Chronique mortuaire : enterrer Bitcoin à cause d’une supposée spirale de la mort
329e fois qu’on annonce sa fin, et toujours debout (ou presque) – C’est un article remarqué sans être remarquable, publié le 4 décembre, qui a mis le feu aux poudres : promis, juré, Bitcoin est condamné à mourir et à voir sa valeur chuter aux ras des tulipes !
Pourquoi donc cette fois-ci, me direz-vous ?
Le coupable du jour n’est autre que le minage, processus censé sécuriser et faire fonctionner la blockchain sous-jacente au Bitcoin. En effet, il faudrait être sacrément myope pour ne pas avoir constaté le nombre fort conséquent d’ASIC ayant été débranché ces derniers temps, du fait du sordide bear market en cours.
Doit-on pour autant considérer que nous allons, plus ou moins lentement mais en tout cas sûrement, nous écraser à zéro parce que plus aucun mineur ne sera assez stupide pour laisser même un seul Antminer S9i tourner ?
Boire le calice jusqu’à la lie ?
La dernière escarmouche impliquant Bitcoin et sa mort prochaine supposée nous est proposée par Atukya Sarin, professeur de finance à l’Université de Santa Clara. Il déroule un argumentaire relativement classique dans un article publié par MarketWatch, à la manière d’une antienne qui reviendrait à chaque effondrement du marché depuis déjà près de 4 ans.
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L’auteur présente donc un certain nombre d’éléments qui impliqueraient à ses yeux la mort prochaine du Bitcoin dans une désormais fameuse “spirale de la mort” du minage.
L’idée générale est la suivante : si les mineurs fondateurs étaient des idéalistes, près à encaisser des pertes en véritables fanatiques convaincus en lien avec la volatilité sans queue ni tête du Bitcoin à ses débuts, la nouvelle magnitude prise par le cryptoactif roi impliquerait que les nouveaux entrants dans la compétition du minage soient beaucoup plus frileux face au risque. Ainsi, ces newbies auraient bien plus tendance à s’enfuir à toutes jambes face à un marché salement baissier.
Pour Atukya Sarin, la valeur de Bitcoin ne peut se calculer de la même manière qu’un autre actif financier, et surtout la comparaison avec des métaux précieux comme l’or n’aurait aucun sens : là où un avoir financier quelconque tirerait sa valeur du cash flow futur attendu par un investisseur suite à son placement initial, et là où l’or peut au moins s’appuyer sur son acceptation quasi universelle comme réserve de valeur, il n’en serait rien pour Bitcoin, patatras !
En effet, le gros des mineurs s’étant établis au cours des dernières années, et surtout du dernier bull run de 2017, serait purement et simplement motivé par le diabolique appât du gain.
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Diantre, ces fichus capitalistes.
Toujours d’après cet auteur, les mineurs de bitcoins auraient participé et tiré profit de l’épisode moonesque de 2017, en profitant d’opportunités d’arbitrage offertes par le lancement des Futures en fin de cette année. Rappelons que les exchanges impliqués dans le calcul des données utilisées pour l’établissement de ces Futures ont notamment fait l’objet d’investigations de la CFTC américaine en juin 2018.
En effet, selon la théorie de l’auteur, les mineurs auraient alors eu tout intérêt à miner même à perte, profitant de prix de revente en dollars plus élevés via les exchanges utilisés pour calculer le cours des Futures afin de tirer des avantages substantiels de leurs profits d’arbitrage : ils auraient pu miner du bitcoin à perte sur le principe à la revente sur le marché dérégulé principal (un des exchanges) mais auraient empoché la différence positive en dollars sur les Futures en fiduciaire pariant toujours à la hausse.
Une situation bien exagérée et mal comprise
Pour autant, la suite du raisonnement consiste donc à considérer que, la situation et l’ambiance s’étant légèrement détourné d’un chemin tout tracé vers la Lune, les mineurs auraient été de plus en plus nombreux à s’apercevoir de l’opportunité d’arbitrage et à poursuivre un minage potentiellement à perte pour récupérer un retour positif détourné en pariant sur les marchés Futures.
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Ainsi, cette dynamique curieuse expliquerait à la fois le début de l’envolée à l’ouverture des Futures, mais également maintenant que des mineurs débranchent la période de relative stagnation du cours du Bitcoin autour de 6000$ (relativement) récente.
Cependant, au delà de ces considérations, l’auteur considère bien le mécanisme de l’adaptation de la difficulté au nombre de mineurs effectifs. Ce mécanisme permet pour rappel de toujours miner 12,5 BTC par bloc, mais de simplement le redistribuer différemment selon le nombre de mineurs encore en course. Mais pour l’auteur, malgré ce mécanisme, il arrivera fatalement un moment où le registre Bitcoin ne sera plus assez soutenu et entretenu pour fonctionner, ce qui l’entraînera forcément vers les abysses.
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Bitcoin relégué en Ligue 2, où quand le Pizza Day prend une drôle de saveur
Même si l’Apocalypse annoncée approchait, il resterait des solutions
Il n’en fallait pas tant pour provoquer l’embrasement du Crypto-Twitter et de ses acolytes pseudo-sociaux, et c’est finalement The Block, média d’analyse crypto, qui a pris le temps de répondre au trait d’humeur de M. Sarin.
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Dans une publication dédiée, la contre-attaque n’a pas tardé pour contrer la vision profondément défaitiste de l’article initial.
Si Arjun Balaji, plume de la contre-offensive de The Block, reconnaît le caractère pseudo-intuitif pour un non-initié du raisonnement simpliste qui associerait baisse de hashrate avec baisse de rentabilité puis à terme mort de Bitcoin par délaissement macabre, il s’empresse de rappeler que les bases théoriques d’un tel argumentaire sont assez légères.
D’abord, il se permet de rappeler que l’ajustement de difficulté de Bitcoin en fonction du nombre effectif de mineurs survient de façon périodique : tous les 2016 blocs, soit approximativement (mais pas exactement) toutes les deux semaines.
La difficulté suit donc historiquement grosso modo l’évolution du hashrate, de façon peu surprenante.
Ainsi, il n’y aurait pas tellement de raison de s’inquiéter : la théorie des jeux sous-tendant la partie de poker constante qu’est le minage de bitcoins n’a jamais changé en tant que telle, même si la configuration physique et géographique des participants à cette partie est en perpétuelle mutation.
Par conséquent, s’alarmer et déclarer Bitcoin mort serait à nouveau une attitude plus prématurée qu’avant-gardiste. Et encore, même si une réelle spirale de la mort venait à frapper le monde du minage, avec une sorte de bank run d’ASIC, il resterait encore des solutions pour parer au plus pressé selon The Block.
Par exemple, du fait d’une baisse brutale de hashrate, il pourrait devenir plus coûteux de soumettre des transactions, avec des frais de transaction plus élevés, ce qui s’est déjà observé par le passé. Un tel marché des frais pourrait participer à compenser les mineurs dans un contexte d’effondrement mais aussi de nouvelle répartition du bloc reward.
Permettons-nous de nuancer cet avis et de rappeler que, par le passé, et même dans les situations d’intense chute, les frais de transaction n’ont compté que pour part négligeable du total la plupart du temps et n’ont eu qu’une importance toute relative dans la dynamique sous-jacente au fonctionnement de Bitcoin.
Des contre-mesures pour équilibrer la situation
D’autres facteurs se rajoutent pour venir nuancer tout alarmisme, notamment le fait qu’il est facile de sous-estimer les capacités des mineurs à encaisser un marché fortement baissier : comme nous le rappelait Sébastien Gouspillou récemment, le minage mondial de bitcoins est en pleine mutation. Ainsi, ce n’est pas parce que le hashrate global semble diminuer que les mineurs abandonnent forcément le navire. M. Gouspillou pronostiquait ainsi la semaine dernière qu’il était fort probable que la plupart des ASIC actuellement débranchés soient ou bien en rédéploiement dans des contrées au coût énergétique plus rentable, ou bien en train de changer de propriétaires et là aussi d’être rédéployés. Dans cette optique, il serait vraisemblable que la situation actuelle de chute du hashrate n’ait rien de réellement alarmante et qu’il puisse augmenter à nouveau prochainement, selon M. Gouspillou.
The Block, de son côté, estime aussi qu’il ne faut pas négliger les accords au long cours obtenus par les mineurs : par exemple, ceux convenus pour faire tourner toute l’infrastructure sous-jacente (électricité obtenus à des taux préférentiels, notamment entre 1 à 4 centimes dans certains pays de l’Est), qui peuvent permettre de continuer à miner en restant en solde positif malgré un marché fortement baissier.
Enfin, même en cas d’effondrement lié à une difficulté non adaptée, les mineurs seraient incités à miner à perte pour arriver rapidement à un nouvel ajustement de difficulté, les 2016 blocs devant être inclus pour s’adapter aux forces en présence.
Pour finir, The Block évoque la possibilité de provoquer un hard-fork de Bitcoin pour se diriger en urgence vers un consensus à la difficulté ajustée manuellement, en cas de réelle crypto-apocalypse minière. Permettons-nous là encore de rester relativement circonspect face à une telle hypothèse : si un hard-fork peut effectivement arriver, et l’histoire l’a démontré avec les valeureuses aventures du frère retardé Bitcoin Cash (BCHABCSV), rien ne dit qu’un consensus large émergerait dans la communauté pour soutenir une telle proposition et qu’elle pourrait donc être mise en œuvre.
En définitive, Bitcoin est-il réellement emporté dans une spirale de la mort minière ?
Cela paraît peu probable, et quand bien même, le roi des cryptoactifs a déjà démontré par le passé qu’il avait de la ressource pour se tirer de pareille situation. Alors, un pur FUD de plus pour fêter Noël, cette spirale de la mort ?
Fort probablement un nouveau tir non cadré pour les contempteurs acharnés de Bitcoin.