L’exploitation de cryptomonnaies par les États : la création de monnaies numériques souveraines
À l’aube d’une nouvelle ère numérique, les cryptomonnaies émergent comme les pionnières d’une révolution financière mondiale. Ces dernières progressent en tant que monnaies légitimes, redéfinissant ainsi les dynamiques traditionnelles de l’économie et de la finance. Depuis peu, toutefois, une nouvelle tendance se dessine : l’exploitation de cryptomonnaies par les États pour la création de monnaies numériques souveraines. Les gouvernements du monde entier, qui auparavant étaient plutôt sceptiques face à l’évolution du Web 3, semblent désormais embrasser la technologie blockchain et les cryptomonnaies, reconnaissant leur capacité à transformer les systèmes monétaires actuels.
Les MNBC, une solution pour les pays émergents
Les monnaies numériques souveraines, ou CBDC (Central Bank Digital Currencies), sont envisagées comme un moyen pour les États de maintenir leur souveraineté monétaire, tout en bénéficiant des avantages de la technologie blockchain, tels que la sécurité, la transparence et l’efficacité.
L’Afrique, confrontée à des défis monétaires tels que la faible bancarisation, la volatilité des monnaies locales et des obstacles aux transferts d’argent internationaux, a trouvé dans les cryptomonnaies un outil précieux pour surmonter certains de ces défis. En effet, les monnaies locales en Afrique sont souvent sujettes à une dévaluation significative, et les systèmes monétaires traditionnels, comme le franc CFA, sont critiqués pour leur manque de souveraineté financière. De plus, l’Afrique a le taux de bancarisation le plus bas au monde, avec de nombreux Africains n’ayant pas accès aux services bancaires traditionnels en raison de la pauvreté, du manque de documentation officielle et de l’absence d’adresses postales formelles.
En réaction, des services comme M-Pesa ont révolutionné les transactions financières, permettant aux utilisateurs d’envoyer, de recevoir et de stocker de l’argent sur leurs téléphones, même sans accès à Internet. Et évidemment, le Bitcoin est devenu particulièrement populaire au Nigéria et en Centrafrique en tant qu’outil permettant des transferts d’argent internationaux moins chers et plus efficaces, sans obligation de KYC. Mieux encore, des services innovants comme Machankura ont été développés, permettant aux gens d’acheter, de vendre et de transférer des Bitcoins en utilisant la technologie USSD, même sans accès à Internet.
Le BTC étatique doit encore faire ses preuves dans les pays en développement : l’exemple du Salvador
Le Salvador, premier pays à légaliser le Bitcoin comme monnaie officielle en septembre 2021, espérait ainsi améliorer l’accès au système bancaire, réduire la dépendance au dollar américain et faciliter les transferts internationaux. Cependant, malgré les efforts gouvernementaux, comme la création de l’application Chivo Wallet et des incitations financières, le Bitcoin est peu utilisé.
Une partie significative de la population n’a pas adopté l’application, citant une préférence pour les paiements en espèces et un manque de confiance envers le Bitcoin. Parmi ceux qui ont téléchargé l’application, l’utilisation reste limitée, et l’engagement diminue après l’utilisation des incitations initiales. Du côté des entreprises, seule une minorité accepte les paiements en Bitcoin, et une faible proportion de ces entreprises a effectivement reçu des paiements en cryptomonnaie. De plus, la majorité d’entre elles convertissent immédiatement les Bitcoins reçus en dollars, indiquant une méfiance envers la volatilité de la crypto-monnaie.
L’adoption du Bitcoin au Salvador n’a pas encore atteint les objectifs fixés, son utilisation restant encore très marginale malgré les efforts du gouvernement.
Les crypto étatiques des BRICS contre le roi dollar des USA et du monde
Robert Kiyosaki, l’auteur de l’incontournable Père Riche Père Pauvre, a récemment partagé ses prévisions concernant le futur monétaire mondial. Il a affirmé que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) envisagent de lancer une cryptomonnaie adossée à l’or, ce qui, selon lui, pourrait marquer le déclin du dollar américain. Cette perspective d’une monnaie commune des BRICS a déjà été discutée dans les médias, s’inscrivant dans une tendance plus large de « dédollarisation », où divers pays et blocs économiques cherchent des alternatives au dollar en raison de préoccupations liées à la dette américaine et à l’utilisation du dollar dans des sanctions économiques.
Cette monnaie commune servirait à faciliter le commerce entre les membres sans dépendre du dollar américain, et ainsi éviter les sanctions monétaires de Washington. Ce projet vise ainsi clairement à lutter contre l’hégémonie des États-Unis dans le système monétaire mondial et dans lequel les BRICS représentent une part significative de l’économie mondiale, avec un quart du PIB mondial et 42 % de la population mondiale.
Cependant, la mise en œuvre pratique de cette monnaie commune est complexe, nécessitant l’adhésion des entreprises et une coordination étroite entre les pays membres, qui ont des systèmes politiques et économiques divergents. Or, selon les experts, la faisabilité du projet est justement remise en cause en raison de ces différences économiques et politiques entre les pays membres, ainsi que des défis logistiques et réglementaires.
L’euro et le dollar ne sont pas en reste
Les puissances occidentales, principalement les États-Unis et l’Union européenne, font des progrès vers la création de monnaies numériques de banques centrales (MNBC). Aux États-Unis, suite à une demande du président Joe Biden, un rapport sur le « futur de la monnaie» a été publié, soulignant l’importance du développement responsable des actifs numériques pour les intérêts nationaux. Des études supplémentaires sont prévues, dirigées par le Trésor et la Réserve fédérale, pour explorer davantage la possibilité d’un « e-dollar”. En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) collabore avec des entreprises pour développer des interfaces utilisateur pour l’euro numérique, visant à évaluer l’intégration de la technologie de la monnaie numérique avec les prototypes d’entreprise.
Ces efforts sont en partie une réponse à la montée des cryptomonnaies, avec une attention particulière portée à la régulation de ces actifs numériques. L’euro numérique serait un complément aux espèces, offrant une solution de paiement supplémentaire et gratuite. Il serait utilisable partout dans la zone euro, garantissant sécurité et confidentialité.
Contrairement aux cryptoactifs, l’euro numérique serait stable et sûr, garanti par la BCE, assurant ainsi une valeur constante, où un euro numérique aurait toujours la même valeur qu’une pièce d’un euro. La BCE garantit également la confidentialité des transactions, sans sauvegarder les données personnelles des utilisateurs, et offre une utilisation gratuite de l’euro numérique, renforçant ainsi la souveraineté monétaire de la zone euro et favorisant la concurrence dans le secteur européen des paiements.
Les initiatives de développement d’une MNBC en Europe se concrétisent même de plus en plus. Ainsi, l’euro numérique dit de retails, lui certes, attendra encore un peu avant sa mise en place, toutefois, la banque de France, elle, compte bien presser le pas concernant la mise en place d’une MNBC dite de gros. Les partenaires sont nombreux comme Petale ou Forge, filiale de la Société Générale.
Le projet entrera dans sa phase de préparation et d’expérimentation en novembre 2023 durant laquelle les bases d’un éventuel euro numérique seront établies. L’introduction de l’euro numérique ne sera toutefois décidée qu’après l’adoption du cadre législatif approprié par le Conseil et le Parlement européen.
Chacun de ces cas révèle les possibilités et les défis inhérents à l’intégration des cryptomonnaies dans les systèmes financiers globaux et nationaux, soulignant un parcours en évolution vers une nouvelle ère monétaire numérique.
L’impact sérieux sur le système financier mondial
L’introduction des MNBC par les banques centrales représente un changement fondamental dans la manière dont la monnaie est créée, distribuée et gérée. Contrairement aux cryptomonnaies décentralisées comme Bitcoin, les MNBC sont émises et régulées par les États, ce qui leur confère une légitimité et une stabilité potentiellement supérieures. Cette transition vers des monnaies numériques officielles pourrait réduire la dépendance aux systèmes de paiement traditionnels et aux monnaies fiduciaires, modifiant ainsi la dynamique du pouvoir monétaire mondial.
L’un des impacts les plus significatifs des MNBC est leur potentiel à faciliter les transactions transfrontalières. En simplifiant les échanges internationaux, les MNBC pourraient réduire les coûts de transaction et accélérer les transferts d’argent, favorisant ainsi le commerce mondial. Cette efficacité accrue pourrait remettre en question le rôle des monnaies de réserve dominantes, telles que le dollar américain, et pourrait conduire à un système financier mondial plus diversifié et multipolaire.
Cependant, l’intégration des MNBC soulève également des défis réglementaires importants. La nécessité d’une réglementation internationale cohérente est cruciale pour éviter les abus potentiels et garantir la stabilité du système financier mondial. Les questions de confidentialité et de sécurité des données sont également préoccupantes, car les gouvernements doivent trouver un équilibre entre la surveillance des transactions financières pour prévenir les activités illicites et la protection des droits à la vie privée des individus.
L’adoption généralisée des MNBCs pourrait remodeler le système financier mondial. En facilitant les transactions transfrontalières et en réduisant les coûts associés, les MNBC pourraient diminuer la dépendance aux monnaies de réserve comme le dollar américain. Cela pourrait conduire à un paysage monétaire plus diversifié et potentiellement plus stable, bien que cela dépende fortement de la manière dont les différentes économies adoptent et intègrent ces technologies.
En tout état de cause, la mise en œuvre des MNBC n’est pas sans défis. Les préoccupations en matière de sécurité des données et de vie privée sont au premier plan, car les gouvernements doivent équilibrer la nécessité de surveiller et de réguler les transactions financières avec le respect de la confidentialité des citoyens. Surtout que l’harmonisation des réglementations à l’échelle internationale est essentielle pour éviter les disparités qui pourraient entraver le commerce mondial et la stabilité financière…