L’ossification du protocole Bitcoin : et si la monnaie connaissait une vraie révolution ?
Le 3 janvier 2009 naissait le fameux réseau Bitcoin que l’on connaît aujourd’hui. À savoir qu’il faisait bien pâle allure comparativement à son énorme étendue aujourd’hui. Au début, il ne s’agissait qu’un projet réservé à des adeptes d’informatique très particuliers, nommés les cypherpunks.
Bitcoin au niveau embryonnaire
Ce groupe cherchait à créer une forme d’argent indépendante de tout gouvernement afin de pouvoir opérer de manière libre sur internet. Ce réseau naissant, à priori composé uniquement de Satoshi Nakamoto-même ainsi que de quelque disciples, était loin d’être décentralisé comme il l’est aujourd’hui.
Comme tout autre logiciel, le Bitcoin n’était pas parfait. Malgré le génie de Satoshi, certains bugs se sont insérés dans le code source qui ont nécessitées des interventions au niveau des règles du protocole. Par exemple, le 15 août 2010, une transaction fautive exploitant un bug particulier dépense 92 milliards de bitcoins. L’erreur fut corrigée rapidement 5 heures plus tard au travers d’une intervention directe des développeurs qui forcèrent le restant des usagers à invalider tous les blocs qui ont été produits durant ce court laps de temps.
Ceci était possible grâce à la mainmise particulièrement forte de Satoshi sur le reste du réseau, ainsi que la confiance qui lui était accordée. Ce contrôle centralisé ne le fut pas pour longtemps, alors que le créateur de Bitcoin quitte son propre projet quelques mois plus tard, le 23 avril 2011.
Bien que certains changements de ce type peuvent être une source de controverses aujourd’hui, il faut comprendre que le contexte à l’époque était très différent. Les utilisateurs du Bitcoin à ce moment ne pouvaient s’imaginer que le Bitcoin arriverait à un niveau de reconnaissance duquel il jouit aujourd’hui, et encore moins que celui-ci vaudra éventuellement autant d’argent.
Tout changea par contre lorsque Satoshi quitta le projet, car le Bitcoin perd alors son guide et maître principal. Le sort de celui-ci était donc complètement à la merci de la communauté open-source. Certains membres ont donc pris les rênes et ont continué le développement que l’on connaît aujourd’hui.
Les différents modèles d’évolution du Bitcoin
Durant les années suivant le départ de Satoshi, le développement du Bitcoin et son ascension dans l’imaginaire collectif se déroula lentement, mais sûrement. Le prix du Bitcoin atteint pour la première fois une valeur psychologique importante de 1000$ en 2013, témoignant de son potentiel comme monnaie sur le long terme.
Après cet épisode, un débat important et déterminant pour le futur du Bitcoin commençait tranquillement à chauffer les esprits des développeurs et de la communauté de l’époque. Ce débat qui dura plus de 2 ans, entre 2015 et 2017, concernait la scalabilité du Bitcoin, ou plutôt la façon dont le Bitcoin devrait augmenter sa capacité transactionnelle.
La méthode Hardfork VS Softfork pour évoluer le Bitcoin
Essentiellement, il existe deux façons d’ajouter ou de modifier les règles d’un protocole comme celui du Bitcoin.
La capacité transactionnelle du Bitcoin est liée directement aux règles restrictives de la taille et la fréquence des blocs qui composent sa blockchain. Si l’on veut augmenter la capacité transactionnelle du Bitcoin, ne suffirait-il donc pas par exemple de rendre ces blocs plus gros afin que plus d’informations (et donc des transactions) puissent y être insérées ?
Et bien non. En procédant de cette manière, les règles de protocoles originales doivent être modifiées et donc l’ensemble des nœuds (serveurs) qui composent le réseau du Bitcoin doivent mettre à jour leur logiciels afin de rester compatible avec le réseau. Cette manière de procéder donne naissance à un hardfork, c’est à dire une division du blockchain en deux, l’une suivant les règles originales, l’autres respectant les nouvelles règles. Dans un contexte d’un manque d’agent centralisateur qui coordonnerait ce genre de modification protocolaire, on peut s’imaginer que le réseau du Bitcoin perdrait de la robustesse et certains usagers se retrouveraient considérablement confus.
De plus,en permettant une modification d’une règle originale du Bitcoin qu’est celle de la taille des blocs, la porte reste grande ouverte pour altérer des règles subséquentes. L’innovation du Bitcoin se trouve dans le fait que personne n’en est le patron.
C’est justement parce que personne n’est à la tête du développement du Bitcoin que sa politique monétaire est aussi robuste. Si l’une des règles originales du protocole aurait été modifiée concernant la taille des blocs, qui aurait pu garantir par exemple, que la prochaine modification ne concernerait pas la limite fixée de 21 millions de Bitcoin actuel ? Une règle qui nous semble complètement prise pour acquise pour l’instant et qui donne au Bitcoin la propriété d’être une monnaie dure, au même titre que l’or.
Cela dit, la façon de développer le Bitcoin sans en modifier les règles protocolaires originales se trouve à être au travers celle des soft-forks. Il s’agit d’une manière d’ajouter des règles au logiciel du Bitcoin sans que celle-ci en ne soient incompatibles avec les règles originales. À l’instar d’un hardfork, un soft-fork ne provoque pas de division de la chaîne, et donc le réseau du Bitcoin reste également robuste.
Cette technique suivant le principe de rétrocompatibilité, permet une instauration plus souple et graduelle de nouvelles règles, car les anciens clients du Bitcoin qui n’ont pas fait la mise à jour du logiciel restent compatibles avec le reste du réseau.
La fin du débat de la scalabilité : l’ossification de Bitcoin
Heureusement pour le Bitcoin, le débat de scalabilité mentionné ci haut se conclut lorsque Segwit fut activée le 24 août 2017. Cette technique consiste à séparer les signatures d’une transaction Bitcoin afin d’en réduire leur taille, permettant donc d’en inclure un plus grand nombre dans un bloc Bitcoin. Segwit s’activa au travers d’un softfork donc aucune règles protocolaire initiales ne fut modifiée afin de permettre son implémentation.
Segwit était également nécessaire pour le développement du Lightning Network, une seconde couche protocolaire se développant au-dessus de la chaîne originale du Bitcoin. Ce nouveau réseau vise à apporter la possibilité de faire des transactions Bitcoin instantanées et sans frais.
À l’opposée d’autre modèles de développement proposés de Bitcoin et la plupart des autres crypto-monnaies, qui préfèrent des itérations rapides au travers de hard-forks, la méthode de soft-fork ainsi que celui de secondes couches est plus lente et difficile.
Le débat de scalabilité, qui dura plus de 2 ans, témoigne de la difficulté à instaurer des nouvelles règles aux Bitcoin et le désir de préserver les règles originales du Bitcoin. Ainsi si Satoshi voulait utiliser ses bitcoins aujourd’hui, ils seraient encore compatible avec le client actuel.
Ce phénomène donne naissance à l’ossification protocolaire du Bitcoin. Une métaphore imagée qui nous indique qu’il sera difficile voir impossible de modifier les règles protocolaires originales.
Ceci est d’autant vrai que des couches subséquentes de logiciels tel que le Lightning seront construites autour des règles originales, et que leur modification provoquerait un potentiel mal-fonctionnement des secondes couches.
On peut supposer également qu’avec le capital grandissant s’investissant dans le Bitcoin, les mêmes règles tel que celle du 21 millions d’unités de Bitcoin, se verront défendre férocement afin que la valeur monétaire du Bitcoin ne soit pas dégradée.
Un couteau à double-tranchant
Bien que l’ossification des règles originales du Bitcoin ait certainement son lot d’avantages, il n’en reste néanmoins que cela ralentit grandement le processus d’implémentation d’améliorations qui veulent y être ajoutées. Tout propositions passent par un processus ardu et extrêmement long.
Depuis Segwit en 2017, il n’y a eu aucun ajout majeur de fonctionnalité au Bitcoin au travers d’un soft-fork. Cela a suscité beaucoup de critiques de certains qui voudrait voir le Bitcoin évoluer plus rapidement.
Par exemple, le prochain grand soft-fork prévu dans le Bitcoin est celui des signatures Schnorr et Taproot. Ceux-ci visent à changer l’algorithme de signatures fort contraignants et inflexible qu’est celui de ECDSA. Les avantages possible apportées par cette implémentation sont nombreux et particulièrement au niveau des contrats intelligents.
Bien que beaucoup considèrent que Taproot est prêt à être implémenté dès maintenant, d’autres croient qu’il reste encore plusieurs années de développement avant que celle-ci ne soient ajoutées au client Bitcoin. Wladimir Van Der Laan, le superviseur principal de Bitcoin Core, a même menacé de quitter Bitcoin si les autres développeurs ne cessaient pas d’agir de manière irresponsable en insistant sur une implémentation de code incomplet.
Cette patience (que certains pourraient qualifier d’entêtement) à ne pas vouloir faire évoluer le Bitcoin rapidement témoigne de l’énorme responsabilité du développement du Bitcoin, un projet unique en son genre, qui vise à rendre accessible à tous une source d’argent immuable, décentralisée et incensurable.