Interview de Nicolas Dorier, un programmeur Bitcoin de Tokyo

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Durant mon périple de plaisance au pays du Soleil-Levant, j’ai pris le temps de visiter quelques événements relatifs aux cryptomonnaies et j’ai aussi eu la chance de croiser quelques acteurs impliqués dans le réseau Bitcoin, dont Nicolas Dorier.

C’est au Meetup Bitcoin hebdomadaire de Tokyo que j’ai pu rencontrer Nicolas, un programmeur français expatrié au Japon dont le parcours et l’introduction au monde des devises décentralisées est des plus intéressantes.

L’équipe du Journal Du Coin et moi avons pu lui adresser des questions diverses, allant des débuts de son implication dans Bitcoin à ses projets actuels en cours de développement. Sans plus attendre, voici la matière de la discussion exclusive que j’ai pu entretenir avec ce dernier.

Comment as-tu découvert Bitcoin et pourquoi as-tu décidé de développer ce réseau ?

J’ai eu vent de l’existence de Bitcoin peu après le scandale de Mt Gox. Je pensais que c’était une arnaque, mais j’étais curieux de comprendre pourquoi le prix de cet actif n’était pas nul. En fouinant un peu, j’ai fini par apprendre que l’échec de Mount Gox n’était pas lié à Bitcoin.

Par la suite, j’ai commencé mon apprentissage de Bitcoin en créant NBitcoin, qui est devenue la librairie Bitcoin la plus complète (Github).

Aussi j’ai fait des recherches quant aux motivations de Satoshi, ce qui m’a mené à découvrir les fondements de la pensée libertarienne et d’en savoir plus sur les origines de l’argent, notamment grâce à Ayn Rand, Murray Rothbard, Mises, Bastiat…

Ayant été en interdit bancaire suite à un échec entrepreneurial, ma haine des banques a nourri mon engagement dans Bitcoin ainsi que dans les alternatives au système fiduciaire.

Quels sont selon toi les facteurs les plus importants qui mèneront à l’adoption de Bitcoin à grande échelle ?

Au fur et à mesure que nous avançons dans le temps, les banques deviennent de plus en plus difficiles à utiliser, à cause des régulateurs appliquant des restrictions visant à resserrer leur contrôle sur les citoyens.

Le fisc n’est pas l’autorité en charge de contrôler la conformité fiscale des citoyens, de nos jours, c’est devenu la besogne des banques. Ces dernières disposant de meilleures mesures et ressources pour monitorer leurs clients rigoureusement.

Des gens qui n’ont rien à se reprocher commencent à utiliser des combines pour éviter de déclencher les alarmes qui peuvent provoquer l’interdiction d’accès ou la confiscation de leur argent par des organismes privés, sans mandat de justice « pour votre sécurité et pour la lutte contre le terrorisme ».

Ces difficultés sont encore plus critiques quand on agit à l’échelle internationale. Par exemple au Japon, il est très difficile pour moi d’avoir une carte de crédit car je suis étranger.

De l’autre coté, Bitcoin devient de plus en plus facile à utiliser. Une génération commence à grandir avec, une génération qui aura de plus en plus tendance à vivre à l’international, à être mobile.

Pour cette nouvelle vague d’individus, Bitcoin est simplement la solution la plus performante pour gérer leurs ressources et réaliser des paiements.

Même si les technologies rendant Bitcoin plus commode à utiliser comme le Lightning Network contribueront à son adoption globale, les ingrédients principaux de l’adoption sont le temps et les régulations, qui continuent de rendre le système bancaire de plus en plus indigeste et lourd d’usage pour le commun des mortels.

Ces problèmes ne peuvent être considérés et compris par l’élite des politiciens et des économistes bien banqués. La génération qui arrive va aussi devenir invisible à leur yeux.

Peux-tu décrire BTCPay, et donner ses avantages comparativement à BitPay ?

BitPay, et plus généralement tous les intermédiaires privés qui favorisent l’échange de fiat, subissent les mêmes handicaps que les banques, dans la mesure où ces derniers ne sont pas épargnés par la culture de la restriction, les régulations poussent le monde en dehors du système bancaire.

BTCPay capitalise sur la force de Bitcoin: le contrôle de son argent sans intermédiaire par l’Open Source, et ne peut donc être soumis aux régulations. Grace à cela, il est maintenant plus facile d’utiliser BTCPay que d’utiliser Bitpay si vous n’avez pas le besoin de convertir vos ressources en fiat.

Je concentre mes efforts afin de faire en sorte que BTCPay soit le plus facile à installer sur une grande variété de serveurs pour s’adapter à tout environnement. Du fait que la technologie est open source, beaucoup de contributeurs apportent leur pierre à l’édifice, et une communauté s’est construite rendant le support plus efficace que n’importe quel autre processeur de paiement.

Je n’investis pas mon temps à essayer de convertir ceux qui ne voient pas l’intérêt d’être en contrôle de leur argent. Je déploie mes efforts de sorte à ce que BTCPay soit adopté par ceux qui connaissent déjà les problèmes relatifs aux processeurs de paiement centralisés. Leur excitation est contagieuse.

BTCPay est aujourd’hui la manière la plus simple d’accepter les paiements sur Lightning Network et sur différents altcoins. BTCPay diminue aussi l’influence des fournisseurs de service Bitcoin centralisés car les marchands cessent de dépendre d’eux. Une nouvelle attaque comme Segwit2x aura nettement moins de chance de réussir.

Que penses-tu de la fongibilité actuelle des bitcoins ? Est-elle satisfaisante ? Que penses-tu de l’anonymat des transactions sur le réseau Bitcoin ? Est-il nécessaire ? Quelles sont les meilleures pistes à étudier pour améliorer la confidentialité des transactions et la protection de la vie privée des utilisateurs ?

Ce n’est pas suffisant, mais l’adoption du Lightning Network va régler les plus gros problèmes. Au niveau de Bitcoin, je pousserai l’adoption de P2EP via BTCPay, ce qui induira en erreur les sociétés de chain analysis (analyse de la blockchain).

Quel est ton avis sur les signatures de Schnorr, les BLS signatures et les preuves à non-divulgation de connaissance ?

Je ne peux parler que de Schnorr en ce qui me concerne. Et c’est très très excitant.
Car non seulement les transactions prendront moins d’espace, cela donne une incitation à « mixer » ses coins avec d’autres personnes car non seulement cela permet une économie de place mais aussi d’argent.

Cette incitation au mixage va aussi compliquer énormément la tâche de chain analysis, rendant la fongibilité et l’anonymat de Bitcoin sensiblement plus solide.

Quelle est l’attitude générale des japonais à l’égard de Bitcoin ? Est-ce que de nombreux commerçants utilisent ce réseau ou est-ce une exagération de la part des médias crypto à l’étranger ?

L’équivalent de la fnac (Biccamera) accepte Bitcoin. Il n’y a pas tellement de marchands à part eux, et beaucoup de marchands ont souffert du hack de Coincheck.

Bic Camera accepte le Bitcoin au Japon

Coincheck était un processeur de paiement pour beaucoup de marchands au Japon. Après le hack, le gouvernement a forcé Coincheck à arrêter de traiter les paiements… Cela signifie que pour les marchands, non seulement Bitcoin ne fonctionnait plus, mais en plus leur argent a été bloqué pendant plusieurs mois dans l’échange. Ce qui n’est pas génial pour l’image de marque.

Il y a cependant beaucoup de spéculation, une communauté de codeurs grandissante, et beaucoup de plateformes d’échanges.

Autant au niveau des individus que des institutions, comment estimes-tu que Bitcoin est perçu au Japon ?

Je dirais que l’image est devenu positive, bien que le hack de Coincheck a provoqué méfiance vis à vis des marchands. Investir dans Bitcoin n’est plus perçu comme une décision louche ou atypique.

Comment est la communauté Bitcoin au Japon ? Notes-tu des différences particulières entre cette communauté et celle des nombreux pays dans lesquels tu as eu l’occasion de voyager ?

Quand je suis parti de France, la communauté Bitcoin était encore balbutiante, il m’est donc difficile d’effectuer une comparaison pertinente.

A Tokyo, il y a beaucoup d’intérêt au niveau des développeurs. Beaucoup aiment bien le concept de « smart contract », mais très peu savent ce que leur exécution effective implique. (En théorie pour ces devs, Ethereum est plus facile à utiliser que Bitcoin, mais en production c’est l’inverse).

Je n’ai plus participé au Bitcoin Meetup de Tokyo pendant un long moment, Roger Ver étant l’organisateur, ce dernier était assez incisif envers ceux qui n’embrassaient pas son nouveau projet qu’est Bitcoin Cash. Aujourd’hui, ils ont leur meetup distinct, et c’est pour le mieux.

Peut-être existe-t-il un enthousiasme ou une curiosité plus importante pour Bitcoin au Japon, ou n’est-ce qu’une vue de l’esprit ?

Je ne peux pas trop comparer avec la France car je n’y ai pas vécu depuis que Bitcoin est devenu populaire. Mais au Japon je dirais oui, la population est assez enthousiaste envers les cryptomonnaies.

Pourquoi d’ailleurs avoir choisi de vivre au Japon ?

Un pays propre, civilisé et libre sont les trois adjectifs qui me viennent à l’esprit, je ne souhaite retourner en France que pour voir mes amis et ma famille. Je garde ma nationalité seulement pour le passeport européen.

Vu du Japon, que penses-tu de l’attitude de la France à l’égard de Bitcoin ?

Je me soucie peu de ce que les politiciens pensent de Bitcoin, ils suivront le wagon. Le temps est de notre coté.

Merci à Nicolas d’avoir pris le temps de répondre à ces questions, j’espère que nos chemins se croiseront de nouveau à Tokyo ou ailleurs ! En attendant je vous invite, chers lecteurs, à jeter un coup d’œil aux travaux de Nicolas et à le suivre sur Twitter, si cette plateforme est à vôtre goût.

À très vite.

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