La grande attaque minière contre Bitcoin
Nous entendons parfois que Bitcoin est indestructible et incensurable en raison de la puissance de calcul de son réseau, et qu’il serait aujourd’hui improbable qu’une attaque survienne. Cependant, il s’agit d’un point de vue caricatural, émanant d’un manque de compréhension et d’une certaine naïveté, qui contribue à fragiliser le système. Voyons dans cet article comment une attaque minière contre Bitcoin pourrait avoir lieu.
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. » – Sun Tzu
Un contexte réglementaire de plus en plus restrictif
Bitcoin est un système de monnaie numérique permettant aux paiements en ligne d’être « envoyés directement d’une partie à l’autre sans passer par une institution financière » et dont l’offre est limitée à un « nombre prédéterminé de pièces », c’est-à-dire une monnaie résistante à la censure et résistante à l’inflation. L’aspect de résistance à la censure est en particulier crucial, car la proposition de valeur de Bitcoin s’effondre immédiatement sans lui.
Néanmoins cette conception n’est pas celle de tout le monde et les organismes institutionnels tout autour du monde ont cherché dès 2013 à imposer une réglementation pour les plateformes d’échange.
Au fur et à mesure du temps, cette réglementation s’est précisée et est devenue de plus en plus restrictive, notamment avec la connaissance du client (KYC) pratiquée sur toutes les plateformes et la déclaration des plus-values des utilisateurs auprès des services fiscaux. Avec les demandes des législateurs qui se font de plus en plus pressantes, il semble que nous nous dirigeons aujourd’hui vers une véritable guerre réglementaire contre Bitcoin ayant pour but le contrôle total de Bitcoin, c’est-à-dire sa mort définitive en tant que concept.
Cette progression inquiétante de la réglementation s’accompagne malheureusement d’un manque de compréhension à propos de ce qu’est Bitcoin et de ce qu’il porte, à tel point que certains acteurs de l’écosystème tentent de collaborer avec les autorités, sans succès jusqu’ici.
Bitcoin est un système de monnaie libre, adapté pour les activités exercée dans l’économie souterraine ou les activités susceptibles de devenir illégales. C’est pour cela que les États, dont le principe central est le contrôle, en sont des ennemis naturels : ils incarnent l’autorité tandis que lui permet la liberté, ce qui crée une incompatibilité logique. À vrai dire, si Bitcoin était un système centralisé, cela ferait bien longtemps qu’il n’existerait plus, ainsi que le montrent les expériences de e-gold et de Liberty Reserve.
Dans cet article, nous allons donc tenter de voir ce que peuvent faire les États pour prendre le contrôle de Bitcoin. Pour ce faire, nous allons ici imaginer un scénario fictif où cette guerre réglementaire se prolonge et mène à une grande attaque minière.
La criminalisation de Bitcoin
Plaçons-nous dans un futur proche, où Bitcoin continue de se développer, tant et si bien que les autorités en sont gravement alertées. Dans cet monde, le recours à l’analyse de chaîne s’est accru et les listes noires des bitcoins « sales » ont fusionné en une liste unique maintenue par une organisation intergouvernementale comme le GAFI. Cette liste noire détermine toutes les adresses contenant des bitcoins ayant transité par les activités illicites à un certain degré.
Un groupe d’États contenant les États les plus puissants du monde (États-Unis, Chine, Union Européenne) décide alors de rendre illégales toutes les transactions déplaçant ces bitcoins « sales », sous des prétextes divers et variés comme le financement du terrorisme.
Cela se matérialise d’une part par la criminalisation de l’envoi et de la réception de bitcoins présents sur la liste noire, actes qui exposent les utilisateurs à des amendes voire à des peines de prison. Cela oblige légalement tous les marchands à devoir imposer une vérification drastique à chaque paiement, ce qui annihile toute utilisation dans l’économie de surface.
D’autre part, le minage de ces transactions « sales » est prohibé et expose également les mineurs du marché blanc à des amendes et à des peines de prison. Le minage ayant une tendance naturelle à se centraliser (pour des raisons comme la latence dans la transmission des blocs ou la variance de la récompense), il n’est pas difficile d’imposer cette réglementation à une part conséquente de la puissance de hachage.
Cependant, lors de la première étape préparatoire, les mineurs légalistes ne censurent pas activement : on leur ordonne simplement de ne pas inclure les transactions de la liste noire dans leurs blocs. Ces transactions sont par conséquent confirmées, bien que leur temps de confirmation soit nécessairement augmenté.
Dans ce scénario, l’économie de Bitcoin est ainsi séparée en deux pans : l’économie de surface, où les bitcoins « sales » sont refusés, et l’économie souterraine (marché libre), où tous les bitcoins sont acceptés. La différence de taille entre ces deux marchés dépend de la volonté des individus de désobéir et de ce qu’est prêt à faire l’État. L’interdiction des transactions peut aller des transactions impliquant uniquement des bitcoins directement liés aux activités les moins tolérées (terrorisme, trafic de drogue) à une interdiction pure et simple de Bitcoin dans sa totalité. Une interdiction complète pourrait par exemple survenir à cause d’une pratique systématique du mélange de pièces qui « salirait » quasiment tous les bitcoins, et s’accompagnerait probablement d’une mise en avant des monnaies numériques de banque centrale (MNBC), présentées comme des alternatives plus sûres et moins volatiles.
Notez également que, dans ce scénario, toutes les cryptomonnaies sont soumises aux mêmes réglementations et aux mêmes attaques. L’usage confidentiel de Monero est ainsi interdit : une transaction est autorisée seulement si l’organisme régulateur dispose des informations nécessaires à l’identification, comme les adresses, les clés privées de transaction (private transaction keys) et les clés privées d’inspection (private view keys). Cette restriction drastique permet aux autorités de suivre les mouvements de fonds comme dans Bitcoin.
La Grande Attaque
Malgré les mesures réglementaires prises, les gens ne se laissent pas faire. Certains États ont dérivé lentement dans l’autoritarisme, interdisant complètement l’usage anonyme (sans KYC) de Bitcoin. Bitcoin prend trop d’ampleur et rendre illégal son utilisation non contrôlée n’empêche pas aux transactions non conformes d’être créées (sur le marché) et confirmées (dans le minage) sur le marché noir.
Cette évolution a pour conséquence directe de faire chuter les revenus étatiques. En effet, les États ont de plus en plus de mal à prélever l’impôt et ne peuvent plus profiter de l’émission de leurs monnaies, car la méfiance dans la monnaie est déjà trop haute, celle-ci étant sujette à une forte inflation.
N’ayant pas réussi à contraindre les individus par la force de la loi, les États sont obligés de recourir à la seule option qui leur paraît alors la meilleure : l’attaque de la chaîne de blocs par l’intermédiaire du minage.
Ils mobilisent toute la puissance de hachage dont ils disposent. En particulier, ils envoient des directives aux grands regroupements de mineurs précédemment soumis à l’autorité légale, et les réquisitionnent au besoin. Ayant accès aux sources d’énergie les moins chères, les mineurs agréés par les États bénéficient d’un avantage non négligeable par rapport aux mineurs concurrents, ce qui accroît leur influence sur la chaîne.
Une fois qu’une puissance de hachage suffisante est rassemblée (plus de la moitié de la puissance du réseau), le groupe d’États met à exécution son attaque et ordonne à tous ses mineurs de censurer activement toutes les transactions « sales » en invalidant les blocs qui les contiennent. En vertu du principe essentiel de la chaîne la plus longue, c’est la chaîne possédant le plus de preuve de travail (c’est-à-dire la plus longue à court terme) qui est considérée par les nœuds comme la chaîne valide, et c’est donc la chaîne des censeurs qui domine.
L’attaque s’apparente à l’imposition d’un soft fork où les nœuds suivant les anciennes règles (ici, pas de censure) sont forcés de suivre les nouvelles règles (ici, censure des transactions « sales »). Toutes les branches de blocs contenant des transactions « sales » sont invalidées par la re-coordination provoquée par l’annonce d’une chaîne « propre » plus longue. Au bout d’un certain temps, les mineurs honnêtes, c’est-à-dire ceux qui construisent leurs blocs à partir de la chaîne la plus longue, s’aperçoivent de l’attaque, renoncent à leur honnêteté et se mettent eux-mêmes à suivre la censure, dans le but de continuer à toucher un revenu.
C’est ainsi que l’on se retrouve avec une chaîne censurée. Il est probable que la nouvelle de cette censure fasse chuter le prix, mais elle peut également le faire augmenter, en rassurant les acteurs traditionnels sur le caractère contrôlable de Bitcoin. Quoi qu’il en soit, l’objectif des États est atteint, du moins de manière temporaire.
À la longue, il n’est même pas nécessaire que la puissance de hachage contrôlée par les États reste supérieure à la moitié de la puissance du réseau. Puisque les mineurs sont économiquement rationnels, il est dans leur intérêt d’appliquer la censure comme le montre un article de Juraj Bednar sur le sujet (décrivant une variante de cette attaque). La censure peut donc persister pendant une période relativement longue.
La contre-attaque du marché
L’attaque fait beaucoup de mal à l’économie libre, qui ne peut plus fonctionner correctement. Des promesses sont échangées sur le marché. Les canaux identifiés comme « sales » du réseau Lightning fonctionnent toujours mais ne peuvent plus faire l’objet d’un règlement sur la chaîne.
Face à la censure active, l’idée de changer l’algorithme de preuve de travail gagne en popularité. En effet, il s’agit d’un moyen efficace à court terme pour faire cesser l’attaque, en rendant inutiles les ASIC de tous les mineurs. Cependant, ce changement est controversé : il réduirait drastiquement la sécurité de Bitcoin à moyen terme en réduisant le coût global d’une attaque, en avantageant les mineurs les plus importants (légalistes pour la plupart) qui disposent du capital nécessaire pour déployer une nouvelle puissance de hachage, et en augmentant le coût assuranciel des mineurs. Cela peut mener à une scission entre les partisans du hard fork et les autres, mais la chaîne utilisant l’algorithme de preuve de travail originel reste majoritaire.
Un recours à l’accord social est également proposé, par l’intermédiaire d’un système de points de contrôle manuels et automatiques pour éviter les recoordinations de chaîne. Néanmoins, la communauté juge (à raison) que cela créerait beaucoup trop d’instabilité face à une puissance hostile qui chercherait à créer des scissions multiples impossibles à départager par un facteur objectif. Aucune mesure « sociale » n’est donc prise sur la chaîne principale.
Pendant la période de censure, les transactions censurées s’accumulent dans la zone mémoire des nœuds. Ne voyant pas leurs transactions être confirmées, les utilisateurs censurés augmentent leurs frais : certains déplacent des fortes sommes et peuvent par conséquent se permettre de payer des frais élevés. Ainsi, on assiste à une augmentation substantielle du niveau des frais payés par les transactions censurées.
Ce supplément de frais incite les mineurs non cooptés à déployer une puissance de hachage dans le but de confirmer les transactions « sales » et d’en recueillir les frais. Ces mineurs opèrent en secret, mais arrivent à communiquer (en privé ou via un signalement) afin de coordonner un « retour à la normale ». Au bout d’un temps, ils arrivent à mobiliser une puissance majoritaire et se mettent alors à miner des blocs « sales » : leur chaîne est considérée comme valide et la censure est vaincue.
Cependant, même en supposant que les utilisateurs soient prêts à payer suffisamment de frais, la victoire de cette première bataille ne signifie pas que le censure doive cesser définitivement : cette trève marque simplement le début de la guerre ouverte entre l’État et Bitcoin.
Les États ne peuvent pas se résoudre à laisser Bitcoin perdurer et ripostent nécessairement. Puisque les mineurs sous contrôle ne touchent pas les frais des transactions censurées et fonctionnent à perte, les États augmentent leurs prélèvements obligatoires respectifs et créent plus de monnaie afin de déployer plus de puissance de hachage en subventionnant ces mineurs.
Cette guerre éreinte économiquement les deux côtés. D’une part, les États doivent prélever de plus en plus sur leurs citoyens, de manière de moins en moins efficace. D’autre part, les utilisateurs de Bitcoin doivent supporter des hauts niveaux de frais, ce qui rend l’utilisation du protocole très coûteuse et ne justifie plus forcément les risques pris.
Au bout d’une période indéfinie, l’un des deux côtés cède : les États car il ne parviennent plus à prélever suffisamment de richesse, ou bien Bitcoin car les utilisateurs ne parviennent plus à extraire une rentabilité. Dans le deux cas, le côté victorieux peut profiter de sa victoire : si les États gagnent alors toute tentative de monnaie numérique sera remise en cause dans les années qui suivront, si Bitcoin gagne alors les États devront composer avec Bitcoin pendant longtemps, même si cela implique un revenu moindre. Il est évident que nous espérons que Bitcoin gagne cette guerre si jamais elle devait se produire.
Ainsi, contrairement à ce que certains vendeurs de rêves peuvent parfois affirmer, une attaque de censure pourrait avoir lieu contre Bitcoin si celui-ci parvenait à avoir une influence suffisante sur les revenus des États, notamment par la création monétaire. Néanmoins une telle attaque ne marquerait pas la fin de la cryptomonnaie, la conception de Bitcoin permettant au marché de s’en défaire.
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