Interview #3 : Isabella Dell, ex architecte système du projet LISK, fondatrice et CTO d’IOV (Internet Of Value)
Rares sont les femmes présentes dans les hauts rangs directionnels de projets blockchain. En effet, majorité des CEO/CTO et team leaders du secteur sont des hommes. Néanmoins, « rares » ne signifie pas pour autant inexistantes ! Pour cette troisième interview, Journal du Coin a eu le privilège de s’entretenir avec Isabella Dell, brillante programmeuse, ancienne architecte système chez Lisk, et actuelle co-fondatrice et CTO d’un nouveau projet blockchain, IOV.
Bonjour Isabella, pouvez-vous vous présenter rapidement – parcours universitaire, passions, intérêt pour les blockchains ?
Je m’appelle Isabella Dell, j’ai étudié à la Northwest Missouri State University aux États-Unis. J’ai obtenu une double spécialisation en gestion des affaires et en systèmes d’information de gestion, avec une mineure en opérations de réseautage.
J’aime m’adonner à la réparation électronique (flippers ou bornes d’arcade), l’informatique ancienne (Apple II/C/E/GS, Commodore 64/128, Amiga 400/500/600/2000, IBM compatibles, et plus encore) et les MMORPG multiboxing (jouer plusieurs personnages/instances en même temps).
Mon intérêt pour les protocoles blockchain a commencé lorsque j’ai découvert Lisk, au cours de leur cycle de test ICO et des cycles de test suivants. Aujourd’hui, je considère qu’il s’agit d’une clé pour le développement futur d’un système décentralisé.
Comment avez vous connu le monde de la blockchain, et plus particulièrement, comment êtes vous entrée dans le projet LISK à un poste si important ?
J’ai fait un peu de recherche sur Bitcoin très tôt quand j’étais à l’université (2010), mais je n’ai pas été en mesure de les poursuivre en profondeur car mes études ont pris le dessus. Ce n’est qu’au printemps 2016 que j’ai pu creuser à fond. C’était à peu près à l’époque de TheDAO (et de son piratage subséquent). La DAO était vraiment intéressante pour moi car il me semblait que l’ensemble de la blockchain commençait à devenir facilement disponible. La technologie devenait utile au delà du simple envoi de tokens.
Quand je suis entrée chez Lisk, ils étaient en train de réaliser leur ICO. Je travaillais pour un hôpital à l’époque, et j’avais du temps libre, puisque j’étais seulement consultante pour l’hôpital quant à la conception et à la maintenance de leurs systèmes de soins de santé. Donc, pendant mon temps libre, je faisais du soutien communautaire, je lisais le code de Lisk et j’essayais de comprendre ses principes de conception. J’ai créé une partie de la première technologie pour sauvegarder et restaurer la blockchain Lisk afin d’aider la communauté à garder leurs nœuds synchronisés lors des forks. L’équipe Lisk a reconnu l’ensemble des compétences que j’avais et m’a approché avec une offre que je ne pouvais pas refuser. J’ai donc signé avec eux, et je gérais le mainnet pendant plusieurs mois jusqu’à la sortie de la v0.5.0, qui a permis d’administrer le réseau de manière décentralisée et en toute sécurité.
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Le monde de la blockchain est en pleine expansion avec de nouveaux projets quotidiens. Pensez vous que c’est un effet de mode, ou que nous sommes au début d’une révolution qui va fondamentalement changer nos façons de consommer, pour à terme en arriver à une économie du token ?
Je ne pense pas que la blockchain soit juste une mode, quand il s’agit de données prouvables. Je pense que dans certains cas, la blockchain ne sera pas utile, comme pour les applications qui n’ont pas besoin d’être décentralisées pour être utiles. Ce sera un peu comme le boom des dotcom et la récession qui a suivi, où de nombreuses entreprises ont changé de nom pour y inclure « .com », ou un autre nom inspiré d’Internet, et ont assisté à un afflux important de capitaux. L’écosystème de la blockchain subira un bouleversement et les projets ayant un réel mérite demeureront.
Quant au début d’une révolution, je pense que nous y sommes déjà. Les tokens vont certainement influencer notre façon d’acheter et d’interagir avec les services. L’économie sous-jacente sera robuste, mais elle ne remplacera pas les monnaies émises par le gouvernement, tant qu’eux seuls détiennent le pouvoir d’émission.
Vous êtes anciennement architecte système de Lisk, et présentement co-fondatrice et CTO d’IOV. Pouvez vous nous parler de votre nouveau projet ?
Bien sûr, ce nouveau projet s’appelle Internet of Values ou IOV en abrégé. Le projet vise à réaliser quelques objectifs. L’objectif premier est la création d’un protocole de communication blockchain, ou BCP (Blockchain Communications Protocol). Le BCP vise à résoudre l’interopérabilité côté client en fournissant une couche d’abstraction qui peut être appliquée à une chaîne de blocs existante. Ce protocole permettra aux portefeuilles compatibles de s’interfacer avec n’importe quelle blockchain sur laquelle le protocole est implémenté.
Un autre objectif du BCP est de fournir des lignes directrices pour la mise en œuvre des « atomic swaps » (échanges atomiques), à l’aide de hash time-locked contracts (smart contracts à verrouillage temporel). Les HTLC permettront d’échanger des jetons entre différentes chaînes de manière sécurisée, sans recourir à un service de séquestre, tel qu’une plateforme de change.
L’objectif suivant est la création d’un Blockchain Name Service, ou BNS. Le BNS vise à répliquer les fonctions DNS existantes, mais pour les systèmes blockchain. Cela permettra aux blockchains existantes de s’enregistrer dans le système, pour chaque recherche dans les clients compatibles BCP.
Enfin, nous prévoyons d’offrir une bibliothèque côté client nommée Web4, qui implémentera les spécifications BCP et BNS. Cette bibliothèque fournira un système de plugins robuste pour permettre aux systèmes qui ont mis en œuvre le BCP d’interagir avec un seul portefeuille/fournisseur. Web4 est construit pour une sécurité de première classe, garantissant que la gestion des clés privées et publiques est effectuée de la manière la plus sûre possible. Le moteur d’autorisation garantira que les services ne peuvent pas accéder aux informations que vous ne désirez pas leur divulguer. Le moteur de transaction permettra l’intégration de la structure de transaction de n’importe quelle blockchain par le biais de modèles intégrés.
Pensez vous qu’une simplification du format des adresses de paiement contribuera à une adoption mainstream de la technologie blockchain ? Pourquoi ne s’agit-il pas d’une énième cryptomonnaie qui tenterait de concurrencer Bitcoin ?
La simplification des paiements est l’un des aspects clés du fonctionnement de notre blockchain. Il supprime certains des principaux obstacles à l’utilisation, comme les longues adresses et les erreurs humaines.
IOV ne cherche pas à concurrencer Bitcoin à quelque niveau que ce soit. Le BCP et le BNS visent à compléter les systèmes existants en étendant les protocoles qu’ils mettent en œuvre. Le jeton IOV lui-même vise à fournir l’accès et la sécurité des noms de blockchain et à permettre l’enregistrement de nouveaux noms. Il n’est pas conçu pour être traité comme de l’« argent ».
Vous êtes une des rares femmes co-fondatrice de projet blockchain et/ou CTO, vous êtes une pionnière dans le milieu. Pouvez vous donner des conseils aux femmes qui souhaiteraient se lancer dans le monde de la blockchain ?
Mesdames, n’ayez pas peur de contribuer ! Si vous aimez un projet et que vous voulez vous impliquer, allez-y et faites-le ! Ne laissez pas votre sexe ou votre identité de genre vous empêcher de vous impliquer.
Je pense que la parité entre les sexes est vitale pour le bon fonctionnement de tout écosystème. Les femmes ont souvent une perspective et une approche unique pour résoudre les problèmes. Il est essentiel d’avoir autant de points de vue et d’antécédents que possible lorsque l’on aborde des problèmes complexes, comme les systèmes en blockchain.
Selon vous, qui se cache derrière le pseudonyme « Satoshi Nakamoto » ? Un groupe ? Une personne ? Une femme ? Craig Wright ?
Je crois fermement qu’Hal Finney est l’une des figures-clés derrière Satoshi. Cela ne veut pas dire que Satoshi n’est pas une figure créée par un groupe de personnes, mais que Finney est l’un des nombreux personnages derrière l’icône.
Merci à Isabella pour cette interview, merci également à Clarissa Gindri d’avoir rendu cet échange possible.