Si la notion de Web3 est difficile à classer et aurait pu être présentée dans d'autres Chapitres de cette Encyclopédie, impossible de parler cryptomonnaies et altcoins sans l'évoquer. Faisons-le donc, ici !
Mais de quoi s'agit-il ? Ce mot-valise apparu en 2014, a gagné en popularité quelques années après, lors du cycle haussier de 2021, notamment grâce à l’utilisation croissante d’applications décentralisées (dApps). Cependant, cette expression reste floue. Après avoir tenté de décrypter l'avenir dans l'article précédent, nous ferons ici un retour dans le temps pour tâcher de définir ce qui se cache derrière le terme Web 3.0 et comment nous y sommes arrivés.
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Table des matières
L'évolution du web
Du Web1 au Web3
Vous vous en doutez sûrement, s'il y a un Web3 c'est qu'il y a un Web1 et un Web2. Ces appellations correspondent tout simplement aux grandes phases de l'évolution du web. On peut y ajouter un .0 à la fin ( Web 1.0, Web 2.0, Web 3.0) pour le style, en référence aux notations employées pour désigner l’évolution des programmes informatiques.
Voici ce à quoi elles correspondent :
- Le Web1 : également connu sous le nom de Web statique, il s'agit de la première version du Web, développée dans les années 1990. Les sites Internet étaient alors principalement des pages contenant du texte et des images. Aucune interaction n'était possible pour les utilisateurs, qui étaient alors de simples consommateurs de contenus ;
- Le Web2 : ce terme est apparu pour la première fois en 2003, suite à l'arrivée des fonctionnalités interactives. Il désigne un Internet participatif, où les protocoles et les interfaces permettent à ses utilisateurs de s'approprier de nombreuses fonctionnalités, jusqu'alors réservées aux seuls programmeurs. Le Web2 est donc un Internet interactif avec une dimension sociale, où l’accès à l’information et aux technologies est simplifié par les interfaces ;
- Le Web3 : c'est l'objet de cet article, vous découvrez donc de quoi il s'agit en détail dans les paragraphes suivants. Pour vous donner une idée générale, il s'agit du web du futur (qui commence aujourd'hui). Il utilise les technologies comme la blockchain et les contrats intelligents et l'intelligence artificielle pour créer un Internet plus décentralisé et sécurisé.
Le Web2 en détail
Le Web2 est la version actuelle du web utilisée par la majorité des utilisateurs. C'est un Internet interactif, où l’accès à l’information et aux technologies est simplifié par les interfaces. Il englobe les concepts suivants :
- Un écosystème de plateformes centrées sur l’utilisateur final ;
- L’interaction entre internautes et développeurs ;
- Un accès simplifié aux données ;
- Des interfaces homme-machine faciles à prendre en main, le concept d’expérience utilisateur (UX) ;
- Les notions d’intelligence collective et de cloud computing, où les logiciels et les applications ne sont plus hébergés sur des ordinateurs personnels.
L’utilisation du terme Web 2.0 nous vient de Tim O’Reilly et de Dale Dougherty, les fondateurs du média informatique O'Reilly Media. Il définit selon eux la mutation d’Internet, où de nouveaux modèles d’entreprises émergent.
Interactif, le Web 2.0 permet aux internautes d’agir de façon collaborative sur le contenu en ligne, grâce au crowdsourcing - la production participative. On pense tout particulièrement à l’avènement des logiciels de serveur, de la syndication du contenu, des nouveaux standards et protocoles concernant la messagerie et la navigation.
La route vers le Web3
L’adoption des cryptomonnaies
La transformation d’Internet à l’aune du Web 2.0 repose notamment sur des architectures distribuées ou pair-à-pair, notamment en ce qui concerne le partage de fichiers. Avec des logiciels comme Napster, eMule, Kazaa ou BitTorrent, les architectures rompent avec le modèle client-serveur traditionnel.
Bitcoin reprend les briques technologiques amenées par les protocoles pair-à-pair, pour l’étendre à la monnaie. Les nombreux altcoins qui font ensuite leur apparition reprennent son modèle décentralisé, et au fur et à mesure des années, les cryptomonnaies connaissent une adoption grandissante.
Si Internet et le Web 2.0 ont révolutionné l’accès à l’information, les cryptomonnaies révolutionnent l’accès à la finance. La solution au problème de la double dépense conçue par Satoshi Nakamoto permet désormais de se passer de tiers de confiance et d’entités centralisées pour effectuer des transferts de valeur sur Internet.
La courbe d’adoption des cryptomonnaies n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’Internet lui-même, ou de technologies plus anciennes.
Grâce aux protocoles blockchain, on peut donc désormais donner de la valeur à des entités numériques, car elles ne sont pas duplicables, de manière décentralisée. Ce n’était pas le cas jusque-là, et tous les services en ligne devaient passer par des réseaux financiers externes, centralisés, pour monnayer leurs produits sur Internet.
Avec l’avènement des cryptomonnaies, il suffit dorénavant d’un ordinateur et d’une connexion Internet pour monétiser une idée, un service ou même un droit d’accès, en passant par ce canal unique. On parle ainsi « d’Internet de la valeur ».
L'Internet de la valeur
L’IoV (Internet of Value) est un concept qui nous vient des équipes de développement d’un altcoin bien connu, le XRP de l'entreprise Ripple. L’idée est la suivante : transférer n’importe quel actif ayant de la valeur aux yeux des parties prenantes à la transaction, sans passer par un tiers de confiance. On parle donc de la désintermédiation des activités de transfert, qui passaient autrefois par des organes bien connus : banques, plateformes de change, sociétés de cartes de crédit.
L’Internet de la valeur n’est pas cantonné aux actifs ayant une valeur pécuniaire, mais également à ceux qui ont une valeur sociale. Outre les paiements, sont aussi concernés :
- Les droits de vote ;
- Les points fidélités, comme les miles ;
- Tout ce qui concerne la propriété intellectuelle (brevets, royalties) ;
- L'audiovisuel et l’art en général ;
- Les actifs financiers de toutes sortes comme les actions, les obligations, les titres financiers ou les produits dérivés.
L’Internet de la valeur est donc synonyme de rapidité, d’efficacité et de faibles coûts de transfert, grâce à la disparition du middleman, les organes intermédiaires centralisés.
De même, l’Internet de la valeur est inclusif pour les populations qui n’avaient jusqu'alors pas accès à ces intermédiaires. On dénombre environ 1,4 milliard de personnes n’ayant pas de compte en banque dans le monde. Les cryptomonnaies et l’apparition de l’Internet de la valeur peuvent permettre d’améliorer l’inclusion financière en apportant des solutions de paiement peu coûteuses, et facilement accessibles, si tant est que l’on ait accès à un smartphone connecté au Web.
Les objets connectés
Après le Web 2.0 et l’Internet de la valeur vient l’Internet of Things (IoT) : l’Internet des objets. Le Web permet aux humains d’échanger des données et de la valeur, mais aussi aux objets. Grâce aux protocoles de communication machine-to-machine les plus avancés, les objets connectés peuvent fonctionner de façon synchrone. Et avec l’Internet de la valeur, ils peuvent aussi effectuer des transferts financiers.
Nous pouvons par exemple prendre le cas des voitures autonomes en libre service. Cet objet connecté permet à l’utilisateur humain d’aller d’un point A à un point B, en ayant simplement initié un paiement via son smartphone.
L’avenir de l'IoT porte donc notamment sur l’intégration du règlement des flux financiers entre objets, et de protocoles axés sur l'efficacité énergétique. Il existe plusieurs altcoins et technologies de registres distribués axées sur ces objectifs. La cryptomonnaie IOTA (dont le nom est sans équivoque) a par exemple pour cas d’usage la monétisation de données entre les machines de l’IoT.
Bien que cela puisse paraître un argument marketing à première vue, les interactions entre IoT et altcoins sont particulièrement prometteuses :
- Amélioration de la sécurité des objets connectés grâce à la traçabilité de leurs opérations via les blockchains ;
- Transparence et intégrité des données de l’IoT ;
- Innovations multiples dans le domaine du trading d’actifs numériques.
De nombreux projets travaillent déjà sur le sujet. Les plus connus ayant un altcoins sont notamment IOTA, VeChain, Waltonchain, Ambrosus, IoTeX ou Helium.
Internet est donc en pleine mutation, puisqu’il connecte désormais des objets, intègre des actifs numériques et des protocoles permettant d’effectuer des transferts de valeur sans intermédiaire ou autorité centrale.
La numérisation de l’économie
On parle souvent de monnaies numériques ou d’actifs numériques pour parler des cryptomonnaies. Il faut cependant rappeler que la numérisation de l’économie et de la monnaie a débuté dès l’arrivée de l’informatique. Aujourd’hui, la plupart des transactions financières sont effectuées de manière numérique. Bien que l’on ait tous encore accès aux billets de banque et aux pièces de monnaie, l'essentiel de la masse monétaire est aujourd'hui composé d'écritures comptables sur des serveurs centralisés par les banques.
La numérisation de la monnaie a connu un essor fulgurant avec l'arrivée des cartes de crédit. On peut considérer que la Diners Club Card, créée par Frank X. McNamara et Ralph Schneider fut la première carte de crédit de l'histoire. Il s'agit aussi du premier système de paiement par carte indépendant des institutions financières.
Vint ensuite l'abandon de l'étalon or, au profit des écritures comptables gérées par les banques centrales sur les tout premiers serveurs informatiques. C'est l'apparition des monnaies numériques telles que nous les connaissons aujourd'hui. Si l'on prend l'exemple de l'euro, sa masse monétaire est composée à 90 % de bits, des 1 et des 0 sur les serveurs des banques.
L’évolution d’Internet et de ses protocoles
Les protocoles d'Internet
Afin de faire transiter des données sur le Web, divers protocoles de communication sont utilisés. Internet est ainsi un réseau de réseaux, où les données transitent via une connexion physique. Les deux protocoles de communication fondamentaux du Web sont l'IP et le TCP.
- L'Internet Protocol (IP) permet d'attribuer une adresse unique à chaque machine reliée physiquement au réseau. Une fois identifiée, les ordinateurs peuvent envoyer des paquets de données (paquets IP) grâce aux routeurs, qui vont s'appuyer sur d'autres protocoles afin de déterminer le meilleur chemin pour que les paquets arrivent de l'expéditeur à leur destinataire ;
- Le protocole TCP ou Transfert Control Protocol est une couche de communication située au-dessus du protocole IP. Elle permet de découper les données échangées en paquets IP de façon optimale. Côté récepteur, le protocole permet de recomposer les données en fonction des paquets reçus, et éventuellement de redemander des paquets perdus. Chaque machine utilise différents ports pour échanger des données, en fonction de leur nature. Il existe ainsi différents protocoles de communication situés au-dessus des TCP/IP qui sont adaptés à ces différentes structures de données.
Sur le Web, les différents documents composant les pages Internet sont reliés les uns aux autres via des hyperliens. Ces données sont échangées grâce au protocole HTTP (HyperText Transfert Protocol). Il fonctionne selon le principe du client/serveur : le serveur est une machine fournissant des ressources et des services, tandis que le client les utilise. Les requêtes HTTP transitent donc d'une machine à l'autre à travers une connexion TCP établie entre le client et le serveur.
D'autres protocoles de communication sont dédiés au transfert de fichiers : c'est le cas du FTP (File Transfert Protocol) et du SSH (Secure Shell).
Les protocoles du Web3
Bitcoin est un protocole révolutionnaire car il permet de faire transiter de la valeur de pair-à-pair, sans intermédiaire, sur Internet. C'est son arrivée qui aurait pu permettre en premier lieu de parler de Web3. Cependant, c'est avec la création du protocole Ethereum que l'expression est apparue. Aujourd'hui, il existe de nombreux protocoles de transfert de valeur et de données, comme XRP, Solana, Cardano, Avalanche et bien d'autres.
Au-delà des protocoles blockchain, il existe d'autres couches de communication permettant d'accéder au Web3. On peut d'ores et déjà dire que le Web3 est composé d'un univers multichaînes, où cohabitent différents réseaux de paiements et autres plateformes de smart contracts. Afin de naviguer au sein de cet écosystème, il faut utiliser différentes API (interfaces de programmation d'application). Ce sont elles qui permettent de connecter un logiciel ou un service à un autre logiciel ou service, afin d'échanger des données et des fonctionnalités.
De plus, l'accès aux données on-chain et off-chain nécessite l'utilisation de différents outils et canaux de communication. Afin d'améliorer la scalabilité du Web3, les ingénieurs et les développeurs redoublent d'ingéniosité. Il faut assurer la disponibilité de ces données, ce qui a mené à la création d'infrastructures comme Celestia ou Axelar.
La définition du Web3
Les concepts portés par le Web3
C'est Gavin Wood, l'un des cofondateurs d'Ethereum et le créateur de Polkadot qui emploie pour la première fois le terme Web3 en 2014. Il décrit l'évolution du Web2 en un Internet plus décentralisé, où les oligopoles disparaissent. Avec l'arrivée des blockchains, Gavin Wood décrit ce nouveau web comme un « écosystème en ligne décentralisé basé sur la blockchain ».
C'est vers 2021 que l'expression gagne en popularité avec l'arrivée de gros investisseurs, séduits par la promesse d'un cyberespace plus libre, plus permissif et plus décentralisé.
Ce terme générique décrit un Internet regroupant différents concepts :
- Les actifs numériques décentralisés sur des blockchains, tels les cryptomonnaies ou les jetons non-fongibles (NFT) ;
- Les organisations autonomes décentralisées ou DAO ;
- La finance décentralisée ou DeFi ;
- Les systèmes d'authentification reposant sur l'identité auto-souveraine.
Le terme Web3 est donc assez flou, permettant à chacun d'avoir sa propre définition. Bloomberg, par exemple, parle « d'actifs financiers, sous forme de jetons, entrant dans le fonctionnement interne de presque toute activité sur Internet ». Quoi qu'il en soit, cryptoactifs et décentralisation sont au cœur du Web3.
Nous pouvons donc définir le Web3 comme le stade avancé d'Internet, qui inclut les différents protocoles de transfert de valeur hérités des blockchains et des plateformes de contrats intelligents. Le Web3 est ouvert, décentralisé, et intègre pleinement les cryptoactifs au sein de son fonctionnement. Son stade ultime serait d'être débarrassé des oligopoles et des entités centralisées actuellement incontournables.
Le Web3, un buzzword ?
Bien que ce terme se soit maintenant imposé, il fut l'objet de vives critiques. Citons par exemple Elon Musk, qui déclarait en décembre 2021 :
« Web3 seems more marketing buzzword than reality right now. »
Traduction : Le Web3 ressemble plus à un mot-valise marketing qu'à une réalité pour l'instant.
De même, le professeur de l'Université de Cornell James Grimmelmann qualifiait en novembre 2021 le Web3 de « vaporware » : un produit annoncé par l'industrie qui n'est finalement jamais manufacturé, qu'il s'agisse de matériel ou de logiciel.
« A promised future internet that fixes all the things people don't like about the current internet, even when it's contradictory. »
Traduction : La promesse d'un futur Internet qui corrige tout ce que les gens n’aiment pas dans l’Internet actuel, même si c'est contradictoire.
Les doutes de nombreux observateurs du Web découlent de la promesse de la décentralisation, qui ne serait pas tenable. Les infrastructures du Web3 actuel, en particulier les réseaux blockchains, seraient beaucoup plus centralisées qu'on ne le pense, notamment à cause des interfaces de programmation qui sont développées par des entreprises ayant acquis un monopole. Il en va de même pour les plateformes de change ou les portefeuilles crypto.
Les métriques et tendances de l’industrie Web3
Dans l'article précédent, nous avons évoqué plusieurs métriques à surveiller pour prédire l’avenir des altcoins, tout en précisant qu’elles étaient difficiles à évaluer. Quelles sont alors les données pertinentes à consulter pour juger de l’évolution du Web3 ?
Au niveau économique et financier, il est intéressant de suivre l’évolution de la capitalisation de marché des principales plateformes. Le Web3 est une industrie en très forte croissance, qui attire toujours plus de capitaux. Si Bitcoin capte depuis toujours la plupart des parts de marché, la capitalisation de marché totale de l'écosystème est un bon indicateur de l'état de santé financière de l'industrie.
Le nombre d'utilisateurs de portefeuilles Web3 est également une donnée à surveiller. MetaMask annonce avoir environ 30 millions d'utilisateurs actifs par mois. En 2020, le nombre d’utilisateurs actifs du wallet phare développé par ConsenSys était de 545 080 !
La quantité d’applications décentralisées ou dApps déployées sur les principaux réseaux blockchains témoigne de l’innovation dans le domaine du Web3. En observant l’évolution de leur base d’utilisateurs, on peut avoir une idée de la progression de l’adoption.
Il faut cependant prendre certaines de ces données avec des pincettes, car plusieurs chaînes ou applications décentralisées sont considérées comme des « zombies ». En effet, l'activité sur certaines dApps ou plateformes blockchain est artificielle. C'est notamment le cas des chaînes où les frais de transactions sont très bas, ce qui augmente le spam et les transactions fantômes.
Le mot de la fin
Malgré toutes les critiques et les obstacles qu'il rencontre, force est de constater que le nombre d'utilisateurs du Web3 connaît une croissance très nette. Pour une adoption plus globale, il faudra cependant passer par le développement d'outils, d'interfaces et d'applications simples à utiliser par Monsieur et Madame Toutlemonde.
Les géants de l'industrie du Web2 ont encore de beaux jours devant eux. À titre d'exemple, la capitalisation de marché d'une entreprise comme Google est encore largement supérieure à celle de Bitcoin. Les navigateurs Web3 comme Brave n'attirent qu'une toute petite partie des utilisateurs d'Internet. Mais c'est également pour cela que l'industrie du Web3 a une marge de croissance très importante...
Dans les années à venir, de nombreux projets en cours de développement verront le jour, et les outils existants seront améliorés. Ceux qui investissent dans le Web3 font ainsi le pari que ses entreprises rivaliseront avec leurs homologues plus centralisées en termes d'utilisateurs et de parts de marché. Et l'adoption des stablecoins, sujet du prochain Chapitre de cette Encyclopédie, jouera très certainement un rôle important dans sa démocratisation. À bientôt, dans la suite de l'Encyclopédie du Coin !