Petite histoire de la création du logo de Bitcoin
La virgule de Nike, le « M » de McDonald, le rouge Ferrari… personne ne peut nier importance d’une identité visuelle forte, garantie d’une identification immédiate par le consommateur lambda de l’identité d’une marque. À ce titre, parvenir à devenir reconnaissable au premier coup d’œil est autant la garantie d’être perçu comme un acteur économique majeur que la démonstration de la puissance supposée d’une entreprise.
Le domaine blockchain n’échappe pas à cette règle universelle et il serait même difficile ne pas s’accorder sur le fait que le secteur entier présente des marqueurs iconographiques forts, à la croisée de la culture geek et du pure branding : la fameuse petite fusée qui décolle « to the moon », les chaînes de molécules qui se baladent sur tous les sites d’ICO et qui font tellement tech, la chaîne de bloc représentée…sous forme de cubes empilés et inter-connectés…
Et, tout révolutionnaire et d’essence crypto-anarchiste fut-il, même le Bitcoin à rapidement dû sacrifier à cette très traditionnelle nécessité de branding, de manière à acquérir une identité forte. Mission accomplie pourrait-on dire, tant le fameux B barré de 2 lignes verticales est désormais connu bien au-delà du seul cercle des utilisateurs réels de l’or numérique.
Retour sur l’histoire du logo de Bitcoin.
La grandeur des petits débuts
En ce mois de janvier 2009, Satoshi Nakamoto a un planning bien chargé. En effet, changer le monde devient vite une préoccupation à plein temps ! Peu de temps après avoir rendu public le Livre Blanc de Bitcoin, il a également mis en place le forum bitcointalk sur lequel quelques dizaines d’illuminés échangent déjà sur les potentialités de cette toute nouvelle invention : le Bitcoin.
Gadget de geek ? Germe de futurs bouleversements économiques mondiaux ? Le débat anime les premières pages du forum (et n’est d’ailleurs toujours pas tranché une décennie plus tard !). Quelques semaines auparavant, le 3 janvier exactement, les tout premiers Bitcoin ont été minés, marquant le début d’une nouvelle ère.
De l’importance de donner une « personnalité » au Bitcoin
Satoshi avait-il lui-même conscience de l’ampleur de l’impact de sa création et du fait que ses quelques actions informatiques pourraient se révéler le point de départ d’un phénomène comparable à l’émergence de l’Internet ? Difficile à dire. Ce qui est en revanche certain, c’est que notre anonyme ami avait déjà un peu réfléchi à l’apparence que – toute virtuelle fut-elle – sa monnaie numérique devait revêtir dans le monde réel.
Ainsi, sous vos yeux ébaubis, le proto-design du Bitcoin, agrémentant fièrement un des tout premiers blocs :
Le souci du détail
Notez l’acronyme « BC », premier « ticker » du Bitcoin (on verra un peu plus loin que le sujet a enflammé la communauté, comme tout un tas d’autres détails du reste).
On retrouve bien évidemment en filigrane la volonté évidente de Nakamoto – dont on peut raisonnablement penser à ce stade qu’il est lui même l’auteur de cette première esquisse – à la fois de souligner la vocation monétaire du Bitcoin, mais également sa valeur intrinsèque (une pièce d’or). Matérialiser une monnaie métal (plutôt qu’un logo avec des 0 et des 1, ou une clef symbolisant la cryptographie entre autres exemples), démontre une volonté de se placer en filiation directe avec la « relique barbare » que constitue l’or métal, inaltérable composant des monnaies les plus précieuses depuis des milliers d’années. De grandes ambitions sont ainsi posées.
On pourrait disserter sur les sexe des anges, et mentionner le crénelage apparent de la monnaie BC (les gamers évoqueront peut-être avec un frisson d’effroi un « effet d’alliasing »). Minute numismatique : le crénelage est un dispositif technique lié à la frappe des monnaies, ayant vocation à rendre toute altération plus difficile. Je vous laisse faire le parallèle avec l’immuabilité et l’inaltérabilité du Bitcoin et en tirer d’éventuels enseignements (ou vous dire que le hasard fait décidément bien les choses).
La tentation thaïlandaise
S’agissant du symbole monétaire et du ticker, c’est toujours sur Bitcointalk que le membre NewLibertyStandard émet une proposition qui au final fera plutôt consensus : BTC en tant qu’acronyme et pourquoi ne pas s’inspirer du Baht thaïlandais (฿) comme symbole ?
Si le premier problème est de n’avoir obtenu qu’un unique « Merit » pour cet acte historique, on conviendra que le plus embêtant avec le symbole du Baht….c’est qu’il existe déjà !
S’ensuivent de complexes débats considérant autant la nécessité de disposer d’un caractère disponible sur un clavier classique, tout autant que l’importance de marquer une différence nette avec les autres devises ringardes.
Certains ont envisagé de simplement pencher le symbole du Baht (฿), ou ont tenté des expérimentations comme ฿₡ ; ❂ ; ฿10-8 ; |B|... Le graphique Ⓑ a longtemps tenu la corde.
Pendant ce temps là, chez l’ami Satoshi…
On notera que si conformément à la culture fondamentalement cypherpunk et la recherche du consensus communautaire pousse les early adopter du bitcoin à débattre sans fin, il s’avère que dés le 24 février 2010, le fondateur lui-même propose un nouveau design qui préfigure assez largement l’avenir.
Les fondamentaux sont là : la couleur or, l’emblématique B barré de 2 lignes verticales. Le clin d’œil à son lointain ancêtre le dollars américain $ est évident : il convient de l’évoquer, tout en symbolisant le fait qu’il sera lui aussi doublé de manière nettement plus concrète à l’avenir. Les cannelures ont disparu, remplacées par un rayonnage central probablement censé accentuer la similitude avec le brillant d’une pièce d’or métal.
Une contribution essentielle…
….par un type qui passait par là. Littéralement ! En effet, conformément à une forme de tradition, les plus grandes avancées de la reine des devises numériques se doivent d’être le fait d’individus anonymes qui s’évanouissent ensuite dans la nature. C’est ainsi le 1er novembre 2010 que Bitboy, membre fraîchement inscrit, lâche dans le plus grand des calme une série de graphismes qui vont mettre tout le monde d’accord, et qui sont encore largement utilisés aujourd’hui !
Le B prend quelques degrés d’inclinaison, symbolisant parfaitement le dynamisme du Bitcoin, la charte graphique orange et grise se met en place.
Tout indique que ces créations ont eu pour ambition d’offrir une traction marketing importante, aspect que Bitboy n’a pas nié du reste (on notera que son adresse BTC a été abondamment garnie le jour même de plus d’une centaine de bitcoins, sans qu’il soit possible de déterminer s’il s’agit de dons de la communauté reconnaissante, ou d’une forme de rétribution pour un travail donné).
Interpellé sur la ressemblance du nouveau logo avec ceux existant de VISA et Mastercard, Bitboy répond :
« C’est effectivement l’inspiration. L’ironie, c’est que, même si je déteste Mastercard et Visa, il existe une problématique autour de la perception quand il s’agit de la confiance et du comportement des consommateurs. Lol ». Membre Bitboy, répondant sur le forum Bitcointalk le 1er novembre 2010.
Émis par l’auteur sous licence libre (license CC-A), ce pack graphique est ainsi utilisable par quiconque. À noter que l’auteur s’inquiétait des droits intellectuels de Satoshi Nakamoto. S’en suivront des échanges pointus sur le droit de la propriété japonais.
Le design actuel de la pièce Bitcoin
En 2019, la monnaie est le plus souvent et le plus communément matérialisée selon ces deux principaux modèles :
Une version « jeton »
Une version « médaille »
« Vires in numeris », d’où vient cette devise ?
En plein débat sur le design du logo et de la pièce, certains commencent à considérer qu’adjoindre une devise ou une maxime à l’ensemble serait du plus bel effet. Si de nombreux « In Bitcoin we trust » fleurissent, il s’avère rapidement que l’usage de l’anglais (ou d’une manière générale d’une langue nationale) serait de nature à nuire à la vocation universelle de la toute nouvelle monnaie.
C’est donc vers le latin que les regards se tournent, tant n’importe quelle combinaison de mots latins au pif fait toujours son petit effet (« ça ne veut rien dire, mais ça boucle bien »).
C’est ainsi le 25 mai 2011 aux membres epi et Vladimir du forum que l’on peut attribuer la copaternité de ce qui deviendra alors la devise officielle de Bitcoin : « Vires in numeris », que l’on pourrait traduire par « le Pouvoir par les nombres ».
On mentionnera quelques tentatives latinistes moins heureuses du type « Copula argentarias » (en gros, « Je fais part avec la dernière énergie de mon mécontentement aux banques », dans une version que Jules César n’aurait probablement pas vraiment saisie…). Cette version aura cependant eu le droit à quelques t-shirt collectors dérivés.
Un Copyright, objet de toutes les convoitises
On l’a vu, les constituants de l’identité visuelle et de la « marque » Bitcoin sont imprégnés d’une volonté forte du créateur et de la communauté afin de rendre impossible pour quiconque de s’en accaparer la paternité. Cette position cardinale représente un marqueur idéologique fort, celui-ci trouvant ses racines dans un monde où l’Open Source, la diffusion libre des savoirs et les philosophies anarchistes règnent en maître.
Pour autant, il ne faudra pas longtemps avant que l’appât du gain ne pousse les vautours du capitalisme à tenter de s’approprier la création de Satoshi Nakamoto.
Ainsi, dés 2011 une première demande de dépôt de brevet du Bitcoin intervient-elle au Portugal. Depuis lors, ce sont 400 tentatives de dépôts de brevets de la marque Bitcoin qui ont été tentées à travers le monde.
Très récemment, en mai 2018, c’est une entreprise britannique qui intente une action en justice contre des utilisateurs de la marque Bitcoin sur des vêtements. Le sympathique Kjell Halvor Landsverk, unique employé de sa propre entreprise Monolip tente le tout pour le tout : exiger, en tant que dépositaire de la marque Bitcoin en Grande-Bretagne, que lui soit versé des royalties…
S’il semble que la tentative du fringuant jeune homme se soit douloureusement fracassée sur le mur de la réalité, elle matérialise à quel point la forteresse Bitcoin à de l’attrait.
Bonne nouvelle, au même titre que l’architecture informatique du bitcoin n’a jamais été piratée ou sérieusement compromise, le « label » résiste également à tous les assauts !
Bêtisier
Pas question de moquerie ici, tant de l’effervescence des idées et du n’importe quoi général peuvent parfois émerger les idées les plus lumineuses !
Pour autant, petit florilège des tentatives de design les plus audacieuses :
Le « style baroque »
La 3D c’est la vie
De la blockchain ? Donc des blocs
Et l’avenir ?
Si le design actuel de la pièce Bitcoin et son écosystème graphique sont actuellement largement acceptés, il n’est pas inutile de rappeler que, conformément aux usages de la communauté blockchain, il suffirait de dégager un consensus suffisamment large pour modifier sensiblement cet état de fait. Ainsi, si un « fork » sur ce sujet collectait assez de suffrages, d’importantes modifications pourraient tout à fait intervenir.
On notera à cet égard que c’est même la raison d’être principale d’un groupe dissident qui considère que tout cela n’est que vil marketing aux relents du capitalisme le plus crasse et que pour respecter son ADN, le Bitcoin ne devrait carrément pas avoir d’identité visuelle ! (ce qui, au passage, violerait la volonté du créateur himself, mais passons).
Ledit groupe aimerait d’ailleurs passer au symbole suivant :
On pourra par ailleurs s’interroger sur les conséquences possibles sur le design, si l’un des nombreux forks plus ou moins agressifs du Bitcoin, prenait dans une réalité parallèle démoniaque, l’ascendant sur la blockchain initiale ?
Quoi qu’il en soit, fruit d’un travail communautaire collectif autant que des géniales intuitions de son créateur, on ne peut que rester administratif d’un résultat final à l’évocation puissante : une identité graphique se trouvant à l’exacte équidistance entre la subversion du masque souriant des Anonymous et la respectabilité d’un symbole monétaire international.
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