Bitfinex et Tether : les petits secrets derrière l’USDT qui font trembler l’industrie crypto
Tether et BitFinex, les entités derrière l’émission du principal stablecoin du marché crypto l’USDT sont-ils des colosses aux pieds d’argiles ? Des géants dont le profil, la réputation et les agissements passés de leurs fondateurs historiques constitueraient la plus grande des fragilités, menaçant jusqu’à leurs fondation et, par extension, l’ensemble de l’industrie crypto-monétaire ? Sans répondre formellement à cette question, c’est en tout cas la trame perçue en filigrane du travail d’investigation très poussé opéré par le journaliste italien Nicola A. BORZI dont nous reprenons aujourd’hui les bonnes feuilles.
Avant-propos et avertissement : cet article est principalement repris de l’enquête originale du reporter Nicola A. BORZI spécialisé dans les investigations financières et journaliste au sein du journal Il Fatto Quotidiano.
L’article original « Devasini et van der Velde en affaires avec le roi des escrocs de la TVA européenne » expose des liens existants entre les cofondateurs de Tether et Bitfinex et Gennaro « Rino » Platone, mafieux condamné en Espagne et en Allemagne qui dirigeait un réseau illégal d’escroquerie à la TVA au préjudice estimé à 500 millions d’euros par an.
En ces temps troublés où l’ensemble de l’industrie semble chaque jour un peu plus vaciller, il convient cependant de souligner que le reporter ne se prononce pas sur le « cas USDT » en tant que tel (le sujet crypto n’étant pas le cœur du dossier), non plus que sur le sujet récurrent depuis des années de la réalité et de l’amplitude réelle des réserves supposées garantir le principal stablecoin du marché.
De l’importance centrale de Tether (USDT) pour l’industrie crypto
Même si vous êtes un grand débutant du sujet crypto, il ne vous aura pas échappé l’importance des stablecoins et l’omniprésence du plus important d’entre-eux : l’USDT.
Le stablecoin USDT a été créé en 2014 et représente, au moment de la rédaction, une masse monétaire de 66 milliards de dollars.
Si le chiffre est impressionnant, on retiendra surtout que conformément au principe selon lequel 1 USDT = 1 $, l’équivalent de 66 milliards en valeur est supposé être détenu en ce moment même dans les coffres de Tether, entité en charge de sa gestion.
Bitfinex est pour sa part une plateforme d’échange crypto, intrinsèquement liée à Tether. Une étroite co-relation qui a eu le don d’agacer le procureur général de l’état de New-York inquiet des relations d’affaires occultes existant entre les entités. Une inquiétude qui sera finalement dissipée en février 2021 avec une poignée de main et un gros chèque.
Au-delà de ces rebondissements de prétoire, demeure un sujet de fonds, concernant la solidité du tryptique USDT/Tether/Bitfinex. Cette solidité est en effet tout entière fondée sur la conviction en la réalité desdites réserves, et représente un serpent de mer dans l’industrie crypto depuis des années.
Si les choses tendent à se clarifier ces derniers temps, Tether se prêtant de plus en plus à des audits externes globalement positifs, une angoisse sourde demeure : l’effondrement ou le vacillement de l’USDT (autrement dit, le décrochage de sa parité avec le dollar) serait un événement qui ferait passer les tempêtes LUNA, Celsius et même FTX pour d’aimables pluies de printemps.
Terminons enfin ce rapide tour d’horizon en indiquant que l’italien Giancarlo Devasini est le directeur financier de Tether et Bitfinex et le hollandais Ludovicus Jan van der Velde, le CEO de ces deux structures.
Ce contexte général étant rappelé, il est temps d’évoquer les investigations de Nicola A. BORZI.
De la TVA aux cryptomonnaies, l’improbable alliance
La thèse du journaliste est la suivante : par le truchement des sociétés PAG Asia et Yuraku, le CEO et le CFO seraient liés au mafieux Néerlandais Gennaro « Rino » Platone, lui-même condamné en Espagne pour une vaste escroquerie à la TVA à l’échelle européenne. Les faits remonteraient pour l’essentiel à la fin des années 2000.
Operacion Medina
Le dossier « Operacion Medina » renvoie à une large opération judiciaire espagnole sur des faits commençant en 2006. Operacion Medina portait sur des géants économiques espagnols brassant des centaines de millions d’euros sur fond d’escroquerie à la TVA européenne, la plus importante du genre pour le pays.
Les investigations furent par commodité compartimentées en 5 dossiers distincts dont certains n’ont connu un jugement définitif que début 2022 après une instruction entamée en 2018.
C’est l’étude de ce volumineux dossier qui révélerait des liens d’affaires occultes entre la direction de Tether/Bitfinex et « Rino», personnage central de cette vaste affaire.
Une enquête fleuve
La connexion entre ces individus et des sujets que rien ne lie par ailleurs est selon Borzi, le fait des investigation d’un pool de reporters de son journal Il Fatto Quotidiano pour le compte de l’Eic, le réseau européen de collaboration en matière de journalisme d’investigation transnational.
Gennaro « Rino » Platone, cheville ouvrière du dossier
Comme souvent en pareil cas, c’est par le biais de société écrans ou offshores que les fils se tissent et que l’envergure des toiles se révèlent. Une toile avec en son centre un individu-clé : Gennaro « Rino » Platone.
« Pendant des années, Platone a été le roi incontesté de certaines des principales escroqueries à la TVA du Vieux Continent, capable de réaliser un chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros par an. Ce n’est pas un hasard si « Rino », si insaisissable qu’on ne trouve même pas une photo de lui, a sur les épaules une vingtaine de condamnations en Espagne et en Allemagne, des enquêtes aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Italie. Le lien qui relie Platone à Devasini est la société Perpetual Action Group (Asia) Inc, sous l’acronyme Pag Asia, et sa filiale Pag Sam à MonteCarlo. Le fil qui relie Platone à van der Velde est Yuraku, un groupe de sociétés actif entre Singapour, les États-Unis et les Pays-Bas. »
Article de Nicola Borzi
Les liens avec les futurs dirigeants de Tether et Bitfinex
Les investigations semblent révéler que les futurs patrons de Tether/Bitfinex endossaient, dés le milieu des années 2000, différentes responsabilités et fonctions au sein de l’entreprise d’électronique Perpetual Action Group (PAG) et de ses antennes internationales.
Van der Velde aurait ainsi été le CEO du département Asie de 2006 à 2012 et Giancarlo Devasini liquidateur de la structure monégasque en 2009, toujours selon le journaliste. Devasini aurait par ailleurs été « inventeur » pour le compte de PAG, d’un dispositif de protection de contenus pour DVD, revendu plus tard à la branche européenne de Hustler, géant du contenu pour adulte.
Une autre entité commerciale, spécialisée cette fois-ci dans le photovoltaïque, apparait au gré du dossier Operacion Medina et des recherches du journaliste : Yuraku, basée à Singapour. Au cours de sa démonstration, l’auteur de l’enquête souligne que l’antenne US de cette société a été liquidée le 2 juillet 2012 par Ludovicus Jan van der Velde, qui en était le PDG.
PAG et Yuraku auraient tout particulièrement bénéficiés du « système Platone », ce dernier s’appuyant sur des secteurs (électronique et énergie solaire) particulièrement propices aux montages financier exotiques, pour alimenter son vaste système de fraude à la TVA. Ces deux entités étant dirigées (voire liquidées) par Devasini et Van der Velde, se pose en conséquence la question de leur degré de connaissance et d’implication dans les affaires de Platone.
L’article revient par ailleurs avec force détails sur l’existence de montages complexes et la volonté supposée de Gennaro « Rino » Platone de brouiller les pistes en multipliant entreprises et liquidations. Dans cet entrelacement de faits, dates et interconnexions, les noms des CFO et CEO de Bitfinex et Tether reviennent épisodiquement, sans qu’il soit cependant possible de différencier avec précision ce qui relèverait des relations d’affaires traditionnelles, de ce qui aurait pu constituer d’éventuels comportements non éthiques, voire d’infractions.
Rino Platone est actuellement en liberté conditionnelle suite au jugement espagnol de l’affaire « Operacion Medina », dans le cadre de laquelle il a été condamné à 3 peines de 7 mois chacune pour fraude fiscale et à une peine de 6 mois pour association de malfaiteurs, soit un total de 27 mois de prison.
Les investigations continuent cependant, et après la phase judiciaire à proprement parler, c’est désormais le travail de fourmi journalistique qui permettra peut-être de faire émerger de nouveaux scandales potentiels de ce dossier tentaculaire.
En l’état on soulignera que Ludovicus Jan van der Velde, Giancarlo Devasini et les sociétés Tether et Bitfinex n’ont pas été directement concernés par la procédure espagnole. Les différentes parties n’ont pas non plus souhaité répondre aux sollicitations de Nicola Borzi.