Facebook et la cryptomonnaie, derrière la hype, les vrais enjeux stratégiques pour le géant des réseaux sociaux

Ça n’a échappé à personne (enfin pas à ceux qui parcourent ces pages), Facebook qui s’apprête à plonger dans la blockchain et le monde crypto, c’est le secret le moins bien gardé du web…

Je vous renvoie à cet article si vous revenez d’un trek dans le désert. Le plus gros de la couverture médiatique de l’événement trouve son origine dans cet autre papier du très sérieux NY Times (on notera cependant qu’il ne s’agit pas d’un coup de tonnerre dans un ciel bleu: l’essentiel était déjà pressenti en fin d’année dernière par Bloomberg).

Rappelons cependant les fondamentaux :

  • Facebook après s’être – un peu comme tous les grands acteurs établis – quelque peu pincé le nez devant la cryptomonnaie et la blockchain début 2018 (interdiction de la promotion des ICO, « mise en garde » de ses utilisateurs…), s’apprêterait à lancer sa crypto-maison pour mi-2019 (gardons le conditionnel par politesse, y compris pour la nature cryptographique de la chose, même si personne n’est dupe).
  • Il s’agirait d’un StableCoin, un jeton de nature non-spéculative donc, adossé à plusieurs monnaies fiat (le dollar, l’euro, le yen, le yuan… sont évoqués avec une vocation forcément la plus universaliste possible).
  • 50 ingénieurs blockchain œuvrent sur le sujet, tenu par des accords de confidentialités et dans des locaux sécurisés à l’écart des autres employés du QG californien
  • Le LikeCoin (ça me plait bien, si vous avez mieux,  les paris sont ouverts!) aurait vocation à être déployé au profit des utilisateurs de WhatsApp, puis de Messenger et Instagram, atteignant potentiellement les 2.3 milliards de consommateurs du géant américain.
  • Selon un analyste de Barclay, la mise en place de cette crypto serait de nature à rapporter jusqu’à 19 milliards USD d’ici 2021
  • Des négociations seraient déjà en cours avec des bourses cryptos (je vous laisse imaginer la taille des accords de confidentialité….)
  • L’ambition est simple: « réussir là où le Bitcoin a échoué »  (ah?)

Facebook et la monnaie, un rendez-vous toujours raté…jusqu’à aujourd’hui ?

Supposer que Facebook se fait simplement opportuniste en tentant de surfer sur la tendance blockchain et crypto serait une erreur.

Dès son lancement public en 2006, le réseau social se heurte à une difficulté majeure, qui demeure encore aujourd’hui sa Nemesis: comment monétiser – et maintenir la rentabilité –  de services dont la gratuité semble aller de soi pour tout un chacun ?

Faute de pouvoir rendre payants ses services de base, Facebook va donc rapidement explorer d’autres voies, parmi lesquelles l’implémentation d’outils de transactions commerciales.

« Facebook, c’est gratuit (et ça le restera toujours)* » – Slogan de Facebook

(*,mais merci de prendre connaissance des petits caractères)

C’est ainsi que, dès 2011, le réseau social organise sa première incartade sur le terrain monétaire avec le Facebook Crédit (allez faire un tour sur cette page qui présente la chose, et prenez un bon bol de coup de vieux, c’est rafraîchissant!). On parle alors d’une « monnaie virtuelle » pouvant être acquise avec des devises classiques, permettant à ses utilisateurs d’acquérir des goodies sur le site (jeux, pack d’images…).

Un « Facebook Credit « valait 10 cents.  La réception par les utilisateurs est tiède, nombreux étant ceux ne comprenant pas pourquoi on cherchait tout à coup, à leur faire payer quelque chose si évidemment gratuit par nature…l’offre sera un peu modifiée pour aboutir en 2012 au Facebook Gift, avec un concept inspiré des cartes cadeaux, sans beaucoup plus de succès.

Il faudra ensuite attendre 2015 pour assister à une nouvelle tentative avec Facebook Messenger Payment, un Paypal-Like, sans frais et adapté à la tendance du moment des cagnottes en lignes ou des micro-paiements entre amis pour payer un resto. En dépit de limitations assez insupportables (pas de paiements transfrontaliers par exemple), on retiendra qu’on trouve derrière cette application David Marcus, ancien patron de Paypal, dont nous parlerons plus en détail un peu plus loin! En dépit d’une bonne couverture média, le Facebook Messenger Payment, deux ans après son lancement en Europe en 2017, n’est toujours pas parvenu à s’imposer.

Devenir l’acteur majeur de la crypto, un enjeu de souveraineté

Le concept peut sembler un peu ronflant…que diable! la souveraineté, renvoie aux notions d’Etats, de peuples, de nations… là on parle lolcats et pouces bleus!….

Mais il faut être pleinement conscient d’un constat simple: certaines entreprises privées en 2019 ont entre leurs mains plus de puissance que beaucoup d’Etats. Ainsi, si Facebook était un pays, son PIB de 2018 (55 milliards USD) le placerait au même niveau que le Salvador et devant le Sénégal ou l’Estonie…

Dans ces conditions, et considérant que dans le capitalisme moderne la croissance des entreprises se conçoit illimitée, comment s’étonner que le plus grand réseau social de l’histoire de l’Humanité, parti de rien il y a à peine 20 ans, se prennent à caresser d’autres ambitions ?

Après tout,  nous vivons une époque où une petite librairie en ligne projette après 15 ans de croissance – et de la manière la plus sérieuse – de conquérir Mars (projet Mars d’Amazon), où un « simple » moteur de recherche se plonge dans le transhumanisme et tente de repousser toujours plus les limites humaines (Calico de Google),  ou un type s’est fait chambrer par toute une génération d’ingénieurs de la NASA lorsqu’il a expliqué à voix haute que récupérer et réutiliser les lanceurs de la navette spatiale pourrait être une idée intéressante…avant de le faire lui-même (le Space X d’Elon Musk…Ah, et juste avant, il avait disrupté 150 ans d’institutions bancaires avec Paypal.,..un échauffement).

Comment reprocher à cette génération de pionniers, dont le mantra a toujours été de « think bigger » de prévoir l’étape suivante ?

Facebook ambitionne de longue date de constituer une forme de service public parallèle. En guise d’illustration, on rappellera que le bébé de Zuckerberg se propose d’apporter de l‘Internet gratuitement dans les recoins les plus reculés de la planète grâce à son programme Free Basics.  Alors bien sûr, « l’Internet » selon Facebook ne s’encombre pas de Wikipedia ou de Google, mais inclut des sites sélectionnés sur des critères qu’on imagine sans peine….

Même si Facebook n’a jamais commis l‘imprudence politique d’afficher des ambitions qu’on pourrait facilement qualifier de libertarianistes, on retrouve bien là les marqueurs idéologiques d’une génération d’entrepreneurs de génie qui se verrait bien ringardiser les états et gouvernements, jugés dépassés et inadaptés à la réalité du monde moderne…

Il existe même des précédents historiques qui illustrent bien cette tendance: créée en 1602  la Compagnie néerlandaise des Indes orientales pèsera à son apogée l’équivalent de 7000 milliards de dollars, employant jusqu’à 100 000 personnes, dominant le monde grâce à ses milliers de navires.

Or, connaissez-vous le point commun que Facebook aimerait avoir avec la Compagnie des Indes Néerlandaise ? Et  bien, cette entreprise d’essence privée était devenue tellement puissante….qu’elle frappait sa propre monnaie!

Et vous savez quelle autre ressemblance apparaît entre une compagnie maritime d’il y a 400 ans et le business model de Facebook ? Dans les deux cas, ses leaders étaient en recherche de ressources à exploiter. Au 17e siècle, ce sont celles des Indes qui attisaient la convoitise des Européens (épices, étoffes, métaux précieux, etc.), en 2019, le nouvel « or numérique » ce sont….vos datas.

Et si à l’avenir, Facebook vous achetait votre anonymat…avec sa propre monnaie ?

On pourrait penser évoluer dans un épisode classique de Black Miror….Cependant, nous vivons dans un monde où vient d’apparaître un réseau de notation à grande échelle en Chine, et une partie de « l’avenir social » passera immanquablement par une place de plus en plus importante prise par notre avatar numérique, sa « valeur » augmentant d’autant.

Vos datas constituent une richesse. C’est même l’unique vraie raison de l’apparente gratuité de Facebook: en échange de sa souplesse d’usage, de son ergonomie, du  redoutable et addictif shoot de dopamine que parcourir votre fil d’actualité procure, le géant social se rémunère en vous laissant tolérer sa présence, discrète, mais constante, au-dessus de votre épaule, au cours d’un nombre d’activités numériques sans cesse croissant. Ce colossal trésor de guerre est sans équivalent dans l’histoire.

Les meilleurs pillages ayant une fin, Facebook est cependant aujourd’hui contraint de se rendre à l’évidence: il n’est plus possible de piocher sans vergogne dans les datas de ses 2 milliards d’utilisateurs. Edward Snowden, le scandale Cambridge Analytica, la RGPD européenne sont passés par là. D’une manière générale, les utilisateurs du web sont globalement de mieux en mieux informés sur les enjeux concernant leur datas, l’époque change. Pire, le phénomène se fait des plus sensibles au sein des populations les plus éduquées, au plus fort pouvoir d’achat –  également, les plus rémunératrices pour l’entreprise. Enfin, entendre d’anciens cadres de Facebook clamer en conférence qu’ils interdisent à leurs enfants d’utiliser le réseau est dévastateur!

Ainsi, ces derniers mois, quelque part dans une alcôve discrète du siège social, ces vents défavorables ont été évidemment évoqués. Des équipes ont été chargées d’étudier toutes les options possibles afin de résoudre une équation simple: comment diable continuer à exploiter sans limites les datas d’utilisateurs, de plus en plus conscients de la valeur de celles-ci ?

Peut-être, est-ce le patron lui-même, Mark Zuckerberg qui a formulé l’idée à voix haute ?

– « on va les acheter à nos utilisateurs »….

…provoquant le silence dans la salle (la même idée émanant du stagiaire aurait surement provoqué un mélange de mépris et d’hilarité, mais le monde est ainsi fait..).

– « Mais ça va nous coûter un pognon monstre patron!… »

-« Non! Parce que ces datas, on va les acheter avec…..notre propre monnaie, créée par nos soins, vous avez vu la hype autour des cryptomonnaies ! »

Le plan est d’une redoutable simplicité: une inscription ? 10 LikeCoins, le téléphone validé ? 50 LikeCoins, l’activation de la géolocalisation ? 100…vous consentez à ce que Facebook communique un panel d’informations à des tiers « afin d’améliorer votre expérience » ? Jackpot! 1000 LikeCoins!

La manière dont Facebook va distribuer sa monnaie interne peut répondre à des business models virtuellement illimités (et évolutifs). Les perspectives sont sans précédent. Le descriptif des offres d’emplois de l’année dernière en vue de recruter des ingénieurs blockchains et codeurs n’était-il pas d« être prêt à relever un challenge intellectuel sur un sujet de nature à avoir un impact global massif » ?

Ainsi, à l’heure d’écrire ces lignes, des dizaines de types brillants se décarcassent pour multiplier les cas d’usages, conformément à un principe marketing universel: les gens ignorent ce qu’ils veulent, jusqu’à ce qu’on leur ait imposé.

Au vu de la mécanique organique de Facebook, il est vraisemblable que le fonctionnement purement social devienne rémunérateur: liker, commenter et partager bien sûr, mais surtout produire du contenu et générer de l’interaction sans fin, l’ensemble étant orchestré par un jeu algorithmique dont la société a prouvé qu’elle avait une solide maîtrise. Ces actions permettront de multiplier les occasions de générer des gains, pour les utilisateurs, mais surtout pour le réseau social qui se replacera ainsi au centre du jeu.

Fondamentalement,  l’enjeu pour Facebook est le même que pour de nombreux acteurs des « espaces virtuels »: garantir que vous demeuriez le plus de temps possible au sein de l’écosystème et pour ce faire, mettre à disposition tout ce dont l’internaute lambda pourrait rêver: du divertissement, de la rétroaction positive, des services rapides et innovants…et si en plus, ces activités deviennent rémunératrices, l’impact pourrait effectivement être global!

Vous avez aimé le tracking social ? vous adorerez le tracking de vos finances!

Une illustration, confondante de simplicité:

Bob est sur Facebook depuis quelques années. Il a une centaine « d’amis », dont il like et partage à l’occasion les publications. De temps en temps, il commente un statut ou s’inscrit à une petit jeu sur le réseau. L’usage et le comportement de Bob ressemblent à celui de 80% des utilisateurs du réseau: Bob n’est pas un influenceur qui passe sa vie devant son smartphone et multiplie les publis, mais pour autant, pas un jour ne se passe sans qu’il ne consacre une partie de son temps à quelques activités sociales.

Même si Bob ne présente pas un profil social fascinant, il laisse cependant à l’occasion de ses activités quotidiennes de multiples datas que Facebook est ravi d’accumuler discrètement, mais consciencieusement. Facebook est ainsi en mesure de proposer à  Bob un fil d’actualité adapté à ce qui est supposé être à son goût, mais surtout, il oriente vers lui des marchands et prestataires de services à qui le réseau garantit, avec une fiabilité assez redoutable, qu’ils proposeront quelque chose au goût de Bob.

Un jour, bingo! Bob se laisse séduire par les courbes suaves d’une magnifique guitare électrique Stratocaster, il décide de l’acheter séant pour le prix de 1000 dollars et, pour ce faire, se rend sur le site du marchand…

…En quittant Facebook!

Faisons un arrêt sur image et mettons Bob sur pause: cet instant précis, c’est la quintessence du problème stratégique qui hante les conseils d’administration de Facebook: il est insupportable de laisser Bob fuir, au moment même où il devient enfin intéressant!

En effet, et même si Facebook se fait fort de multiplier trackers et cookies plus ou moins  discrètement, le pistage trouve quand même certaines limites, parmi lesquelles celles qui touchent au secret des transactions bancaires.  Que ce soit le système VISA, Paypal, les Chinois d’Alipay, tous ces organismes sont tenus à des obligations lourdes concernant le niveau de  sécurité et de confidentialité des transactions. Bref, même pour Facebook, la porte est fermée… et blindée!

En résumé, Facebook a bien noté l’intérêt de Bob pour le rock’n roll (son fil d’actualité va s’en ressentir pendant un petit moment!), il semble qu’il ait acheté une guitare, en tout cas, il avait l’air motivé (il a cliqué sur le lien en moins de 3 secondes, ce que le réseau a bien enregistré),  mais, au-delà de ça, difficile d’en connaitre plus…a-t-il acheté le modèle qui était proposé sur son fil d’actualité ? n’a-t-il pas craqué pour un triangle finalement ? (Bob vit en studio, Facebook en est presque sûr) ? Trop d’incertitudes demeurent, et ça rend plus difficile pour Facebook d’affiner ses capacités à faire plaisir à Bob!

Retrouvons Bob dans 1 an, en mars 2020: Facebook a implémenté sa crypto interne en septembre 2019, les choses fonctionnent désormais plutôt bien et utiliser du LikeCoin devient progressivement naturel pour de nombreux membres du réseau.

Bob se laisse tenter par un lien lui proposant un très beau présentoir à guitare, il se rend sur la page du vendeur et paye l’objet 100 dollars…

Enfin, en réalité Bob paye avec 1000 LikeCoin (dont le cours, stable, a été établi à 10 cents de dollars). La transaction est immédiatement validée – merci la blockchain – et tout le monde est content: Bob qui sera livré dans l’après-midi à son bureau, le vendeur qui n’a aucune crainte sur l’effectivité du paiement…et Marc Zuckerberg qui a enfin atteint un objectif ambitieux: permettre à Facebook de faciliter, mais surtout d’assister à tout le processus!

En effet, en se servant des LikeCoins, l’utilisateur consent à  ce que rien de ce qui touche à leurs dépenses, leur utilisation, voire leur thésaurisation n’échappe au réseau. Ce sera la contrepartie de la gratuité, car une chose est certaine: Facebook ne prendra aucune commission sur les transactions (c’était déjà l’approche retenue pour Facebook Messenger Payment). À la limite, Facebook se contrefiche de « faire de l’argent » sur les transactions et est probablement même prêt à en perdre si nécessaire!

La vraie ressource que vise Facebook, c’est encore une fois la data, mais une data d’un type bien plus précieux: celle qui permet de cartographier votre profil financier et vos habitudes de consommation réelles. Et cette ressource, elle, n’est pas soumise à l’inflation.

Ainsi, non seulement Facebook sait maintenant que Bob a acheté son support de guitare , mais également qu’il a obtenu 10% de remise, qu’il n’a pas hésité à choisir un mode de livraison premium…Facebook est vraiment ravi, car cette information enrichit particulièrement bien le profil de Bob, soigneusement conservé et mis à jours plusieurs milliers de fois par semaine sur le serveurs de Facebook: il est célibataire (ça intéressera les sites de rencontres),  il adore les sushis (le sushi bar à 500m de sa rue paiera cher pour récupérer cette information, d’autant que son panier moyen est supérieur à la moyenne nationale de son Etat) et il évolue dans une catégorie CSP + (ce qui intéressera…tout le monde).

Edward Snowden a qualifié Facebook de « machine à espionner ». Je vous laisse méditer sur les implications de la possession par une entité (qu’elle soit publique ou privée importe peu dans ce contexte) de la combinaison la plus précise qu’on puisse imaginer de votre identité sociale enrichie de votre empreinte financière personnelle.

Tout cela pourrait vous sembler quelque peu outrancier. L’idée même que Facebook soit obsédé par l’obtention d’un accès à vos données financières pourrait paraître exagérée…Il n’est donc pas inutile de rappeler qu’il a fallu une enquête du parlement britannique pour révéler que le réseau social tentait par tous les moyens d’obtenir de l’information bancaire auprès de ses sociétés tierces (« Facebook qualifié de gangster par le Parlement britannique »).

Du même tonneau, en août 2018, le Wall street Journal révélait que Facebook tentait de convaincre des banques américaines de lui communiquer des informations financières extraites de leurs bases clients. La raison invoquée par le réseau prit la main dans le cochon-tirelire ? « , mais Amazon et Alphabet (Google) le font! ».

À quoi pourrait ressembler la cryptomonnaie Facebook ?

D’après les sources disponibles, la crypto du géant californien aurait vocation à être déployée dans quelques mois. On sait également que plusieurs dizaines de personnes œuvrent sur le sujet à plein temps depuis au moins mai 2018, notamment débauchées de certaines pépites de l’écosystème blockchain. Ainsi, Facebook a tout récemment embauché 4 des 5 chercheurs de la start-up ChainSpace (on lui souhaite bon courage pour la suite!). Cette jeune pousse était spécialisée dans les Smart contracts et l’accélération des transactions.

Par ailleurs, on l’a dit, Facebook a mis à la tête de sa division blockchain David Marcus, ancien président de Paypal donc, mais  également membre de la direction du géant Coinbase depuis décembre 2017. L’entrepreneur Franco-Américain (demi-cocorico) jouit d’une solide réputation à la fois d’innovateur, mais également d’évangéliste crypto de la première heure.

On le sait, Marc Zuckerberg lui-même, a évoqué son intérêt pour les technologies blockchain, appliquées notamment à Messenger. Il indiquait il y a quelques mois en interview qu’ils les verraient bien s’appliquer à ses services, aboutissant à « quelque chose de plus distribué, qui remet du pouvoir entre les mains de l’utilisateur ». Cependant, si je crois sans peine en la sincérité du geek que demeure son créateur, il convient de bien garder à  l’esprit ce qu’est le système Facebook, et surtout ce qu’il n’est pas.

Ainsi, en jouant au jeu des hypothèses, voici quelques pistes de réflexion:

  • La blockchain sur laquelle évoluera la crypto Facebok sera propriétaire (un « mainet« ). J’ai tendance à penser que quand on s’assure de la collaboration de dizaines de professionnels cryptos, parmi les plus talentueux de leur génération, il n’en ressort pas un bête jeton ERC-20 codé sur Ethereum. On pourra objecter que Facebook semblait en négociation avec Stellar en mai 2018, avant de démentir cette information.
  • Je ne serais pas étonné qu’il n’y ait pas une, mais deux cryptos: un Stable Coin, ayant vocation à assurer une passerelle immédiatement fiable et opérationnelle, de nature à rassurer et faire adhérer l’écosystème des partenaires de Facebook, et un token social, ayant vocation à inciter aux comportements vertueux sur le réseau (autrement dit, pousser à multiplier les interactions entre membres et pourquoi pas inciter à lutter contre les nouvelles formes de menaces sur Facebook comme les fakes news ou les escroqueries).
  • Afin de s’éviter les récentes mésaventures de TETHER, le stable coin de Facebook sera adossé à une quantité de cash immobilisée et ayant vocation à garantir une conversion stable à tout moment vers le panier de monnaie fiat sélectionné.  Cette réserve sera auditable et public.
  • Tout comme TETHER, Facebook pourrait être tenté de garantir sa monnaie jusqu’à concurrence de 1 milliard de dollars. Ce montant pourrait cependant être nettement moins élevé lors du lancement et permettra d’ailleurs de juger du niveau de confiance du réseau concernant cette nouvelle orientation (50 millions USD, c’est un test, 1 milliard d’entrées de jeu, c’est un pari sur l’avenir).
  • Je l’ai déjà dit plus haut, je pense que 1 crypto Facebook équivaudra à 10 cents. C’est déjà le taux de conversion qui était antérieurement retenu pour les précédentes tentatives monétaires du réseau et vous pouvez être certain que ce ratio a été minutieusement étudié.
  • La blockchain de Facebook ne sera ni décentralisée ni distribuée. Il s’agira selon toute vraisemblance d’une blockchain de consortium, autrement dit , une blockchain opérée uniquement par Facebook et partagée à différents degrés avec ses partenaires. Je pense que cette blockchain ne sera pas non plus publique, tant la connaissance exclusive des informations qui y transiteront constitue le réel objectif de Facebook.

Alors, bonne nouvelle pour l’écosystème crypto, ou pas ?

« Faire de Facebook l’intermédiaire ne fera que rendre les riches, plus riches »

Sur cette maxime pleine de bon sens et d’optimisme, et dont l’auteur m’est inconnu, revenons à nos bitcoins!

De mon point de vue, espérer que la cryptomonnaie Facebook puisse « profiter » (quel que soit le sens qu’on puisse donner au terme) au Bitcoin ou aux Altoins, revient à supposer que la sortie de l’iPhone a profité aux téléphones portables de manière générale.

Non, la sortie de l’iPhone a essentiellement profité à Apple.

Alors bien sûr, dans un second temps, contraint à suivre et s’adapter, les téléphones portables ont muté, évolués, permettant l’émergence de l’écosystème que l’on connait aujourd’hui. Et beaucoup ont disparus également.

Qu’en penserait Satoshi ?

A priori, sur l’échelle de Nakamoto, il y de grandes chances que Facebook avoisine le zéro absolu.

Il serait étonnant que la blockchain Facebook soit décentralisée. En effet, difficile d’imaginer qu’un système qui repose sur la concentration des données jusqu’à la caricature (et qui en tire un fort avantage concurrentiel), révolutionne son fonctionnement pour Bob et sa guitare.

Elle sera peut-être distribuée, mais sous une forme « dégradée ». Conformément au point du dessus, le réseau ne laissera pas fuiter l’information stratégique, exploitable en clair par tous (et surtout ses concurrents). Donc, cet ersatz de distribution ne répondra pas aux standards que  nous considérons comme ceux de la blockchain. Idem pour la transparence qui ne sera probablement que relative.

Pour le dire autrement, voir Facebook introduire de la blockchain et de la crypto, ne sous-entends pas que le Californien va opérer un changement de paradigme.

On rappellera que l’ambition initiale de bitcoin et de sa blockchain est de redonner de la liberté et du choix à l’individu en rendant obsolète et inutile toute « autorité » centrale ou à vocation centralisatrice. En enlevant l’intermédiaire entre l’utilisateur et sa richesse (son argent, mais aussi en l’occurrence ses data), on lui rend une parcelle de liberté jusqu’alors confisquée par des acteurs tiers.

Or, Facebook ne compte pour rien au monde opérer la moindre désintermédiation:  Facebook veut simplement s’assurer que vous restiez le plus longtemps possible dans le parc d’attraction « parce que tout y est plus facile ». Aucune liberté supplémentaire ne sera acquise dans l’opération.

Une adoption de masse, mais à quel prix ?

Même si l’adoption par Facebook d’un modèle blockchain ne constitue pas le signe de l’avènement d’un Internet décentralisé de la valeur, il faut probablement s’attendre à des effets de bords qui profiteront à l’écosystème tout entier.

À l’heure actuelle, on estime à 35 millions les utilisateurs réguliers de cryptomonnnaies à l’échelle mondiale.  L’entrée dans le game des plus de 2 milliards d’utilisateurs des services de la galaxie Facebook est en mesure de générer un colossal phénomène d’adoption. Par ailleurs, cela aidera à décriminaliser un secteur qui deviendrait enfin fréquentable (« si c’est sur Facebook, c’est qu’on peut avoir confiance » Tante Odile au repas dominical).

La plupart des utilisateurs demeureront au sein de l’environnement Facebook (et tout sera fait en ce sens), mais pour autant, il deviendra plus facile de franchir le pas vers les cryptos authentiquement décentralisées et distribuées. Une espèce de petit bain avant le grand plongeon.

J’ajouterais que j’ai toute confiance en Facebook pour créer lui-même les conditions du prochain data-scandal (Le Washington Post du 22 mars 2020 : « Facebook se fait subtiliser les données cryptos de 300 millions d’utilisateurs, la Chine suspectée »). Les conditions seront alors peut-être réunies pour une réelle adoption de masse des cryptos « authentiques », au même titre que les révélations des années 2005-10 sur l’espionnage de masse ont créé les conditions pour une adoption globale du navigateur TOR, des VPN et des messageries cryptées.

Un peu de prospective

L’avènement de la crypto Facebook va constituer un événement majeur à l’échelle de la jeune histoire du secteur, peut-être même s’agira-t-il du signe démontrant que nous nous apprêtons à franchir une nouvelle étape.

Dans l’affirmative, il est évident que les autres mastodontes du secteur suivront. Telegram est déjà bien avancé sur son projet crypto (à 90% semble-t-il, après une ICO à 1.7 milliard en 2018),  les Coréens de la messagerie de Kakao viennent de boucler une levée de fonds de 90 millions… Il ne faudra pas attendre longtemps pour voir fleurir de nouveaux projets portés par Google, Microsoft, Wechat

Ainsi, les futures luttes de pouvoirs de la crypto pourraient tout à fait voir s’affronter Facebook, Signal, Telegram et Twitter, plutôt que Bitcoin, ripple ou Ethereum….relégués aux coulisses de l’histoire. En outre, si ce type de mouvement s’enclenche, un autre phénomène l’accompagnera : le débauchage – à prix d’or – des talents les plus brillants du secteur, incités à quitter les équipes emblématiques actuelles (Ethereum Fondation, Consensys, Bitcoin.org, etc.) pour rejoindre les départements Blockchains des GAFAM et autres BATX ….

Nous allons je pense rentrer de plain-pied dans une période passionnante. Celle où les géants du numérique du début du 21e siècle vont s’accaparer la « révolution blockchain ».

Bien sûr, leur démarche n’aura pas vocation à rendre plus libres, ou plus éclairés les individus, mais à servir leurs propres intérêts et objectifs. De ce point de vue, le risque est de voir les citoyens consommateurs progressivement passer d’une allégeance ancienne (l’Etat, le gouvernement, la banque centrale) à une autre (le réseau social, le moteur de recherche, le commerçant), cette dernière étant plus subtile, mais non moins aliénante.  

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Ex-rédacteur en chef du Journal du Coin j'apporte ma petite pierre à l'édifice financier global qui émerge sous nos yeux. Les insultes, scoops, propositions de sujets, demandes en mariage et autres corbeilles de fruits sont à livrer sur mes différents comptes sociaux. Vous pouvez également venir discuter sur le groupe FB associé à l'initiative Tahiti Cryptomonnaies