La guerre froide du Bitcoin, des cryptomonnaies de banques centrales et des stablecoins : qui sortira vainqueur ?

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Et si une nouvelle guerre des monnaies se profilait à l’horizon ? – Depuis l’annonce du projet Libra en 2019 (devenu Diem entre-temps), les régulateurs ont accéléré les annonces et les travaux sur le développement d’une monnaie digitale de banque centrale. Depuis, la Chine, les Etats-Unis, l’Europe, la Turquie, la Suède et bien d’autres puissances progressent dans l’élaboration d’une MNBC.

Puisque les stablecoins adossés à des monnaies se sont multipliés, on pourrait facilement penser que ces derniers n’auraient plus de réelle utilité. En effet, pourquoi avoir recours à une monnaie représentative alors que l’actif sous-jacent possède des propriétés semblables ?

Des stablecoins d’États

On pourrait définir simplement les monnaies digitales de banques centrales (MDBC) comme des stablecoins émis et gérés par une banque centrale, qui s’appuient (ou non, selon les projets) sur une blockchain. La force de ces dernières serait de posséder les attributs d’une cryptomonnaie tout en étant légalement reconnues par un État.

L’avantage des stablecoins résidant dans leur capacité à échapper aux contraintes réglementaires et techniques que posent des transferts de fonds, les versions numériques des monnaies fiats pourraient les concurrencer sur différents points.

Certains commentateurs estiment qu’il existe plusieurs avantages à utiliser une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) plutôt qu’un stablecoin. Le premier serait pour des raisons de confiance. À l’inverse de nombreuses cryptomonnaies, une banque centrale se porte garante de la monnaie qu’elle émet. Tether Ltd, à l’origine du premier stablecoin (USDT) en termes de volume échangé, est régulièrement pointée du doigt comme étant l’entreprise un peu obscure et systémique du secteur, le « Lehman Brothers » des cryptomonnaies. Jusqu’à une conclusion toute récente par un accord amiable, les autorités de New York poursuivaient d’ailleurs le projet, mettant en doute la réalité des réserves censées supporter le roi des stablecoins.

Le public devient de plus en plus méfiant vis-à-vis des entreprises qui ne jouent pas le jeu de la transparence. L’usage d’une MNBC permettrait de détenir réellement sa monnaie, au même titre que les monnaies fiduciaires (billets, pièces). Ceci nous amène à un autre avantage de l’utilisation de ces monnaies numériques d’Etat. Contrairement à ce que nous pourrions croire, le solde qui s’affiche sur nos comptes bancaires ne renvoie pas à la monnaie que nous possédons. En réalité, la banque affiche la promesse qu’elle nous doit à tout moment la somme indiquée. A aucun moment, la banque ne détient en trésorerie votre argent. Si une MNBC voit le jour, cette réalité du monde bancaire disparaîtrait. En effet, l’usage d’une blockchain permet d’assurer la propriété de ses fonds. On pourrait alors considérer les “fiats numériques” comme des billets et des pièces numériques, et non plus des valeurs scripturales.

Des potentiels multiples mais des applications encore floues

Les MNBC ont un fort potentiel, néanmoins leur champ d’application reste vague. On évoque régulièrement deux types de formats. Une monnaie dite « de gros » (MDBCG) destinée aux institutionnels et qui servirait de moyen de paiement entre les institutions bancaires, et une autre monnaie dite « de détail » (MDBCD) pour, cette fois, tous les citoyens. Elles se distingueraient par trois caractéristiques : les aspects pair à pair, programmable et traçable de la monnaie.

On peut donc imaginer deux types de cibles : une version uniquement disponible pour les institutionnels et une autre destinée aux usages du quotidien. L’écosystème bancaire mondial a assez peu innové depuis les années 70-90. C’est en ce sens que la proposition d’une monnaie digitale, uniquement accessible à travers une blockchain privée, peut avoir un intérêt. L’usage des MDBC pourrait rendre le réseau SWIFT, développé en 1973 pour faciliter les transferts interbancaires, obsolète. De cette façon, l’usage d’une blockchain privée faciliterait les transferts d’informations confidentielles sans avoir recours à un intermédiaire.

C’est néanmoins la version dite de « détail » qui pose davantage la question d’un USDT concurrencé par une MNBC. Tout d’abord, sur le plan du volume, car à l’inverse des cryptomonnaies, ces monnaies digitales seraient d’office bien plus facilement accessibles à tous les citoyens. En effet, une monnaie frappée par une banque centrale a l’avantage d’avoir cours légal dans la limite de la zone où elle est émise. A l’image des euros que l’on utilise tous les jours, chaque citoyen pourra gagner un certain montant de MNBC et l’utiliser pour ses dépenses courantes. Dans une lettre destinée à la député européenne Julie Lechanteux, Christine Lagarde déclarait d’ailleurs :

“Un euro numérique viendrait en complément des espèces et ne les remplacerait pas, donnant ainsi aux consommateurs la possibilité de payer avec de la monnaie de banque centrale sous forme numérique, tout en leur laissant le choix du mode de paiement.”

Les exchanges pourraient profiter de cette manne monétaire, notamment grâce à des démarches de paiement simplifiées sur Internet. Alors qu’aujourd’hui, chaque nouveau client doit remplir un KYC renforcé, les MDBC faciliteraient les démarches pour transférer les fonds vers ces plateformes.

Toutefois, l’apparition de l’acteur étatique dans le monde digital ne présenterait pas que des avantages. Il ne faut pas oublier que les gouvernements restent majoritairement suspicieux face aux crypto-actifs. Du « funny business » au « blanchiment d’argent » et autres craintes d’une « fraude fiscale », la méfiance vis-à-vis des cryptomonnaies reste toujours de mise.

Une réponse « offensive » face aux initiatives privées

Les puissances cherchent à assurer leur souveraineté monétaire. Dans un premier temps, les craintes amenées par le projet de monnaie mondiale porté par Facebook ont précipité les discussions autour de l’élaboration d’une monnaie numérique d’Etat. En effet, après avoir reçu un certain nombre de fois les représentants du Libra (devenu Diem), les régulateurs ont très rapidement réagi en annonçant des projets souverains de stablecoins. La Chine a d’ailleurs été la première puissance à travailler sur son yuan numérique.

Il n’est donc pas certain que les MDBC aient vocation à rejoindre l’univers des actifs numériques. En Inde, le gouvernement a déjà annoncé une interdiction d’échanger des actifs numériques, mais a,  en revanche, déclaré l’élaboration prochaine de leur propre MDBC.

Les modalités d’applications de ces monnaies numériques d’états, conditionnent donc la possibilité de l’adoption d’un stablecoin. La position des puissances par rapport à l’écosystème des cryptomonnaies apparaît véritablement décisive.

Une méfiance sur le champ d’application de ces MDBC

L’usage d’une MDBC offrira de nouveaux outils pour les politiques publiques. Cependant, la place de la banque centrale dans une infrastructure décentralisée semble antinomique. En fait, la différence fondamentale entre les monnaies émises par les Etats et les cryptomonnaies réside dans leur projet. Une MDBC aura de nombreux usages pour piloter une économie tandis que les cryptomonnaies ont des objectifs souvent uniques. De nombreux protocoles de DeFi, comme AAVE, permettent par exemple de générer des intérêts en bloquant ses stablecoins. L’écosystème crypto a développé de nombreux usages. Une banque centrale pourrait vouloir contrôler cet écosystème si elle était impliquée par sa MDBC.

D’autres craintes émanent de l’instauration d’une telle monnaie, notamment sur la protection de la vie privée. La numérisation des devises rend possible la traçabilité des différentes actions menées avec celles-ci. Les pouvoirs publics pourraient alors suivre nos dépenses bien plus aisément qu’en temps normal en imposant une surveillance des transactions. Certains cas pourraient être légitimes comme la lutte contre les activités illégales, d’autres pourraient être discriminatoires. L’Etat pourrait décider d’interdire certaines aides selon les habitudes de consommation d’un individu, encore plus si ce dernier investit en cryptomonnaie. On pourrait ajouter qu’une telle centralisation exposerait à des hacks et donc à la mise en danger de données personnelles de millions de citoyens.

Il y a également un aspect psychologique. La communauté crypto est maintenant largement habituée à utiliser des stablecoins. Dans le monde entier, le dollar est largement utilisé comme valeur de référence (USDT, USDC, DAI, …) et ce malgré la diversité des monnaies existantes. Il n’est pas évident que les MNBC (hors Etats-Unis) puissent déjà, dans un premier temps, menacer l’hégémonie du dollar. On pourrait voir venir une nouvelle “guerre des monnaies” où la NDBC la plus compétitive tenterait de profiter d’un “winner takes all”, une position dominante de marché. Mais des hypothèses à la réalité, il y a souvent un gouffre.

Il est encore difficile aujourd’hui de savoir concrètement ce que sera une MNBC. Elle pourrait se décliner en plusieurs formes selon les pays mais, surtout, aujourd’hui très peu d’entre eux ont communiqué sur les modalités d’une telle monnaie entièrement numérisée. Malgré tout, les stablecoins que nous connaissons aujourd’hui pourraient se maintenir dans l’écosystème des cryptomonnaies. Les MNBC pourraient effectivement remplacer les stablecoins dans des secteurs plus marginaux. Mais les enjeux des banques centrales restent différents du monde de la cryptomonnaie.

Le Journal Du Coin

Un article de la rédaction. Le Journal du Coin, premier média d’actualités francophone sur la cryptomonnaie, Bitcoin, et les protocoles blockchain.

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