Comment le smart contract va-t-il bouleverser le droit des contrats ?

Le buzz considérable autour du terme smart contract (contrat intelligent) invite à faire un éclairage sur cette notion, qui devrait avoir un impact substantiel sur la pratique des contrats.

Est-ce un contrat ?

L’adoption du terme smart contract est entérinée de longue date, et il ne s’agit pas ici de la remettre en cause. Mais, juridiquement parlant, le smart contract n’apparaît pas à strictement parler comme un contrat. Notre code civil définit le contrat comme la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. A la lumière de cette définition, il est clair que le smart contract n’est pas un contrat mais qu’il est plutôt la déclinaison en code informatique d’un contrat dont les termes ont été convenus en amont. Le smart contract est une modalité d’exécution de termes contractuels prédéfinis.

D’un point de vue juridique, le smart contract correspond à un contrat auto-exécutable. Pour faire simple, les termes d’un contrat seront écrits en code informatique pour prévoir un événement dont la réalisation permettra d’enclencher l’exécution dobligations contractuelles prévues en amont. Typiquement la constatation de la réalisation – ou non – de cet événement sera faite par référence à un oracle. Par exemple, dans le cadre d’une assurance « retard et annulation de vols », le code informatique qui sous-tend le smart contract permettra à l’heure prévue du vol de se connecter au site faisant foi (celui de la compagnie aérienne ou de l’aéroport) pour vérifier si l’événement pouvant enclencher un remboursement (le retard ou l’annulation) se réalise.

Est-ce intelligent (« smart ») ?

Le smart contract est ainsi une – des nombreuses – utilisations (« use cases ») de la technologie blockchain, inventée en 2008 par un vénéré autant que mystérieux Satoshi Nakamoto.

La technologie blockchain est parfois assimilée à un fichier Excel dans le ciel (« spreadsheet in the sky »), c’est à dire (i) un registre d’information et de transactions, (ii) partagé et synchronisé en pair-à-pair à l’identique et de manière supposément décentralisée et potentiellement mondiale, (iii) très robuste en matière de sécurité grâce à des techniques de chiffrement solides et une interdépendance algorithmique des blocs rendant l’ajout d’un nouveau bloc difficilement falsifiable. L’union (des blocs) fait la force de la blockchain.

Pour quelle utilisation ?

L’utilisation du smart contrat est « industry agnostic », en ce sens que c’est une technique qui peut être utilisée dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de l’assurance, la mode, la licence de droits de propriété intellectuelle, ou même les transactions immobilières. Toutefois l’automatisation qui caractérise le smart contract semble requérir que l’obligation contractuelle programmée pour s’auto-exécuter soit suffisamment carrée, précise et objective à déterminer.

Intérêts et défis juridiques

Le smart contract sera aussi efficace – ou pas – que les termes du contrat dont il est la traduction informatique. Ainsi, si les termes du contrat (au sens traditionnel du terme) ne sont pas clairs, s’ils sont basés sur des informations fausses ou si leur retranscription informatique n’est pas fiable, l’auto-exécution sera rendue difficile et le smart contract plutôt un facteur de complication – et de responsabilité qu’autre chose.

Juridiquement le smart contrat présente un intérêt certain en matière de preuve et de traçabilité des transactions. Mais, en cas de résolution d’un contrat, son annulation rétroactive sera dans l’état actuel de la technologie difficile à mettre en œuvre techniquement en raison du caractère souvent immuable de la blockchain sous-jacente et donc du smart contract associé.

Finalement, cette auto-exécution est intéressante en termes d’exécution de bonne foi des contrats et de sécurité juridique puisque seule la réalisation de l’événement pourra enclencher l’exécution des obligations contractuelles (y compris le paiement), même si une partie change d’avis ou est de mauvaise foi. Des éléments de changement de circonstances tels que la rétractation, quand elle est prévue par la loi, devrait être suffisamment objective et claire pour être codée dans un smart contract. En revanche, en cas de changements de circonstances plus complexes, le smart contract et le caractère immuable des technologies de registre distribué sous-jacentes devraient difficilement pouvoir accommoder cette flexibilité.

Vincent Denoyelle

Avocat associé du cabinet Eversheds Sutherland, Vincent Denoyelle s'est spécialisé en droit de l’Internet et des technologies de l’information.