La majorité des crypto-transactions n’ont « aucune valeur économique », selon Coinmetrics

Encore faut-il dire clairement si l’on parle de valeur fiduciaire ou non – Coinmetrics, à l’aide d’outils développés par Cryptocomposite.com et Elementus, a sorti fin juillet une étude étudiant la part de valeur économique supposée réelle dans l’activité quotidienne des blockchains Bitcoin et Ethereum. D’après cette étude, près de ⅔ des transactions ayant lieu sur ces deux blockchains n’ont aucune valeur économique.

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Pourquoi cette étude et cette question ?

Le coeur du questionnement de Coinmetrics provient de la nature transparente mais pseudonymique des blockchains Bitcoin et Ethereum.

Ainsi, si l’on sait quelles transactions ont lieu, entre qui et pour quels montants, il n’est par contre pas forcément aussi évident d’identifier le propos et le but de toutes ces transactions.

Quelle proportion des transactions prenant place sur les blockchains Bitcoin et Ethereum ont donc réellement de la valeur ?

C’est une question qu’il me semble bien difficile d’aborder frontalement. Comme nous allons le voir, il peut sembler difficile de tomber d’accord avec les auteurs de cet étude, notamment pour distinguer justement les transactions qui auraient supposément de la valeur de celles qui n’en auraient pas.

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De la difficulté de catégoriser les différents types de transactions

Identifier puis utiliser des heuristiques afin de séparer ces deux types de transactions peut donc relever de la gageure. En effet, il faut d’abord s’entendre sur la définition d’une notion de valeur : en quoi des transactions utilisées comme spams sur une blockchain seraient-elles dénuées de valeur, si elles contribuent aux frais versés aux mineurs en définitive ?
Cette question est donc presque philosophique, d’autant qu’elle concerne aussi toutes les transactions de transfert entre portefeuilles différents d’un même propriétaire, les diverses « consolidations » opérées par les exchanges mastodontes de la cryptosphère, ou encore les différents mixeurs de coins disponibles.

De façon également assez curieuse, l’étude considère que les transactions en lien avec les pools de minage n’ont pas de valeur économique sous-jacente. Pourtant, à l’échelle de l’écosystème d’une cryptomonnaie, quelles transactions ont réellement plus de valeur pour le moment que celles qui sont justement en lien avec la génération des nouvelles unités monétaires de cet écosystème et son entretien ?

L’autre difficulté, comme lors de l’utilisation d’heuristiques, est l’identification de faux positifs : des transactions sont classées à tort comme appartenant à une catégorie sus-citée, alors qu’en réalité elle n’en relève pas. Il faut donc trouver un juste milieu, où l’on considère que l’on peut produire un nombre relativement restreint de faux positifs, tout en n’échouant pas à repérer les vrais positifs, justement.

Concernant la blockchain de Bitcoin (BTC)

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Heuristiques pour la blockchain de Bitcoin (et autres coins UTXO)

Deux heuristiques sont habituellement utilisées pour « lisser » les données brutes de la blockchain Bitcoin :

  • L’heuristique « dépenses rapprochées » (early spend output) : des dépenses liées prenant place dans des intervalles de 4 blocs pour BTC (16 pour Litecoin, 40 pour le Dogecoin) sont retirées des volumes généraux, car assez caractéristiques des exchanges, mixeurs et autres stress tests.
  • L’heuristique « change évident » (obvious change) : les transactions qui font un aller-retour depuis une adresse vers la même adresse en transitant par d’autres intermédiaires sont considérées comme nulles et non avenues. Il s’agit assez évidemment d’une tactique mise en place par les mixeurs.

La seconde heuristique n’a pas été utilisée par les auteurs de Coinmetrics car elle aurait nécessité le traitement manuel des faux positifs.

De là, les équipes de Coinmetrics ont développé des outils d’analyse spécifiques. Ils les ont ensuite rendus disponibles sur un espace Github dédié.

Volumes lissés pour la blockchain Bitcoin

Une fois ce traitement effectué, voici le graphique lissé obtenu par l’équipe de Coinmetrics :

En rouge pâle, les volumes bruts habituellement considérés ; en rouge, les volumes lissés sont censés mieux représenter le volume économique réel.

Ainsi, concernant Bitcoin, les auteurs considèrent que près de 66 % des transactions quotidiennes n’ont aucune valeur économique réelle.

Concernant la blockchain Ethereum (ETH)

Ethereum ETH USA

Heuristiques pour la blockchain Ethereum

Concernant les transactions Ethereum, l’analyse ne peut procéder en principe avec les mêmes heuristiques que pour la blockchain Bitcoin, puisqu’il ne s’agit pas d’un système UTXO-based (système où les soldes disponibles sont en réalité des soldes dits non-dépensés).
Les auteurs ont donc dû réfléchir à d’autres méthodes d’analyse.

Principalement, ils ont dû prendre en compte l’utilisation massive d’un mixer généralisé lors de la génération des ethers. Ce phénomène avait été notamment relevé par deux médias crypto (cyber.fund et bloxy.info). Pour rappel, ce mixeur aurait tourné à pleines turbines pendant un an, de mars 2017 à mars 2018. Ces médias considèrent que près de 68 % des transactions Ethereum ont transité par ce mixeur géant pendant cette période.

Or, comme nous en avons discuté dans les heuristiques utilisées pour analyser les transactions Bitcoin, l’heuristique « change évident » (obvious change) se prête à merveille aux transactions par mixeur. Il a donc été décidé de s’en servir.
Par recoupement, ils ont à priori pu identifier l’écosystème d’adresses reliant toutes ces transactions au mixeur en question.

Volumes lissés pour la blockchain Ethereum

En définitive, les auteurs ont pu fournir l’illustration suivante, qui montre le différentiel énorme en volume quotidien entre les transactions mixées et celles qui ne le sont pas.
Notons tout de même que la situation dans laquelle des ethers transiteraient par un mixeur pour partir d’une adresse A appartenant à Alice et atteindre une adresse B appartenant à Bob n’est pas concernée par leur simulation : on parle bien d’ethers mixés d’une adresse A revenant ensuite à la même adresse A. Les auteurs s’assurent ainsi de n’éliminer que les transactions sans valeur économique, ce qui pour le coup paraît logique.

En violet pâle, les volumes bruts habituellement considérés ; en violet, les volumes lissés débarrassés des transactions permettant le mixing de masse des ethers

Les auteurs de l’étude Coinmetrics tombent donc d’accord avec les médias précédemment cités, citant des volumes sans valeur économique en lien avec le mixeur de près de 70%.

Elementus, de leur côté, sans prendre en compte les transactions mixées sur la blockchain Ethereum, ont produit le graphique suivant concernant la catégorisation globale des transactions en ethers :

Leur constat est encore plus sévère, puisqu’ils considèrent que seulement 14 % des transactions ETH seraient des activités économiques réelles de pair à pair.
Près de 19 % des transactions seraient du pur spam. Pour rappel, des smart contracts ont été développés dont le seul but est de « spammer » continuellement le réseau ETH. On peut suivre l’attitude d’un de ces contrats ici par exemple.

Conclusion

Si de nombreuses réserves peuvent potentiellement être émises, en cherchant à creuser dans le détail les conditions de clustering des adresses et transactions des blockchains étudiées, tout comme concernant la notion assez vague de « valeur économique » considérée par les auteurs, il n’en reste pas moins que l’étude de Coinmetrics semble clairement indiquer une tendance de fond assez lourde dans la cryptosphère : quand ce ne sont pas les volumes rapportés par les exchanges qui sont falsifiés, ce sont possiblement les volumes réels eux-mêmes qui sont peut-être, pour une part conséquente, moins importants qu’espérés.

Sources : Bloomberg ; Cryptovest ; CoinMetrics || Images from Shutterstock & Giphy

Grégory Mohet-Guittard

Je fais des trucs au JDC depuis 2018. En ce moment, souvent en podcast et la tête dans le nuage.