Au commencement, Satoshi Nakamoto créa Bitcoin
La naissance de Bitcoin, ce système de monnaie numérique fonctionnant sans autorité centrale, est mystérieuse et son enfance est fascinante. Créé par un individu connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, Bitcoin n’a pas été tout de suite opérationnel et il a fallu plusieurs années avant qu’il le devienne. Bien que nous ne disposions que peu de détails probants, il est possible de retracer les premiers pas de Bitcoin. En voici le récit.
Notre avis sur Bitcoin (BTC) »
La conception
Bitcoin, de l’anglais « bit » (binary digit, chiffre binaire) et « coin » (pièce de monnaie), est un système de devise numérique fonctionnant sans autorité centrale lancé le 3 janvier 2009. Celui-ci gère à la fois l’émission et les échanges d’une unité appelée le bitcoin par le biais d’un registre distribué de transactions : la blockchain, ou chaîne de blocs en français. Le systèmes est pensé pour que l’émission des nouveaux bitcoins, couplée aux frais des transactions des utilisateurs, récompense les individus en charge de valider la blockchain et de la sécuriser contre les attaques : c’est en cela que beaucoup considèrent son créateur comme un génie.
On sait que Bitcoin a été conçu par un individu (ou un groupe d’individus) écrivant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto et prétendant être un homme japonais de 33 ans. Bien qu’on ne connaisse pas grand chose de lui, il a été l’architecte principal de Bitcoin et ne s’est fait aidé que très tardivement, lorsque le modèle était déjà défini. La conception de Bitcoin a donc été le fruit de longs mois de travail précédant son lancement.
D’après son propre témoignage, Satoshi Nakamoto se met à travailler sur Bitcoin en 2007, vraisemblablement au cours du printemps. Pendant plus d’un an, il garde cela secret, souhaitant être sûr que son modèle fonctionne correctement avant de le présenter au monde. Il met ainsi du temps à en peaufiner tous les détails. Tel qu’il le dira plus tard :
« À un moment donné, j’ai été convaincu qu’il y avait un moyen de faire ceci sans aucune confiance requise et je n’ai pas pu m’empêcher de continuer à y penser. Le travail consistait bien plus à concevoir qu’à coder. »
Pour s’assurer que son système est viable, il programme un prototype d’abord. Cette manière de faire est à l’opposé de ce qui se fait d’ordinaire au sein de la communauté académique, où les concepts sont présentés formellement dans des articles scientifiques avant qu’ils soient mis en application. Comme Satoshi l’affirmera :
« En fait, j’ai fait ceci un peu à l’envers. J’ai dû écrire tout le code avant de pouvoir me convaincre que je pouvais résoudre tous les problèmes. »
Par la suite, en août 2008, Satoshi se met à préparer l’annonce de la sortie de Bitcoin. Le 18 août, il réserve le nom de domaine bitcoin.org
via AnonymousSpeech.com. Ce nom de domaine hébergera plus tard le site “officiel” de Bitcoin présentant les différents aspects de la cryptomonnaie.
Quelques jours plus tard, il rentre en contact avec Adam Back, le concepteur de Hashcash, une technologie présente dans Bitcoin pour calculer la preuve de travail. Adam Back le renvoie vers Wei Dai, dont la b-money ressemble à Bitcoin. Le 22 août, Satoshi envoie donc un courriel à Wei Dai pour lui dire qu’il “se prépare à publier un document qui étend [ses] idées à un système complètement fonctionnel” et pour lui demander “l’année de publication de [sa] page sur la b-money” afin de la citer dans son papier.
Malgré ces interactions, Adam Back et Wei Dai ne s’intéresseront pas à Bitcoin immédiatement, et ce ne sera que des années après qu’ils reviendront vers l’invention révolutionnaire du mystérieux personnage.
Satoshi continue néanmoins de travailler pour finaliser son projet. Le 5 octobre, il s’inscrit ainsi sur SourceForge, un site web de gestion de projets informatiques. Ce sera sur cette plateforme où le code de Bitcoin sera hébergé et maintenu jusqu’à l’été 2010.
Mais il faut attendre la fin du mois pour qu’il partage publiquement son concept au reste du monde, par le biais de son document fondateur, le livre blanc de Bitcoin.
La publication du livre blanc
Le 31 octobre 2008 à 18 heures 10 UTC, Satoshi présente Bitcoin sur la Cryptography Mailing List de metzdowd.com, une liste de diffusion dédiée à la cryptographie et fréquentée par d’anciens cypherpunks comme James A. Donald, Zooko Wilcox-O’Hearn ou le légendaire Hal Finney. Il débute son courriel en déclarant :
« J’ai travaillé sur un nouveau système d’argent liquide électronique qui est entièrement pair-à-pair, sans tiers de confiance. »
Puis, il continue en présentant les propriétés principales de Bitcoin :
- « Les doubles dépenses sont évitées grâce à un réseau pair-à-pair. »
- « Pas d’institution qui frappe la monnaie ni d’autre tiers de confiance. »
- « Les participants peuvent être anonymes. »
- « Les nouvelles pièces sont fabriquées à partir d’une preuve de travail de style Hashcash. »
- « La preuve de travail utilisée pour la génération des nouvelles pièces permet également au réseau d’éviter les doubles dépenses. »
À la fin de son message, Satoshi inclut un lien vers un court document de 9 pages décrivant le fonctionnement de Bitcoin : le fameux livre blanc. Celui-ci est intitulé « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System« , que nous pouvons traduire par « Bitcoin : un système d’argent liquide électronique pair-à-pair« .
Dans ce papier, il cite notamment des cryptographes comme Ralph Merkle, Stuart Haber et Scott Stornetta, et les cypherpunks Adam Back et Wei Dai.
Suite à l’annonce de Bitcoin et la publication du livre blanc, Satoshi reçoit peu de réponses, et dans les réponses qu’il reçoit beaucoup sont sceptiques. Satoshi essaie néanmoins de défendre son invention.
À James A. Donald qui lui dit que son système « ne semble pas s’adapter à la taille requise » (critique préfigurant le problème de scalabilité de Bitcoin), Satoshi répond que le progrès technique permettra un tel passage à l’échelle.
De même, à un utilisateur qui lui dit qu’il ne « trouvera pas de solution aux problèmes politiques dans la cryptographie« , il rétorque :
« Oui, mais nous pouvons remporter une bataille majeure dans la course aux armements et gagner un nouvel espace de liberté pour plusieurs années. »
Ce rejet n’étonne guère Satoshi. Dans un courriel à Dustin Trammell datant du 13 janvier 2009, Satoshi expliquera :
« Je pense qu’il y avait beaucoup plus de gens qui étaient intéressés [par les monnaies électroniques] dans les années 90, mais après plus d’une décennie d’échecs de systèmes basés sur des tiers de confiance (Digicash, etc.), ils voient [Bitcoin] comme une cause perdue. J’espère qu’ils sauront distinguer que c’est la première fois, à ma connaissance, que nous essayons un système qui n’est pas fondé sur la confiance. »
Malgré le scepticisme, un petit nombre de participants de la liste de diffusion réagit de manière positive. C’est le cas de Hal Finney qui dit dès le 7 novembre que « Bitcoin semble être une idée très prometteuse« . Dans le même message, ce dernier forme au passage le néologisme « block chain » (en deux mots) pour désigner la chaîne de preuve de travail, terme qui sera, des années plus tard, mis à toutes les sauces par les médias du monde entier.
Le 16 novembre, Satoshi envoie le code source en privé à plusieurs personnes, code qui est aujourd’hui disponible en ligne. Parmi ces personnes se trouvent Ray Dillinger (aussi connu sous le pseudonyme bear
) et Hal Finney. D’après Dillinger lui-même, les deux hommes réalisent à ce moment-là un examen minutieux du code, chacun se concentrant sur une partie spécifique du système.
Le 10 décembre 2008, Satoshi crée la liste de diffusion bitcoin-list
sur SourceForge, où sont gérés les messages publics à propos de Bitcoin. Cette mailing list restera active jusqu’à la création plus tardive du forum dédié.
Le lancement de Bitcoin a lieu en janvier 2009. Le premier bloc est construit le 3 janvier, et la version 0.1 du logiciel est publiée en source ouverte et libre (licence MIT) le 8 janvier. Le logiciel n’est alors disponible que pour Windows, Satoshi utilisant uniquement ce système d’exploitation.
Le second bloc est miné dans la nuit du 8 au 9 par Satoshi : cet évènement marque la mise en route effective du système. À partir de ce moment, Bitcoin ne s’arrêtera plus.
Qui est Satoshi Nakamoto ?
Malgré toutes les interactions qu’a pu avoir Satoshi avec les différents contributeurs au projet Bitcoin, on n’obtiendra jamais aucune indication précise sur sa réelle identité. À ce jour, bien qu’il existe des pistes, personne n’a été en mesure de prouver qui il était.
Au cours de ses deux années où il a écrit publiquement sur Internet, Satoshi a réussi à rester anonyme et à préserver sa vie privée, tel un authentique cypherpunk. Cependant, quelques éléments existent pour titiller notre imagination.
Satoshi utilisait généralement le logiciel Tor pour accéder au web et communiquer de manière anonyme. Mais il semble que Satoshi a laissé malgré tout des traces : par exemple, la version 0.1 du code indique qu’il pourrait avoir utilisé un proxy russe et son échange avec Hal Finney début 2009 (dévoilé par ce dernier avant sa mort) montre qu’il se serait connecté grâce à une adresse IP enregistrée à Van Nuys, un quartier de Los Angeles en Californie.
À côté de cela, Satoshi utilisait 3 adresses de courrier électronique :
[email protected]
: l’adresse utilisée pour contacter Adam Back et Wei Dai, et pour réserver le nom de domaine du site principal.[email protected]
: l’adresse utilisée pour communiquer sur la listes de diffusion de cryptographie où il a publiquement présenté Bitcoin pour la première fois.[email protected]
: l’adresse écrite sur le livre blanc que Satoshi utilisait pour communiquer avec les gens de l’extérieur curieux d’en savoir plus sur Bitcoin, et qu’il a utilisée pour s’inscrire sur SourceForge et sur le site de la P2P Foundation.
Mais aucune de ces adresses n’a pu fournir d’élément décisif pour démasquer Satoshi Nakamoto.
Il est plutôt aisé de comprendre que Satoshi n’était pas japonais : il écrivait dans un anglais quasi parfait et n’a jamais donné son nom en graphie japonaise. Plus précisément, Satoshi semblait parler un anglais du Royaume-Uni : il utilisait une orthographe britannique et non américaine (« favour » au lieu de « favor« , « grey » au lieu de « gray« , etc.) et employait l’expression « bloody hard » qu’on retrouve essentiellement en Grande-Bretagne. De plus, le journal dont il s’est servi pour prouver l’absence d’antidatage du lancement de Bitcoin était The Times, un quotidien basé à Londres.
Si on s’intéresse à ses heures de modification du code sur SourceForge et ses temps de publication sur le forum, on peut induire qu’il se trouvait dans un fuseau horaire correspondant aux États-Unis. En effet, ses heures d’inactivité totale se trouvent entre 9 heures et midi (UTC), ce qui indique qu’il se trouvait ou bien en Amérique (option la plus probable), ou bien en Europe (mais il se serait alors couché très tard). Pour se trouver en Asie, il lui aurait fallu un rythme de sommeil très étrange (ses heures d’inactivité totale se seraient trouvées entre 18 et 21 heures).
Pour les deux versions du livre blanc de Bitcoin dont nous disposons (la brouillon du 3 octobre 2008 et la version du 24 mars 2009), les métadonnées contenues dans les fichiers indiquent qu’il ont été créés sur un ordinateur calibré sur le fuseau horaire des Rocheuses (UTC-7 en hiver et UTC-6 en été).
Il est ainsi fort probable que Satoshi ait habité aux États-Unis durant la période où il développait Bitcoin.
La création de Bitcoin a donc été réalisée par Satoshi Nakamoto qui, jusqu’à aujourd’hui, a réussi à préserver son anonymat, et ceci en dépit de notre curiosité extrême à ce sujet. Grâce à son travail acharné et à sa collaboration avec des individus volontaires, il a réussi à lancer son système au début de l’année 2009, système qui fonctionne depuis plus d’une décennie. Ce lancement marque le début d’une nouvelle ère dans l’histoire des monnaies numériques : celle des cryptomonnaies.