Sébastien Gouspillou réagit au « FUD chinois » sur l’interdiction du mining
Qui vivra verra, pour ainsi dire – La nouvelle n’en finit plus de faire le tour du monde : la Chine a récemment inscrit le minage de bitcoins sur sa liste des grandes méchantes activités à éliminer. Comme nous l’avons désormais bien tous intégré, c’est bien connu, le méchant minage va provoquer à lui-seul le basculement vers une apocalypse climatique. Heureusement, le gouvernement chinois est là pour nous sauver, et compterait proposer des évolutions législatives restrictives contre Bitcoin dès le 7 mai prochain.
Entrevue exclusive avec Sébastien Gouspillou, co-fondateur et président de BigBlock DataCenter, l’une des entreprises françaises majeures du secteur du minage. Il a accepté de répondre à nos questions ingénues à propos de ce nouveau “crypto-cataclysme” !
Que vous inspire la nouvelle tonitruante tombée dans la nuit de mardi à mercredi, à savoir l’inscription du minage de bitcoins par l’organisme planificateur du gouvernement chinois sur la liste des “activités en phase de suppression progressive” ?
Sébastien Gouspillou : Pas grand chose, j’aimerais bien savoir quels types d’industries figurent sur cette liste, qui existe depuis 2006. Je pense qu’il y a un paquet d’industries qui sont listées depuis l’ouverture de cette liste et qui existent toujours, de fait. Il y a des intérêts économiques sous-jacents qui font que, malgré toutes les déclarations publiques coutumières du politique, on ne peut pas forcément faire disparaître toutes les industries d’un claquement de doigts.
Je note que cette nouvelle s’inscrit quand même dans un mouvement assumé de la Chine, qui est de s’approprier la sphère crypto, et pas simplement de vouloir la détruire.
Comment pensez-vous que la nouvelle est perçue dans la communauté de mineurs installés physiquement en Chine ?
J’ai pas mal échangé depuis l’annonce avec des collègues mineurs chinois indépendants. Le sentiment est mitigé : il y a ceux qui n’ont pas l’air plus inquiets que ça, ce qui se comprend : on leur a toujours dit que leur activité était menacée, et le moins qu’on puisse dire c’est que ça ne les a pas empêchés de prospérer jusqu’à maintenant.
D’autres, les plus défaitistes, m’ont dit qu’ils se voyaient délocaliser à moyen terme, peut-être même d’ici deux ans.
Après, il ne faut pas oublier que, comme me le disent certains de mes contacts, par exemple dans le Sichuan, des mineurs ont des accords sous la forme de contrats long terme avec les compagnies d’électricité locales. Il leur apparaît évident qu’il serait totalement contre-productif pour l’électricien que cela s’arrête. Qu’ils renoncent à tout développement, ou même qu’ils réduisent la voilure, voilà par contre ce qui peut leur sembler représenter une menace réelle, parce que le gouvernement ne trouverait aucun avantage, ni économique ni environnemental, à une interdiction.
En tant que BigBlock, avez-vous des opérations en Chine ?
Non, du tout. On n’a jamais été tentés d’y aller, on pense qu’ils n’avaient vraiment pas besoin de nous, pour tout dire (rires). Plus sérieusement, on y a par contre de bons contacts, tissés depuis longtemps. Pour nous, au global, ce qui ressort de nos échanges, c’est que leur âge d’or prend fin. Mais une interdiction du mining pure et simple, non, ils n’y croient pas.
Certains médias ont l’air de mal interpréter certaines conséquences, d’aucuns allant jusqu’à évoquer une “baisse temporaire du supply, une raréfaction du bitcoin, et donc une perspective haussière pour le prix du bitcoin”. Puisque vous êtes plus familier du mécanisme de l’adaptation de la difficulté que certains de ces commentateurs, comment jugez-vous cette hypothèse d’impact sur le prix ? Surtout, quelles conséquences vous semblent réellement envisageables si cette interdiction devenait effective ?
Ce serait extrêmement positif pour nous, mineurs, d’avoir ce concurrent rendu moins visible, dans tous les cas. On pourrait observer une baisse temporaire du hashrate, une migration des mineurs, une nouvelle répartition géographique, un brassage encore plus important que celui que l’on vit en ce moment donc, au passage, beaucoup de transactions en bitcoins faites par les mineurs… Pour autant, je ne vois aucune influence directe sur le cours, très franchement.
Quant à cette théorie de « raréfaction du bitcoin », bien évidemment que moins de mining en Chine ne changera rien au supply, mais quelle blague ! Elle est très bonne, vraiment.
En décembre dernier, lorsque la cryptopresse se faisait l’écho d’une nouvelle “mort du Bitcoin” à cause d’une “spirale de la mort du minage”, nous avions déjà échangé sur cette hypothèse, et vous teniez le même discours de simple délocalisation des mineurs vers des contrées plus accueillantes. Dans ce contexte de géopolitique du minage en évolution, vous envisagiez de participer à la fondation d’une pool de mining française, visible sur le camembert Bitcoin. Où en est ce projet, et est-il modifié par ces nouveaux développements ?
Tout ce projet de pool française, que nous mènerions, est le but ultime de notre implantation en Asie centrale. On a la capacité électrique suffisante au Kazakhstan et on travaille en parallèle sur une implantation au Tadjikistan. Quand on aura créé les mines en face de cette offre électrique, on aura une French Pool significative, visible sur le graphique mondial. C’est un objectif pour 2021. On a donc plusieurs fers au feu pour organiser le déploiement de cette pool française.
La perspective d’une interdiction du minage de bitcoins en Chine est bien sûr une opportunité supplémentaire qui tombe à point, ça ne peut que rendre plus évident notre projet. Ce serait dingue… Mais bon, avec l’expérience, on a pris l’habitude de prendre tout ce qui arrive de Chine avec des pincettes. Visiblement un peu plus que le reste de la presse internationale.
Je reste encore plus étonné par la vitesse de propagation de ce non-événement au sein de la presse mondiale, que par la “nouvelle” en elle-même, en fait. Il y a certainement tout un tas d’industries qui ont aussi été listées, les années précédentes ou bien cette fois-ci, et dont personne ne parle. Est-ce qu’on lit des gros titres sur “La Commission Nationale du Développement et de la Réforme de la Chine veut bannir l’industrie des sacs en plastique, bientôt la fin du plastique” ? Et pourtant, ça, c’est autrement plus grave que le mining, non ?
Rappelons que, pour changer, ce sont justement les arguments écologique et de la lutte contre la pollution qui sont avancés pour justifier l’inscription à cette liste.
Et justement, à tort. Franchement, tous les mineurs chinois avec lesquels j’échange minent sur des centrales hydro-électriques là-bas. Il subsiste certainement des mineurs au charbon, même si dans certaines provinces, cette offre, bien qu’abondante, est devenue trop chère pour miner. L’argument environnemental comme justification à une interdiction du mining est une fausse barbe mal ajustée. Il suffit au pouvoir chinois d’appliquer une taxe charbon sur les électro intensifs concernés, ils déménageront. Il n’a pas besoin d’interdire les mineurs, il a la main sur les taxes électriques.
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Des représentants de Bitmain et Canaan ont commenté en disant que cette décision n’aurait que des conséquences minimes sur leurs affaires, c’est un point de vue que vous partagez ?
Difficile de se prononcer pour eux, mais ce qui est certain, c’est que cette décision n’a pas besoin d’être prise pour que les conséquences de l’annonce soient déjà évidentes : pour les investisseurs chinois, le mining en local, c’est “wait and see”. Qui créerait de nouvelles mines en Chine dans cette ambiance ? Ça réduit le champ d’action de ces deux compagnies et de leurs concurrents locaux, bien sûr.
Les cartes pourraient-elles être rebattues plus fondamentalement, justement avec un impact plus franc sur les autres activités des entreprises comme Bitmain, qui n’en restent pas purement au management du minage, mais aussi à la production d’ASIC dédiés sur le sol chinois ?
C’est spécial ce qui se passe chez Bitmain en ce moment. Le lancement de leur offre de cloud mining, depuis quelques jours, avec des capacités conséquentes à disposition, ont l’air d’indiquer qu’ils ont de grosses usines qui tournent. Toute la question, c’est « où » ? Ils devaient s’implanter aux USA, mais à priori ce n’est toujours pas fait, et là ils ont de la puissance de hash disponible qui vient sans doute de Chine, où ils ont 11 bâtiments dédiés à l’exploitation dont ne sait pas précisément lesquels tournent encore. Donc en définitive, ils ne doivent pas être très sereins. S’ils devaient couper en Chine, ils ne pourraient pas tenir leurs engagements des contrats clouds qu’ils viennent de lancer, ce serait très chaud pour eux, toutes activités confondues. Donc en définitive, c’est très difficile de savoir ce qui se passe réellement chez Bitmain, ni de savoir où ils sont. Mais dire qu’ils seraient seulement impactés à la marge, c’est un doux euphémisme, et c’est encore à vérifier, dans la juste tradition du “Don’t trust, verify”.
Ce flou se retrouve aussi dans les nouvelles machines qu’ils ont annoncées récemment d’ailleurs, difficile de démêler le vrai du faux. Les ventes qui ont eu lieu en début de semaine pour les lots de S17 ont beau s’être conclu en un temps record, comme d’habitude, c’est difficile d’évaluer les volumes concernés et qui seront effectivement délivrés. Est-ce qu’ils ont vendu 100 machines ou 20 000 ? On ne peut pas savoir.
De notre côté, d’ici à la fin du mois, on devrait en savoir plus sur le S17 sur le plan purement technique. On en a commandé pour tester avec notre broker local, il les aura le jour de l’expédition de l’usine.
Vous évoquiez en début d’entretien un contre-sens à bannir Bitcoin au niveau local pour la Chine, mais alors quel serait l’intérêt à l’échelle du gouvernement chinois en lui-même ? Puisque le minage ne fait que se partager au reste des participants, la Chine ne ferait que se sortir du “jeu”.
En Chine, la confiance dans le yuan est obligatoire. Bitcoin participe d’une entorse à cette règle et dérange forcément les autorités, qui n’ont eu de cesse depuis 7 ans de lui taper dessus. Alors le mining, la création monétaire sur le territoire chinois, bien sûr, idéologiquement, ça ne peut pas leur convenir. C’est ça qui les hérisse, pas que 3 bitcoins soient minés dans quelques unes des dizaines de centrales charbon qu’ils inaugurent chaque année… ce serait le comble.
Dans le même temps, des personnels politiques avisés – puisqu’il y en a en Chine aussi, sans doute – voient forcément que s’exclure du jeu maintenant serait une erreur économique et stratégique. Avec le mining, les surplus électriques deviennent des jetons, une production locale destinée à l’export, tout ce qu’aime la Chine. Alors, les autorités s’inviteront-elles dans le jeu, ou le casseront-elles ? L’obsession du monopole monétaire l’emportera-t-elle sur la logique économique ? Je lis dans la presse qu’une interdiction pourrait être décidée dès le 7 mai. Au moins, on saura très vite si la Chine s’est une nouvelle fois tiré une balle dans le pied en visant Bitcoin… Suspense !
Nos remerciements à M. Gouspillou pour sa disponibilité, et ses réponses avisées. Nous espérons que cet entretien vous aura permis de mieux contextualiser cette nouvelle vague de FUD chinois, surtout si vous êtes montés tout dernièrement dans le train fou de la crypto. Les conséquences de cette potentielle interdiction restent donc très hypothétiques, au moins autant que le fait de l’interdiction en lui-même. Affaire à suivre, dès le 7 mai.
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