Régulation des cryptomonnaies : en Europe, le mille-feuille de règlementations nuit au secteur Web3
Vitesse et précipitation. Au sein de l’Union européenne, la volonté de règlementer le secteur des cryptomonnaies se heurte de plein fouet à la réalité du marché et la concurrence extra européenne profite de la faible compétitivité des sociétés de l’UE soumises à des règles continentales bien trop contraignantes. De plus, l’enchevêtrement illisible des règlementations rend quasiment impossible l’application des exigences européennes successives et Bruxelles met trop de temps à clarifier les choses. Voici en substance les reproches de certains professionnels européens du secteur à leurs dirigeants. Ces opérateurs français, allemands ou islandais, comme notre témoin du jour, sont tiraillés entre l’envie de bien faire et la complexité des règles qui aurait tendance à les désespérer. L’UE a-t-elle confondu vitesse et précipitation ? Donnons la parole à ces professionnels mécontents.
Entre les entités qui jouent le jeu et les autres, la concurrence est déloyale selon ce professionnel
Jon Helgi Egilsson est le président et le fondateur de Monerium, entreprise basée en Islande, qui propose un stablecoin indexé sur l’euro et qui ambitionne d’être le premier émetteur de stablecoin régulé en Europe. Certes, l’Islande n’est pas techniquement un pays de l’Union européenne, mais le pays participe à de nombreux programmes européens et de toute façon, Monerium veut être régulé pour pouvoir exercer dans les 27 pays de l’Union. Et c’est justement dans ce contexte que le dirigeant a confié ses doutes et ses agacements à la presse spécialisée.
Tout d’abord, le problème numéro un pour le secteur est l’existence d’une concurrence offshore qui n’est absolument pas soumise aux mêmes règles :
« Nous sommes en concurrence avec des entreprises en Europe et hors d’Europe, qui font des choses similaires, mais qui n’ont reçu aucune licence. En tant qu’entité agréée, vous êtes limité dans ce que vous pouvez faire, comment vous pouvez le promouvoir, comment vous pouvez le solliciter […] Vous devez soumettre des rapports, puis le régulateur revient et dit : « Non, en fait, vous ne pouvez pas faire ça ». »
Jon Helgi Egilsson, président et fondateur de Monerium – Source : Cointelegraph
Or, devenir et rester un émetteur agréé de stablecoins qui respecte les règlementations en place en UE « augmente les frais généraux et génère des coûts supplémentaires » que la concurrence n’a pas.
Mais pire que cela, c’est l’interprétation même des règles en vigueur en Europe qui pose problème aux opérateurs. À ce sujet, laissons la parole à Natalia Latka, directrice de la politique et des affaires réglementaires de la société d’analyse blockchain Merkle Science, qui nous éclaire sur les tensions actuelles.
Les règlementations MiCA et AMLD se marchent sur les pieds et ajoutent de la confusion
Pour elle, deux visions différentes s’affrontent actuellement concernant les stablecoins, ou ce que l’UE appelle les Electronic Money Tokens (EMT). Deux manières de voir les choses et d’interpréter la loi coexistent actuellement avec d’un côté, certains qui considèrent que la règlementation dite AMLD5 pour Anti Money Laundering Directive couvrait déjà suffisamment bien les activités du secteur en reprenant les exigences de la directive EMD (Electronic Money Directive) promulguée en 2009.
De ce point de vue là, MiCA est presque superflu, comme le rappelait d’ailleurs récemment Patrick Hansen, le directeur de la stratégie et de la politique européenne de Circle. Mais de l’autre côté, il y a aussi une autre école qui considère que MiCA est roi, car il fait la différence entre les EMT (ou stablecoins) et les autres cryptos, ce que ne font pas l’AMLD et l’EMD. La Commission Européenne a décidé que « les risques systémiques » inhérents aux stablecoins méritaient qu’on les considère différemment.
« Il est important de noter que même si la commission aurait pu réglementer les jetons de monnaie électronique (EMT) dans le cadre de l’EMD, cette option a été discutée, mais n’a finalement pas été retenue. Au lieu de cela, la décision a été prise de créer un cadre réglementaire sur mesure qui coexiste avec l’EMD pour combler efficacement toutes les lacunes réglementaires. »
Natalia Latka, directrice de la politique et des affaires réglementaires de la société d’analyse blockchain Merkle Science – Source : Cointelegraph
Malheureusement pour le secteur, l’application de l’ensemble de ces nouvelles directives n’est pas au niveau des ambitions du texte ! Prendre des décisions politiques sans s’inquiéter de leur application effective sur le terrain est un mal très européen et les professionnels se retrouvent avec un cadre règlementaire flou qui permet finalement plusieurs interprétations. In fine, c’est tout le secteur qui pâtit de ces incertitudes pendant que les concurrents prennent des parts de marché. « L’interaction de MiCA avec d’autres lois financières nécessite une démarcation bien définie et une stratégie pour résoudre le problème de toutes ces réglementations contradictoires qui se chevauchent », conclue Natalia Latka. On verra si Bruxelles entend ce cri du cœur de l’industrie.