MiCA : les dangers d’une réglementation européenne pour le Bitcoin et les cryptomonnaies

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Aujourd’hui, nous allons discuter ensemble de la Note sur la proposition de Règlement du Parlement Européen sur les marchés de crypto-actifs1.L’émission du premier jeton numérique de l’histoire, en janvier 2009, a conduit au développement de milliers de crypto-actifs, avec une capitalisation boursière mondiale actuellede 1 500 milliards d’euros. Depuis l’été 2020, plusieurs grandes entreprises, fonds d’investissement, banques et personnalités publiques ont déclaré avoir investi dans le fameux bitcoin (BTC), le premier jeton décentralisé jamais créé, dans des projets de financement décentralisés (DeFi), ouvrant la porte à un nouveau paradigme de la finance, ou dans des jetons non fongibles (NFT3) qui sembleraient être l’avenir des « placements passion ».

Cet intérêt croissant a conduit le Parlement et le Conseil européen à élaborer une proposition de règlement4 publiée par la Commission européenne le 24 septembre 2020, afin de réglementer uniformément ce nouvel objet, encore difficile à appréhender.

La proposition de règlement a pour but d’améliorer la compréhension juridique des crypto-actifs par la clarification de la nouvelle terminologie5. Par un cadre réglementaire uniforme pour cette nouvelle activité en expansion, la Commission européenne entend encourager l’innovation et une concurrence loyale entre les acteurs européens, tout en garantissant la stabilité financière et la protection des consommateurs6.

Bien que ces objets soient généralement regroupés sous la dénomination de crypto-actifs, leurs caractéristiques fondamentalement différentes, tant dans l’objectif poursuivi que dans leur fonctionnement, nous obligent à les différencier juridiquement. C’est pourquoi le règlement proposé, connu sous le sigle MiCA (signifiant « markets in crypto-assets » ou « marchés de crypto-actifs), commence par l’article 2, qui assimile certaines formes d’actifs cryptographiques à des objets juridiques déjà réglementés. La proposition MiCA distingue de l’ensemble que sont les crypto-actifs, ceux qui pourraient entrer dans les définitions d’instrument financier7, de monnaie électronique8, de dépôt9, de dépôt structuré10, de sécurité11, appliquant donc les réglementations relatives déjà en vigueur. Cependant, le régulateur européen considère que certains crypto-actifs n’entrent dans aucune des catégories ci-dessus et a identifié 3 sous-catégories d’actifs, selon un critère fonctionnel :

  • Les jetons se référant à d’autres actifs (ART) ;
  • Les jetons de monnaie électronique (EMT) ;
  • Les jetons utilitaires (UT).

Les définitions apportée par la MiCA

Selon le régulateur européen, les UT sont des crypto-actifs destinés à fournir un accès numérique à une application, un service ou des ressources disponibles sur un registre distribué (DLT) et ne peuvent être acceptés que par leur émetteur12.

Quant aux ART, ils sont définis comme des jetons se référant à un panier d’actifs divers, dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui prétend maintenir une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiats, d’une ou plusieurs matières premières, d’un ou plusieurs crypto-actifs ou d’une combinaison de tous ces actifs13.

Europe

Enfin, les jetons de monnaie électronique (EMT) désigneraient un type d’actif cryptographique, dont le but principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui prétend maintenir une valeur stable d’une seule monnaie fiduciaire14.

Si la définition du premier est incorrecte, dans la mesure où les jetons utilitaires ne sont pas seulement acceptés par leur émetteur15, la qualification retenue par le régulateur européen pour les 2 autres catégories nécessite certains ajustements.

Des interprétations erronées

En ce qui concerne l’émission de jetons de monnaie électronique, qui sont exclusivement représentatifs d’une seule monnaie fiduciaire (article 3, point 4)16, le régulateur européen a choisi de limiter au maximum l’accès, en ne l’autorisant que pour les établissements de crédit et/ou de monnaie électronique (Article 43, point 1 a)17. L’obtention de telles autorisations nécessite un coût initial élevé et des obligations prudentielles conséquentes. Un émetteur EMT devrait simplement adosser un autre actif en plus de la monnaie fiduciaire, même dans une mesure marginale, pour se soustraire à cette obligation. S’il peut y avoir des doutes sur la pertinence de cette obligation, qui est clairement contraire à l’objectif de libre concurrence et d’accessibilité aux PME18, il est évident que la définition de EMT doit être révisée afin que le régime soit contraignant.

Enfin, concernant les ART, leur distinction par rapport aux instruments financiers reste floue, notamment au regard des transpositions nationales des directives MIFID I et II. Concernant la qualification d’un token aux fins d’une demande d’autorisation, il paraît paradoxal que cette proposition n’envisage pas de contrôle a priori, même facultatif, mais prévoie une multitude de sanctions19 a posteriori particulièrement importantes. Le seul moyen d’éviter le non-respect des lois de l’UE est l’avis juridique d’un professionnel concernant la qualification du jeton (article 16 (d))20. Ce processus est discutable par sa nature – un service d’avocat (qui par ailleurs engagent leur responsabilité) spécialisé coûteux, donc pas ouvert à tous – et par l’absence de critères permettant de qualifier un token avec certitude. La mise en place d’un cadre réglementaire paneuropéen ne devrait-il pas prévoir des services de certification publics et accessibles à tous ?

Si l’objectif de clarté nécessite quelques ajustements pour être efficace, qu’en est-il de l’objectif de libre concurrence et de promotion de l’innovation en Europe ?

Un passeport européen pour une concurrence loyale ?

Nonobstant la création d’un passeport européen, la demande d’autorisation est adressée aux autorités nationales compétentes, qui fondent leur approbation sur les législations nationales et leurs particularités. Certains États membres, dans lesquels la qualification des instruments financiers est plus large, la transposition des directives européennes permettant des variantes, ne seront donc pas compétitifs par rapport à d’autres États membres dotés d’une législation plus souple. Le risque d’arbitrage réglementaire sera alors inévitable.

Des privilèges tendancieux

Cette proposition prévoit de nombreuses exemptions à ce régime unique.

Selon le considérant (15) et les articles 4, 15 et 43, les émetteurs de crypto-actifs destinés uniquement aux investisseurs qualifiés sont dispensés de toute autorisation, leur permettant de démarrer l’activité à moindre coût.

Aussi, les pouvoirs publics et les entreprises publiques sont également exonérés des obligations liées à l’émission de crypto-actifs et à la fourniture de services.

Le considérant (7) dispose :

« Les crypto-actifs émis par des banques centrales agissant en leur qualité d’autorité monétaire ou par d’autres autorités publiques ne devraient pas être soumis au cadre de l’Union applicable aux crypto-actifs, et il en va de même pour les services liés aux crypto-actifs fournis par ces banques centrales ou ces autres autorités publiques. »

Cependant, la MiCA n’explique pas clairement pourquoi ces acteurs devraient être exemptés. Si ces obligations sont nécessaires21 pour assurer la protection des consommateurs et la stabilité financière, elles devraient s’appliquer à tous les acteurs sans distinction, afin de garantir l’objectif d’une concurrence loyale. Cet avantage est anticoncurrentiel et n’a aucun fondement.

Des privilèges tendancieux

Le régulateur européen a également souhaité simplifier les obligations réglementaires pour les PME souhaitant se lancer dans l’émission de crypto-actifs. En effet, le considérant (16) dispose :

« Les petites et moyennes entreprises et les start-ups ne devraient pas être soumises à des charges administratives excessives. Les offres au public de crypto-actifs dans l’Union qui ne dépassent pas un seuil global adéquat sur une période de 12 mois devraient donc être exemptées de l’obligation de rédiger un livre blanc sur les crypto-actifs. »

Cette tentative est cependant viciée au regard des articles 4, 15 et 43 qui précisent que l’émetteur ne peut offrir ses crypto-actifs au public sans se conformer au préalable à certaines obligations et que l’exemption ne peut être demandée qu’au terme d’une période de 12 mois, soit après avoir déjà été soumis aux charges administratives excessive.

Un émetteur d’UT doit donc, dans tous les cas, produire un livre blanc22, le notifier aux autorités compétentes et le publier, conformément à l’article 5. Un émetteur d’ART devra toujours demander une autorisation23 au titre de l’article 16. Quant à l’émetteur de EMT, il doit être un établissement de crédit ou de monnaie électronique24 avant toute émission de son token.

Au vu de ce qui vient d’être dit, il est difficile de comprendre comment les PME pourront exercer leur avantage.

« Digital finance package » pour l’innovation financière?

L’Europe promouvant l’innovation semblait être au cœur de cette campagne de régulation. Pourtant, le manque de clarté avec la taxonomie, le manque de simplicité dû à la référence fréquente à d’autres directives transposées de manière disparate dans chaque État membre, la disproportion des exigences prudentielles pour certains opérateurs sans assouplissement effectif, et enfin le déploiement d’un régime répressif de sanctions, ne facilitent pas le développement du marché européen des crypto-actifs.

Cette proposition de règlement vise à réguler l’innovation financière la plus disruptive de notre temps : une innovation permettant de téléporter de la valeur d’un portefeuille à un autre, de se financer, de valoriser son épargne, sans intermédiation.

Le régulateur européen semble avoir manqué l’importance du sujet en ne donnant à ce règlement qu’une portée subsidiaire et, l’angle d’approche, en se limitant à voir le marché des crypto-actifs et des services associés à travers un œil traditionnel.

La décentralisation est l’innovation. Ce qui n’est pas décentralisé reste une reproduction d’objets et de services juridiques déjà connus et normalement soumis à la réglementation déjà en vigueur.

L’interdiction de l’émission d’actifs cryptographiques par des personnes autres que des personnes morales, comme l’exigent les articles 4, 15 et 43, est impossible à appliquer dans la pratique. Reste que l’interdiction des crypto-actifs décentralisés sur les plateformes de négociation centralisées européennes (celles envisagées par ce texte) aura un impact négatif sur le développement de ses opérateurs au profit de plateformes décentralisées et imparables ou de plateformes extra-européennes. Le régulateur européen ne peut raisonnablement croire que l’Europe mettra en œuvre un marché centralisé de la cryptomonnaie de manière isolée, et que ce dernier pourrait être compétitif face au marché mondial décentralisé et pesant déjà plus d’un billion d’euros.

Considérations finales

En analysant la proposition MiCA, il est indéniable que certains objectifs déclarés ci-dessus ne peuvent être atteints. Le droit des crypto-actifs semble devenir plus compliqué que l’objet qu’il est censée servir. La proposition MiCA est difficile à lire, à décoder et soulève de nombreux problèmes de contradiction.

Faut-il rappeler comment le célèbre français Doyen Carbonnier a illustré l’effet du : « le droit a recouvert le monde bariolé des choses d’un uniforme capuchon gris, la notion de bien, cette abstraction »25.

Les biens sont tous différents. Ils présentent tantôt des similitudes, tantôt des différences. Mais le droit positif (contractuel, responsabilité délictuelle) doit pouvoir s’appliquer à de nouveaux objets, sans que l’intervention du législateur soit nécessaire, car notre droit ne tolère pas le déni de justice.

En suivant le raisonnement de Carbonnier, les biens qui sont nouveaux dans leur forme pourraient être appréhendés à travers le droit déjà connu et compris.

Sources citées dans cet article :

  1. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020PC0593&from=FR
  2. https://coinmarketcap.com/ La capitalisation boursière globale du marché crypto est de €1.50T, soit une baisse de 12.21% au cours des dernières 24 heures.
  3. https://www.theverge.com/22310188/nft-explainer-what-is-blockchain-crypto-art-faq4 
  4. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020PC0593&from=FR 
  5. COM(2020) 593 final 2020/0265(COD) – TITRE I Objet, champ d’application et définitions
  6. Considérant (5) : “Ce cadre harmonisé (…) devrait soutenir l’innovation et une concurrence loyale, tout en garantissant un niveau élevé de protection des consommateurs et d’intégrité du marché sur les marchés des crypto-actifs.”
  7. Article 2 Champ d’application – 2) Le présent règlement ne s’applique toutefois pas aux crypto-actifs qui remplissent les conditions pour être considérés comme: (a) des instruments financiers au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 15), de la directive 2014/65/UE
  8. Article 2 Champ d’application – 2) (b) de la monnaie électronique au sens de l’article 2, point 2), de la directive 2009/110/CE, sauf lorsqu’ils remplissent les conditions pour être considérés comme des jetons de monnaie électronique en vertu du présent règlement
  9. Article 2 Champ d’application – 2) (c) des dépôts au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 3), de la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil
  10. Article 2 Champ d’application – 2) (d) des dépôts structurés au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 43), de la directive 2014/65/UE
  11. Article 2 Champ d’application – 2) (e) une titrisation au sens de l’article 2, point 1), du règlement (UE) 2017/2402 du Parlement européen et du Conseil
  12. Article 3 Définitions – “«jeton utilitaire»: un type de crypto-actif destiné à fournir un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur la DLT, et uniquement accepté par l’émetteur de ce jeton”
  13. Article 3 Définitions – “«jeton se référant à un ou des actifs»: un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiat qui ont cours légal, à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto- actifs, ou à une combinaison de tels actifs”
  14. Article 3 Définitions – “«jeton de monnaie électronique»: un type de crypto-actif dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal”
  15. PARIS EUROPLACE – FINTECH COMMISSION GENERAL POSITION PAPER- (5) “utility token” “Utility tokens can be accepted by other people, not only the issuer.” https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12089-Financial-services-EU-regulatory-framework-for- crypto-assets/F1439669
  16. “en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal”
  17. 1.Des jetons de monnaie électronique ne sont offerts au public dans l’Union ou admis à la négociation sur une plate-forme de négociation de crypto-actifs que si l’émetteur de ces jetons: (a) est agréé en tant qu’établissement de crédit, ou en tant qu’«établissement de monnaie électronique» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2009/110/CE;
  18. Pourtant dans le Considérant (64) “Toutefois, étant donné que les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs sont très souvent des PME, il serait disproportionné de les soumettre à l’ensemble des dispositions du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil”
  19. COM(2020) 593 final 2020/0265(COD) Chapitre 2: mesures et sanctions administratives prises par les autorités compétentes
  20. “un avis juridique selon lequel les jetons se référant à des actifs ne sont pas considérés comme des instruments financiers, de la monnaie électronique, des dépôts ou des dépôts structurés;”
  21. Considérant (5) : “Un cadre harmonisé et spécifique est donc nécessaire au niveau de l’Union afin d’établir des règles particulières pour les crypto-actifs et les activités et services connexes et de clarifier le cadre juridique applicable. “
  22. Article 4 “(b) d’avoir établi un livre blanc sur ces crypto-actifs conformément à l’article 5” 
  23. Article 15 “1.avoir été agréé à cet effet conformément à l’article 19”
  24. Article 43 “1. (a) est agréé en tant qu’établissement de crédit, ou en tant qu’«établissement de monnaie électronique» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2009/110/CE;”
  25. Jean Carbonnier – Les Biens

Sarah Afes

Juriste en droit des affaires, et co-fondatrice de coinsociety.io, je m'intéresse particulièrement aux régulations naissantes dans le domaine des crypto-actifs et de la blockchain. J'accompagne les entreprises promouvant cette innovation sociale afin d'opérer dans le respect de la règlementation. Je vois la décentralisation comme une réelle opportunité d'avancer vers l'idéal démocratique, depuis longtemps proclamé, mais si souvent bafoué.

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