La Chine va lancer sa cryptomonnaie, excellente nouvelle pour Bitcoin
La révolution monétaire de Satoshi Nakamoto est en train d’être dévoyée par la république populaire de Chine, et c’est tant mieux… Le président Chinois Xi Jinping a ainsi déclaré le mois dernier que la Chine se devait de « saisir l’opportunité de la blockchain et accélérer le développement de [sa] technologie ». Mais derrière ces commentaires vagues, pouvant paraître enthousiasmants à certains membres de la cryptosphère avides d’adoption, ne devrait-on pas plutôt faire la grimace ?
Les bottes, toujours aussi bruyantes
Pour ceux qui auraient raté un épisode, oui, la banque centrale chinoise a annoncé quelques mois plus tôt le lancement d’une « crypto »monnaie étatique, annonçant une sortie avant la fin de l’année, avant de se rétracter partiellement.
Rien que du classique sur le principe : il s’agira bien d’émettre un stablecoin, lequel sera distribué aux plus grandes banques du pays, ainsi qu’aux géants Alibaba, Tencent et Union Pay, pour ne citer qu’eux. Ce sont ensuite ces mastodontes qui se chargeront de faire adopter ladite monnaie à plus d’un milliard de citoyens chinois.
Les véritables intentions du président Xi étaient déjà limpides, mais le contexte local des dernières semaines aura fini de dissiper tout doute : la chaîne de blocs concoctée par le pouvoir chinois se passera très bien de ces idéaux de liberté bien sots qui imprègnent la cryptosphère : les chaînes ne sont après tout pas faites pour libérer, pas vrai ?
Tout comme Facebook préparait tranquillement le terrain pour son stablecoin shitcoinesque maison, Libra, en bannissant toute publicité crypto, la Chine s’est – elle aussi – donnée le temps de préparer une tentative de parade locale au Bitcoin.
La liberté qui se tait
Aurait-il pu en être autrement d’un État dont certains dénoncent une logique orwellienne, où les télécrans se manifestent aussi bien sous la forme de caméras à reconnaissance faciale que d’écoute passive – mais attentive – de tous les échanges sur réseaux sociaux ? Cette surveillance et son fameux crédit social, purement dystopique, pourrait-elle vraiment se passer d’une monnaie cherchant à se parer des mêmes attributs ?
« Avoir une expression du visage inappropriée devant les télécrans était en soi une infraction punissable. Il y avait même un mot pour ça. Crime facial, ça s’appelait. » 1984, George Orwell
De ce que l’on en sait, le crédit social analyse les comportements, et se base sur de nombreuses données. Inutile de toutes les citer, mais résumons en disant que tant le comportement constaté, qu’une vaste quantité de données personnelles, administratives ou encore tirées de vos historiques d’achat, sont passées à la moulinette d’algorithmes adéquats. Selon leur bon vouloir, vous pourrez (ou non, désolé hein !) avoir accès à certains emplois, utiliser certains services publics… ou certains services tout court. Pour citer le journaliste Jérôme Colombain, un merveilleux « big data au service de la surveillance sociale et politique ».
Inutile aussi d’évoquer en détails les dernières révélations du New York Times à propos des camps d’internement réservés en priorité à la minorité des Ouïghours, démontrant selon certains documents ayant fuité une volonté politique forte de rééduquer les dissidents potentiels « sans aucune pitié ».
L’objectif inavoué derrière la création du cryptoyuan est bien de faire disparaître le cash. Mais si les responsables politiques de par le monde s’agitent, désormais que la Chine a commencé à dévoiler ses cartes, c’est bien parce que ce dernier les inquiète au-delà des seules frontières sino-chinoises.
L’ombre de la menace… générale ?
L’objectif inavoué derrière la création du cryptoyuan est bien de faire disparaître le cash. Mais c’est aussi celui des autres monnaies numériques de banques centrales, me direz-vous… Et vous aurez probablement raison. Mais le cas de la Chine est un peu différent.
Voulant internationaliser sa monnaie, la création d’un stablecoin pourrait être vue comme une des étapes nécessaires à l’installation de son « plan Marshall » des Nouvelles Routes de la Soie (One Belt, One Road). Soyons clairs, pour ceux qui ne connaissent pas ce projet : nous ne parlons pas de quelques caravanes transportant un peu de caviar, des soieries, du jade et des épices, ni du revival obscur d’un tristement célèbre marché noir du Darknet. Ce dont nous parlons, c’est bien de Pékin incitant tous les pays se trouvant sur son tracé à investir massivement dans des infrastructures, grâce à des emprunts en yuan. Ce projet pharaonique prévoit de connecter 4.4 milliards de citoyens dans 65 pays, faisant craindre à certains qu’il puisse s’agir d’un piège.
Dans la même optique d’internationalisation, l’empire du milieu s’est également doté l’année dernière de son propre indice de référence du pétrole, libellé en yuan, pour tenter de rivaliser avec les indices pétroliers libellés exclusivement en dollar que sont le Brent (Londres) et le WTI (NY).
Pour ne rien arranger, le fait que les pays rigoristes faisant faire la grimace aux démocraties occidentales se distinguent depuis quelques mois par leur empressement à réfléchir à des solutions de monnaies numériques plus ou moins blockchainisées semble mettre l’Occident sous pression relative. L’exemple des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) est à ce propos très parlant.
L’Occident a bien du mal à trouver la parade
Du côté occidental, si les États-Unis ne paraissent pas pressés de se lancer, c’est apparemment depuis quelques jours un tout autre son de cloche.
Alors que les représentants politiques européens ont d’abord fait la fine bouche, les choses s’accélèrent cette semaine : aussi bien la Banque centrale européenne que la Banque de France affichent soudain la nécessité de porter plus loin l’initiative d’un crypto-euro… dès 2020 ?
Il faut dire que les choses se sont précipités depuis que Mark Zuckerberg a invité le sujet des cryptomonnaies dans la sphère médiatique. Les déclarations du président Xi sont d’ailleurs intervenues quelques jours à peine après que le Congrès US ait cuisiné M. Zuckerberg à propos de son propre projet de stablecoin. Ce dernier, comme on pouvait s’y attendre, a d’ailleurs eu beau jeu de s’appuyer sur la supposée menace chinoise pour défendre son bout de gras.
« Dès que nous avons présenté le livre blanc sur le projet Libra, la Chine a immédiatement annoncé un partenariat public-privé avec les entreprises… pour étendre le travail qu’ils ont déjà réalisé avec AliPay sur un yuan numérique dans le cadre de la nouvelle route de la soie. Ils prévoient de le lancer dans les prochains mois. » Mark Zuckerberg
Derrière les agitations, la question du cash… et de la liberté, encore
Si j’ai pris le temps de centrer cet article sur le cas de la Chine et de son crédit social, c’est que l’on peut s’en servir pour envisager les travers d’une société qui migrerait vers le sans cash. Comme souvent, la facilité d’utilisation passe souvent avant les préoccupations liées à ces curiosités de respect de la vie privée.
La recherche des régulateurs d’une société tendant vers l’absence de cash risque fort d’être porteuse de collecte de données financières et d’un suivi très personnel et poussé… de là à scruter chaque aspect de nos vies ? Après tout, est-ce que cela importe tant de savoir qui vous regarde, s’il vous regarde en permanence ?
Si certains s’accrochent tant au cash, c’est sans doute parce qu’il est aussi une condition nécessaire à l’existence d’une autonomie de l’individu lorsqu’il agit pour lui, sans interférence des autres. Lui enlever cette liberté, par quelque gouvernement démocratique que ce soit, c’est déjà prendre quelque part le risque de tomber à terme dans un contrôle social, tout aussi ludique qu’il puisse être au départ.
Bitcoin, à bien des égards, pourrait bien à terme représenter un outil de choix pour lutter contre cet état de faits. Et si la solution à cette course effrénée vers le « Rien à cacher » résidait dans une monnaie apatride et acéphale, en constante évolution ?