Nigéria : le gouverneur de la Banque centrale dans la tourmente
Nos lecteurs, qu’ils soient Africains ou issus du Vieux continent, ont certainement suivi le cas du Nigéria et de sa monnaie numérique de banque centrale, l’eNaira. En effet, la banque centrale nigériane est la deuxième au monde à avoir lancé une MNBC, après avoir combattu durant des années l’usage des cryptomonnaies au sein du pays le plus peuplé d’Afrique.
Bien que Godwin Emefiele, gouverneur de la BCN, se soit targué du succès de cette initiative, la réalité du terrain semble plus nuancée. Les Nigérians, mécontents de la politique monétaire ayant entraîné une crise de liquidités très palpable dans les zones rurales du pays, ont eu le loisir d’assister à un événement rare : l’arrestation du gouverneur de leur banque centrale, le 10 juin 2023.
L’eNaira, la MNBC controversée du Nigéria
Le Nigéria est un pays dont les habitants sont habitués à utiliser une multitude de moyens de paiement. En premier lieu, il s’agit de pallier les déficiences de leur système monétaire. Qu’il s’agisse des paiements mobiles ou des cryptomonnaies, les Nigérians n’ont pas attendu l’aval de leurs autorités pour utiliser différents systèmes alternatifs à l’argent liquide. Bitcoin y connaît un certain succès, que les autorités bancaires n’ont jamais considéré d’un œil approbateur.
Ainsi, le célèbre refrain « oui à la blockchain, non à Bitcoin » s’est rapidement imposé, sous l’égide du ministère des Communications et de l’Économie numérique. Sans entrer dans les détails de l’histoire monétaire du pays, un fléau bien connu ronge depuis longtemps l’économie nigériane : l’inflation.
C’est pour y répondre que le Conseil exécutif fédéral a accéléré la mise en œuvre d’un plan de numérisation de l’économie. Parmi les mesures phares, l’introduction d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) : l’eNaira. Si l’utilisation de portefeuilles électroniques a des avantages en termes de praticité, le lancement de l’eNaira s’est aussi accompagné de mesures draconiennes.
Des restrictions aux effets dévastateurs
En effet, les Nigérians ont eu la surprise, en décembre 2022, d’apprendre qu’ils avaient deux mois pour échanger leurs billets de 200 ₦, 500 ₦ et 1000 ₦. Au Nigéria, l’usage de l’argent liquide reste prépondérant, en particulier dans les zones rurales et isolées du pays. La démonétisation de ces billets a eu des conséquences dramatiques. De nombreux Nigérians n’ont pas pu se rendre dans la capitale pour effectuer l’échange. Ceux qui en ont eu les moyens se sont retrouvés à faire la queue durant des jours devant le siège de la banque centrale. Certains ont eu la désagréable surprise d’apprendre qu’il y avait une pénurie de nouveaux billets.
Face aux troubles qui ont éclaté à Lagos, le gouverneur de la banque centrale a su rester impassible, félicitant par la même occasion les 13 millions de détenteurs de portefeuilles électroniques. Coup de théâtre, ce dernier se retrouve derrière les barreaux, le lendemain de sa suspension par le président nigérian lui-même, Bola Tinubu.
Le gouverneur de la Banque centrale du Nigéria destitué puis arrêté
Le nouveau président de la République fédérale du Nigéria est en exercice depuis le 29 mai 2023. Son prédécesseur, Muhammadu Buhari, fut un des meilleurs soutiens de Godwin Emefiele. Emefiele est le gouverneur de banque centrale ayant eu le deuxième plus long mandat de l’histoire nigériane, de 2015 à 2023.
Il est connu pour avoir pris des mesures drastiques, afin de prévenir la récession économique du pays :
- Mise en place de taux de change multiples ;
- Restriction des échanges internationaux sur 41 produits allant du ciment au riz ;
- Interdiction des transactions en cryptomonnaies ;
- Démonétisation des billets de 200, 500 et 1000 nairas ;
- Destruction des arbres sous lesquels s’organisait le marché noir des devises.
Malgré tout, le Nigéria connaît une inflation record, dépassant les 22 %. C’est dans ce contexte économique délétère que Bola Tinubu démit le gouverneur de ses fonctions, le vendredi 9 juin.
Le Premium Times Nigéria nous a appris son arrestation le lendemain même. Le service de renseignement intérieur du Nigeria (SSS) est à l’origine de sa mise en détention. Les raisons n’en sont pas encore publiques à ce stade, mais font peu de place au doute.
Les Nigérians excédés par les exactions financières
Les relations entre Emefiele et les services de renseignements ont toujours été tendues. Parmi les raisons qui ont pu conduire à sa mise en détention, le prêt de 22,7 trillons de nairas (48 milliards de dollars) de la part de la banque centrale au gouvernement. Une mesure illégale selon les clauses du CBN Act. De plus, les positions politiques de Godwin Emefiele auraient fini par agacer profondément les autorités nigérianes. En effet, le gouverneur de la Banque centrale se doit de garder une position apolitique, selon la Constitution du Nigéria. L’institution bancaire doit rester indépendante et apartisane. Godwin Emefiele n’a pas vraiment fait honneur à cette volonté de neutralité.
Par exemple, Emefiele a gelé les comptes bancaires des Nigérians ayant participé aux manifestations contre les violences policières de 2020. De même, sa volonté à peine voilée de participer aux élections présidentielles 2023 avait fortement contrarié l’ancien président Buhari. Enfin, le SSS l’avait accusé en décembre dernier de financer des groupes terroristes. Ces mêmes services auraient la preuve de crimes financiers. Une tentative d’arrestation fut avortée par les juges, en raison d’un manque de preuves.
Selon les observateurs nigérians, sa mise en détention n’est pas une réelle surprise. Citons l’analyste financier Abiola Gbemisola :
« Je ne m’attendais pas à ce qu’il reste sous la nouvelle administration, d’autant plus qu’il n’a pas été si tendre dans sa politique, menant à l’élection présidentielle de février. Plutôt que de se concentrer sur la réduction de l’inflation, il a contribué à la forte inflation du Nigéria, en donnant de l’argent au gouvernement fédéral, en imprimant de la monnaie, essentiellement pour accorder des prêts. »
Abiola Gbemisola
Le motif de son arrestation devrait être rendu public dans les jours à venir. Quoi qu’il en soit, les Nigérians sont excédés par la politique monétaire menée par Emefiele. Outre l’inflation record, 133 millions de Nigérians n’auraient pas accès aux infrastructures basiques et à l’éducation. Une situation largement aggravée par les restrictions mises en place par la Banque centrale du Nigéria ces dernières années.
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