La banque des banques centrales le reconnaît : « On a pris les cryptomonnaies de haut »

Mère Lagarde et Père Cœuré veillent sur nos finances – L’économiste Benoît Cœuré a passé 7 ans au directoire de la Banque centrale européenne. Il est désormais responsable du pôle innovation de la Banque des règlements internationaux. Dans un entretien pour le quotidien suisse Le Temps, il précise la position de la BRI vis-à-vis des monnaies numériques.

L’argent liquide ne disparaîtra pas

Tout comme Christine Lagarde, Benoît Cœuré ne croit pas en une cashless society. Il déclare même que les citoyens doivent pouvoir choisir les moyens de paiements qu’ils préfèrent.

« Je pense que la monnaie privée et la monnaie publique, d’un côté, et les moyens numériques et physiques, de l’autre, continueront à coexister. »

La disparition des pièces et des billets serait un facteur d’exclusion financière. Il cite le cas de ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir un smartphone pour utiliser une monnaie numérique de banque centrale.

Selon lui, les mesures prises pour lutter contre la Covid-19 ont favorisé les paiements sans contact. Cependant, il rappelle que la probabilité de transmission du virus par les billets est faible. Cette crise ne remet donc pas en cause l’utilisation du liquide, comme certains l’avaient suggéré.

Benoît Cœuré - directeur pôle innovation BRI
Benoît Cœuré, économiste et Directeur du pôle Innovation de la BRI

Les cryptos, un phénomène sous-estimé

Le projet de stablecoin de Facebook (Libra) a été un véritable électrochoc pour les banques centrales. Elle auraient fait l’erreur de « prendre les cryptomonnaies de haut » :

« Libra a été une sorte d’alerte pour les banquiers centraux qui prenaient le phénomène des cryptomonnaies de haut. Ils ne les considéraient pas comme de ‘vraies’ monnaies. »

Pour Benoît Cœuré, les cryptos pourraient se substituer en partie aux monnaies publiques. Mais il y a une condition : leur valeur doit être stabilisée. Ce sont alors les stablecoins qui font la jonction entre les concepts de cryptomonnaie et de monnaie de banque centrale. L’engouement populaire pour les cryptos est signe d’un manque de confiance envers le système financier :

« L’attirance pour les cryptomonnaies révèle la défiance d’une partie de la société envers le système financier traditionnel et montre que nous n’avons pas fini notre travail en tant que régulateurs. »

Siège de la Banque des règlements internationaux (BRI) à Bâle
Le siège de la Banque des règlements internationaux à Bâle

Bien évidemment, ce travail de régulation inachevé nous intéresse. Malheureusement, Benoît Cœuré ne s’est pas épanché.

Le rôle des banques centrales

Selon l’économiste, il n’est pas question d’interdire les initiatives, comme Libra, mais de les encadrer. Les axes de la régulation : stabilité financière, protection des données personnelles et lutte contre le blanchiment d’argent. L’équilibre entre respect de la vie privée et lutte contre le blanchiment déterminera le degré d’anonymat souhaité. Ce choix n’est pas du ressort des banques centrales, mais d’une décision politique.

La création d’une cryptomonnaie de banque centrale n’est pas chose urgente. Il faut avant tout réguler l’émission des cryptomonnaies et des stablecoins :

« L’urgence est de construire un cadre réglementaire solide pour les cryptomonnaies et les stablecoins. Émettre une monnaie numérique de banque centrale est moins urgent, parce que les systèmes de paiements fonctionnent bien. […] Les systèmes de paiements ont très bien résisté, grâce au soutien apporté par les banques centrales. »

Benoît Cœuré fait ici allusion aux divers programmes de rachat d’actifs mis en place ces dernières années. Une politique non conventionnelle, mais bien salvatrice. Le fait que la Fed achète désormais des obligations d’entreprises (CMBS) est une « innovation » pour l’ancien de la BCE. Mais il est intéressant de noter qu’il estime que la place écrasante prise par les banques centrales pourrait mettre en danger le système bancaire :

« Si la monnaie numérique d’une banque centrale devient facilement accessible au grand public, les citoyens préfèreront-ils déposer leurs liquidités dans leur banque ou à la banque centrale ? Cela peut fragiliser le système bancaire. »

Dormez tranquilles ! La BRI stabilise le système financier

Benoît Cœuré mentionne également le rôle du pôle Innovation de la BRI. Son département, créé en 2019, est là pour aider les banques centrales à tester différentes technologies. Elles ne concernent pas toutes les systèmes de paiement. Ainsi, l’open banking et le contrôle bancaire – aussi antinomique que cela puisse paraître – sont au cœur de ses préoccupations. Des technologies, comme l’intelligence artificielle ou le machine learning, seront mises à profit dans le futur.

La Banque des règlements internationaux a été originellement créée pour assurer le règlement des créances imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles. Surnommée au début des années 30 la « banque réellement inutile », son rôle a depuis bien changé et son pouvoir est sans pareil. L’institution privée compte désormais 62 banques centrales comme actionnaires. Elle définit les normes financières mondiales via le Conseil de Stabilité Financière, l’IADI et l’IAIS.

Si Benoît Cœuré manie quelque peu la langue de bois, nous retiendrons néanmoins que la priorité de nos instances supranationales n’est pas d’émettre une MNBC/CBDC. La régulation des cryptomonnaies en général et des stablecoins en particulier est imminente. Quant à l’avis très positif de la banque des banques centrales sur leur politique monétaire, nul doute que la planche à billets numérique va chauffer.

Morgan Phuc

Cofounder @ 8Decimals & Partner @ Node Guardians - Making crypto great again - Journal du Coin / BitConseil