Fiscalité des cryptomonnaies #2 – Êtes-vous concernés par l’année « blanche » ?

Le terme d’année « blanche », largement diffusé par les médias, créé l’impression qu’aucun impôt ne sera dû sur les revenus 2018. Gérald Darmanin a ainsi confirmé que 2018 serait « une vraie année blanche« , mais sous réserve « que des petits malins ne fassent [pas] de l’optimisation fiscale dans le dos de l’Etat« . Retour sur l’année de transition dans cette deuxième publication consacrée à la fiscalité des cryptomonnaies.

Important : lorsque nous parlons de revenus 2018, nous visons uniquement les revenus concernés par l’année de transition, sauf si nous précisons le contraire. Par conséquent, lorsque nous mentionnons qu’aucun impôt ne sera dû sur les revenus 2018, vous pourriez rester redevable de l’impôt au titre des revenus 2018 non visés par l’année « blanche ».

Initialement prévue pour 2017, l’année « blanche », ou année de transition, a été décalée en 2018. Ce report s’est fait à droit constant (sans modification par rapport au projet initial), mais n’oubliez pas qu’il est toujours possible qu’un aménagement ou un nouveau report du prélèvement soit décidé au cours de l’année 2018.

Les gains sur des cryptos sont-ils visés par l’année « blanche » ?

Commençons par une chose simple : si la flat tax de 30% devenait applicable aux cryptos, vous pourriez arrêter ici votre lecture. En effet, cela impliquerait leur exclusion du prélèvement à la source et donc de l’année de transition.

En revanche, les revenus imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et des bénéfices non-commerciaux (BNC) seront soumis au prélèvement à la source.

Les gains liés aux cryptos étant actuellement imposés en BIC ou BNC, ils seront soumis au prélèvement à la source. Par conséquent, ces gains sont concernés par notre année de transition.

L’année « blanche », qu’est-ce donc ?

Un crédit d’impôt pour neutraliser l’imposition sur les revenus 2018

Afin d’éviter un double paiement de l’impôt en 2019, le gouvernement a mis en place le « crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement » (CIMR). Il concernera l’impôt sur le revenu (IR) au taux progressif, ainsi que les prélèvements sociaux.

Avant de vous expliquer comment est déterminé le CIMR, une petite explication sur son utilité s’impose.

En 2019, vous allez devoir souscrire une déclaration d’impôts et déclarer vos revenus de 2018. Une fois que vous aurez obtenu votre impôt « net », c’est-à-dire celui qui aurait été dû dans des conditions normales (sans mise en place du prélèvement à la source), vous rajoutez une étape supplémentaire. Votre impôt sera diminué du montant du CIMR, et vous ne serez imposés que sur la différence.

Le CIMR est donc une mesure permettant de neutraliser l’impôt sur les revenus 2018.

Maintenant que vous connaissez son utilité, passons à l’étape compliquée : quel sera le montant du CIMR ?

Un crédit d’impôt sur les « revenus non exceptionnels »

Il est prévu que le CIMR ne concerne que les « revenus non exceptionnels« , afin de garantir les intérêts de l’Etat contre les « petits malins« .

Votre CIMR correspondra à l’impôt sur vos revenus soumis au barème progressif, multiplié par le rapport entre les revenus non exceptionnels relevant du prélèvement à la source et le revenu net imposable du foyer. C’est plus parlant en équation :

CIMR = IR « normal » x (revenus non exceptionnels / revenu net imposable au barème).

Pour faire simple, si vous n’avez que des revenus non exceptionnels, votre rapport est égal à 1, votre CIMR correspond donc à votre IR « normal » et l’annule. Aucun impôt ne sera dû sur les revenus 2018.

Si vous avez des revenus exceptionnels, votre rapport est inférieur à 1, votre CIMR est donc inférieur à votre IR « normal » et ne l’annule qu’en partie. Vous serez imposés sur la différence entre votre IR « normal » et votre CIMR.

Histoire de compliquer les choses, il est prévu de mettre en place ce CIMR sur les revenus 2018, que nous appellerons CIMR 2018 (utilisé en 2019), mais également un complément de CIMR, que nous appellerons CIMR 2019 (utilisé en 2020).

L’année « blanche » et la neutralisation de l’impôt en 2019

Les revenus non exceptionnels des « anciens » cryptos

Concernant les BIC/BNC, les revenus non exceptionnels perçus en 2018 sont appréciés par comparaison avec les montants des BIC/BNC réalisés sur la période 2015-2019.

Le revenu considéré comme non exceptionnel correspond au plus faible des deux montants suivants :

  • Bénéfice 2018
  • Bénéfice le plus élevé des années 2015, 2016 et 2017

Ce revenu non exceptionnel est utilisé dans la formule de calcul mentionnée plus haut.

Petite illustration pratique avec les bénéfices réalisés par deux personnes que nous appellerons Jean et Pierre. Pour simplifier, nous considérons qu’ils n’ont perçu que des revenus cryptos :

Jean Pierre
Bénéfice 2015 20.000 € 30.000 €
Bénéfice 2016 25.000 € 25.000 €
Bénéfice 2017 45.000 € 25.000 €
Bénéfice 2018 35.000 € 45.000 €
Bénéfice 2015-2017

le plus élevé

45.000 € 30.000 €
Revenus non exceptionnels 35.000 € 30.000 €
CIMR IR « normal » x (35.000/35.000)
=
IR « normal »
IR « normal » x (30.000/45.000)
=
IR « normal » x 2/3
Impôt à verser en 2019 Aucun Un tiers de l’IR « normal »

Les revenus non exceptionnels des « nouveaux » cryptos

Certains découvrent les cryptos au cours de l’année 2018. La règle de comparaison des exercices ne peut donc s’appliquer, faute de bénéfices sur la période 2015-2017.

Si vous débutez votre activité crypto en 2018, le revenu non exceptionnel correspond à votre bénéfice 2018. Pour cette étape, c’est donc très simple, vous ne paierez pas, en 2019, d’impôt sur vos revenus cryptos de 2018.

L’année « blanche » et le complément de CIMR en 2020

L’éventuel complément de CIMR de l’impôt ne concerne que ceux ayant connu, en 2018, un bénéfice plus élevé que d’habitude ou ceux ayant débuté leur activité en 2018.

Les revenus non exceptionnels des « anciens » cryptos

Afin de ne pas pénaliser un accroissement normal d’activité, un CIMR complémentaire peut être accordé en 2020, au moment de la déclaration des revenus 2019.

Cette correction ne vise que les cas où les revenus 2019 sont supérieurs aux « revenus non exceptionnels«  déclarés en 2019.

Dans cette hypothèse, deux solutions :

  • Soit le bénéfice 2019 est supérieur au bénéfice 2018 : on considère que les revenu 2018 étaient non exceptionnels en intégralité.

Dans ce cas, le CIMR 2019 sera égal à la différence entre le CIMR calculé sur l’intégralité du bénéfice 2018 et le CIMR 2018 versé, soit :

CIMR 2019 = CIMR sur tout le bénéfice 2018 – CIMR 2018.

Ce CIMR 2019 viendra diminuer l’impôt à verser en 2020.

  • Soit le bénéfice 2019 est inférieur au bénéfice 2018, mais est supérieur aux « revenus non exceptionnels«  de 2018 : on considère que les revenus non exceptionnels de 2018 correspondent au bénéfice 2019.

Dans ce cas, le CIMR 2019 sera égal à la différence entre le CIMR calculé sur l’intégralité du bénéfice 2019 et le CIMR versé, soit :

CIMR 2019 = CIMR sur tout le bénéfice 2019 – CIMR 2018.

Ce CIMR 2019 viendra diminuer l’impôt à verser en 2020.

Les revenus non exceptionnels des « nouveaux » cryptos

Vous n’avez payé aucun impôt lors de votre déclaration en 2019, mais les choses se compliquent en 2020.

Il faudra comparer les deux sommes suivantes :

  • Bénéfices réalisés en 2018 + autres revenus d’activité 2018
  • Bénéfices réalisés en 2019 + autres revenus d’activité 2019

Si la somme 2019 est supérieure à la somme 2018, vous ne touchez à rien. L’année de transition est derrière vous.

Si la somme 2019 est inférieure à la somme 2018, le CIMR 2019 est partiellement remis en cause (à hauteur de la différence constatée). La remise en cause sera limitée à la différence entre le bénéfice 2018 et 2019 (la différence liée à d’autres revenus d’activité n’est donc pas prise en compte).

Vous devrez donc verser en 2020 de l’impôt sur vos revenus 2018.

L’année de transition en bref

L’essentiel : si vous faites un bénéfice plus important que d’habitude en 2018, vous serez imposé en 2019 sur cet « excédent ».

Si cette fraction correspond à un accroissement normal de votre chiffre d’affaires, vous pourrez bénéficier en 2020 d’un complément de crédit d’impôt.

Si vous débutez les cryptos en 2018, vous n’aurez aucun impôt à payer en 2019 sur votre bénéfice 2018, mais la situation sera régularisée en 2020, et vous pourriez vous retrouver à payer de l’impôt sur ce bénéfice.

Le bénéfice de l’année « blanche » reste toujours possible

Dans TOUS les cas, les mesures de calcul du CIMR servent de mesure préventive contre l’optimisation. Il est donc possible de démontrer qu’il ne s’agit pas d’optimisation et ainsi obtenir la neutralisation totale de l’impôt.

Pour cela, il faudra adresser à l’administration une réclamation contentieuse, et lui expliquer pourquoi l’année 2018 a été si bonne, que ce soit pour des raisons de surcroît d’activité ou pour des raisons liées à l’état du marché.

Par exemple, en cas d’augmentation soudaine des cours de certaines cryptos il est possible d’imaginer que l’administration admettra que des gains élevés ne reflètent pas une volonté d’optimiser, mais seulement la grande volatilité de ce marché, et s’inscrivent donc dans le déroulement « normal » de vos activités.

Petite précision finale : la neutralisation de l’impôt sur les revenus 2018 ne sera possible que si vous déclarez spontanément vos revenus. Il n’y aura pas d’année « blanche » pour ceux qui seront rattrapés par le fisc plus tard.

Nous vous laissons sur le rappel de nos articles parus ou à paraître sur la fiscalité des cryptos :

  • Fiscalité des crytomonnaies #1 : L’impôt sur le revenu
  • La fiscalité des cryptomonnaies hors impôt sur le revenu
  • Les sanctions en cas d’absence de déclaration des revenus imposables
  • Les moyens de contrôle de l’administration pour connaître vos revenus issus des cryptomonnaies
  • Quelques pistes de réflexion sur l’optimisation de la fiscalité de ses cryptomonnaies

Axel SABBAN
Avocat au Barreau de Paris

Image from Shutterstock.com

 

Cliquez pour prendre RDV avec Me Sabban »

Axel Sabban

Avocat au Barreau de Paris, mon but est de rendre accessible la fiscalité des cryptomonnaies tant aux passionnés de trading qu’aux investisseurs néophytes.