En découvrant Bitcoin en 10 questions, vous avez pu vous apercevoir que par-delà sa technologie innovante, c'est aussi une révolution culturelle, monétaire et économique. Une fois franchis ses complexes méandres cryptographiques, l’évidence s’impose : le Bitcoin est d’abord l'incarnation d'une idéologie qui cherche par-dessus tout à protéger les droits et libertés des individus. Des valeurs mises en avant par diverses communautés, souvent restées discrètes. Qui se cache derrière ces idées ? À quels problèmes répond Bitcoin ? Dans quel contexte le réseau s'est-il créé ? Revenons aux origines et fondements de Bitcoin.
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Table des matières
Les influences idéologiques à l'origine de Bitcoin
Le mouvement des Cypherpunks
Pour comprendre pourquoi et comment Bitcoin est apparu, il est essentiel d'évoquer le rôle joué par un groupe de personnes : les Cypherpunks.
La naissance des Cypherpunks
Mené par des idéalistes et activistes des années 90' adeptes de l'Internet libre, le mouvement Cypherpunks peut en quelque sorte être considéré comme de l'anarchisme à l’ère du numérique. Ce nom a été imaginé par l'activiste et hackeuse Judith Milhon, issu de la fusion entre le « cyberpunk », un style de science-fiction dystopique, et le terme « cypher » emprunté au chiffrement.
Il se forme officiellement le 19 septembre 1992 lors d’une réunion privée organisée sur le thème des « implications de la cryptographie moderne dans l’évolution du monde », en Californie. Parmi les invités, se trouvent Timothy C. May, Eric Hughes, et John Gilmore, qui seront considérés plus tard comme des pionniers du mouvement.
En mai 1993, ces trois Cypherpunks font la Une du magazine Wired, récemment fondé dans le but de parler de l’incidence culturelle, économique et politique des technologies émergentes. Ils y apparaissent masqués et expliquent leurs principes et revendications.
Rapidement, le mouvement prend de l'ampleur et, dès 1994, plus de 700 individus (majoritairement des universitaires, informaticiens et mathématiciens) y participent. Leurs échanges ont lieu principalement sur Internet, par le biais d'une liste de diffusion composée d’adresses e-mail.
Ceux-ci font alors émerger des idées nouvelles ainsi que les moyens technologiques de les concrétiser.
L'idéologie des Cypherpunks
Au moyen de l’informatique, et plus précisément de la cryptographie, les Cypherpunks cherchent à garantir la liberté et la vie privée des individus. Une vie privée qui doit rester possible même sur Internet. Pour eux, la cryptographie a le potentiel d'émanciper les individus.
Très tôt, ils anticipent l'émergence d'une surveillance accentuée par la propagation du numérique ainsi qu'un contrôle des États de plus en plus fort par le biais de ce nouveau moyen de communication et d'échange. Ils cherchent par tous les moyens, notamment techniques, à s’en prémunir. Leur pensée repose fortement sur trois grands principes issus du libertarianisme :
- Le droit à la communication anonyme et privée ;
- Le droit à l’information et le droit de savoir ;
- La liberté des transactions.
Hal Finney, qui a largement contribué au développement de Bitcoin dès sa genèse s'exprime sur la situation à laquelle font face les Cypherpunks, en ces mots :
« Nous voici face au problème de la disparition de la vie privée, de la numérisation du monde, des bases de données gigantesques, de la centralisation galopante. […] L’ordinateur peut être utilisé comme un outil pour libérer et protéger les gens, plutôt que pour les contrôler. »
Hal Finney
Plusieurs textes ont été écrits pour traduire la pensée des Cypherpunks, leurs idéaux et leurs objectifs. Ces 3 ouvrages produits par les pionniers du mouvement font office de référence :
- A Cypherpunk’s Manifesto, Eric Hughes, 1993 (version française) ;
- The Crypto Anarchist Manifesto, Timothy C. May, 1992 ;
- Cyphernomicon, Timothy C. May, 1994.
Voici un extrait du manifeste de 1993, qui les résume en quelques phrases :
« La vie privée est nécessaire pour une société ouverte dans l’ère électronique. […] Nous ne pouvons attendre des gouvernements, des entreprises et des autres organisations majeures sans visage de nous accorder une vie privée par acte de bienveillance. […] Nous devons défendre notre vie privée par nous-mêmes si nous nous attendons à en avoir une. […] Nous défendons notre vie privée avec la cryptographie, avec des systèmes de renvoi anonymes, avec des signatures numériques, et avec une monnaie électronique. […] Nous savons qu’un logiciel ne peut être détruit et qu’un système largement répandu ne peut être arrêté. »
Manifeste Cypherpunk en version originale (anglais), traduit en français
Cette pensée « crypto-anarchiste » est à l'origine même de ce qu'est Bitcoin. Plus qu'une monnaie numérique, Bitcoin est le reflet d'une idéologie politique portée par des défenseurs des droits et libertés. Comme nous le verrons dans la suite de cet article, les Cypherpunks ne se sont cependant pas arrêtés à des réflexions théoriques et philosophiques, mais ont aussi élaboré des outils permettant de les concrétiser.
L'école autrichienne d'économie
L’école autrichienne, également connue sous le nom d’« école de Vienne », est un courant de pensée économique hétérodoxe apparu à la fin du 19ème siècle. Au même titre que l'idéologie Cypherpunk, elle a influencé l'émergence de Bitcoin et les contours de sa philosophie économique.
Cette école estime notamment que la monnaie est apparue naturellement dans la société pour faciliter les échanges de valeur, et que l'État s'en est emparé pour accentuer son contrôle sur la population. Un constat partagé par les Cypherpunks. Face à tous les problèmes auxquelles les monnaies font face (dévaluation, inflation, mainmise des banques privées et banques centrales, etc.), l'école autrichienne propose des idées pour les éviter et revoir le fonctionnement du système actuel.
Si elle est apparue il y a plus d'un siècle, force est de constater que l'école autrichienne a correctement anticipé les dérives des politiques et des banques centrales, marquées par un endettement record, une centralisation des pouvoirs et une collusion qui nuit aux intérêts de la majorité de l'humanité. Face à ces atteintes croissantes, l'école autrichienne souhaite retirer aux institutions publiques ce pouvoir dont ils abusent.
L'un de ses membres éminents est le défunt Friedrich Hayek, Prix Nobel de l'économie en 1974, et fervent défenseur de la liberté individuelle, de la décentralisation et de la limitation du rôle de l’État dans l’économie. Son travail a influencé de nombreux domaines, y compris la théorie monétaire, la compréhension des cycles économiques et très certainement Satoshi Nakamoto, le créateur de Bitcoin.
Les idées d'Hayek et celles des autres économistes de l'école autrichienne trouvent ainsi écho dans les fondements de Bitcoin, sa structure et son fonctionnement, à travers notamment :
- La décentralisation : tant Bitcoin que l’école autrichienne valorisent la décentralisation. Ils rejettent les contrôles centralisés, venant des États, des banques ou d'autres, pouvant favoriser la censure et réduire les libertés ;
- La scarcité : l’approche autrichienne valorise l’or en tant que réserve de valeur rare. De même, Bitcoin propose une monnaie dure avec un nombre de bitcoins fini et limité à 21 millions ;
- La liberté individuelle : Hayek et les autrichiens ont défendu la liberté individuelle, tout comme Bitcoin qui permet à ses utilisateurs de gérer leurs finances sans l’intervention d’une autorité centrale ;
- La propriété privée : l’accent mis sur la propriété privée par l’école autrichienne se reflète dans la nature non censurable et non confiscable de Bitcoin.
« Je ne crois pas que nous aurons à nouveau une bonne monnaie avant d'avoir retiré la chose des mains du gouvernement [...], tout ce que nous pouvons faire, c'est introduire par un moyen détourné et sournois quelque chose qu'ils ne peuvent pas arrêter. »
Friedrich Hayek, en 1984
Les combats et avancées qui ont précédé Bitcoin
Si la création de Bitcoin s'inspire fortement des idéaux précédemment exposés, elle est la concrétisation technique de près de 40 ans d'innovation et de recherche. Ces 40 ans seront longuement étudiés dans les deux prochains articles de cette Encyclopédie, dans lesquels nous reviendrons sur les Hommes derrière la révolution Bitcoin ainsi que les dates importantes de son histoire.
Ici, nous nous attarderons principalement sur les avancées et combats politiques portés par les Cypherpunks. Ces avancées ne sont pas toujours directement liées à Bitcoin, mais aident à comprendre ses fondements.
Les accomplissements des Cypherpunks
Plus que de simples idéologues, les Cypherpunks sont des bâtisseurs. Leur outil principal est apparu dans les années 70 : la cryptographie asymétrique. Très vite, plusieurs Cypherpunks choisissent d'exploiter son potentiel pour développer des solutions aux menaces auxquelles fait face le cyberespace. Au fil des années, ils créent de nombreux systèmes balayant les différentes facettes de la vie privée sur Internet et de la libre circulation des informations.
Avant même le début du mouvement, les Cypherpunks Philip Timmerman et Hal Finney créent le système de chiffrement de données PGP (Pretty Good Privacy), diffusé en 1991. Son usage est alors tout trouvé : chiffrer les échanges de mails entre les activistes.
Mais leur innovation ne passe pas inaperçue, notamment pour le gouvernement des États-Unis qui lutte alors pour interdire les méthodes de chiffrement capables de résister aux agences de renseignement (dont la NSA). Ce dernier accusa notamment PGP de violer la Réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international qui considère alors les produits cryptographiques comme... des munitions !
Philip Timmerman sera mis en examen en 1993 pour « exportation de munitions sans licence », avant que les charges retenues contre lui ne soient finalement abandonnées en janvier 1996. Hal Finney, quant à lui, fut l'un des contributeurs les plus actifs du développement de Bitcoin jusqu'à sa mort en 2014, et l'un des premiers à avoir cru en son potentiel. Avec un certain Ray Dillinger, ils seront les premiers à « auditer » le code de Bitcoin avant la création du premier bloc quelques mois plus tard.
Durant les années 90, les Cypherpunks s'opposent à de nombreux autres projets jugés liberticides, en plein développement du World Wide Web et son ouverture au grand public. En parallèle, plusieurs Cypherpunks tels qu'Adam Back innovent par leurs techniques cryptographiques. En 1997, ce dernier utilise la liste de diffusion du mouvement Cypherpunk pour partager sa création « Hashcash » qui est à l'origine de la preuve de travail (proof of work), concept qui deviendra plus tard l'un des piliers de Bitcoin.
Au début des années 2000, ils sont aussi à l'origine du réseau Tor via Jacob Applebaum, membre du mouvement. Ce réseau permet d’utiliser Internet de manière anonyme et chiffrée. Il sera largement utilisé par Satoshi Nakamoto, créateur du Bitcoin, pour couvrir ses arrières et empêcher les plus curieux de remonter à son identité.
Dans le même temps, les Cypherpunks s’investissent dans le développement de moyens d'échanges de pair à pair. Ainsi, Jim McCoy lance Mojo Nation, un projet de plateforme d’échange de fichiers en pair à pair intégrant une devise interne. En 2001, Bram Cohen lance BitTorrent, qui deviendra la référence dans le domaine.
Par la suite, les Cypherpunks s'attaquent au droit à l'information à travers l'un des membres du mouvement, Julian Assange. En 2006, il crée Wikileaks, une plateforme de partage d'informations à destination des lanceurs d’alerte. Au fil des années, Wikileaks révéla de nombreux documents classifiés et deviendra le symbole des exactions des gouvernements. L'organisation finira par accepter le Bitcoin dès juin 2011, confrontée à une censure financière aux États-Unis.
Les premières tentatives de monnaies numériques
En parallèle des combats menés sur le terrain des libertés et du respect de la vie privée, les Cypherpunks comprennent rapidement qu'il manque un élément essentiel à leur projet : une monnaie électronique, incensurable, et anonyme.
Rapidement, plusieurs tentatives sont menées, telles que « bit gold » de Nick Szabo et « b-money » de Wei Dai (cité dans le livre blanc de Bitcoin) en 1998. Toutes deux sont directement issues du concept d'eCash de David Chaum créé en 1982, mais ne dépendent d'aucun tiers de confiance, contrairement à ce dernier.
Ces deux systèmes de monnaie électronique sont cependant conceptuellement fragiles et ne seront jamais mis en oeuvre à grande échelle. Elles intègrent malgré tout des principes essentiels qui se concrétiseront par la suite à travers Bitcoin.
Le monde à l'aube de Bitcoin
Si Bitcoin a très tôt été porté par des mouvements idéologiques et des avancées techniques qui ont dessiné ses contours, sa naissance ne peut être comprise sans s'intéresser au contexte global de l'époque. Un contexte on ne peut plus favorable à l'émergence des principes qu'il porte, alors que certaines craintes évoquées par les Cypherpunks se concrétisent.
La menace numérique
Les Cypherpunks soulèvent dès les années 90' les menaces que pourrait représenter le numérique et à travers lui Internet. Sans surprise, les années 2000 leur donnent rapidement raison.
Initialement pensé comme étant un espace d'échange d'information décentralisé et ouvert à tous, Internet se structure au milieu des années 2000 autour de grands acteurs centralisés : Google, Microsoft, Facebook, etc. Avec eux, Internet devient un recueil extraordinaire porteur d'une réelle révolution.
Les libertés chères aux Cypherpunks y sont décuplées tout en étant progressivement menacées. Car Internet porte en lui ce paradoxe : celui d'offrir des possibilités de communication et d'échange inégalées tout en étant un formidable outil de contrôle et de surveillance pour des acteurs privés comme publics.
Très vite, la notion de vie privée sur Internet s'efface avec le développement des réseaux sociaux et l'abandon de la maîtrise des données personnelles. Elles deviennent un actif d'une valeur inestimable et sont valorisées et exploitées à l'insu du plus grand nombre. Le tiers de confiance centralisé devient ainsi le garant de l'accès à l'information mais aussi le porteur de censures et de menaces pour la liberté d'expression.
Cette centralisation des pouvoirs dans l'espace numérique se retrouve aussi sur la question de l'échange de valeur. Avec l'avènement d'Internet, l'échange de valeur se numérise, provoquant la baisse de l'utilisation du cash et l'ère du contrôle et de la surveillance des échanges. Une fois de plus, les Cypherpunks avaient vu juste.
Comprendre ce contexte est indispensable pour apprécier avec justesse les intentions de Satoshi Nakamoto au moment de créer Bitcoin.
Les trahisons étatiques
Au-delà du numérique, les années 2000 sont marquées par un délitement des démocraties. Avec le 11 septembre 2001, l'impératif sécuritaire prend progressivement le dessus sur les droits et libertés. La non-prise en compte du vote démocratique lors du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe illustre pour sa part le développement d'un sentiment de rejet de la figure étatique.
Dans certains pays comme la Corée du Nord, la Chine ou l'Iran, Internet devient ouvertement un outil de contrôle et de surveillance sans précédent.
À la fin des années 2000, l'accès facilité à l'information permet de mettre en lumière les mauvaises pratiques de gouvernance et les scandales politico-financiers. Avec Wikileaks puis Edward Snowden ou Chelsea Manning, des affaires d'espionnage et de surveillance de masse sont révélées (PRISM, Afghan War Diary, etc.). Ces lanceurs d'alerte sont par la suite poursuivis pour avoir divulgué la vérité.
Plus que de simples scandales politiques, ces faits révèlent que l'État est capable d'abuser de son pouvoir et de l'exercer à l'insu des citoyens qu'il a la charge de protéger. Ce dernier se trouve alors en position de prédation et non plus de protection.
Ce sentiment est à la base du raisonnement des Cypherpunks, qui entrevoient dès le départ le passage d'un statut de tiers de confiance à celui de tiers de défiance. Cette crainte concernant l'abus de pouvoir des tiers de confiance se retrouve dans la nature même de ce qu'est Bitcoin. En le créant, Satoshi Nakamoto a fait de l'équilibre des pouvoirs une priorité : il y est décentralisé, la confiance distribuée, la sécurité et la transparence égale pour tous.
« C'est une expérience éternelle que tout Homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. »
Montesquieu
La crise financière de 2007-2008
Hasard ou non, Bitcoin voit le jour en 2008, dans le sillage de la crise financière qui ébranle le système bancaire et monétaire mondial.
Cet épisode commence aux États-Unis en 2007 avec la crise des subprimes (des prêts immobiliers risqués, accordés à des ménages à faibles revenus). Ces prêts avaient été mélangés avec d'autres créances avant d'être titrisés, c’est-à-dire transformés en produits financiers vendus aux banques et aux investisseurs du monde entier. Le manque de transparence et les malversations de certaines banques et agences de notation conduisent de nombreux acheteurs à ne pas savoir ce qu'ils achètent réellement.
À partir de 2006, de nombreux ménages ne peuvent plus rembourser leurs prêts à cause de la hausse des taux d’intérêt et la baisse des prix de l’immobilier. En quelques mois, les subprimes titrisés ne valent plus rien, entraînant des pertes importantes pour les investisseurs. La défiance des banques envers elles-mêmes et envers les fonds d'investissement s'installe. S'en suit une crise de liquidité et une crise de solvabilité des banques, ayant des répercussions sur tous les continents et sur l'ensemble de l'économie mondiale.
Les banques réduisent le crédit aux entreprises et aux particuliers, entraînant une baisse de la consommation et de l’investissement. La crise financière se transforme ainsi en crise économique, avec une récession mondiale, une hausse du chômage et une baisse de la croissance. Face au risque systémique, les États, en coordination avec les banques centrales et les institutions internationales, interviennent pour sauver les plus grosses banques et relancer l’économie. Concrètement, il s'agit d'un sauvetage public des banques privées.
Malgré cela, certains établissements tels que Lehman Brothers font faillite. Les ménages, quant à eux, paient les pots cassés des dérives et risques pris par un système centralisé dont ils ne sont pas maîtres.
Si l'on considère que la crise a été un catalyseur dans le travail de Satoshi Nakamoto, Bitcoin aurait très probablement été livré au monde sans cet événement. Malgré tout, Satoshi a compris que le Bitcoin était une alternative aux problèmes qui ont causé cette crise.
Il y fait d'ailleurs référence lorsqu'il mine le tout premier bloc de la blockchain Bitcoin, en y incluant une phrase issue du célèbre journal américain The Times du 3 janvier 2009 : « Chancellor on brink of second bailout for banks » (« La chancelière est sur le point d'accorder un deuxième plan de sauvetage aux banques »).
L'affaiblissement des monnaies fiduciaires
La crise financière et économique de 2007-2008 n'a pas pour seule conséquence de révéler les dérives d'acteurs centralisés et l'opacité du système financier. Elle est aussi le point de départ d'un emballement monétaire à travers des politiques de soutien à l'économie portées par les banques centrales (achats d’actifs, injections de liquidités, etc.).
Progressivement, la taille des bilans des banques centrales ainsi que la masse monétaire en circulation explosent. Ce phénomène s'est récemment accentué suite à la crise COVID.
À l'origine, cet affaiblissement trouve sa source dans l'abandon de l'étalon-or en 1971, date à laquelle les États-Unis ont mis fin à la convertibilité directe du dollar en or. Cette décision, qui fut le marqueur de la transition vers un régime de taux de change flottants, a libéré les monnaies de leurs ancrages traditionnels, les exposant à une plus grande volatilité et à l'influence des politiques monétaires nationales.
Aujourd'hui, on observe une décorrélation totale entre la masse monétaire et la croissance mondiale, provoquant dépréciation des monnaies, inflation, dettes publiques abyssales et accroissement des inégalités. À titre d'illustration, le pouvoir d’achat du dollar américain est passé de 1 $ en 1913 à 0,05 $ en 2013.
Là encore, cette érosion de la confiance a pavé la voie à la recherche d'alternatives, comme Bitcoin. Dans un prochain article de cette encyclopédie, nous reviendrons sur les éléments qui opposent Bitcoin et les monnaies traditionnelles.
Bitcoin ou l'émergence d'une alternative
En 2008, inspiré par le contexte particulier précédemment évoqué, Satoshi Nakamoto révèle le projet sur lequel il travaille : Bitcoin.
Partant du constat que l'impression monétaire infinie peut provoquer des situations catastrophiques, Satoshi Nakamoto propose une monnaie électronique dont le nombre d'unités (les bitcoins) est fini (21 millions). Il décide aussi de planifier directement dans le code l'émission des bitcoins, et de les rendre hors de contrôle de toute entité.
Enfin, il construit un système totalement transparent et pseudonyme, qui permet à tous de savoir qui détient quoi. Un système dans lequel il n'est pas nécessaire de faire confiance à qui que ce soit d'autre qu'au code informatique et au réseau pour détenir et échanger des fonds.
Il ne fait alors aucun doute que Satoshi Nakamoto partage largement les valeurs du mouvement Cypherpunk. Il en est même peut être l'un de ses membres.
Cette proximité se traduit par la connaissance des expériences des années 1990 dont il fait preuve, par sa claire méfiance à l’égard des autorités, mais aussi par la voie qu'il emprunte pour diffuser son livre blanc. Après l'avoir envoyé à Adam Back, il le publie en effet sur la liste de diffusion de Metzdowd.com dédiée à la cryptographie et fréquentée par des membres emblématiques du mouvement.
Et pourtant, le projet ne fait pas tout de suite l'unanimité chez les Cypherpunks. Certains y voient peu d'intérêt, d'autres anticipent son échec.
Paradoxalement, parmi les principaux objectifs mis en avant par les Cypherpunks, la protection de la vie privée est sans doute celui duquel Bitcoin s'écarte le plus. Les transactions sur son réseau sont immuables, traçables et les acteurs qui y interviennent agissent de façon pseudonyme et non pas anonyme (d'autres projets tels que Monero proposeront l'anonymat total par la suite).
Toutefois, en ayant résolu la question de la confiance dans un environnement décentralisé, Satoshi Nakamoto parvient à sublimer les projets les plus ambitieux menés par les premiers Cypherpunks. Plusieurs d'entre eux contribueront d'ailleurs au développement du protocole.
C'est notamment le cas d'Hal Finney, de James A. Donald et de Ray Dillinger. Dès le départ, Satoshi s'appuie sur leurs expertises en leur envoyant chacun une partie du code de Bitcoin pour qu'ils le vérifient, avant de le dévoiler au public. La première version du logiciel est ensuite partagée par Satoshi sur la même liste de diffusion que celle utilisée pour le whitepaper.
Quelques visionnaires commencent alors à miner, mais ils restent très peu nombreux. De plus, leur intérêt est fluctuant et tous ne mettent pas leur matériel informatique à contribution en continu. C'est Satoshi qui déploie de loin la plus grande puissance de calcul, et valide environ la moitié des blocs du réseau durant sa première année d'existence.
Bitcoin regroupe cependant de plus en plus d'adeptes. Grâce à certains d'entre eux, le jeton acquiert une valeur en dollar et les premiers échanges contre des biens et services sont réalisés.
Le protocole reste en revanche très peu connu pendant de nombreux mois, jusqu'à ce qu'un article publié sur le site Slashdot le mette en lumière. De nombreux geeks s'intéressent alors au projet et viennent grossir les rangs de la communauté. Avec eux, les premiers problèmes d'envergure apparaissent, mais seront heureusement vite réglés pour permettre à Bitcoin de survivre.
Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs... Avant d'aller plus loin dans l'histoire de Bitcoin il nous semble important de commencer par vous présenter les Hommes qui ont contribué à sa genèse et à son essor. Nous évoquerons ensuite les dates marquantes de l'histoire de Bitcoin avant d'enfin découvrir les rouages techniques de cet OVNI monétaire. Accrochez-vous, votre voyage au cœur de Bitcoin ne fait que commencer...