Et J.R. Willett créa l’ICO
J.R Willett est le développeur américain qui est à l’origine des levées de fonds en cryptomonnaies. Portrait d’un inventeur très discret.
“Bravo pour le pitch, mais votre projet manque de maturité, revenez nous voir dans un an…” Tout entrepreneur qui a cherché à lever des fonds a pu entendre cette longue litanie pour lui signifier un refus. En réaction quasi immunitaire à ce manque de financement, et dans le sillage de Bitcoin, est alors apparu en 2013 l’ICO (Initial Coin Offering). À mi-chemin entre le crowndfunding et l’introduction en bourse, un porteur de projet peut envisager de s’adresser directement aux investisseurs pour lever des fonds en cryptomonnaies sans aucune contrepartie de capital de la société. A l’origine de ce procédé totalement novateur, un ingénieur américain de 38 ans aussi discret qu’inconnu : J.R. Willett.
En 2010, J.R. Willett cherche un moyen de faire des paiements en ligne sans frais élevé. Coïncidence ou alignement de planètes, Bitcoin vient tout juste de faire son apparition. Ce protocole informatique décentralisé, qui permet d’échanger de la valeur, va immédiatement parler à ce passionné de lecture et de programmation informatique. Lui qui se décrit comme un « Indoorsman » (un homme de l’intérieur), plutôt casanier, comprend immédiatement, dans le confinement de sa maison de Seattle, qu’avec Bitcoin une révolution est en train de se produire. Il fait alors ce que peu de personnes font : décortiquer le code de ce nouvel objet numérique pendant des jours et des nuits, « persuadé qu’il était possible de créer de nouvelles fonctionnalités en plus du protocole Bitcoin. »
Un arnaqueur qui s’enfuirait avec l’argent
J.R. Willett est convaincu que la cryptomonnaie sera le futur, et pour faciliter son adoption par le grand public, il se refuse à créer une cryptomonnaie concurrente au Bitcoin, un “altcoin”, qui pour lui n’apporterait que de la complexité supplémentaire et des difficultés de compréhension. Son projet Mastercoin est une proposition d’amélioration, un protocole en surcouche à celui de Bitcoin qui lui ajoute des fonctionnalités nouvelles, comme la possibilité via des smart-contracts de créer une autre cryptomonnaie, de faire de la titrisation d’actif, des gestions d’abonnement… « Cette idée vient de mon expérience en informatique. Nous empilons régulièrement des protocoles les uns sur les autres. Par exemple, les piles HTTP sont au-dessus de TCP/IP, elles-mêmes au dessus d’Ethernet. » Il rend public son white paper le 6 janvier 2012.
Malheureusement J.R. Willett, comme beaucoup d’entrepreneurs, n’a pas les moyens de financer son idée. Son projet complètement nouveau qui s’ajoutait à une autre innovation comme le Bitcoin, qu’à l’époque peu de personnes parvenaient à comprendre, ne risquait pas de convaincre les investisseurs institutionnels. « Je n’étais pas disposé à quitter ma famille, ni à voyager pour faire la tournée des VC. Alors j’espérais que quelqu’un d’autre se fasse financer à ma place, pour que je puisse être un investisseur passif. Mais personne ne l’a fait. » Il envoie à Satoshi Nakamoto, fondateur inconnu du Bitcoin, sa nouvelle idée d’utilisation du protocole. « Il ne m’a jamais répondu. Comme c’était au moment où il s’est retiré du projet, peut-être même qu’il n’a jamais vu mon e-mail. »
Seul avec son projet, il décide alors pour se financer d’utiliser l’autre fonctionnalité du Bitcoin : le smart-contract qui permet de contractualiser une transaction financière. A l’été 2013, par un post sur le forum BitcoinTalk, il annonce le début d’une opération de crowdfunding en bitcoin pour Mastercoin « Je savais que mes amis sur le forum comprendraient mon idée, alors j’ai décidé de trouver un moyen de recueillir de l’argent auprès d’eux. C’est devenu la première ICO. » Une adresse Bitcoin « 1EXoDus … » est créée. « J’ai choisi ce nom pour signifier que ma levée de fonds était un exode de fonds de bitcoin vers une nouvelle terre promise — une nouvelle couche de protocole permettant de créer des smart-contracts au-dessus de bitcoin », explique-t-il.
Toutes personnes envoyant des bitcoins avant le 31 août 2013 recevaient en contrepartie 100 fois sa mise en mastercoins (MSC) et des bonus supplémentaires en fonction de la semaine durant laquelle la transaction d’envoi avait eu lieu. « Les “cryptopuristes“ étaient plutôt excités à l’idée d’utiliser Bitcoin pour créer un moyen de financement mais la plupart d’entre eux devaient penser que j’étais un arnaqueur qui s’enfuirait avec l’argent », ironise-t-il. En trente jours, une levée de fonds de 4.740 bitcoins (BTC) est obtenue, soit plus de 500.000 dollars suivant la cotation du moment. « C’était curieux de voir des étrangers m’envoyer un demi-million de dollars en bitcoins. »
Le principe d’une ICO était acté. Acronyme dont il avoue ne pas être à l’origine « Je n’étais pas si stupide pour l’appeler ainsi et susciter la colère de la SEC (Securities and Exchange Commission). Ce sont d’autres personnes qui ont commencé à l’appeler ainsi plus tard. » A aucun moment le développeur ne se doute qu’il est en train de changer profondément le secteur du financement des entreprises : « J’essayais juste de résoudre mon problème de fonds. Je n’avais pas le temps d’expliquer ce que j’essayais de faire pour trouver du capital-risque. Comme beaucoup d’innovations, cela vient de la paresse ! »
Suivra en septembre 2014 le projet Ethereum qui leva 31.500 bitcoins, soit à ce moment-là une valeur de 18,4 millions de dollars. Une véritable épidémie saisit alors toute la communauté des cryptomonnaies qui comprend qu’elle peut s’auto-financer en pratiquant des ICO. En 2017, il y aura eu environ 350 ICO pour un montant levé de plus de 3,5 milliards de dollars.
Les autorités ne m’ont jamais interpellé
J.R. Willett explique ne pas s’être préoccupé des mesures de KYC (Know Your Customer) que l’on s’oblige à pratiquer maintenant pour lutter contre le blanchiment d’argent.
« Dès le début de la vente des tokens, les gens ont commencé à m’envoyer des messages disant qu’ils m’avaient signalé à la SEC. J’ai commencé à m’inquiéter de l’arrivée de leur camionnette en pleine nuit. Mais les autorités ne m’ont jamais interpellées. A mon avis, le bureaucrate qui a dû lire la plainte devait être déconcerté […] il était plus facile de m’ignorer que d’essayer de comprendre ce que je faisais »
Il se retrouve alors à la tête de la Mastercoin Fondation, avec beaucoup de responsabilités, d’employés et d’investisseurs qui comptaient sur lui.
« C’était très stressant. Lorsque d’autres projets concurrents, comme Ethereum, ont commencé à faire la même chose que nous, le prix de notre token a considérablement baissé. […] J’ai confié la gestion quotidienne du projet à d’autres personnes, comme Craig Sellars. Le stress ne me manque pas du tout », sourit-il.
Selon lui, la difficulté majeure d’une ICO est le manque de stabilité des cryptomonnaies du fait de leur grande volatilité :
« Peu de temps après, le prix du bitcoin a été multiplié par dix […] nous avons continué à détenir nos fonds en bitcoin, soit 5 millions de dollars. Son prix a ensuite chuté, mais nous avions embauché des gens et dépensé de l’argent comme si nous avions toujours les 5 millions de dollars. Rapidement nous avons fini par dépenser tout notre cash. J’ai fait un arrangement avec les développeurs pour les payer avec mes Omni personnel s’ils continuaient à travailler sur le projet, la plupart d’entre eux sont restés. »
Malgré ces difficultés de trésorerie, aujourd’hui Mastercoin renommé Omni héberge pratiquement 3 milliards de dollars d’actifs (dont la plus grande partie est détenue par Tether avec une capitalisation de 2,7 milliards de dollars).
Les cryptomonnaies sont puissantes et dangereuses
Cette invention majeure dans le secteur du financement des entreprises n’a pas rendu pour autant J.R. Willett millionnaire en bitcoins. S’il pouvait revenir en arrière, il aurait investi davantage en 2010. « Mais je n’ai investi que 200 dollars et j’en ai vendu une partie au fur et à mesure de la hausse. Dommage, sinon je serais très riche aujourd’hui. ». Concernant l’avenir des cryptomonnaies, il pense qu’« elles sont très puissantes et très dangereuses […] De grandes fortunes seront créées et perdues, et beaucoup en souffriront. La cryptomonnaie a des avantages intrinsèques par rapport à la monnaie émise par les gouvernements, et une fois que ces avantages ont été prouvés, les monnaies gouvernementales sont en sursis. Les implications sont bouleversantes. »
Le dernier projet de J.R. Willett s’appelle Uptoken. Il s’agit d’un token, une sorte de point de fidélité, destiné à récompenser les utilisateurs de guichet automatique de paiement (ATM) en cryptomonnaies. Selon lui, c’est le prochain grand développement des monnaies virtuelles.
« J’ai rencontré des personnes à Seattle qui travaillent dans le secteur des terminaux de paiement bitcoins. […] Je leur ai dit que s’ils publiaient un token lié à leurs guichets automatiques, je l’achèterais. C’est comme ça que UpToken a commencé », s’enthousiasme-t-il. J.R. Willett n’a donc pas fini de faire parler de lui… en toute discrétion.
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Source : Medium || Images from Shutterstock