Bitcoin en Afrique : Meron Estefanos et les réfugiés d’Erythrée
Le côté obscur de l’Afrique – Depuis le 3 janvier 2009 et le lancement de Bitcoin, 5 174 jours se sont écoulés. Chaque jour depuis, des gens en entendent parler pour la première fois et s’y intéressent pendant que d’autres, plaisantent en se disant que c’est quand même une drôle d’idée que cet argent virtuel. Au même moment, certains veulent devenir riches alors que des passionnés trouvent la technologie formidable. Mais, chaque jour surtout, des gens utilisent Bitcoin parce que c’est un bon outil. Parce que c’est un moyen très simple et très efficace de résoudre des problèmes parfois insurmontables.
C’est pour cette raison que l’adoption se poursuit dans le monde. Et notamment en Afrique où la population se retrouve souvent dans des situations monétaires désespérées qui les poussent tout droit dans les bras de Bitcoin. Le Nigéria et la situation ubuesque de sa monnaie nationale en sont le dernier exemple en date. Mais aujourd’hui, nous allons vous emmener dans un endroit oublié des médias, dans un véritable trou noir de l’actualité. Peu citée, jamais évoquée, les journalistes surnomment l’Érythrée « la Corée du Nord de l’Afrique » car il est presque impossible d’y voyager et très compliqué de rendre compte de la situation sur place.
Sommaire :
- L’interview de Meron Estefanos
- Bitcoin et l’Afrique : quatrième épisode
- L’Erythrée : ce pays d’Afrique que l’on veut fuir à tout prix
- Meron Estafanos en quelques mots
- L’exode cauchemardesque des Érythréens
- De simple citoyenne à militante des droits humains
- La rencontre avec Bitcoin grâce à la Human Rights Foundation
- Bitcoin au service de ses combats en Afrique
- ሰሰናዩ ሜሮን ሰናይ ዕድል – Aurevoir Meron et bonne chance (en tigrigna)
- Bitcoin et l’Afrique, rendez-vous la prochaine fois
L’interview de Meron Estefanos
Pour mieux comprendre la situation de ce pays, nous allons faire la connaissance d’une femme extraordinaire qui se bat depuis des années pour aider les personnes qui prennent la route pour fuir cet enfer sur Terre. Meron Estafanos est née en Erythrée mais vit depuis longtemps en Suède dont elle est devenue une citoyenne. Elle nous a parlé pendant près d’une heure le mois dernier.
Vous n’oublierez jamais son histoire ni ce qu’elle va vous raconter. Car nous allons basculer ensemble dans le pire de l’humanité. Dans les bas fonds de la torture, des viols, des exécutions sommaires, de la souffrance et de la mort. Seule lueur d’espoir dans ce tableau dantesque, Meron Estefanos qui prend son bâton de pèlerin pour aider son prochain et qui distribue des satoshis pour faire tomber des réseaux de passeurs aussi mafieux que sadiques.
Bitcoin et l’Afrique : quatrième épisode
Dans cette série d’articles sur l’Afrique, notre ambition était de vous proposer tout d’abord un aperçu rapide de la situation financière du continent. Puis, de détailler les mécanismes économiques, politiques et monétaires qui amènent une partie de la population à se tourner vers Bitcoin. Enfin, la semaine dernière, on a vu que cette cryptomonnaie avait également le pouvoir de protéger des activistes et des opposants politiques menacés par un pouvoir autoritaire. Aujourd’hui, nous vous proposons une forme de synthèse de toutes ces thématiques.
Car l’Erythrée est malheureusement un condensé de tous les problèmes que nous avons soulevés. Un des pires pouvoirs despotiques du monde dirige le pays et impose à sa population les plus terribles tourments. Complètement oubliée du monde moderne et des instances internationales, la population n’a d’autre choix que de fuir. À travers le désert. À pied. Et comble de l’horreur, ces malheureux et ces malheureuses se font kidnapper, racketter et torturer tout au long du chemin avant de finir sur de frêles embarcations au milieu de la Méditerranée. La seule personne qui s’intéresse à eux s’appelle Meron Estafanos. Elle a bien voulu répondre à nos questions par téléphone. Voici son histoire.
L’Erythrée : ce pays d’Afrique que l’on veut fuir à tout prix
Dans les livres d’histoire
Avant de plonger dans le récit de notre invité du jour, prenons quelques instants pour contextualiser ses propos. L’Erythrée et ses 3,7 millions d’habitants se situent dans la partie nord de la corne de l’Afrique, coincée entre l’Éthiopie, Djibouti et le Soudan et au bord de la mer rouge. Nous allons rapidement dérouler son histoire moderne à partir de la fin du 19ᵉ siècle, lorsque l’empire Ottoman s’effondre et que le territoire passe sous pavillon italien.
Suite à la victoire des alliés en 1941, le pays passe sous protectorat britannique avant de basculer dans le giron du puissant voisin éthiopien en 1952. Mais à partir de 1961, l’Érythrée va sombrer dans une guerre d’indépendance contre l’occupant éthiopien qui dure jusqu’en 1991. Le 24 mai 1993, l’indépendance arrive finalement et Isaias Afewerki, héros de la libération, devient le premier président de la nouvelle nation fraichement reconnue par l’ONU.
Une des plus anciennes dictatures en Afrique
Malheureusement pour la population, l’espoir d’une paix durable va disparaître avec le déclenchement d’une nouvelle guerre, toujours contre l’Éthiopie. Après quelques années de combats meurtriers, le conflit se déplace en Somalie où les deux protagonistes se livrent une guerre par procuration. Mais, revenons à l’Érythrée et à l’homme fort d’Asmara qui est toujours en place, presque 30 ans après l’indépendance.
Après la deuxième guerre contre l’Éthiopie, le président va faire basculer son pays dans la dictature la plus violente qui soit. Interdiction des partis politiques, des syndicats, de la presse et de toute forme d’expression libre. Mais le pire sera l‘instauration d’une conscription jamais vue dans l’histoire moderne. Dès le milieu des années 90, les femmes et les hommes du pays sont soumis à une forme locale de service militaire de 16 à 40 ans ! Oui, vous avez bien lu. Prévu à l’origine pour durer 18 mois, certains n’ont jamais été démobilisés.
Un service militaire sans fin
Cette politique aussi absurde que violente va pousser à l’exil des centaines de milliers de personnes. Les Érythréens vont devenir une des principales populations de réfugiés dans le monde dès les années 90 et continuent de l’être. À partir de 15 ans, ceux qui peuvent faire des études le font pour le compte du gouvernement et iront grossir les rangs de l’administration pour un salaire de misère. Pour tous les autres, c’est l’armée, la guerre ou l’esclavage gouvernemental.
Il est impossible d’avoir un passeport sans avoir le bon de sortie du service militaire. Il n’est pas possible non plus d’avoir une carte SIM. Le gouvernement a instauré un régime tyrannique de délation et de surveillance généralisée où les familles se trahissent entre elles. Les adolescents sont séparés de leurs parents très jeunes et ne les reverront que bien plus tard. Avec un peu de chance. C’est en nous expliquant tout ça que notre entretien avec Meron Estafanos a commencé, et pour tout vous dire, on était déjà sans voix.
Meron Estafanos en quelques mots
Elle, elle a fuit le pays avec ses parents quand elle avait 13 ans, car son père était un activiste politique et qu’il était en danger. Fraichement diplômée, elle a 27 ans quand elle décide de retourner vivre deux ans dans son pays et qu’elle découvre l’enfer dans lequel vivent les gens. De nationalité suédoise, elle est exemptée de service militaire. Cependant, elle assiste, horrifiée, aux conditions de vie de ses amis, de sa famille, de ses voisins. Son propre frère fera 20 ans de service militaire avant de s’échapper. De retour chez elle, elle raconte ce qu’elle a vu et se fâchera avec une partie de la diaspora en Suède favorable au régime.
Suite à cette expérience bouleversante, elle va rejoindre une petite radio militante, Voice of Meselna Delina, qui émet depuis la Suède. Ensuite, elle va animer sa propre émission appelée Les voix des réfugiés érythréens sur Radio Erena. C’est une radio libre diffusée depuis Paris, relayée par satellite dans la sous-région de l’Erythrée et cofinancée par Reporters sans Frontière. Cette expérience sera déterminante pour elle, car en 2011, elle va recevoir le coup de téléphone le plus important de sa vie en direct à la radio. Mais avant de vous raconter ça, il faut comprendre l’histoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui fuient le pays.
L’exode cauchemardesque des Érythréens
En route vers la Terre promise
Dès le début des années 90, mais surtout à partir de 2000, le désert du Sinaï, à l’est de l’Égypte, va devenir le lieu du plus sordide business qui soit : le trafic d’êtres humains. Après avoir fui leur pays, un grand nombre d’Érythréens se retrouvent dans des camps de réfugiés au Soudan sous la protection relative des Nations Unies. Mais, souhaitant à tout prix rallier Israël, ils vont faire confiance à des passeurs. Or ces derniers vont les revendre à des bandits, des Bédouins pour la plupart, qui leur promettent de les faire passer de l’autre côté du désert.
À partir de là, un véritable cauchemar va débuter pour ces migrants. Ils sont torturés de mille façons et sont obligés de contacter leurs familles pour demander des rançons. Des femmes et des hommes sont violés pendant qu’ils supplient leur famille d’envoyer de l’argent. Ce qui se passe dans ces endroits dépasse l’entendement. La presse relaiera ces drames à mots couverts dans une relative indifférence de la communauté internationale.
Le trafic d’êtres humains rapporte gros en Afrique
Les prix vont démarrer à 1 000 dollars par tête avant de s’envoler pour atteindre 20 000 puis 40 000 dollars à la fin des années 2000. Ceci va donner lieu à une intensification du trafic. Dès lors, des gangs armés et mafieux vont rôder le long de frontière de l’Erythrée, côté soudanais, pour kidnapper directement les gens et les revendre dans le Sinaï, cachés dans des camions de marchandises. Entre 2007 et 2012, 62 000 érythréens se réfugient dans l’État hébreu et on estime à 15 000 le nombre de disparus dans le désert. Ces témoignages donnent des cauchemars.
Et des cauchemars, Meron aussi va se mettre à en faire à partir de 2011 et de ce coup de téléphone qu’elle va recevoir. Une mère en détresse la contacte à propos de son fils détenu dans la geôle d’un tortionnaire du Sinaï. Meron diffusera à la radio l’enregistrement de l’appel aux ravisseurs. À partir de là, elle donnera systématiquement son numéro de téléphone à la fin de chaque émission. Elle deviendra malgré elle l’assistance téléphonique des réfugiés sur la route. Nuit et jour, son téléphone va se mettre à sonner.
Meron Estafanos devient malgré elle la hotline des réfugiés
Son numéro est le seul que connaissent des milliers de gens. Il se transmet de bouche-à-oreille. On se le passe sur la route. Il est même écrit sur les murs des salles de tortures au milieu du désert. Elle devient la bouée de sauvetage des populations qui fuient. Tout va d’ailleurs s’accélérer à partir de 2011 et la chute de Mouammar Kadhafi. Dès lors, la Lybie va devenir la nouvelle destination des Érythréens en direction de l’Europe. Puisque, côté israélien, le statut de réfugié est dorénavant presque impossible à obtenir.
Une nouvelle angoisse va maintenant habiter Meron Estafanos, car désormais les migrants vont essayer de traverser la mer. À propos de migrants, petit point sémantique en passant. Ils sont en réalité des demandeurs d’asile qui viennent en Europe espérant protection. On entend souvent parler de clandestins ou de sans-papiers, mais toute personne a le droit de demander l’asile politique si sa vie en dépend. Mais, retour à notre récit.
Elle va donc se mettre à recevoir des appels de personnes au milieu de la Méditerranée sur un bateau en train de couler. Meron essaye d’appeler les gardes côtes en Italie qui les renvoie vers Malte. Elle interpelle l’Union européenne via la Commission européenne, mais rien n’y fait. Elle entend les cris des femmes et des enfants qui petit à petit s’enfoncent dans l’eau.
Limitée dans son action, elle arrive tout de même après plusieurs mois à être prise au sérieux par les autorités qui finiront par aller sur place secourir les candidats à l’Europe. Mais entre-temps, combien sont morts ?
De simple citoyenne à militante des droits humains
L’horreur en direct à la radio
Émission après émission, elle va donner des conseils à ses concitoyens pour essayer de survivre sur la route. Éviter tel passage, ne surtout pas parler à telle personne. Mais malgré tous ces efforts, les prises d’otages continuent et se professionnalisent. En Libye, en Égypte, au Soudan, les groupes mafieux s’enrichissent et ne comptent pas laisser tomber cette manne financière.
Dorénavant, chacun devra payer 40 000 dollars pour sa liberté et la vidéo a fait son apparition sur les smartphones. Les tortures et les viols se font maintenant en direct sous les yeux des familles et de Meron qui assiste, impuissante, à des exactions qu’elle nous décrit avec pudeur dans son anglais parfait. Il faut payer pour vivre. Pour ceux qui ne peuvent pas, ce sera littéralement l’esclavage puis la mort. Il y a même des histoires de prélèvement d’organes après exécution sommaire. Car cela aussi existe pour ceux qui n’ont pas de famille ou qui ne payent pas. Ou pas assez vite.
Des histoires qu’elle voudrait oublier
Des histoires à raconter elle en a plein. Elle en a trop même. Celle de ce curé, originaire d’un village très pauvre où les habitants ont tout vendu pour essayer de payer les 30 000 dollars. Tous les animaux y sont passés et l’argent est envoyé au fur et à mesure pour tenter de calmer les ravisseurs. Mais ça n’était pas assez. Donc ils ont demandé au village voisin qui lui aussi a vendu son bétail. L’argent supplémentaire est envoyé. Mais des semaines plus tard, ce sera Meron qui devra prendre son téléphone pour appeler dans un troisième village, où il y a le téléphone. Elle fera venir quelqu’un de la famille du disparu, à pied, sur 30 kilomètres, pour finalement lui expliquer que malgré les 19 000 dollars envoyés, il a été tué par les ravisseurs.
Les deux villages sont maintenant sans animaux et endettés pour des années. En 2012, elle assistera par appel vidéo au viol de sa propre cousine par plusieurs personnes. Meron Estefanos devra lever de l’argent, s’endetter personnellement pour payer cette rançon. Et des rançons, elle va en payer. Des centaines. Des milliers même !
Elle estime à 600 millions de dollars le total de ce qu’elle a collecté auprès des familles et de la diaspora et qu’elle a envoyé via son ONG de l’époque. Pour ces transferts, elle a beaucoup utilisé Western Union et MoneyGram. Mais il faut trouver à chaque fois de nouvelles personnes prêtes à aider, car les transferts sont limités. Elle ne peut pas les faire à son nom à chaque fois. Parfois aussi, elle utilisera aussi des émissaires, des complices des ravisseurs à l’étranger qui récupèrent l’argent dans une capitale européenne.
Des transferts d’argent compliqués entre l’Afrique et le reste du monde
Elle utilisera aussi énormément l’Hawala, système archaïque informel, mais plutôt efficace de transfert d’argent. L’idée est de donner de l’argent à quelqu’un du réseau à proximité puis le destinataire le récupère auprès d’une autre personne. L’argent ne transite jamais. Ce système fonctionne sur la confiance indispensable à son fonctionnement. Pour des petites sommes comme des plus grandes, l’Hawala fonctionne depuis des centaines d’années.
Par exemple, quand Meron Estefanos a rassemblé 5 000 dollars, elle se rend à Stockholm auprès d’un dépositaire connu de l’Hawala et lui donne l’argent liquide. Après un message ou un coup de téléphone, n’importe qui à Asmara, ou ailleurs dans les pays qui le pratiquent, pourra retirer la somme, pourvu qu’il ait le code donné par le premier maillon de la chaîne.
Mais après 10 ans à écouter des histoires horribles et à tenter d’aider un maximum de gens, Meron est fatiguée. En plus, la législation européenne a changé et maintenant, elle pourrait être poursuivie pour l’aide qu’elle apporte aux soi-disant sans-papiers. En 2013, elle décide de ne plus répondre au téléphone et ne participe plus directement aux sauvetages ni aux paiements de rançons.
La rencontre avec Bitcoin grâce à la Human Rights Foundation
Elle traque les passeurs en Afrique et les dénonce à la police
Par contre, depuis 2008, elle a commencé à collecter des informations. À chaque fois qu’elle échangeait avec un migrant, celui-ci lui racontait les détails de sa captivité, de son enlèvement, lui donnait des noms entendus. Petit à petit, elle a accumulé une grande quantité d’informations qu’elle livre maintenant à qui les veut. Interpol, polices nationales, FBI, elle a participé à différentes enquêtes.
Elle a décidé qu’elle allait tout faire pour mettre hors d’état de nuire les bandits qui torturent, violent et assassinent son peuple et les autres naufragés de la route. Forte de ses relations dans les pays limitrophes de l’Érythrée, elle va se lancer dans une grande enquête. Pour collecter des informations sur les départs des groupes de migrants, sur les bandes armées qui les kidnappent, sur les membres des différents réseaux, elle paye des informateurs. Mais les transferts d’argent sont dangereux et ces personnes risquent leur vie pour l’aider. Car en Erythrée, le gouvernement contrôle aussi l’Hawala.
Elle participe à un atelier Bitcoin comme apprenante…
C’est lors d’une participation à l’Oslo Freedom Forum organisé par la Human Rights Foundation, que sa nouvelle vie va prendre un tournant inattendu. En discutant avec Alex Gladstein, dont nous avons parlé la semaine dernière, elle va découvrir Bitcoin. D’une oreille distraite d’abord, Meron Estafanos écoutera ses premières conférences sans trop y croire. Puis sa rencontre avec d’autres activistes va être décisive.
Vénézuéliens, Palestiniens, Afghanes, elle va croiser lors de cette conférence tout un tas de militants associatifs qui utilisent Bitcoin pour se financer et se protéger. Suite à ce Forum, elle va décider de suivre un atelier Bitcoin en ligne de deux jours qui est proposé et financé par le Bitcoin Development Fund.
…puis devient finalement formatrice du même atelier
À partir de là, Meron devient une adepte de Bitcoin et se met à l’expliquer elle-même à de nombreuses personnes. Tout d’abord, elle propose ce même atelier Bitcoin à de petits groupes de 10 ou 15 réfugiés sur le point de partir ou déjà en route. De deux jours, l’atelier devient cinq, car son auditoire ne maitrise pas du tout le smartphone, donc cela prend plus de temps.
À chacun, elle apprend à utiliser un wallet mobile (souvent Blue Wallet), à recevoir des satoshis et à les convertir en monnaie locale via des applications comme Paxfull. Elle donne 50 dollars de bitcoin à la fin de chaque atelier à chaque participant pour l’encourager, faire un exemple pratique et les inciter à venir assister à la formation. Car au début, nombreux sont ceux qui ne veulent pas y participer. Déjà angoissés, stressés par le voyage à faire, ils ne voient pas l’intérêt de ce gadget. Mais ça ne dure pas, en général, ils sont rapidement conquis par l’outil.
Ce programme de formation existe en grande partie grâce aux dons du Bitcoin Development Fund de la HRF. Pour ces voyageurs, ce wallet devient le seul moyen de garder de l’argent, d’en recevoir de la famille déjà en Europe ou ailleurs, et de pouvoir en dépenser tout au long du voyage. À chaque pays traversé, ils peuvent changer quelques satoshis dans la monnaie locale grâce au mobile money et aux outils dont nous avons déjà parlé. Cette cryptomonnaie devient un fil rouge tout au long de leur périple, une ligne de vie.
Bitcoin au service de ses combats en Afrique
Tout le monde a droit au Bitcoin !
Meron Estefanos va même traduire cet atelier en tigrigna, une des langues de l’Erythrée, pour faciliter l’apprentissage. D’ailleurs, grâce à cette traduction, elle ne va pas se cantonner aux migrants qui voudraient fuir. Elle va aussi dispenser sa formation à des commerçants restés au pays qui souhaitent payer ou faire des échanges avec les pays voisins. Car l’état contrôle absolument tous les transferts d’argent et même les retraits bancaires sont plafonnés. Bitcoin devient alors un moyen de sortir de l’argent discrètement du pays pour payer des fournisseurs, mais aussi pour échapper au regard des autorités.
Elle nous raconte, par exemple, que pour organiser un mariage, un agent gouvernemental va s’assoir avec vous pour savoir combien de personnes sont invitées. À partir de là, c’est lui qui va déterminer de quel budget vous avez besoin. Et, donc, de ce que vous allez pouvoir retirer de votre compte en banque. Ce manque de liberté criant incite petit à petit les Érythréens à se tourner vers la crypto. Malheureusement, la couverture internet est presque nulle et les smartphones sont très rares. Ce sont donc surtout ceux qui ont déjà fui le pays qui peuvent profiter de tout ça.
Bitcoin pour payer ses enquêteurs
Elle va aussi dispenser cette formation à ses enquêteurs sur le terrain. À ses informateurs qui collectent inlassablement des informations sur les passeurs, sur les trafiquants et les tortionnaires. Et pour préserver la vie privée et la sécurité de ces derniers, elle va se mettre à leur envoyer des satoshis. En Éthiopie, au Soudan et même en Érythrée pour certains, ces indicateurs lui livrent d’autant plus facilement les informations qu’ils sont maintenant protégés par l’anonymat des transferts de crypto.
Elle s’aperçoit d’ailleurs que les premiers mois, ces informateurs convertissaient directement l’intégralité des envois, mais que de plus en plus, elle les entend parler d’épargne. Certains ont bien compris la valeur de ces satoshis et se mettent à les garder précieusement. Ce nouvel outil est devenu indispensable dans la lutte moderne contre les trafiquants d’êtres humains.
D’ailleurs, tout ceci a payé puisqu’un des pires tortionnaires a été arrêté il y a seulement quelques semaines. Meron Estefanos a-t-elle participé à sa capture ? Pour des raisons de sécurité, on n’en saura pas plus, mais l’article du journal Le Monde la cite comme témoin.
ሰሰናዩ ሜሮን ሰናይ ዕድል – Aurevoir Meron et bonne chance (en tigrigna)
Il est temps de refermer ce chapitre terrible de nos chroniques sur l’Afrique sur le sourire incroyable de cette personne qui mérite tellement d’être connue. Elle est un exemple de sacrifice, d’engagement et de don de soi au service de la communauté. Meron est d’ailleurs révoltée contre le traitement fait aux demandeurs d’asile que l’Europe laisse mourir en Méditerranée. En tant que citoyenne suédoise, donc européenne, elle fait tout ce qu’elle peut pour faire changer les mentalités. Et, cela commence par le dialogue. Par raconter son histoire. Si elle a pris une heure de son temps pour nous parler, c’est parce qu’elle veut que vous sachiez ce qui se passe dans son pays natal et sur la route de l’Europe.
Bitcoin est une rencontre accidentelle sur son chemin, qui a changé son point de vue et lui a donné un nouvel horizon. C’est un outil idéal pour elle comme pour des milliers de réfugiés qui marchent aujourd’hui même sur les routes dangereuses de l’Afrique. Elle continuera toujours son combat pour eux. Pour tous ceux qui sont morts sur la route, tous ceux qui ont été affreusement mutilés, traumatisés, tous ceux qui se sont noyés en mer, qui ont été violés à de multiples reprises. Beaucoup de survivants sont toujours en Israël, d’autres peuplent des camps de réfugiés en Éthiopie quand d’autres sont à Paris, Porte de la Chapelle, sous des tentes de fortunes.
Bitcoin et l’Afrique, rendez-vous la prochaine fois
Aujourd’hui, Meron Estafanos a repris son bâton de pèlerin et se bat dorénavant pour les mères célibataires en Afrique de l’Est et ailleurs sur le continent. Avec ses deux enfants à charge et elle-même célibataire, elle connaît la difficulté quotidienne. Elle a décidé d’aider les femmes dans cette situation à retrouver une indépendance financière. Elle les aide à reprendre en mains leur vie avec un petit commerce par exemple. Bien sûr, elle leur parle de Bitcoin. Meron envisage aussi de trouver un lieu en Afrique pour développer le minage de bitcoins en faveur des communautés locales. Enfin, elle voudrait convaincre Elon Musk de positionner ses satellites au-dessus de l’Erythrée pour connecter enfin toute la population au réseau.
À l’heure de clôturer l’entretien, on lui demande si elle a un regret par rapport à Bitcoin et à ses activités. Elle nous répond avec un petit sourire qu’elle aurait aimé en entendre parler plus tôt et en acheter avant ! Éclat de rire général avant de se quitter. Quelle rencontre et quelle personne ! En tapant son nom sur un moteur de recherche, vous trouverez toute son histoire, mais aussi son documentaire salué par Telerama et des interviews qu’elle a données pour une multitude de médias. Enfin, n’hésitez pas à aller sur le site de sa fondation pour voir ses nouveaux projets.
Nous, on se donne rendez-vous bientôt pour parler à nouveau de l’Afrique et de Bitcoin. En attendant, pour un peu de légèreté après tout ça, nous vous proposons un petit tour sur le Fenua pour changer d’air, de latitude et d’environnement. De l’Afrique à Tahiti en un clic, c’est aussi ça Le Journal du Coin.