La voie royale pour blanchir l’argent du crime en Bitcoin ? Le minage exclusif en question

Place aux innovations pour blanchir de l’argent ! Elias Strehle et Lennart Ante, chercheurs au Blockchain Research Lab et à l’Université d’Hambourg, se sont intéressés au « minage exclusif ». Une technique qui permettrait de blanchir des bitcoins avec l’aide d’un mineur.

Exclusive Mining of Blockchain Transactions

Le minage exclusif : collusion entre utilisateur et mineur

Les réseaux blockchains transmettent les nouvelles transactions émises par leurs utilisateurs de proche en proche. Chaque nœud communique avec un certain nombre de ses pairs pour diffuser l’information. Ainsi, l’ensemble du réseau connait très vite les requêtes de transactions. Les mineurs vont alors considérer les frais associés, pour les inclure dans un bloc.

Le minage exclusif consiste à ne pas diffuser sa transaction sur le réseau, mais à la transmettre directement à un mineur. L’émetteur et le mineur complice établissent un canal de communication privé, hors de la blockchain. L’initiateur transmet alors sa transaction directement au mineur, sans que le reste du réseau soit au courant. Ni l’un ni l’autre ne la propagent aux autres nœuds. Ces transactions non-confirmées ne sont pas visibles publiquement : le mineur va alors les inclure dans de nouveaux blocs, pour les confirmer et collecter les frais associés.

Flux des informations - minage régulier, minage exclusif
Flux de l’information : minage régulier vs minage exclusif

Le minage exclusif : pour quoi faire ?

Les chercheurs relèvent 3 cas d’usage de cette technique du minage exclusif.

Confirmation-as-a-service

Il s’agit d’employer le minage exclusif pour se protéger de la volatilité des frais de transaction. Par exemple, en cas de congestion de Bitcoin ou d’Ethereum, les plateformes de change sont moins profitables. Les services impactés peuvent alors se tourner vers un mineur, pour qu’il confirme leurs transactions au plus vite, en échange d’un dessous de table.

L’accord est profitable aux deux parties. En effet, l’initiateur se protège de la volatilité des frais ou d’un dysfonctionnement, et le mineur s’assure un complément de revenu prévisible.

Se protéger du frontrunning

Le frontrunning est le fait de répliquer ou d’aller à l’encontre d’une transaction non confirmée, en créant une nouvelle transaction, qui sera traitée avant la première par les mineurs. Généralement, il faut leur offrir plus de frais.

Le caractère public des transactions non confirmées peut ainsi être utilisé contre leur initiateur. Les robots d’arbitrage profitent souvent de ces opportunités sur Ethereum, en sautant les files d’attente des DEX, par exemple.

Le minage exclusif permet alors à l’initiateur d’une transaction de se protéger contre le frontrunning en la cachant au reste du réseau.

Le blanchiment d’argent

C’est le cas d’usage qui nous intéresse le plus. La méthode décrite par les chercheurs paraît simple comme bonjour.

Exemple sur Bitcoin

L’initiateur de la transaction souhaite blanchir des bitcoins. Il va créer une ou plusieurs transactions présentant des frais très élevés : elles correspondent aux fonds « sales ». Le minage exclusif permet alors au mineur complice de les cacher au reste du réseau. Il s’assure ainsi que ce sera bien lui qui collectera les frais.

Ces frais collectés s’ajoutent à ses autres revenus provenant du minage, qui sont clean. Le mineur peut alors les échanger contre de la monnaie fiat sur une plateforme de change. Ces fonds seront enfin transférés à nouveau à l’initiateur. Bien entendu, si les deux entités sont contrôlées par le même acteur, cette technique fonctionne mieux.

Blanchiment d'argent via les frais de transactions et le minage exclusif
Blanchiment d’argent via la collecte de frais de transactions par minage exclusif

Cette technique ne fonctionne pas dans le cas des pools de minage qui redistribuent les frais à tous leurs membres. Celui qui cherche à blanchir ses bitcoins a donc intérêt à posséder son propre mining pool.

Les activités occultes du mineur ne doivent pas être trop visibles des autres pairs du réseau. Les plateformes de change pourraient s’en apercevoir et plus accepter ses fonds.

Pour vivre heureux, vivons cachés

Les chercheurs présentent deux méthodes pour y arriver :

  • La création d’un petit nombre de transactions présentant des frais très hauts. Le mineur va alors feindre la bonne foi en offrant le remboursement de ces frais. Une requête à laquelle l’initiateur ne répondra pas. Évidemment, les chances d’être repéré augmentent s’il répète l’opération ;
  • La création d’un grand nombre de transactions présentant des frais moyens ou légèrement élevés. C’est la méthode la plus efficace pour cacher ces activités. Il faut cependant faire attention à des métriques telles que les frais moyens par bloc.

Contrer le minage exclusif

Les chercheurs reconnaissent qu’il est très difficile de détecter le minage exclusif. Cependant, ils présentent une méthode qu’un nœud blockchain peut employer pour détecter ce type d’activité, en fonction des informations provenant du reste du réseau.

Les transactions provenant du minage exclusif ont pour caractéristique d’être visibles par l’ensemble des nœuds seulement après leur confirmation. Leur horaire de réception est donc le même que l’horaire de confirmation. Les transactions provenant du minage exclusif sont donc toutes « tardives ». L’inverse n’est pas vrai, mais la proportion de transactions tardives d’un mineur est donc corrélée au minage exclusif.

Comme le blanchiment d’argent s’effectue avec les frais de transaction, les transactions suspectes sont tardives, et présentent des frais élevés. En comparant les frais totaux collectés via des transactions tardives aux frais collectés via le restant, il est possible d’obtenir un faisceau d’évidences. Bien entendu, ce ne sont pas des preuves, et il faut grandement affiner ces statistiques pour qu’elles deviennent représentatives. Il faut notamment prendre en compte d’autres variables, comme la part du hashrate du mineur considéré, le taux de nouvelles transactions et de blocs par minute, etc.

Ce papier de recherche semble être le premier à présenter le concept de minage exclusif de façon académique. Cela peut être utilisé à différentes fins. Le blanchiment d’argent n’est pas le plus facile à mettre en œuvre, mais c’est techniquement possible. Les chercheurs souhaitent établir des modèles statistiques pouvant permettre d’identifier un tel comportement.

Morgan Phuc

Cofounder @ 8Decimals & Partner @ Node Guardians - Making crypto great again - Journal du Coin / BitConseil