Un ancien économiste du FMI conspue les stablecoins

« Ce type a découvert le secret du déflationnisme, les bitcoiners le détestent » – Dans un article publié le 11 septembre dans le Guardian, Barry Eichengreen adresse un tacle deux pieds décollés aux stablecoins, mais avec la manière. Cet ancien économiste, ayant travaillé notamment au FMI, se consacrant désormais à l’enseignement de l’économie à Berkeley, a donc pris la plume pour vous détailler par le menu les failles qui sous-tendraient le principe de stablecoin-même.

L’illusion des stablecoins

Pourquoi donc acheter puis détenir des stablecoins quand on investit dans le domaine des cryptomonnaies ? C’est une des interrogations que l’auteur détaille en premier. Dès les prémisses, il ne reconnaît pas les valeurs classiques de la monnaie aux cryptomonnaies. Comme d’habitude, la volatilité est citée comme un des obstacles principaux pour que ces fonctions d’unité de compte, de réserve de valeur et de moyen d’échange puissent être assurées par lesdites cryptomonnaies.

Mais même dans le cas des stablecoins, pourtant principalement possédées car elles rempliraient mieux certains de ces rôles, la donne ne changerait pas tant que ça.

Keep Calm and Carry On

Eichengreen concède bien que sur le principe, la notion spéculative ne rentre plus en jeu. Sans elle, une plus grande stabilité pourrait être attendue, notamment en terme de réserve de valeur, et par extension en terme d’unité de compte. Pour autant, ça n’est pas aussi simple : l’auteur décortique les stablecoins et les classe en trois grands groupes. Attardons-nous un moment sur cette classification.

Typologie des stablecoins : tous aussi bancaux les uns que les autres

L’auteur décrit trois types de stablecoins, en proportion des réserves de monnaie de référence détenue pour “backer” chacun des stablecoins. Contentons-nous de détailler chacune des catégories.
Tout d’abord, les stablecoins intégralement collatéralisés : la plateforme opératrice détient au moins autant de l’avoir réel (dans le cas présent des USD) qu’il n’émet de crypto-tokens. Ce serait le cas du Tether USD (USDT) même si le sujet reste discuté. A priori, le GUSD, dernier arrivant dans la course des stablecoins adossés au dollar, serait lui entièrement « backed » et auditable. Pour autant, même dans ce cas “idéal”, l’auteur considère que l’utilité est très relative et la sécurité peu assurée : puisque ces stablecoins s’échangent ensuite contre d’autres tokens aux liquidités et aux fonctionnalités différentes, le fait qu’ils soient régulés ne changerait rien aux tenants et aux aboutissants du cirque crypto. On se doute que les cryptomonnaies à visée confidentielle (comme Monero ou ZCash) ne trouvent pas grâce aux yeux de M. Eichengreen.

Ensuite, les stablecoins partiellement collatéralisés : la plateforme opératrice ou l’émetteur détiennent au moins 50 % de collatéral effectif. Point assez amusant à souligner, l’auteur se lance ensuite dans une critique du système de réserves fractionnaires, mais dans le seul contexte cryptomonétaire. Il lui paraît évident qu’un tel système de coin partiellement collatéralisé ne peut être stable à terme. Si les propriétaires d’un stablecoin partiellement collatéralisé craignent que ce dernier ne leur permette plus de stocker de la valeur, il pourrait s’ensuivre une contagion aux autres participants au marché. Au final, un véritable bank run cryptomonétaire pourrait s’observer, chacun tentant de revendre avant que le cours fixé ne s’effondre totalement. Pour empêcher la dépréciation brutale du cours, l’émetteur devra alors puiser dans ses réserves limitées pour racheter et freiner le décrochage des cours. L’auteur considère que les chances de réussite sont tout aussi partielles que la collatéralisation du token en question.

Keep Calm and Try to Stay Uncollateralised

Enfin, les stablecoins sans collatéral effectif : je vais aller à l’essentiel, car comme vous vous en doutez désormais, l’auteur ne les apprécie guère. Il compare ces tokens à des “crypto-bonds” : l’incitation à en acheter repose sur le fait qu’en cas de chute, on les achèteraient alors à tarif forcément discount car le prix serait censé forcément remonter à son cours fixé un jour ou l’autre. Dans la pratique, plus la chute est violente, plus il faut émettre de crypto-bonds, et plus l’objectif de rattrapage deviendrait inatteignable in fine.

Un effondrement probable

Citant une étude du prix Nobel d’Economie Paul Krugman, portant sur les attaques spéculatives dont peuvent être la cible des monnaies dont les taux sont arrimés à d’autres paniers de devises, l’auteur conclut que si les stablecoins continuent à survivre et même à prospérer, c’est principalement à cause de l’inexpérience.

Inexpérience manifeste à la fois des développeurs de cryptomonnaies qui joueraient aux apprentis sorciers, mais aussi des investisseurs qui n’auraient rien d’avertis.

Rappelons-nous tout de même que Paul Krugman, au delà de ses qualifications en économie, a déjà fait montre de son sens visionnaire aigu en terme de progrès technologique, lui qui avait jugé en 2005 que l’Internet n’aurait pas plus d’impact que le fax, à terme.

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Le futur nous dira si les prévisions de M. Eichengreen connaîtront un avenir plus heureux… ou non.

Sources : TheGuardian || Image from Shutterstock

Grégory Mohet-Guittard

Je fais des trucs au JDC depuis 2018. En ce moment, souvent en podcast et la tête dans le nuage.