

Spéculation à outrance et montages financiers douteux

En 1719, Law entreprend une seconde émission d’actions pour la Compagnie. Les détenteurs des premières actions, appelées « mères », sont prioritaires pour réinvestir dans le capital de la Compagnie du Mississippi. Dès lors qu’un investisseur détient 4 « mères », il peut souscrire à une action « fille ». Et, avec 4 « mères » et une « fille », il est possible d’acheter une « petite-fille ». De fait, Law a donc mis en place un système d’actions de préférence au profit des premiers investisseurs, une pratique maintenant commune en matière de capital-risque.

En parallèle, Law garantit un dividende de 12 % pour l’année 1720. Il n’en faut pas plus pour déclencher un évènement spéculatif de grande ampleur – pour l’époque. Par la suite, Law met en place un mécanisme spéculatif perpétuel. Avec une action de la Compagnie comme caution, il était possible d’obtenir un prêt de 2 500 livres. Ce prêt était souvent utilisé pour acheter de nouvelles actions qui permettaient de nouveaux prêts.

Entre juillet et décembre 1719, la masse monétaire française passe de 400 millions de livres à plus d’1 milliard. Vous avez les ingrédients clés de toute bulle spéculative : un accroissement rapide du crédit accompagné d’une bonne dose d’inflation. Comme quoi, Jerome Powell et la Réserve fédérale n’ont pas inventé grand chose.

En 1719, une troisième émission de titres a lieu, au prix de 5 000 livres. Lors de la constitution de l’entreprise, les premiers titres avaient été émis au prix de 500 livres et se sont donc appréciés de 1 000 % en 2 ans. Une belle croissance pour la start-up coloniale de Law !

Tout le système de Law est fondé sur la hausse du cours des actions. Afin d’entretenir la spéculation et de prendre la main sur le négoce des titres, Law ouvre un bureau d’achat et de vente de titres de la Compagnie, à prix fixe. Ainsi, il soutient le cours tout en réduisant le nombre de porteurs.

Au début de l’année 1720, le cours de l’action est aux alentours de 10 000 livres, et le cours à terme dépasse les 12 000 livres. Law, n’étant jamais à court d’idées, tente d’endiguer la spéculation en mettant en place un système de primes. L’investisseur doit déposer 1 000 livres pour avoir le droit d’acheter une action au prix fixe de 10 000 livres. Avec cette astuce, Law veut signifier que même lui ne s’attend pas à ce que le cours aille plus haut. Pourtant, les investisseurs accourent, convaincus de pouvoir revendre leurs titres plus cher que le prix fixé.

Graphique du cours de l'action de la Compagnie du Mississippi en livres entre 1718 et 1721
Cours de l’action de la Compagnie du Mississippi entre 1718 et 1721

Cette période de spéculation intense a été documentée par de nombreux auteurs, dont Montesquieu et Voltaire :

« Êtes-vous réellement devenus tous fous à Paris ? Je n’entends parler que de millions ; on dit que tout ce qui était à son aise est dans la misère, et que tout ce qui était dans la mendicité nage dans l’opulence. Est-ce une réalité ? Est-ce une chimère ? La moitié de la nation a-t-elle trouvé la pierre philosophale dans les moulins à papier ? Law est-il un dieu, un fripon, ou un charlatan qui s’empoisonne de la drogue qu’il distribue à tout le monde ? Se contente-t-on de richesses imaginaires ? C’est un chaos que je ne puis débrouiller, et auquel je m’imagine que vous n’entendez rien.»

« Précis du siècle de Louis XV » de Voltaire

L’effondrement du château de cartes

Au mois de février 1720, la Banque Royale et la Compagnie du Mississippi fusionnent, et le Régent en profite pour vendre ses 100 000 actions. Initialement achetées 15 millions de livres et revendues près de 900 millions, ces titres ont produits un rendement de X60. Cette opération marquera le début du déclin du système Law.

Durant les semaines qui suivent, le bureau de banque qui rachetait les actions diminue son prix d’achat, qui atteint 5 000 livres en mai 1720. De plus, Law décide de diviser par 2 la valeur des billets en circulation. Rappelez-vous ! La Banque Royale émet une quantité de billets totalement décorrélée de ses réserves d’or.

Ces décisions, prises unilatéralement, provoquent une émeute devant la Banque Royale et l’indignation du parlement. Face à cela, Law est assigné à résidence et des experts viennent auditer les comptes. Toutefois, le système de Law est si complexe que les auditeurs sont incapables de le disséquer. Law est donc rappelé à la tête des 2 entreprises pour réparer ses méfaits. Durant l’année 1720, l’économiste annule une à une ses mesures et le cours de la Compagnie s’effondre jusqu’à atteindre 2 000 livres.

John Law finira sa vie en paria errant entre différentes capitales et vivant de ses talents de parieur. Malgré cela, il a marqué son temps et l’histoire en tant que premier banquier moderne. Le système grandiose mis en place par l’écossais n’a rien à envier aux politiques monétaires les plus complexes. Déjà au XVIIIème siècle, le système Law suscitait l’envie, puisque c’est la Compagnie du Mississippi qui va inspirer la création de la Compagnie des Mers du Sud.

Sources :

Charles P. KINDLEBERGER, « Histoire mondiale de la spéculation financière »

Antonin E. Murphy, « John Law: Economic Theorist and Policy-Maker »

Thomas G.

Financier et juriste, je suis passionné par les cryptomonnaies depuis leur apparition sur le Deepweb. Fervent supporter du Bitcoin, je suis convaincu que les devises numériques joueront un rôle déterminant dans l'avenir de nos sociétés. Je m'intéresse tout particulièrement aux aspects financiers et législatifs des cryptomonnaies.

Recevez un condensé d'information chaque jour