Google va t-il « tuer Bitcoin » avec la suprématie quantique ?
Dans la course aux armements en matière de puissance informatique, Google vient de frapper un grand coup en annonçant publiquement il y a quelques jours avoir atteint le point de « suprématie quantique ».
La firme de Mountain View vient ainsi de franchir une étape essentielle en démontrant que, non seulement une machine quantique était fonctionnelle, mais également que cette puissance informatique d’un nouveau genre était de taille à renvoyer la concurrence à l’âge de pierre.
Et le Bitcoin dans tout ça ? Fondé sur l’infaillibilité de sa cryptographie, est-il menacé par la puissance quantique dont la finalité prévue est – précisément – de casser du code ?
La loi de Moore disruptée
Tout le monde connait la Conjecture de Moore, celle qui édicte que globalement, la puissance informatique double tous les 18 mois. Du haut de ses 90 ans Gordon Moore, l’auteur de ce principe, a dû suivre avec attention l’actualité de la semaine, et l’annonce de Google d’avoir atteint la Suprématie Quantique.
La question de la vie, l’Univers, et le reste
Outre le côté quelque peu ronflant de l’intitulé, Google est ainsi parvenu concrètement à faire fonctionner un ordinateur quantique de plus de 50 Qbits assez longtemps pour lui faire résoudre une opération. Selon la firme de Mountain View, cette opération aurait pris 10 000 ans si elle avait été traitée par le plus puissant des supercalculateurs commerciaux actuels. La machine de Google a plié le game en…3 minutes et 20 secondes ! (le fait que le résultat obtenu ait très probablement été « 42 » est un autre débat).
L’informatique quantique pour les nuls
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler en quoi l’événement est d’importance. Tout le monde sait que l’informatique traditionnelle est fondée sur la binarité : 0 ou 1, oui ou non, une position peut-être soit ouverte, soit fermée. C’est une règle universelle et évidente qui ne semble pouvoir souffrir d’aucune d’exception.
Aucune exception… Sauf dans un contexte quantique ! Un environnement physique contre-intuitif dans lequel peuvent exister des superposions d’états à l’infini.
Compliqué à comprendre ? J’ai l’exemple qu’il vous faut : l’article que vous arpentez en ce moment même avec gourmandise existe. Si je ne l’avais pas écrit, il n’existerait pas. Binaire quoi.
Le quantique part d’un postulat différent : Avant que vous ne lisiez le premier mot de la présente bafouille, une infinité de possibles coexistaient dans un joyeux tintamarre.
L’article était écrit, pas écrit, un peu écrit, il parlait d’ornithorynques schizophrènes ou était rédigé en sanskrit.
Pire : dans l’Univers où cet article a été rédigé, rien ne dit que les lois habituelles de la physique, ou que Bitcoin existe… On peut même imaginer des états quantiques où Craig Wright est VRAIMENT Satoshi ! (même si c’est probablement aller un peu loin dans le n’importe quoi). Cependant, dès que vous avez commencé à lire, la réalité est devenue unique, détruisant du même coup l’intégralité de la multitude des possibles.
On appelle ça un état probabiliste quantique et, aussi délirant que cela puisse paraître, c’est sur cet état qu’il est possible de créer un nouveau type de puissance informatique.
Si chacun s’accorde à considérer que la physique quantique ouvre un continent de possibilités encore à peine entrevu dans une multitude de domaines, on gardera surtout à l’esprit qu’en matière informatique, elle permet d’envisager des ordinateurs d’une puissance dépassant l’entendement. Or, si jusqu’à maintenant les choses demeuraient de l’ordre du théorique, Google semble donc bien avoir cette semaine fait un pas de géant sur le sujet.
Les implications dans l’ensemble des secteurs de la connaissance humaine de l’émergence, puis de la multiplication de machines quantiques fonctionnelles, sont proprement inimaginables : intelligence artificielle, défense, santé, simulation de modèles complexes, mathématiques fondamentales… Mais soyons honnête, la seule vraie question qui vous inquiète vous et moi, est très concrète : l’informatique quantique va-t-elle être en mesure de fracasser la blockchain, détricotant 10 ou 15 ans de l’architecture Bitcoin en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Zuckerberg » ?
En d’autres termes, la blockchain peut-elle à son tour être déjà « disruptée » par une technologie quantique, et remisée sur les étagères de l’histoire, catégorie « Pas loin, mais trop tard, lol », à côté du Vidéodisque, du moteur rotatif et du Minitel ?
Prenez une camomille (c’est la mode), respirez un bon coup, et tentons d’y voir plus clair !
Bitcoin à t-il un fusil quantique braqué sur la tempe ?
Avant de nous enfoncer plus avant dans le royaume quantique, prenons un instant pour parler de l’imminence supposée de la menace.
Inutile d’interrompre là la lecture du présent article pour aller liquider votre portefeuille en panique et à vil prix (ou alors, faites-moi signe avant). Du consensus global sur le sujet, on n’assistera pas à l’émergence de systèmes quantiques stables et fonctionnels avant les 5 à 10 prochaines années. De quoi voir venir donc, ce d’autant que la « menace » est clairement identifiée par l’écosystème.
Il n’est d’ailleurs pas non plus inutile de souligner que le résultat de l’exploit quantique de Google a été mis en ligne en début de semaine dernière sur le site de la NASA, avant d’en être rapidement retiré. Google n’a pas réagi aux sollicitations. Difficile donc de déterminer si l’événement est réellement signifiant ou relève du buzz techno.
La puissance de calcul quantique peut-elle briser une blockchain ?
Probablement pas. C’est en résumé la perception à la fois des chercheurs en matières cryptographiques, mais également de ceux qui œuvrent dans le quantique. Et si cette réponse peut sembler insatisfaisante, Stewart Allen, directeur de l’exploitation de la société d’informatique quantique IonQ la replace dans un contexte plus large qui est celui de la course à l’innovation :
« Il n’y a aucune menace réelle de rupture de la cryptographie par les ordinateurs quantiques à court terme. Si et quand cela se produira, la cryptographie sera passée à des algorithmes à l’épreuve des quanta. Nous sommes à au moins dix ans du moment où un ordinateur quantique sera capable de briser la cryptographie fondant la blockchain. »
Globalement sur la même ligne, Yaniv Altshuler, chercheur et Directeur du MIT ainsi que cofondateur de la plate-forme d’analyse prédictive Endor Protocol, explique ne pas non plus être inquiet sur ce sujet :
« Les ordinateurs quantiques deviennent incroyablement puissants et progressent plus vite que la plupart des gens ne s’y attendaient. Cependant, leurs capacités ne seront pas en mesure de briser la blockchain. Chaque année, lorsque du nouveau matériel est mis sur le marché, on voit apparaître de nouvelles inquiétudes quant à l’intégrité de la blockchain, mais rien ne prouve que l’informatique quantique puisse compromettre cette technologie. »
En résumé, s’il n’est pas possible de définitivement affirmer que l’informatique quantique ne constitue pas une menace existentielle pour la blockchain, Bitcoin devrait avoir le temps d’atteindre le million de dollars d’ici là, pour le plus grand soulagement de certains.
La guerre du Hash, le vrai danger ?
En revanche, s’il existe un domaine dans lequel la surpuissance quantique pourrait être un « game changer », c’est bien celui du minage, et plus précisément le minage conditionné à un protocole de type Proof of Work (preuve de travail). En effet, dans cette course algorithmique dans le cadre de laquelle le plus puissant gagne, il pourrait bien y’avoir un nouveau shérif en ville avec l’arrivée de machines capables de déployer des niveaux de hashrate encore jamais vus.
Ceci étant, avant de laisser Bitmain réfléchir à sa grille tarifaire 2026-27 pour ses tout nouveaux Quant-Miner, on rappellera qu’au moins pour la décennie à venir, toute tentative de déployer des machines de minage quantique impliquerait des investissements qualifiés de « niveau gouvernemental » (qui pourraient malgré tout se justifier si le cours du bitcoin devait exploser).
La blockchain n’est pas une cible prioritaire
Dans l’hypothèse, encore bien peu vraisemblable, que :
- De l’ingénierie quantique soit disponible à l’usage,
- qu’elle soit effectivement en mesure de rompre et compromettre une structure aussi sécurisée et résiliente qu’une blockchain,
- et qu’elle soit déployée par des acteurs malveillants,
Soyez certain que l’intégrité du fonctionnement de Bitcoin et des autres cryptoactifs sera le dernier de nos soucis, très loin derrière la compromission de l’intégralité des systèmes bancaires, électroniques et de Défense des nations !
De manière plus positive, si les travaux de Google ont été préférentiellement publiés sur le site de la NASA, c’est que les études concernant l’informatique quantique ont vocation à servir à alimenter des programmes de science fondamentale, plutôt qu’à permettre à des petits malins de gratter 2-3 BTC en dehors des heures de bureau.
Le secteur blockchain en ordre de bataille
Même si on le voit, la menace quantique n’est ni absolue, ni même imminente, cela n’empêche pas le secteur d’intégrer cette inéluctable évolution dans les plans de route des leaders du secteur.
On pense notamment à la feuille de route d’Ethereum qui prévoit de rendre son architecture quantum-résistant, dans le cadre d’Ethereum 3. Les travaux de l’équipe de Vitalik ont pris comme base l’émergence de machines déployant 50 Qbits, à l’image de celles sur lesquelles IBM travaille actuellement.
Quant à Bitcoin, nombreuses ont été les voix dans le secteur à s’élever pour rappeler que s’il existait bien des menaces pour la reine de devises numériques, un superordinateur quantique démoniaque n’en faisait clairement pas (encore) partie.
Ainsi Peter Todd, ancien développeur de Bitcoin Core se voulait rassurant sur Twitter :
It means nothing because Google's quantum breakthrough is for a primitive type of quantum computing that is nowhere near breaking cryptography.
We still don't even know if it's possible to scale quantum computers; quite possible that adding qbits will have an exponential cost. https://t.co/wSmO6ycaJk
— Peter Todd/mempoolfullrbf=1 (@peterktodd) September 24, 2019
« Cela ne signifie rien dans la mesure où la percée quantique de Google s’applique pour un type primitif d’informatique quantique qui est loin de menacer la cryptographie. Nous ne savons même pas encore s’il est possible de mettre à l’échelle les ordinateurs quantiques ; il est fort possible que l’ajout de qbits ait un coût exponentiel. »
Pour autant, on conviendra que tout le monde en réalité se prépare, jusqu’à la NSA dont on apprenait tout récemment que, toute puissante fût-elle, l’agence se préoccupe de ne pas se laisser dépasser et travaille sur des solutions cryptographiques à l’épreuve des balles quantiques.
Conclusion quantique
Une infinité de conjectures et de perspectives plus brillantes les unes que les autres coexistaient dans ces quelques lignes mais en posant vos yeux dessus, ce magnifique édifice s’est effondré !
C’est un peu de votre faute, il faudra donc vous contenter d’une bonne vieille conclusion binaire des familles :oui l’informatique quantique s’annonce comme proprement de nature à modifier de fonds en comble une multitude de domaines, de la science la plus dure à des applications de tous les jours, mais non, Bitcoin et nos chères blockchain ne sont pas en danger de mort.