Le mystère RR Crypto – Euros, bitcoins et ballade sur Ethereum (ETH) : suivez l’argent disparu des investisseurs sur la blockchain !
Vous l’avez suivi en notre compagnie ces dernières semaines : le scandale de l’association dijonnaise RR Crypto agite la cryptosphère et provoque de violents remous bien au delà de notre écosystème encore émergent. Des millions d’euros récoltés par une association auprès d’investisseurs particuliers non avertis, un patron charismatique mais dont tous les agissements sont encore loin d’être tirés au clair, une structuration assez peu conventionnelle en Estonie aux côtés d’un partenaire d’affaires à la réputation sulfureuse : tous les ingrédients d’un bien curieux polar sont réunis et gardent l’observateur curieux en haleine depuis que l’affaire a éclaté au grand jour.
Pourtant, s’il est possible de dessiner quelques grandes lignes pour tenter de comprendre ce qu’il a pu advenir des fonds concernés, beaucoup de questions restent encore sans réponse : Qui contrôlait réellement les fonds gérés par l’association RR Crypto au quotidien… et que faisait l’association et ses têtes pensantes avec cet argent ? Mais aussi, à combien s’élevait réellement ce magot disparu ? En effet, si les premières hypothèses tirées de plusieurs sources proches du microcosme de RR Crypto évoquaient des montants très variés débutant à 40 millions d’euros, il est aujourd’hui permis d’en douter : si l’analyse que je vais vous livrer aujourd’hui n’a pas la prétention d’être totalement exhaustive et qu’il me manque très certainement pas mal de pièces du puzzle, il reste possible que les montants impliqués soient effectivement bien moindres – même s’ils se chiffrent tout de même probablement à minima à une dizaine de millions d’euros.
Comme vous allez le voir, si la vitrine officielle annonçait aux investisseurs des investissements gérés depuis un compte Binance d’entreprise qui aurait récemment été “réinitialisé” – assertion démentie officiellement par l’exchange depuis, l’analyse minutieuse des mouvements de fonds sur les différentes blockchains impliquées va vous raconter une autre histoire, où le trading effectif semble relativement secondaire… et qui fait s’interroger sur la véracité des différents “relevés d’investissement” envoyés chaque mois à chaque investisseur, pour en théorie lui détailler ses positions personnelles, puis depuis le début de l’année 2021 la composition du portefeuille global annoncé comme géré par RR Crypto.
Au gré de nos pérégrinations blockchainisées, vous constaterez aussi que si les blockchains publiques (à l’image de Bitcoin et d’Ethereum) sont transparentes, elles ne sont pour autant pas forcément très bavardes. Nous verrons donc ensemble comment réaliser une telle lecture, et avec quels outils, car au delà du cas RR Crypto, c’est bien une habitude que tout investisseur en cryptomonnaies devrait prendre : faire des recherches extensives sur n’importe quel projet avant d’y parier le moindre centime, ne croire aucun label de respectabilité pour se dispenser de faire ces recherches, questionner et douter des discours mis en avant par les différents projets… et encore plus lorsque les rendements promis sont délirants – auquel cas, le conseil le plus simple sera toujours le suivant : si c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est faux, et qu’il vaut mieux s’enfuir sans y risquer un centime.
Table des matières
- RR Crypto, une machine bien rodée pour récolter l’argent des investisseurs
- L’étrange flux de liquidités sur Ethereum
- RR Crypto aimait bien les bitcoins des autres
- Le mystère de la destination réelle des fonds
RR Crypto, une machine bien rodée pour récolter l’argent des investisseurs
Pour ceux d’entre vous qui ont suivi les épisodes précédents de ce triste feuilleton de l’été, vous aurez constaté que nous avions fait une hypothèse pour tenter de suivre une partie des fonds de RR Crypto : partir d’une adresse de réception donnée aux investisseurs souhaitant déposer leur argent et “investir” avec RR Crypto, et tenter de suivre les fonds depuis là. C’est exactement ce que nous allons faire aujourd’hui, mais différemment, car nous nous devons d’être honnêtes : lors de notre précédente recherche, nous avons considéré une hypothèse de travail comme une vérité bien trop vite, et nous nous sommes trompés. Partons ensemble chasser les fonds de RR Crypto, outil par outil, blockchain par blockchain… et tâchons d’y voir plus clair !
A l’aide d’investisseurs lésés et de sources liées à l’organigramme de RR Crypto, nous avons pu récupérer un certain nombre de documents : mails liés à l’activité quotidienne de l’association, confirmations de dépôt ou de retrait opérés par les clients, informations pratiques du quotidien, ou encore relevés mensuels délivrés aux investisseurs. A l’aide de ces données diverses, il nous a été possible d’identifier un pattern récurrent dans le fonctionnement de RR Crypto : lorsqu’un investisseur s’inscrivait à RR Crypto, il était dirigé par un conseiller salarié de la structure vers une plateforme d’échange pour y créer un compte personnel, le vérifier puis ensuite l’abonder, avant d’enfin envoyer les fonds convertis en bitcoins ou en crypto-dollars à des adresses de réception contrôlées par RR Crypto. Au fil du temps, et selon les informations regroupées par le Journal du Coin, différentes plateformes d’échange ont ainsi été utilisées pour permettre aux clients de convertir leurs euros en cryptomonnaies, et les adresses de réception fournies aux clients de RR Crypto ont changé plus ou moins régulièrement dans le temps.
Nous avons donc agrégé ces adresses, et à l’aide d’outils adaptés pour chacune des blockchains concernées, nous avons tenté de remonter la piste du plus de fonds concernés et à priori gérés par RR Crypto. Précisons-le d’emblée : la revue de fond (et de fonds) que je vais vous proposer aujourd’hui ne recouvre pas nécessairement (et très probablement pas) la totalité des fonds qui ont été captés par RR Crypto. Il est très probable qu’il me manque en effet des adresses de réception fournies à d’autres clients, aussi bien sur Bitcoin que sur Ethereum, je n’ai pas de visibilité sur les échanges probables de cryptomonnaies sur les principales plateformes de change qui auraient pu permettre à RR Crypto de troquer des USDT, de l’ETH ou du BTC contre d’autres cryptomonnaies pour les retirer ensuite ; et une part conséquente non chiffrable en l’état de fonds ont aussi été échangés contre d’autres cryptomonnaies à l’aide de swaps sans KYC, donc directement entre les autres blockchains concernées, rendant le suivi très fastidieux.
Mais que ça ne nous empêche pas d’essayer d’y voir plus clair quand même ! Allez, c’est parti !
L’étrange flux de liquidités sur Ethereum
Ethereum et le Tether (USDT) : bases et fonctionnement du suivi
Pour comprendre comment nous avons suivi les transactions de RR Crypto sur Ethereum, il faut se replonger un instant dans les bases du fonctionnement du réseau. Mais ne vous inquiétez pas, ce sera rapide !
Le projet Ethereum est basé sur une idée d’état général. C’est à dire qu’on peut avoir un état de tous les comptes Ethereum à un certain instant, comme si on avait pris une photo. On va ensuite envoyer une transaction qui modifiera cet état vers un nouveau. Dans la transaction, on doit préciser un from et un to qui sont les deux comptes concernés par la transaction (et donc qui modifie l’état des comptes), champs qui sont d’ailleurs absents dans les transactions Bitcoin par exemple. Ce principe est le même pour tous les crypto-actifs de type ERC-20 émis sur Ethereum (comme le dollar Tether dont nous allons reparler bientôt). Il permet donc d’observer de façon condensée et précise toutes les transactions ayant concernées une adresse donnée, et d’en tirer des données de suivi dans le temps. Par exemple, si l’on regarde une des adresses de dépôt fournie aux clients de RR Crypto pour envoyer leurs euros convertis en Tether (USDT), on peut récolter bien des informations utiles :
Nous concernant, nous utiliserons deux outils spécifiques pour la suite de nos recherches :
- L’explorateur de blockchain Ethplorer, offrant une approche collaborative à l’exploration d’Ethereum et de ses transactions (ainsi que de la multitude de tokens ERC-20 émis sur Ethereum), puisqu’il est possible d’annoter publiquement une transaction ou une adresse (tout en fournissant ou non des éléments pour justifier de ces annotations).
- Les outils offerts par Scorechain : la startup luxembourgeoise offre en temps normal ses services aux plateformes de change, aux acteurs français PSAN ou à des institutions diverses (comme banques et auditeurs) pour suivre les transactions sur les blockchains Bitcoin, Ethereum et certaines autres (XRP, Litecoin, Dash, notamment). Je les remercie très vivement pour leur réactivité et leur aide tout au long de notre enquête : ils nous ont ainsi fourni l’accès à leurs outils, nous permettant d’agréger toutes les données que nous avons récoltées, et d’en tirer quelques enseignements, comme vous le lirez bientôt.
Comment RR Crypto récupérait les fonds sur Ethereum
Dans un premier temps, à l’aide des outils offerts par Ethplorer, et une fois toutes les adresses de réception identifiées, il devient déjà possible de faire des recoupements et d’observer certaines activités systématiques sur certaines adresses. A l’aide des informations récoltées auprès de la communauté d’investisseurs touchés, nous pouvons présenter 4 adresses principales ayant servies à récolter les fonds USDT et USDC des clients de RR Crypto :
0xa7a281a54348f47f151c28b510ae0deb28b3c181
– que nous nommerons ETH1,0x003915dcc9e97b91f3d376a883810dbce4c235d7
– que nous nommerons ETH2,0xb5c0ea0437e7914404f64ed2d6240d006a85fdbf
– que nous nommerons ETH3,0x754fa31ca70e4037a751d45ad395d58e1362bf07
– que nous nommerons ETH4.
N.B : pour chacune des adresses, une analyse précise des sources probables d’approvisionnement et des retraits vous est fournie, en cliquant sur les liens attachés aux items ETH1, ETH2, ETH3 et ETH4.
A titre d’exemple, si l’on s’intéresse toujours et plus en détails à l’adresse 0xa7A281A54348F47F151c28b510Ae0DEB28b3c181
, on peut constater que des fonds étaient réceptionnés depuis des exchanges bien connus mais aussi ventilés depuis d’autres adresses de réception RR fournies aux clients. Les fonds envoyés par les clients depuis leurs exchanges favoris étaient ainsi captés puis conservés ou redirigés vers d’autres adresses, elles aussi contrôlées par RR Crypto.
Une de ces adresses a attiré notre attention, nous allons tout de suite en reparler : une part très conséquente des crypto-actifs concernés ont en effet transité par un étrange gate faisant la liaison entre la blokchain Ethereum et la blockchain Waves. Cette sorte de plateforme automatisée a notamment permis aux opérateurs de RR Crypto d’envoyer des cryptomonnaies de et vers l’une et l’autre de ces deux blockchains.
Comment compliquer la tâche des curieux de la blockchain : le gate Waves
Les différentes adresses de dépôt fournies aux clients de RR Crypto que nous avons pu identifier ont ainsi toutes des liens (en dépôt et en retrait) avec une curieuse adresse : 0x6871eacd33fbcfe585009ab64f0795d7152dc5a0
. Cette adresse, vous la connaissez, car nous vous l’avons présenté en la prenant pour ce qu’elle n’était pas dans un de nos précédents articles : comme nous l’ont fait remarquer certains lecteurs avisés sur les réseaux sociaux, il s’agit d’une adresse automatisée, permettant de transférer des cryptomonnaies depuis Ethereum vers la blockchain Waves, d’y récupérer sur des adresses Waves ces actifs, de s’en servir sur la blockchain Waves si souhaité, et aussi de les retirer à nouveau vers Ethereum au besoin.
Le Journal du Coin a pris contact avec des sources avisées, et il nous a été possible grâce à leur aide précieuse de récupérer un récapitulatif complet des adresses Waves correspondantes aux adresses Ethereum utilisées par RR Crypto. De là, nous avons également pu récupérer toutes les transactions de retrait opérées ensuite vers Ethereum, permettant de reconstituer une entité crédible que nous pensons être RR Crypto.
Comme nous l’a précisé un technicien qualifié nous ayant assisté dans cette recherche :
« Le gate en question est juste un outil. Il permet de passer d’Ethereum à Waves, de Waves à Ethereum, et d’autres solutions existent ensuite depuis Waves.exchange pour récupérer d’autres cryptomonnaies, comme le Bitcoin. Vous pouvez vous en servir pour utiliser certains des services de Waves.exchange comme de la recherche de rendement par exemple, ou pour tenter de cacher vos traces, même si ce n’est pas très malin. Concernant votre cas, ils ont fait passer des fonds, et puis ils ont progressivement tout retiré. On retrouve principalement de l’USDT, un peu d’ETH, et quelques BTC. Ces gens étaient peut-être doués pour amasser des fonds, mais pas vraiment pour ne pas laisser de traces : il y en a plein. »
Source qualifiée ayant assisté le JDC dans son enquête.
Nous mettons à votre disposition l’ensemble de ces données agrégées, sous la forme d’un tableur téléchargeable en cliquant ici. Une fois ces nouvelles adresses et transactions incorporées dans Ethplorer, une première constatation saute aux yeux : en agrégeant toutes ces transactions identifiées, le montant total qui aurait transité par ces adresses correspondrait à minima à 7,5 millions de dollars USDT/USDC, soit 6 millions d’euros. On retrouverait également 4,33 bitcoins récupérés depuis le gate (soit 116 000 euros au cours du jour), et une quantité très résiduelle d’ETH. Les adresses de retrait de la totalité des fonds en USDT/USDC, bitcoin et ether sont disponibles dans le tableau téléchargeable, si vous souhaitez vous aussi les explorer.
Les observations sur Ethereum
Chaque adresse de dépôt délivre des informations précieuses, même si leur interprétation reviendra là encore à des professionnels. Pour délivrer les représentations graphiques suivantes, nous nous appuyons sur l’outil dédié de Scorechain, Exploration Tool, encore en développement mais très éclairant. Son intérêt est double : rendre intelligible les informations déjà disponibles, mais aussi aider à en trouver de nouvelles.
A l’aide des précédentes données récoltées sur le passage par le Gate Waves, nous avons identifié quelques 232 adresses de retrait dispersées en post-gate. Il semblerait donc que les fonds récoltés aient en grande partie migré vers la blockchain Waves, avant d’en être retirés progressivement vers une multitude d’adresses, puis ensuite de revenir vers des plateformes diverses.
L’adresse principale de dépôt ETH1 agrège par exemple des dépôts depuis Crypto.com, Binance, Kraken, et diverses autres adresses moins conséquentes. Vous noterez que près de 6,7 millions d’USDT ont transité directement depuis cette adresse vers le gate Waves dont nous avons parlé.
Concernant ETH2, les fonds ont été récoltés depuis une grande variété de plateformes : Nexo, Freewallet et Binance. Selon les analyses permises par Scorechain, une partie des fonds expédiés sur le Gate Waves sont ensuite revenus sur ETH2 : 1,6 million de dollars approximativement et plus de 2400 ETH auraient ainsi été récupérés du gate mais aussi d’autres sources externes.
Ces fonds ne sont pas restés là bien longtemps : le lecteur avisé constatera que ces fonds précis n’ont pas tardé à être redirigé vers Binance, principalement.
Concernant ETH3, ce sont près de 2,7 millions de dollars qui y ont été récoltés puis ont migré : en explorant dans la profondeur les adresses de réception, au delà du seul gate Waves, cette adresse a contribué à réexpédier 2,7 millions de dollars vers – à terme – une grosse partie du corpus d’adresses de sortie du gate.
Concernant ETH4, la totalité des fonds récoltés depuis Crypto.com et Binance, notamment, ont été retirés vers un compte Crypto.com.
En l’état actuel du logiciel Exploration Tool, il ne nous est pas possible de pousser plus avant l’investigation : les 232 adresses de retraits post-gate sont donc loin d’avoir livrés tous leurs secrets :
Il faudrait en effet pouvoir à nouveau agréger toutes les informations de retrait de ces diverses adresses. Une observation rapide laisse toute de même peu de place au doute en ce qui concerne le devenir des fonds qui y ont transité : si certains sont toujours stockés sur ces adresses, d’autres ont depuis été eux aussi rapatriés vers des exchanges comme Crypto.com (deux exemples d’analyses d’adresses de retrait, ici, ou là).
Les observations sur Bitcoin en post-gate Waves
Concernant les quelques bitcoins récupérés grâce au gate Waves, leur parcours est plus sinueux. Un certain nombre d’adresses a pu être identifié par notre contact avisé, et vous les trouverez si l’envie vous en prend dans le tableur récapitulatif mis à votre disposition plus tôt dans l’article. Une première portion des fonds n’a à priori pas nécessairement bougé, tandis qu’une autre renvoie vers des clusters d’adresses conséquents pointant vers Binance, Coinbase, Crypto.com et aussi quelques wallets isolés.
Une seconde partie redirige vers Wirex, la néo-banque crypto ne proposant à l’heure actuelle plus de passerelle IBAN classique, mais bien une carte de débit crypto fonctionnelle en euro.
Des destinations variées aux buts incertains
S’il est possible de reconstituer une partie du mouvement des fonds, vous aurez bien compris qu’il reste très difficile d’interpréter exactement ce qu’il en est réellement advenu : selon nos informations, depuis confirmées par certains partenaires de l’association sur les réseaux sociaux, RR Crypto payait une partie au moins de ses contributeurs directement en cryptomonnaies – il est donc possible et probable que certains au moins des retraits effectués vers des plateformes de change aient constitué des paiements de conseillers, contributeurs ou autres proches associatifs.
Il faut aussi noter que jusqu’à ce que l’affaire éclate, des retraits étaient honorés vers les clients qui le demandaient : des retraits effectifs ont été confirmés au JDC par certains investisseurs, jusqu’à la mi-mai 2021, ce qui contredit le discours officiel de RR Crypto évoquant une disparition quelconque des fonds depuis Binance au mois de mars 2021. De plus, l’analyse de chaine montre clairement que des mouvements depuis et vers des adresses contrôlées par RR Crypto avaient encore lieu jusqu’au mois de juin 2021, souvent pour rapatrier des fonds vers des exchanges comme Crypto.com et Binance. Même s’il n’est pas possible à partir de ces seules données de déterminer à quoi servait l’argent en question, force est de constater qu’il semblait bien circuler au sein de l’entité RR Crypto.
Pas de vraie visibilité une fois que les fonds ont été à nouveau redéplacés vers des plateformes de change (Binance, Crypto.com, ou autres DEX). Tout naturellement, les plateformes ne commentent pas, et il reviendra aux forces de l’ordre en charge de l’enquête d’éclaircir les détails exacts relatifs à ces interactions sur exchanges : les retraits en question étaient-ils effectués pour le compte d’un seul et même client, ou bien les fonds de RR Crypto étaient-ils réellement gérés par plusieurs “traders” ensuite ? Quelle part de ces fonds ont ensuite été convertis en d’autres cryptomonnaies et retirés de ces plateformes ? Quelle part encore a simplement été reconvertie en euro et là aussi sortie d’une manière ou d’une autre de ces différentes plateformes, dont certaines offrent des cartes de débit bien commodes – cartes de débit que plusieurs proches de l’affaire nous confirment avoir vu être utilisées pour des dépenses parfois fastueuses dans certains lieux bien connus de la vie locale dijonnaise.
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RR Crypto aimait bien les bitcoins des autres
Mais, vous l’aurez compris, il n’a pas été seulement question de crypto-dollars, puisque les clients ont également été invités à effectuer des dépôts sur des adresses BTC. Ici, la tâche ne sera pas plus aisée : si certaines personnes bien informées nous confirment que ces dépôts en bitcoins représentaient une part minimale du total récolté par RR Crypto – et à priori ces dépôts en bitcoins étaient destinés à quelques clients spécifiques triés sur le volet, il n’empêche qu’il est là aussi possible d’identifier une entité pouvant correspondre à RR Crypto, et ayant manipulé une part congrue de bitcoins. Les informations disponibles sur les bitcoins gérés par RR Crypto sont assez éparses à l’heure actuelle, mais il nous a été possible d’authentifier l’utilisation d’une adresse de réception précise : 38DNPMyq4jKkEWBGJgQHe2FndXXhFLehwg
, et nous allons bientôt y revenir.
Suivre le Petit Poucet RR Crypto sur Bitcoin : mais comment ?
Pour comprendre comment peuvent être identifiées des entités bien précises sur la blockchain Bitcoin, il nous faut reprendre rapidement les bases de Bitcoin. Rassurez-vous, ce ne sera pas très long !
Le système UTXO de Bitcoin
Sur le Bitcoin, les soldes des différentes adresses ne sont pas stockés de la même façon que sur un registre bancaire classique. On parle de modèle UTXO (Unspent Transaction Output) avec une sortie non dépensée. Ainsi, le solde d’une adresse Bitcoin s’obtient en additionnant toutes les sorties vers cette adresse qui n’ont pas encore été dépensées. Comme vous pouvez le deviner, il est alors possible d’établir des liens entre les transactions à partir d’une adresse donnée ou d’un identifiant de transaction, et d’ainsi reconstituer tout l’historique rattaché.
C’est à l’aide de ce type d’heuristiques qu’il devient possible de faire des hypothèses sur qui contrôle quoi : si des fonds se retrouvent répartis entre une multitude d’adresses bitcoin, mais qu’au final, ils se reconstituent, ils créent des liens que des algorithmes peuvent exploiter – même s’il convient de garder à l’esprit que ces derniers sont loin d’être infaillibles, et peuvent être trompés par certains procédés de mixage de bitcoins, notamment.
Le clustering et l’identification d’une même entité
Dans l’absolu, c’est d’ailleurs ainsi que procèdent les plateformes de change lorsqu’elles assistent les forces de l’ordre en charge d’enquêtes comme celle de RR Crypto : si un observateur externe ne verra plus rien des mouvements internes à une plateforme comme Binance ou Crypto.com une fois que des cryptomonnaies y seront déposées, le fait qu’un compte client soit soumis à un KYC strict fera qu’il sera possible pour les enquêteurs de déterminer a posteriori les responsabilités de chacun.
ANON-3000599177 : RR Crypto, es-tu là ?
Nous concernant, nous utiliserons deux outils spécifiques pour la suite de nos recherches :
- L’explorateur de blockchain Bitcoin OXT.me, développé par l’équipe de Samourai Wallet et offrant une approche collaborative à l’exploration de Bitcoin et de ses transactions, puisqu’il est possible d’annoter publiquement une transaction ou une adresse (tout en fournissant ou non des éléments pour justifier de ces annotations), mais aussi un clustering automatique de certaines entités, selon leurs transactions justement.
- Les outils offerts par Scorechain.
Commençons par observer ce qui se passe à l’aide d’OXT, sur la fameuse adresse de réception confirmée de RR Crypto dont vous parlions précédemment :
L’intérêt d’OXT, au delà de son aspect collaboratif, est de permettre d’identifier certaines entités, dès lors qu’elles semblent contrôler plusieurs adresses, comme nous l’avons rapidement expliqué auparavant. Il se trouve que cette adresse renvoie directement à une étrange entité, étiquetée sous le nom de ANON-3000599177
.
Une analyse de cette entité nous permet de déterminer qu’elle peut correspondre à un opérateur gérant cet ensemble d’adresses depuis la France, et principalement en semaine :
OXT permet également d’extraire directement toutes les adresses impliquées dans cette entité, ainsi que toutes les transactions supposées la constituer. Si vous souhaitez les explorer de votre côté, il vous suffit de vous rendre sur la page web de l’entité sur OXT.
Il est également possible à l’œil avisé de constater qu’un certain nombre de ces transactions semblent avoir transitées par Wirex, mais aussi par Binance et Crypto.com.
Concernant Wirex, un nombre certain des adresses impliquées ressort étiquetées comme telles lorsque nous les vérifions dans l’explorateur OXT, ou encore dans les outils de suivi on-chain de Scorechain. Le gros des flux en bitcoins semblent donc avoir terminé leur route sur Wirex.
Concernant Binance et Crypto.com, le lien est également identifiable car des retraits (et des dépôts) ont été réalisées entre des adresses contrôlées par les deux plateformes (ou par des clusters d’adresses fortement suspectées par les opérateurs de surveillance on-chain de leur appartenir).
A l’aide d’outils plus développés, il devient donc possible de reconstituer une partie des mouvements des fonds observés entre les différentes entités, afin de reconstituer là aussi une cartographie des mouvements attribuables à RR Crypto sur la blockchain Bitcoin. Pour ce faire, nous allons une nouvelle fois utiliser l’outil dédié de Scorechain, Exploration Tool. Rappelons encore que dernier est toujours en développement, et qu’il n’intègre donc pas nécessairement les mêmes données qu’OXT. Ainsi, si OXT rattache des adresses Binance à RR Crypto, Scorechain rattache les mêmes adresses mais ne les identifie pas nommément sur cette cartographie, par exemple.
Le mystère de la destination réelle des fonds
En conclusion, on peut donc constater que selon toutes ces données, les différents fonds récoltés par RR Crypto ont transité et migré vers certaines plateformes bien connues de la cryptosphère, qu’il s’agisse de Binance, Crypto.com ou encore Wirex.
Difficile de déterminer exactement ce qu’il en est alors advenu : seules les forces de l’ordre pourront frapper à la porte des plateformes concernées dans l’espoir d’éclaircir cette situation. Cependant, le lecteur avisé constatera que tout cela semble bien contradictoire vis-à-vis du discours officiel de Vincent Ropiot et des gestionnaires de RR Crypto, selon lesquels les fonds de l’association auraient tous été stockés sur un compte Binance.
Rappelons que Binance s’est déjà exprimé sur l’absence d’un “compte professionnel” détenu par RR Crypto sur sa plateforme – mais si l’analyse de chaine fait tout de même ressortir des mouvements de fonds vers un (ou des) comptes Binance gérés par RR Crypto, et dont le (ou les) propriétaire(s) est (ou seront) identifié(s) par les forces de l’ordre à terme.
Une seule chose est sûre : l’affaire, aussi complexe qu’elle soit, n’a pas fini de faire couler de l’encre.
Tous nos remerciements aux investisseurs qui ont accepté de nous fournir des données, aux équipes de Scorechain de nous avoir permis d’utiliser leurs outils de monitoring de flux blockchains et pour leur réactivité, aux équipes de Nigma Global pour leur écoute attentive, aux équipes mettant à disposition gratuitement des explorateurs de chaînes aussi complets que OXT et ETHplorer, ainsi qu’aux autres sources non nommées sans qui nous n’aurions pas pu avancer comme nous l’avons fait.