Libra : Facebook encore épinglé sur la vie privée par les régulateurs mondiaux
Dans une inédite coordination internationale, des régulateurs et spécialistes de la protection des données viennent de mettre conjointement en demeure Facebook sur le sujet brûlant des données personnelles. Si personne n’est dupe de l’ambivalence du géant des réseaux sociaux sur le sujet, c’est le projet de cryptomonnaie Libra qui est particulièrement l’objet des inquiétudes de cet aréopage d’experts. Dans un communiqué, le message envoyé à l’entreprise californienne est clair : hors de question de laisser Facebook agir à sa guise avec la vie privée de ses membres.
En ordre de bataille
Personne ne pourra réellement s’étonner que les régulateurs et législateurs de tous horizons s’attellent à réfléchir à une réponse aussi coordonnée et transnationale que Libra sera hégémonique et sans frontières.
Malgré tout, l’initiative qui vient d’être rendue publique aujourd’hui est pour le moins singulière : une association informelle, constituée de professionnels gouvernementaux de la protection de la vie privée de multiples nationalités et d’horizons culturels divers, a décidé de se confronter très directement à Facebook et à son projet de stablecoin Libra.
Son credo diffère quelque peu des positions défendues ces dernières semaines par les Etats, à savoir le danger que pourraient faire peser Libra et Calibra sur l’économie mondiale et la souveraineté monétaire des nations (voire même sur la sécurité nationale).
En effet, ce qui inquiète le plus ce consortium d’experts, c’est la menace que fait peser encore un peu plus Facebook sur le concept-même de « vie privée » (cette notion que Mark Zuckerberg aimerait voir reléguée dans un musée des valeurs du XXe siècle).
« En tant que représentants de la communauté mondiale des autorités chargées de la protection des données et de la protection de la vie privée, collectivement responsables de la promotion de la vie privée de millions de personnes dans le monde, nous nous réunissons pour exprimer nos préoccupations communes au sujet des risques que posent la monnaie et l’infrastructure numérique Libra pour cette vie privée. » Communiqué du collectif
L’union sacrée autour de la protection de la data
L’initiative, dont on suppose qu’elle s’est coordonnée en toute discrétion, se veut particulièrement internationale. Jugez-en plutôt :
- Giovanni Buttarelli, Contrôleur européen de la protection des données – Union Européenne,
- Besnik Dervishi, Commissaire à l’information et à la protection des données Albanaise,
- Angelene Falk, Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée en Australie,
- Daniel Therrien, Commissaire à la protection de la vie privée au Canada,
- Marguerite Ouedraogo Bonane, Présidente de la Commission des technologies de l’information et des libertés civiles du Burkina Faso,
- Elizabeth Denham CBE, Commissaire à l’information Britannique,
- Rohit Chopra, Commissaire au sein de la Federal Trade Commission américaine
Bref, c’est un véritable who’s who des membres les plus reconnus du monde de la protection de la donnée qui s’est allié pour un remake sans frontières d’un épisode d’Avengers d’un nouveau genre (non, personne de la CNIL, mais pourquoi ?).
Dans sa déclaration commune, le groupe met en demeure Facebook de bien vouloir répondre à une série de questions. En filigrane de ces interrogations, les craintes de nos spécialistes de la vie privée se font évidentes : que Facebook utilise des moyens déloyaux et des techniques de contournements ( « darks pattern ») afin de s’accaparer les données de ses utilisateurs (en bref, vous appâter puis profiter indirectement de votre assentiment peu éclairé).
Sur la forme, le ton reste toutefois mesuré, le groupement rappelant qu’il est favorable aux évolutions technologiques, à la condition qu’elles s’accompagnent de garanties solides pour les consommateurs. Cette porte ouverte prestement enfoncée, la suite se veut plus incisive : aux yeux de ces experts, Facebook ne mérite pas la moindre confiance et a par le passé déjà démontré le peu de cas qu’il faisait de la gestion des informations personnelles de ses utilisateurs.
« Bon nombre d’entre nous dans le milieu de la réglementation ont dû se pencher sur des épisodes antérieurs où le traitement des renseignements personnels par Facebook n’a pas répondu aux attentes des organismes de réglementation, voire même de leurs propres utilisateurs. » Communiqué du collectif
Si Facebook n’a pas encore répondu officiellement aux questions posées, nul doute qu’il lui sera difficile de faire autrement que d’apporter des gages toujours plus nombreux afin de rassurer les régulateurs mondiaux sur ses ambitions. Le risque dans cette mécanique sans fin est simple : que le projet Libra, s’il voit le jour, ne soit rapidement vidé de sa substance et ne finisse en carte de fidélité de luxe.