« Bitcoin pour Bruno Lemaire » par Nicolas Colin

Nicolas Colin a diffusé ce matin sur la newsletter de TheFamily une longue lettre ouverte en anglais adressée à Bruno Lemaire. Pour rappel, Bruno Lemaire est celui qui a confié à Jean-Pierre Landau la mission de réglementer les cryptomonnaies. Nous avons trouvé cette lettre particulièrement intéressante et cet article est un prétexte pour l’en remercier.

La volonté disruptrice d’Emmanuel Macron

Nicolas Colin ne perd pas de temps et entame sa lettre ouverte sur un paradoxe. Emmanuel Macron a toujours eu la volonté de soutenir l’entrepreneuriat en France et a pour cela mis en place un fonds public d’investissement de 10 milliards d’euros. Le paradoxe n’est pas uniquement dans « fonds public d’investissement », mais dans cette volonté politique de soutenir l’innovation, alors que visiblement, Bruno Lemaire comme Emmanuel Macron n’y comprennent pas grand chose.  On en veut pour preuve l’incroyable déclaration d’Emmanuel Macron lors du forum de Davos :

Bitcoin est ainsi mis sans gêne dans le même sac que le « shadow banking ». Quelques centaines de milliards de dollars d’innovation, versus 92 000 milliards de dollars de pratiques mafieuses. Il fallait oser.

Mais cette déclaration n’est pas si incroyable, quand on lit les propos tenus par le prix Nobel Joseph Stiglitz lors du même forum de Davos. Mais revenons en à nos moutons avec les déclarations de Bruno Lemaire :

« Nous voulons une économie stable : nous refusons les risques de spéculation et les possibles détournements financiers liés au bitcoin. »

Le paradoxe frise la bêtise quand on sait que ces propos ont été tenus lors de la conférence destiné à promouvoir le fameux fonds public d’investissement destiné à financer les fameuses « innovations de ruptures ».

« Comment, au juste, promouvoir la stabilité lors d’une conférence de presse consacrée aux innovations de rupture ? » Nicolas Colin dans sa lettre ouverte

« Les bulles pour les nuls » par Nicolas Colin

Lorsque les médias parlent de Bitcoin, c’est toujours pour mettre le focus sur son prix. Regardons par exemple le reportage réalisé par France 3 durant le Meetup de Bitconseil :

Le prix, le prix, et rien que le prix. On croirait lire Starensen qui nous parle d’analyse technique.

« Il n’y a que le prix qui importe, le prix précède les news. Tout est dans le prix et son historique, tout est sous nos yeux dans le graphique, le prix influence les news, pas l’inverse » Starensen

Fort heureusement, Nicolas Colin est pédagogue. Il explique le phénomène naturel des bulles économiques, et en profite pour souligner la prépondérance probable de ce phénomène dans les cryptomonnaies, en raison de la force des mécanismes incitatifs et de l’effet de réseau qui en découle, qui ont permis à ces protocoles d’émerger :

« La fonction clé d’une cryptomonnaie est de susciter l’intérêt des premiers utilisateurs d’un nouveau protocole pour son déploiement à grande échelle. (…) En cas de succès, l’engouement suscite évidemment des spéculateurs, qui suivent opportunément la foule sans s’intéresser au protocole lui-même. Mais leur arrivée n’est pas totalement inutile, car elle contribue à capter l’attention des nouvelles générations d’utilisateurs. Comme l’a montré Carlota Perez, ces bulles spéculatives sont un facteur déterminant dans l’émergence d’innovations perturbatrices. (…) Les créateurs du protocole comprennent cette dynamique d’innovation alimentée par les bulles. » Nicolas Colin

Les bulles ne seraient donc pas un problème en soit, mais permettraient au contraire de révéler ces fameuses innovations de rupture.

« Les investisseurs doivent temporairement abandonner leur décision rationnelle pour qu’une innovation franchisse le seuil de l’adoption généralisée. En d’autres termes, les spéculateurs sont les idiots utiles de l’innovation de rupture – et les bulles ne sont toxiques que si elles contaminent le système bancaire, ce qui n’est pas le cas des cryptomonnaies » Nicolas Colin

« L’objectif est politique »

Nicolas Colin développe durant son argumentation une des problématiques à laquelle est confronté Internet : l’aspiration des développeurs les plus compétents par les sociétés privées. Il conclue ainsi sa lettre :

« [Les cryptomonnaies] n’ont pas été conçues pour la spéculation, mais pour faire émerger et déployer une nouvelle génération de protocoles réseau qui contournent les grandes entreprises technologiques et réparent les failles existantes dans les règles du code de la route de l’Internet. L’objectif est politique : réorienter une fois de plus l’infrastructure Internet vers des protocoles ouverts, si possible par le biais d’architectures décentralisées. Une fois mis sous le joug des géants de la technologie, qui ont longtemps exercé un pouvoir de vie ou de mort sur la couche applicative d’Internet, les développeurs se sont finalement lancés dans la contre-attaque. »

Tout est dit. Les cryptomonnaies sont aussi là pour remettre l’Internet dans le droit chemin, car en fin de compte, l’objectif est, et a toujours été politique. Merci Nicolas.

Cet article a été écrit à partir de la version anglaise de la lettre. Vous pouvez retrouver cette lettre en français dans l’édition papier du Nouvel observateur.

Lucas E.

Cofondateur & ex-Directeur de publication du média que vous lisez en ce moment même, je refais surface de temps en temps, pour écrire des billets d'analyse financière sur le marché des cryptomonnaies.