Pouvez-vous recevoir votre salaire en Bitcoin ?

Faites-vous partie des 57% des français qui veulent recevoir tout ou partie de leur salaire en cryptomonnaies ? Si c’est le cas, alors ce qui suit devrait vous intéresser.

On entend souvent dire qu’on ne peut pas recevoir son salaire en bitcoins. Les rumeurs disent parfois que la législation française interdit le versement du salaire sous une autre forme qu’une monnaie ayant cours légal, ou que le versement du salaire vers une adresse crypto serait interdit.

En réalité, il y aurait bien trois obstacles potentiels. Voyons ensemble ce que dit la loi.

La monnaie ayant cours légal

Par cours légal, il faut comprendre la valeur reconnue par l’Etat de la monnaie officielle en circulation. En France, il s’agit de l’euro.

L’obligation du versement de la rémunération en monnaie ayant cours légal se rattache au paiement en espèces. Et d’ailleurs, cette obligation n’est plus visée par le code du Travail. En regardant de près les dispositions de ce code, on découvre que l’ancien article L143-1 qui disposait ce qui suit, n’existe plus :

« Sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous forme déterminée, le salaire doit être payé en monnaies métallique ou fiduciaire ayant cours légal ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal, nonobstant toute stipulation contraire, à peine de nullité. »

Suite à la recodification de 2008, l’article a été renuméroté… mais surtout, le premier alinéa n’a pas été repris. Ainsi, le nouvel article L3241-1 énonce que : 

« Sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme déterminée, le salaire est payé en espèces ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal. Toute stipulation contraire est nulle. En dessous d’un montant mensuel déterminé par décret, le salaire est payé en espèces au salarié qui le demande. Au-delà d’un montant mensuel déterminé par décret, le salaire est payé par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal. »

Ainsi, plus aucun article ne fait référence au paiement en espèces avec une monnaie ayant cours légal dans le code du travail.

Cependant, attention, il ne faut pas oublier que nous sommes soumis à des textes internationaux.

Ici, les conventions de l’Organisation Internationale du Travail trouvent à s’appliquer. En particulier, l’article 3 de la convention n°95 relative à la protection du salaire signée en 1949 et ratifiée par la France en 1952 :

« Les salaires payables en espèces seront payés exclusivement en monnaie ayant cours légal, et le paiement sous forme de billets à ordre, de bons, de coupons ou sous toute autre forme censée représenter la monnaie ayant cours légal sera interdit. »

On peut donc en déduire que le paiement en euros est obligatoire, mais seulement pour les paiements en espèces. Or, en l’espèce, les cryptomonnaies ne sont donc pas concernées.

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Le cas du virement vers un compte bancaire

L’article L112-6 du Code monétaire et financier énonce que le paiement des salaires « doit être effectué par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal ou à un compte tenu par un établissement de paiement ou un établissement de monnaie électronique qui fournit des services de paiement ».

Le virement d’un salaire doit être effectué sur un compte bancaire détenu par un établissement de paiement. C’est le point principal qu’il nous faut retenir pour le moment. Les comptes bancaires sont gérés par des établissements financiers, pour y mettre des euros. Or l’appréciation du périmètre du compte bancaire pourrait être élargie. En effet, on voit apparaître des crypto-banques, proposant des comptes bancaires mêlant cryptomonnaies et euro

L’usage qu’on peut en faire correspond à la lettre à la définition de compte bancaire traditionnel : il permet de déposer et sécuriser ses fonds afin de réaliser des opérations financières. Il regroupe l’ensemble des transactions : débitrices et créditrices, pour en faire apparaître le solde. 

L’obligation visée par l’article L112-6 du Code monétaire et financier d’effectuer le versement du salaire sur un compte bancaire semble respectée.

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Autorisation de fournir des services de paiement ?

Des crypto-banques se développent. Il existe par exemple Bitwala qui propose des comptes bancaires multi-devises et multi-cryptos. Cette crypto-banque allemande se destine plutôt aux entreprises. 

Pour les particuliers, Spot9 pourrait être une solution. On retrouve aussi Wirex qui met à disposition de ses clients un compte bancaire bidirectionnel. Ce dernier permet de conserver des bitcoins et des monnaies fiduciaires sur le compte.

Pour exercer, ces établissements doivent se plier aux règles bancaires classiques de leur pays. 

En France, cette activité de service de paiement est conditionnée à l’obtention d’un agrément de la part de l’ACPR. L’activité de service de paiement regroupe les services suivants : le dépôt ou retrait d’espèces sur un compte de paiement, les virements et prélèvements, les paiements par carte, les services de transfert d’argent.

Aussi, la récente loi PACTE a établi le nouveau statut de Prestataire de Service en Actifs Numériques (PSAN). Une de leurs activités est justement de proposer la conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques. 

Conclusion

Les dispositions tendent à se rapprocher. On peut voir la possibilité de proposer des comptes prenant la forme de comptes bancaires dans le nouveau statut des PSAN (mai 2019). Une crypto-banque agréée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pourrait voir le jour en qualité de PSAN. Elle pourrait proposer à ses clients de déposer et sécuriser leurs fonds afin de réaliser des opérations financières.

Ainsi, au sens de la loi, elle mettrait simplement à disposition un compte bancaire. Partant de ce constat, le versement d’un salaire sur ce type de compte semble tout à fait possible. Techniquement, la loi vous permet de recevoir votre salaire en Bitcoin et en autres cryptomonnaies. Néanmoins il semblerait qu’il faille qu’il soit versé sur le compte d’une crypto-banque agréée en tant que PSAN.

Toutefois, il n’en existe pas encore à ma connaissance. Le statut de PSAN est encore très récent. Mais cela ne saurait tarder, étant donné que les crypto-banques sont un nouveau marché porteur.

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Lory Feuvrier

Lory Feuvrier est juriste spécialisée dans les protocoles blockchain et cryptomonnaies depuis 2017. Elle est aussi l'auteur de <a href="https://consultant-juridique-blockchain.com/etude-de-la-tracabilite-des-transactions-cryptographiques-sur-les-blockchains-publiques-et-anonymes/" title="Cliquez pour découvrir l’étude de la traçabilité des transactions cryptographiques sur les blockchains publiques et anonymes">l'étude de la traçabilité des transactions cryptographiques sur les blockchains publiques et anonymes</a>.