Guerre et économie : Bitcoin pour nous sauver ?
Si tu veux la paix, prépare la guerre – Anciennement directeur et analyste en stratégie d’investissement pour Credit Suisse, Zoltan Pozsar nous livrait en début d’année une vue singulière et passionnante sur les marchés.
Mêlant géopolitique et économie, je vais aujourd’hui essayer de vulgariser cette chronique de 5 articles, que je vous invite à lire :
- War and peace
- War and Interest Rate
- War and Industrial Policy
- War and Commodity Encumbrance
- War and Currency Statecraft
Table des matières
Guerre et paix
Dans ce premier volet, Zoltan introduit en écrivant à propos de ce que l’Est fait pour se débarrasser du dollar. Nous savons désormais depuis quelques mois que les BRICS essaient de diversifier leurs risques monétaires et financiers, concentrés jusqu’ici sur le dollar et l’occident.
Dans un premier temps, la Chine et Taïwan. La Chine revendique Taïwan depuis des années, et les USA ont assuré à Taïwan qu’ils les défendraient en cas d’attaque chinoise. De plus en plus, nous voyons passer dans nos fils d’actualité des attaques indirectes de la part de l’un et l’autre.
Je n’ai pris ici que deux récentes nouvelles, mais la situation entre les deux géants est tendue. Et cet excellent article de la BBC nous confirme, à l’aide d’un graphique, que la pression militaire chinoise sur Taïwan est plus élevée depuis quelques mois.
De l’autre côté, nous avons également le blocus financier de la Russie par le G7. Et réciproquement le blocus énergétique de l’UE par la Russie.
Pendant ce temps, la Chine étend l’influence de Yuan. Nous en avions déjà parlé en début d’année, mais les news continuent dans ce sens. On se rappelle notamment l’accord entre la Chine et le Brésil afin d’échanger dans leurs devises respectives.
La diffusion des CBDC continue de plus belle également, avec le projet mBridge dont nous avions parlé dans cet article. Le projet est une plateforme commune sur laquelle plusieurs banques centrales peuvent émettre et échanger leurs monnaies numériques respectives.
Un projet mené par le Centre d’innovation de la BRI à Hong Kong, l’Autorité monétaire de Hong Kong, la Banque de Thaïlande, l’Institut de la monnaie numérique de la Banque populaire de Chine et la Central Bank of United Arab Emirates.
Les BRICS semblent vouloir ajouter de nouveaux membres, L’Iran, l’Argentine, l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Égypte ont tous postulé pour rejoindre le « clan ».
En bref, tous ces éléments indiquent moins de dépendance au dollar, particulièrement dans les échanges commerciaux internationaux.
Mais, nous nous en doutons, l’Occident ne va pas laisser tous ces pays se lier à la Chine sans réagir. Cette newsletter parle de finance, de marché et d’économie. Alors ce qui nous intéresse c’est de répondre à la question : Comment l’Occident va réagir monétairement à ces changements ?
Les quatre prix de la monnaie
Pour les plus courageux, je vous laisse ici le cours en 5 parties de Perry Mehrling, ancien professeur d’économie à l’université de Boston.
Ces cours sont très intéressants, mais denses. Je vais tenter ici de résumer au mieux les quatre prix de la monnaie selon Perry Mehrling.
Selon lui, les quatre prix de l’argent sont :
- Le pair ;
- Le taux d’intêret ;
- Le taux de change ;
- Le niveau des prix.
Les trois premiers sont dérivés du dernier, et nous allons ici nous concentrer sur pourquoi les 3 premiers prix de l’argent dépendent du dernier.
Pozsar explique pour que le pair, le taux d’intêret et le change soient stables, le niveau des prix doit absolument être stable. Si le niveau des prix n’est pas stable, le taux d’intérêt sera également instable. Si le deuxième prix est instable, le premier et le troisième sont instables.
Simplifions tout ça.
- Le « niveau de prix », c’est le spot, valeur intrinsèque de l’argent. Il faut que les citoyens aient confiance dans le gouvernement et l’économie. Dans le cas contraire, ils ne seront pas en mesure d’évaluer la monnaie par rapport à elle-même. Si nous avons une crise de confiance, les citoyens se réfugient sur des alternatives fondamentales, comme l’or.
- Le Forex, le marché des changes. Avant 1971, l’or était la réserve de valeur et le dollar était la devise. Après les accords de Nixxon en 1971, le dollar était utilisé comme réserve de valeur et comme devise. Si la valeur spot n’est plus reconnue, comment nous pouvons évaluer les autres devises ?
- Intérêt, les taux. Les taux représentent la valeur future de l’argent. Plus la monnaie est faible, plus le taux d’intérêt nécessaire pour inciter à détenir cette monnaie est élevé. Également, Plus la valeur spot est floue, plus il est difficile de stabiliser la valeur de l’argent.
- Par = equity. Il décrit la corrélation avec le marché des actions ou les obligations d’entreprises. Si la valeur spot est connue, la volatilité du prix d’une action est atténuée.
Dans tous les cas, nous avons besoin de la stabilité du spot.
Pour en revenir à Zoltan, il explique que la valeur spot du dollar doit être solidifiée à nouveau, dans un monde ou de nombreuses nations s’émancipent du dollar. En quelque sorte, c’est une grève des ressources de l’Est contre la gestion de l’Ouest.
L’Est ou l’Ouest finiront par être forcés de s’asseoir à la table des négociations, et le but étant d’affaiblir l’autre.
Pour résumer cette partie, il est impossible d’avoir un monde avec plusieurs spots, la multipolarité monétaire n’est pas possible sans une base mondialement acceptée.
Si la confiance dans le niveau de prix (spot) de l’argent est la préoccupation de la FED, il faut convaincre à nouveau les citoyens de la solidité de leur monnaie. Par conséquent, nous pouvons envisager un retour des accords de Bretton Woods, à l’étalon or.
Il ne peut pas y avoir de commerce avec plusieurs monnaies. Sans une unité monétaire à la base de la pyramide, il n’y a que le troc pour commercer.
Soit tout le monde se met d’accord sur un spot, soit le désaccord entraîne une réduction des échanges (voire pire, une guerre). Si vous n’êtes pas d’accord sur le moyen de paiement, vous ne pouvez pas commercer.
Réaction de l’Occident
La question qui se pose. Si le monde est fracturé, qui achète les obligations (donc la dette) de l’Occident ? Si cela continue, il y aura des invendus dans les obligations émises par le gouvernement américain. S’il y a des invendus dans les obligations américaines, le prix des obligations va s’envoler, entraînant avec lui les actifs à risque (marchés actions).
Et si cela arrive, la FED sera obligée d’agir. Ce qui, selon les dires de Zoltan, met la FED dans une situation d’échec et mat.
Si tout cela devait arriver, la FED mettra aussitôt fin au Quantitative Tightening pour laisser place à un énième Quantitative Easing. Mais selon Zoltan, il sera cette fois-ci déguisé en YCC (Yield Curve Control). Je vous rappelle rapidement son fonctionnement, même si nous en avions déjà parlé dans un des premiers articles de cette newsletter.
J’avais écrit :
« Introduit en septembre 2016 dans l’archipel, le Yield Curve Controle (ou YCC) est un des principaux outils monétaires que la BoJ utilise. L’objectif est très simple : maintenir les taux d’intérêt à court terme à zéro afin de stimuler l’économie.
Comment la BoJ réussit-elle à maintenir ses taux d’intérêt à 10 ans proches de zéro ? Simplement en vendant massivement des obligations quand le taux d’intérêt de ces dernières passe sous les -0,25, et en en achetant massivement lorsque ce dernier passe au-dessus de 0,25%. »
En d’autres termes, le Yield Curve Control (ou contrôle de la courbe de rendement) est une fixation des taux d’intérêt. Si on ancre le taux d’intérêt, cela affecte les conditions financières et économiques de la même manière qu’un assouplissement quantitatif (QE). Le plafonnement des taux d’intérêt par la FED affecterait les prêts hypothécaires, automobiles et la dette d’entreprise, ce qui se traduirait par un dollar moins cher, et une hausse des marchés financiers.
Ce mécanisme a été rendu célèbre par la BoJ (Bank of Japan) qui a conservé ses taux autour de zéro afin de stimuler l’inflation, elle s’en sert désormais pour maintenir les taux sous contrôle.
Quel qu’en soit le nom, la FED n’aura pas vraiment d’autres choix que d’assouplir ses conditions monétaires. Si la FED ne défend pas ses obligations, cela signifie aussi que c’est la fin du dollar en tant que réserve mondiale.
Alors la circulation du dollar se repliera. Dès lors, la FED combattra la situation avec une politique extrêmement inflationniste, en imprimant toujours plus d’argent. C’est plus ou moins ce qu’il s’est passé avec la Bank of England à la fin de l’année 2022. Et c’est ce que fait le Japon à l’aide du Yield Curve Controle.
Historiquement, l’assouplissement quantitatif (QE) est compris par les intervenants des marchés par un achat massif d’obligations. Ce qui rassure les actifs à risque, comme les actions. Mais ici, la situation serait différente. La FED achèterait des obligations non pas pour faire baisser les taux et stimuler les marchés boursiers, mais pour éviter une envolée des taux obligataires ce qui détruirait le dollar.
Zoltan s’exprime à ce sujet :
« Ne vous attendez pas à ce que le placement de la dette publique soutienne les actifs à risque : contrairement à l’assouplissement quantitatif dans le contexte de faibles taux d’intérêt et d’un placement d’actifs à risque, l’assouplissement quantitatif à venir s’inscrira dans le contexte du dysfonctionnement du marché du Trésor (SIC)… La prochaine série d’assouplissements quantitatifs visera à « maintenir les roues sur la charrette » dans un contexte d’inflation élevée, de tensions géopolitiques croissantes et d’un divorce financier peu glorieux entre l’Occident et l’Est et le Sud du monde. »
L’idée est d’empêcher une panique générale, pas d’inciter l’argent à entrer sur les marchés.
Conclusion et recommandations de Zoltan
Pour terminer en beauté, voici les dix recommandations de Zoltan Pozsar concernant les 10 années à venir.
- 60/40 n’est plus suffisant et devrait être remplacé par 20/40/20/20, les pondérations représentant les liquidités, les actions, les obligations et les matières premières.
- Les liquidités, tant que la courbe reste inversée, sont « reines ». Elles offrent un bon rendement. (Note : la courbe s’est reprise récemment, comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessous.)
- Les matières premières devraient comprendre trois types d’or : jaune, noir et blanc. L’or jaune est constitué de lingots d’or. L’or noir est le pétrole. L’or blanc est le lithium pour les VE.
- Les matières premières devraient également inclures d’autres éléments comme le cuivre, le cobalt, et le thème général des matières premières est que…
- …Après des années de sous-investissement, l’offre est devenue extraordinairement restreinte, tout comme nous réarmons, relocalisons, réapprovisionnons et réimplantons.
- Le dollar américain ne sera pas détrôné du jour au lendemain…
- …Mais la dédollarisation et la numérisation (CBDC) par les banques centrales des BRICS+ réduiront la prédominance du dollar et la demande de bons du Trésor.
- La force ou la faiblesse du dollar doit être considérée dans le contexte des quatre prix de l’argent.
- Le dollar américain restera fort par rapport aux autres monnaies de l’Occident…
- …Mais deviendra faible en termes de « niveau des prix » (Spot) par rapport aux matières premières et faibles en termes de « devises » par rapport à la plupart des monnaies des BRICs.